• Aucun résultat trouvé

Sur les 126 équipes mobiles psychiatrie et précarité que comptait la France en 2010 (Mercuel & Querimini, 2010), MARSS est l’une des rares EMPP à effectuer un travail de rue de façon autonome. En effet, la plupart des EMPP sont amenées à intervenir dans la rue en appui d’une équipe mobile sociale ou à la suite d’un signalement émanant d’une autre structure. Il s’agit dans ce cas de venir en aide à une structure qui se trouve dans l’impossibilité de prendre en charge une personne du fait de troubles psychiatriques supposés.

L’équipe MARSS a choisi une modalité d’action sensiblement différente, notamment du fait de l’exercice d’un travail de rue mené de façon indépendante et autonome.

Pour cela, les professionnels effectuent des « tournées de rue ». Ce mot est préférentiellement utilisé par l’équipe à celui de « maraude » habituellement utilisé par les équipes mobiles caritatives (distribution de repas), celles qui travaillent dans l’accès aux soins et/ou la réduction des risques, effectuant également un travail de rue auprès des populations sans abri. Bien que le mot maraude signifie pour le sens commun aller à la rencontre des personnes vivant dans la rue, ou dans les espaces interstitiels de la ville (Lovell, 1996), il a aussi le sens premier de chapardage effectué par les armées lors de leurs déplacements. C’est en raison de cette polysémie que l’EMPP a adopté le mot « tournée » ; le verbe « tourner » désignant alors l’action (par exemple : « je tourne avec X ce matin »). Malgré cette préférence pour le terme de tournée, il arrive par moment que le mot « maraude » soit employé.

Tournées « exploratoires » ou « ciblées »

Les tournées peuvent être « exploratoires » ou « ciblées ».

Au cours des « tournées exploratoires » les professionnels sillonnent une aire géographique du centre ville et vont à la rencontre des différentes personnes de la rue qu’ils croisent. Les objectifs de ces tournées exploratoires sont alors multiples.

1) Le premier objectif est un objectif de repérage et de « tri ». Il s’agit de rencontrer toutes les personnes de la rue que l’équipe ne connaît pas et d’établir un premier contact pour repérer les personnes ayant des troubles psychiatriques sévères. De fait, au cours de ces tournées, il est avant tout prêté attention aux personnes qui présentent manifestement des troubles psychiques (nous revenons un peu plus loin sur cette question du repérage des symptômes d’alerte lors des tournées). Mais, d’une part, toutes les personnes abordées ne présentent pas forcément les critères nécessaires pour entrer dans la file active et, d’autre part, toutes les situations de souffrance psychique ne sont pas repérables par le simple contact visuel. De fait, de nombreux contacts sont établis avec des personnes qui n’entreront pas dans la file active. De ces nombreux contacts et discussions avec les personnes de la rue, découlent deux autres objectifs de ces tournées exploratoires.

2) Au cours des rencontres avec les personnes de la rue, les professionnels sont régulièrement amenés à diffuser des informations sur les ressources disponibles dans la ville à destination des personnes sans abri : où manger, où dormir, où trouver des vêtements, où prendre une douche, où rencontrer une assistante sociale, consulter un médecin, etc… En fonction de la situation et des capacités de mobilité et de repérage dans l’espace urbain que présente la personne, ces informations seront données soit simplement à l’oral, soit par une adresse écrite sur un papier, éventuellement en dessinant un plan sommaire du quartier et quelque fois, quand ils en ont à disposition, à l’aide de prospectus de telle ou telle autre structure (essentiellement les plaquettes de l’équipe elle-même et celle de la PASS Rimbaud de

 

l’hôpital de la Conception12). Ce travail consiste alors autant en une diffusion d’informations utiles pour les personnes vivant dans la rue qu’en une orientation ciblée de certaines personnes pour répondre à une demande particulière. Il arrive parfois que les professionnels accompagnent directement une personne depuis le lieu de la rencontre jusqu’à la structure vers laquelle elle est orientée (le plus souvent les ADJ), lorsque la personne ne peut s’y rendre par elle-même (du fait d’une trop faible connaissance de la géographie de la ville) et si les professionnels en ont la possibilité (disponibilité).

