• Aucun résultat trouvé

Sélectivité au sein de la sous-famille RHOA et redondance fonctionnelle

RHOA, RHOB et RHOC sont homologues à plus de 85% dans leur séquence primaire. Comprendre pourquoi des protéines aussi proches ont été conservées au fil de l’évolution est possible si elles assument effectivement des rôles différents au sein de la cellule.

L’obtention d’organismes KO pour l’une de ces protéines est difficilement interprétable sur le plan de la redondance fonctionnelle : seul le KO de RHOA est létal au niveau embryonnaire, suggérant soit qu’il existe des fonctions de RHOA qui ne peuvent être compensées par les deux autres protéines, soit qu’au stade embryonnaire, RHOB et RHOC ne sont pas exprimées pour compenser la perte de RHOA. Les animaux KO conditionnels tissus spécifiques établis pour RHOA permettent de montrer que les fonctions sur le cytosquelette d’actine s’avèrent dépendantes du contexte cellulaire. En résumé, cette protéine peut être à la fois essentielle dans une fonction cellulaire donnée, dans un tissu cellulaire donné et à la fois non essentielle dans un autre type cellulaire. Les animaux KO pour RHOB et RHOC ne présentent pas de phénotypes majeurs mais démontrent l’existence de fonctions propres à l’une de ces isoformes et l’existence de fonctions redondantes73. L’ensemble des résultats obtenus est regroupé

dans la revue de Narumiya57.

Ridley s’est particulièrement intéressée à la question de la persistance de 3 protéines aussi homologues. Les travaux de son équipe tendent effectivement à montrer que ces trois protéines, en dépit de leur fort pourcentage d’homologie présentent des rôles différents dans la morphologie cellulaire et la migration32. Pour cela, les auteurs comparent les phénotypes cellulaires et les

comportements migratoires des cellules suite à l’inhibition sélective de l’expression de RHOA ou RHOC par siARN. Les cellules déficientes en RHOA présentent une morphologie allongée et de nombreuses et étroites protrusions membranaires. Leur capacité migratoire est réduite mais leur capacité invasive en Matrigel devient plus importante. Les cellules déficientes en RHOC présentent une augmentation de l’aire cellulaire et de la largeur des lamellipodes mais voient leurs capacités

migratoires et invasives réduites. La déplétion de RHOB diminue quant à elle la surface cellulaire et augmente la vitesse de migration des cellules, probablement par un effet sur les intégrines (1) et donc sur la dynamique des adhésions focales.

L’existence de fonctions propres à l’une ou l’autre des protéines implique immédiatement la mise en évidence de partenaires protéiques capables de distinguer l’une des trois protéines. Les mesures d’affinités réalisées in vitro doivent être précautionneusement extrapolées au contexte intracellulaire, notamment du fait de l’encombrement moléculaire, difficile encore aujourd’hui à prendre en compte dans les études d’interactions protéines-protéines.

La littérature recense en effet quelques exemples de partenaires de la sous-famille RHOA se liant différemment à RHOA, RHOB et RHOC. Par exemple, la GEF XPLN active RHOA et RHOB mais pas RHOC. L’explication moléculaire donnée par les auteurs porte sur le rôle discriminant de l’acide aminé en position 43 sans pour autant le confirmer au niveau structural. De la même façon, SmsgDs, un GEF atypique active RHOA et RHOC mais pas RHOB. Bien que la preuve structurale fasse encore défaut, il semblerait que la région polybasique soit impliquée dans la liaison à cette GEF. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de GAP mise en évidence pour leur sélectivité. La Formin FLMN2 a été également décrite comme sélective de RHOC par son interaction avec l’acide aminé en position 4374. Ridley met en évidence la Formin FLMN3 comme sélective de RHOC sans donner d’explication

structurale32. Nous tirerons de ces exemples la possibilité de discriminer sélectivement ces trois

protéines. Et pour preuve supplémentaire, au laboratoire il a déjà été isolé un anticorps recombinant capable de distinguer sélectivement RHOB actif des deux autres membres de la famille RHO75.

Afin de comprendre comment une protéine peut être reconnue par autant de partenaires aux structures aussi différentes, Ahmandian et Drovski proposent de recenser les acides aminés sur les RHO impliqués dans une liaison protéique76. Ils s’aperçoivent ainsi que les partenaires de RHO

partagent un site de liaison englobant la région des switch I et II et la boucle 2, et que les acides aminés contenus dans ce site de liaison se situent en surface de la protéine indépendamment du nucléotide lié. De plus, des acides aminés non impliqués dans une liaison avec un partenaire peuvent modifier la sélectivité et l’affinité de liaison de la protéine 41. Ils concluent de leur analyse que seule la

