• Aucun résultat trouvé

La démarche de « l’aller vers » qui est au cœur de l’action des EMPP, et particulièrement l’EMPP-MARSS, est un choix politique et humanitaire qui a émergé en France dans l’action publique dans les années 1990 face à l’augmentation d’une population de grands exclus n’ayant plus accès aux droits fondamentaux (dont l’accès à des soins décents), à un accroissement de la visibilité de la « question SDF » (Damon, 2008) et de la sensibilisation de la société française à la problématiques des personnes ayant des troubles psychiques et vivant dans la rue (Marques, 2010). Selon l’enquête réalisée par le sociologue S. Rullac (2008), cet accroissement de la visibilité des SDF est la conséquence, entre autres, de la suppression du délit de mendicité en 1993 et de la suppression de la BAPSA (Brigade d’aide aux personnes sans abri) qui l’a accompagné. En effet, si le délit n’était plus réprimé depuis les années 1960, la BAPSA « ramassait » toutes les nuits les personnes sans abri, souvent contre leur volonté, pour les conduire dans les « dépôts de mendicité » où elles pouvaient passer la nuit au chaud, prendre un repas et une douche. Derrière sa fonction punitive, la BAPSA assurait une réelle protection sanitaire de la population des grands exclus en leur évitant les hypothermies mortelles. De fait, l’année 1993 a été marquée par une augmentation notable du nombre de personnes décédées dans la rue, phénomène qui a été largement médiatisé en 1993, et depuis chaque hiver, traduisant une plus grande sensibilité de la société française aux problèmes d’exclusion sociale. De plus, la suppression du délit de vagabondage et de mendicité, et la suppression concomitante de la BAPSA ont entrainé une plus grande visibilité des SDF car ceux-ci n’étant plus conduit dans les dépôts de mendicité, et n’ayant plus à se cacher pour échapper à la BAPSA, sont restés dans les centre-ville. Selon le sociologue J. Damon, l’apparition des vendeurs du journal SDF, sur fond de récession cette même année 1993, a largement contribué à visibiliser la « question SDF » (Damon, 2008)

Le changement de regard opéré sur cette population de grands exclus, considérée alors comme des victimes, a permis l’émergence de dispositifs expérimentaux (tels que le Samusocial de Paris en 1993) qui se sont imposés rapidement comme des dispositifs d’action publique en consacrant la notion « d’urgence sociale » (Rullac, 2008 ; Cefaï & Gardella, 2011). « Figure typique de l’exclusion » (Damon, 2008 : 62), les SDF sont devenus depuis la fin des années 1990 un enjeu des politiques sociales en France. Celles-ci ont accentué leur ciblage avec la création des EMPP qui marque l’apparition de véritables politiques catégorielles visant une population désignée par les institutions spécialisées (ici l’hôpital psychiatrique) et définie à la fois par son statut social (être SDF) et par sa pathologie (troubles psychiatriques sévères). Selon la sociologue A. Marques, la création des EMPP ne correspond pas à « une définition d’un problème public, mais la définition de sa solution » (Marquès, 2010 : 105). Cependant, si ce ciblage a des effets bénéfiques pour la santé des personnes prises en charge, il peut maintenir, voire renforcer, leur stigmatisation. C’est pourquoi

 

certaines d’entre elles se défendent d’être sans abri53, ou préfère l’étiquette de « toxicomane » à celle de « fou ».

La qualification psychiatrique du phénomène (personnes vivant dans la rue et supposées présenter des troubles psychiques) peut être analysée en terme de sanitarisation du social, soit la traduction en termes sanitaire d’un problème de société (Fassin, 1998) qui voilerait les volontés de changement social et de lutte contre les exclusions portées par les mouvements sociaux, en particulier le mouvement des Don Quichottes durant l’hiver 2006-2007, qui refusaient les logiques mises en œuvre par l’urgence sociale qui, si elle permettait une prise en charge rapide et un hébergement de courte durée, ne permettait pas une continuité de la prise en charge de situations sociales caractérisées par la chronicité (Rullac, 2008). Cependant, la catégorisation d’une population cible de l’action de l’EMPP est avant tout un outil de travail et non la reproduction figée d’une réalité. Les objectifs de l’équipe sont beaucoup plus larges que l’amélioration immédiate de la santé des personnes : modifier leur environnement ; leur redonner un statut de citoyen en leur permettant de recouvrer leur droits (au logement, à la protection sociale, à la citoyenneté, à la culture) ; leur permettre de retrouver une autonomie par la réduction des symptômes psychiatriques ; restaurer une identité sociale affranchie de la stigmatisation dont ils sont victimes. Les pratiques des professionnels de cette équipe médico- sociale sont avant tout des formes du prendre soin et du souci de l’autre et inscrivent l’action de cette « équipe hospitalière » dans une éthique du care.

Comme le rappelle A. Mol la logique du soin est d’abord et avant tout pratique : elle s’occupe activement d’améliorer la vie (Mol, 2009). S’adressant à des personnes particulièrement vulnérables et marginalisées, cumulant de nombreux problèmes médicaux et sociaux, ce dispositif de soins médico-social tente de leur apporter des solutions pratiques pour améliorer leur état de santé et réduire leurs symptômes psychiatriques (le versant cure du dispositif). De fait, l’objectif n’est pas de guérir des personnes atteintes de maladies chroniques, mais bien d’améliorer leur qualité de vie, en leur permettant, entre autres, d’accéder à un traitement. Ici, la logique du cure fait intégralement partie de celle plus globale du care.

Cette logique d’action nécessite une concentration des compétences médicales et sociales au sein d’une équipe dont chaque membre assure les versants cure et care de la prise en charge. Ce n’est pas la polyvalence de chaque professionnel dans son activité quotidienne qui efface la dichotomie cure/care, mais plutôt que les techniques du care sont mobilisées à des fins de

cure, et réciproquement. Ainsi, pour ne reprendre que cet exemple, la création d’une relation

interpersonnelle et de confiance, basée sur des principes d’attention, de souci et de réciprocité, vise à faire entrer la personne dans un processus de soin qui comprend bien souvent une hospitalisation et/ou la prise d’un traitement médicamenteux. Ces éléments de cure que sont l’hospitalisation et la chimiothérapie ne sont alors qu’une étape dans un processus plus long de rétablissement et « d’amélioration de la vie », qui implique nécessairement un accès aux droits fondamentaux et sociaux, et un accompagnement vers la restauration de l’identité et le recouvrement de la citoyenneté. Si la médicalisation de la société, en tant que traduction de problématique sociale en terme médicaux, n’est plus à démontrer (Aïach et Delanoë, 1998) pas plus que la sanitarisation du social (Fassin, 1998), il apparaît que le dispositif MARSS et les pratiques professionnelles qu’il met en œuvre relèvent d’une forme de « socialisation du travail médical »54 (Farnarier, 2009) qui répond à la logique du soin.

53 Comme Roger qui nous répète régulièrement qu’il ne vivait pas dans la rue puisqu’il vivait dans sa voiture.

54 Par socialisation du travail médical, nous entendons désigner l’intégration des approches et techniques du