3) A l’occasion de ces moments de rencontre des examens somatiques sommaires peuvent être réalisés, et des conseils de préventions sont souvent divulgués, fréquemment sur la nécessité de s’hydrater en buvant de l’eau, notamment en période de grande chaleur.

4) D’une façon plus générale, ces tournées exploratoires sont un moyen pour les professionnels d’exercer une activité de veille (« prendre la température » de la rue). Il s’agit d’observer les mouvements et les variations de la population des personnes vivant dans la rue (évolution de la pyramide des âges, proportion de personnes de passage, affluence de personnes d’un pays particulier, mobilité de certains groupes, etc…) et de leurs conditions de vie dans la rue (modification de l’espace public du fait de travaux, fonctionnement des fontaines à eaux, disponibilité de toilettes publiques, etc…) et les pressions qui s’exercent sur ces personnes (policières par exemple sur leur lieu de mendicité, ou celles d’autres sans abri). Ces observations et les conclusions qu’en tirent les professionnels sont éminemment subjectives. Cet objectif de veille est partagé non seulement par tous les professionnels de l’équipe, mais aussi par la majorité des personnes travaillant dans les différentes institutions qui effectuent un travail de rue sur Marseille13.

Les « tournées ciblées » visent quant à elles à aller à la rencontre d’une personne particulière, que l’équipe connaît déjà ou qui lui a été signalée et se font, si ce n’est dans un objectif précis, tout du moins avec une intention particulière. Cela peut être pour :

1) Poursuivre un travail en cours : La raison la plus fréquente pour mener une tournée ciblée

est celle de continuer un travail social ou médical qui a déjà commencé avec la personne. - social : l’assistante sociale veut rencontrer la personne pour l’informer de l’évolution d’un dossier en cours (AAH, RSA, papier d’identité, recours administratif, CMU, etc…) ou la convaincre de faire certaines démarches (ces démarches sont les mêmes que celles citées précédemment). En effet, des suites de leurs expériences passées avec la psychiatrie et du fait de la symptomatologie de leur maladie, certaines personnes se révèlent extrêmement réticentes à toute démarche administrative, à divulguer ou renseigner leur identité.

- suivi médical : il s’agit alors de rencontrer une personne pour discuter avec elle de l’évolution de ses symptômes, de l’efficacité d’un traitement qui lui a été prescrit ou de l’évolution d’un problème somatique pour lequel la personne a déjà reçu des soins.

2) Faire une évaluation psychiatrique ou somatique : cette situation se retrouve quand une

personne de la rue a été rencontrée par certains professionnels de l’équipe qui n’étaient pas en mesure d’évaluer pleinement la situation (du fait de leur qualification professionnelles) ou qui souhaite bénéficier d’une seconde évaluation (notamment pour les troubles psychiatriques).

12 Le médecin coordinateur de la PASS Rimbaud ayant travaillé pendant six mois dans l’équipe MARSS, une

collaboration particulière exise encore entre ces deux structures.

13 C’est un des points qui est ressorti de la réunion mené le 7 juin 2012 à la FNARS sur l’organisation des

maraudes et qui regroupait des représentant du Bus 31/32, croix rouge, ADJ Marceau/Consolat, Boutique solidarité et EMPP-MARSS.

 

3) Procéder à une évaluation générale de la situation. Ce type de tournée ciblée est pratiqué à

la suite d’un signalement soit par un service extérieur (ADJ, police, 115, UHU, Service de gestion des HLM…), soit par une personne privée, généralement un riverain (habitant, commerçant) du quartier où la personne se trouve. Lors de ces signalements, qui se font la plupart du temps par téléphone, le maximum d’informations sur la situation est demandé à la personne qui signale14. Mais ces renseignements sont le plus souvent très succincts et se

limitent à une description physique sommaire et un « motif de signalement ». Il est alors nécessaire pour les membres de l’équipe de se rendre sur place pour rencontrer la personne et se faire sa propre idée de la situation et des suites à y donner.