plasticité interne de ce site de liaison et les diverses conformations qu’il adopte en fonction de son partenaire peuvent expliquer la sélectivité de reconnaissance entre RHO et son partenaire. En effet, même si les RHO sont décrites comme existant sous deux états conformationnels, la comparaison des conformations tridimensionnelles des chaines latérales des acides aminés explique leur capacité à adopter différentes surfaces d’interaction avec leurs différents partenaires. Les GDI et les GEFs induisent un changement conformationnel important de la GTPase alors que celui engendré par les GAPs et les effecteurs est nettement plus faible. La sélectivité entre une protéine et son partenaire ne

peut donc pas s’expliquer seulement par une différence de nature des acides aminés impliqués ni par la comparaison de structures cristallographiques des différentes RHO. Les auteurs préfèrent retenir le jeu complexe d’ajustements moléculaires et de phénomènes physiques dynamiques au niveau de la surface d’interaction propre à RHO et à son partenaire. Si cette conclusion permet aux auteurs de proposer une explication quant à la diversité des structures impliquées dans la reconnaissance des RHO, elle permet également de comprendre comment des protéines très proches, au sein de la sous-famille RHOA par exemple, peuvent être distinguées.

S’il est possible de distinguer sélectivement l’une des trois protéines, d’autres paramètres interviennent également pour expliquer les rôles différents de ces trois protéines : leurs différents degrés d’expression, leurs différentes modifications post-traductionnelles et leurs différentes localisations subcellulaires, aboutissant finalement à une régulation spatiale et temporelle propre à chacune d’entre elles. Dans cet ordre d’idée, notons que la mise au point des biosenseurs de FRET pour RHOA, RHOB et RHOC (cf.II.D.1) a permis récemment d’étudier la localisation spatiale et temporelle de l’activité de ces 3 protéines dans les cellules endothéliales. Il révèle ainsi les localisation et activation particulières de RHOB en réponse à la thrombine, par rapport à RHOA et RHOC (identiques dans ce cas)77. L’utilisation de ce type de construction dans des cellules en migration a

également permis de visualiser la dynamique d’activation de RHOC, spatialement différente de celle de RHOA et nécessaire à l’activation de la cofilin dans la formation des protrusions membranaires78.

Implications des RHO dans les tumeurs

  

Mécanismes moléculaires

 

Nous avons énuméré plus haut les fonctions régies par les GTPases RHO. Toutes ces fonctions sont cruciales dans l’homéostasie tissulaire et leurs dérégulations sont immédiatement impliquées dans la tumorigénèse. Ainsi, mécanistiquement, les protéines de la famille RHO ont été impliquées dans la très grande majorité des « hallmarks of cancer » décrits par Weinberg et Hanahan79.

La description de leur implication dans chacun des traits caractéristiques décrits par Weinberg nécessiterait une revue à part entière, c’est pourquoi quelques exemples seulement seront choisis pour illustrer chacun d’entre eux. Toutefois, l’implication des RHO dans la migration et l’acquisition d’un phénotype invasif sera plus particulièrement développée.

a. Dans les “ hallmarks of cancer”

Prolifération cellulaire continue : Les RHO contrôlent la prolifération cellulaire par de multiples voies de signalisation80. En particulier, RHOA favorise la transition G1/S en induisant la

production de la cycline D1 et en inhibant les CDKi p21 et p27. Les RHO interviennent également pendant la mitose, en contrôlant la duplication du centrosome, son positionnement et également l’assemblage et la contraction de l’anneau d’actine formé lors de la cytodiérèse. Cependant, ces mécanismes ont été observés in vitro et il reste encore aujourd’hui à déterminer in vivo lesquels sont réellement pertinants dans la tumorigénèse.

Rôle dans la transformation cellulaire : Historiquement, les premières implications des RHO dans le cancer ont été faites par analogie à RAS. La première preuve de l’implication des RHO dans la tumorigénèse vient d’expériences faites avec des mutants constitutivement actifs des RHO dans des fibroblastes murins 81: la surexpression de ces mutants permet aux cellules d’acquérir les

caractéristiques d’une cellule transformée (croissance indépendante du substrat, indépendance vis à vis des facteurs de croissance). Injectées chez la souris nude, ces cellules sont capables de former des tumeurs82. Quelques années plus tard, leur rôle dans le processus métastatique était mis en évidence in

vivo. Cependant, leur rôle reste encore assez débattu. Malgré les résultats des premières expériences présentées ci-dessus, le pouvoir transformant des RHO est nettement inférieur à celui de RAS (mesuré par le nombre de colonies formées en agar mou)83. Les tumeurs induites chez la souris par les mutants

de RHO étaient plus différenciées que les tumeurs induites par RAS82. Enfin si l’amplification du gène

est capable de transformer des fibroblastes murins, d’autres n’ont pas mis en évidence de pouvoir transformant des mutants actifs83. Ainsi, il est finalement considéré que les RHO peuvent avoir