4) Accompagner une personne : Il est assez fréquent que des professionnels de l’équipe fixent

un rendez-vous à une personne pour l’accompagner dans un service où une institution où la personne craint de se rendre ou ne peut pas se rendre seule. Si ce type de démarche est décrit dans cette partie consacrée aux tournées de rue ciblées, c’est en raison de l’aspect toujours incertain du respect des rendez-vous fixés. Il est très fréquent qu’une personne déclare à un professionnel souhaiter réaliser telle ou telle démarche, qu’un rendez-vous soit pris et qu’au jour et à l’heure prévue, le rendez-vous ne soit pas honoré. Ce non respect des rendez-vous fixés peut être dû à la personne elle-même qui ne s’y présente pas, par oubli du rendez-vous, par perte de la notion du temps ou parce que l’acceptation du rendez-vous et de la démarche qu’il sous-tend était avant tout une réponse positive à une proposition du professionnel davantage qu’un réel désir émanant de la personne elle-même (Marques, 2010). Ne pas se présenter à un rendez-vous, initialement accepté par convenance, est alors une manière de se défausser de la situation d’engagement dans laquelle s’est retrouvé la personne sans vraiment le souhaiter (Goffman, 1974). Nous reviendrons plus en détail sur cette question de l’engagement dans la partie suivante.

Notons aussi, qu’il arrive fréquemment que les professionnels de l’équipe, pris par une action dans laquelle ils sont déjà engagés, ne parviennent pas à tenir les délais qu’ils avaient prévus et arrivent avec plus ou moins de retard sur le lieu du rendez-vous. Dans ces situations de rendez-vous manqués, il devient nécessaire de rechercher la personne dans la rue, sur ces lieux de fréquentation habituelle, lorsque l’équipe les connaît.

Ces accompagnements se font aussi bien en direction d’un service médical ou d’une institution « sociale ». Les accompagnements à visée médicale peuvent aussi bien avoir une visée diagnostique (accompagner une personne à un rendez-vous pour un examen radiologique par exemple) que thérapeutique (majoritairement, des accompagnements à la PASS). Dans ce registre, notons qu’il est aussi très fréquent que des professionnels accompagnent des personnes depuis leur lieu de vie dans la rue jusqu’au local de l’équipe pour les consultations médicales du mardi après-midi. Cela est d’autant pus fréquent pour la première venue des personnes dans les locaux. Un certain nombre d’accompagnements se font en direction des hôpitaux (somatique ou psychiatrique) en vue d’une hospitalisation. Nous reviendrons plus loin sur cette question particulière des hospitalisations depuis la rue. Les accompagnements pour questions « sociales » se font quant à eux soit pour des démarches administratives (en direction de la CAF, la mairie, la préfecture, etc.), soit en direction de services généraux pour des démarches courantes (ouvrir un compte à la banque, retirer de l’argent à la poste, etc). À cela s’ajoute les accompagnements en direction des locaux de l’équipe pour les consultations sociales du jeudi après-midi.

 

5) Créer/continuer le lien, veiller sur une situation. De nombreuses tournées ciblées n’ont pas

d’objectif direct lié à cette tournée particulière mais s’inscrive dans une continuité de pratiques et une régularité de ces visites. Deux objectifs sensiblement distincts bien que généralement intriqués, sont alors à évoquer. Le premier concerne la création d’un lien, d’une relation particulière avec une personne au travers des visites régulières qui lui sont rendues. Cette relation étant conçue par les professionnels comme une base sur laquelle ils pourront s’appuyer par la suite (cf.infra). Le second est davantage un objectif de veille au sens large sur la personne et l’évolution (ou la non évolution) de sa situation. Cette pratique est mise en œuvre soit pour des situations qui paraissent inquiétantes aux professionnels mais pour lesquelles aucune action n’est encore possible ; soit pour des suivis au long court, des personnes que l’équipe suit de loin en loin, pour lesquelles il n’y a rien de particulier à faire mais auxquelles l’équipe rend visite de façon régulière.

6) Retrouver une personne en fugue d’hospitalisation : (cf. partie précédente sur la « logique

institutionnelle » dans les staff rue).

7) Hospitaliser une personne : L’hospitalisation depuis la rue est un motif important de mise en œuvre de tournée ciblée. Pour autant, compte tenu de la multiplicité des motifs (crise, urgence somatique, mise à l’abri, etc…) et des conditions particulière (SDT, HL, HO) d’hospitalisation depuis la rue, ce point sera développé dans la partie suivante.