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Par « règles », nous entendons les règles explicites qui régulent la pratique de l’hospitalisation sous contrainte au sein de l’EMPP. Celles-ci ne sont pas écrites, mais sont régulièrement énoncées dans les réunions, et elles peuvent évoluer (par exemple dans la mise en œuvre des HDT/SDT).

Par « normes pratiques » nous entendons les comportements des professionnels de santé qui s’éloignent des normes professionnelles précises qu’ils sont censés suivre. Ces comportements plus ou moins “non conformes” sont malgré tout régulés. Enfin, ces normes pratiques sont partiellement “invisibles”, tout comme les comportements qu’elles régulent. Elles sont mises au jour par l’observation et l’entretien approfondi (Olivier de Sardan, 2009). 1) Les critères d’hospitalisation spécifiques au public cible

L’équipe a établi la règle suivante : ne sont hospitalisées, et plus précisément sous la contrainte, que les personnes qui sont connues et suivies (même si le lien n’a pas été créé) depuis plusieurs semaines, afin d’avoir pu évaluer la situation de la personne (existence d’un trouble psychiatrique sévère et d’une mise en danger nécessitant une protection).

Cette règle s’explique par :

- le fait que l’équipe pourra expliquer à la personne avant, pendant et après l’HDT que ce recours à la contrainte était justifié

- que des démarches ont parfois pu être entreprises pour rétablir les droits sociaux

- mais surtout qu’une solution d’aval à l’hospitalisation a pu être envisagée, ce qui donne un sens à la mesure de contrainte pour l’équipe, mais aussi pour le service hospitalier qui va recevoir la personne, ce qui est d’autant plus important que le travail effectué par l’EMPP est mal connu et mal compris des autres services hospitaliers (voir infra, chap.. 4, V-3, p. 151).

 

Cependant, pour beaucoup de personnes, ces démarches n’ont pas pu aboutir. La situation sociale (ouverture des droits sociaux) ne peut se débloquer que durant l’hospitalisation permettant d’envisager une solution d’aval. Enfin, il est arrivé que l’équipe procède à une hospitalisation sous contrainte d’une personne avec laquelle elle n’a eu que très peu de contacts.

2) Sectorisation

Le lieu d’hospitalisation des patients est attribué selon les règles de la sectorisation géographique (domiciliation). Pour les personnes sans domicile fixe, il a été mis en place à Marseille, depuis le 1er mars 2008, un système d’orientation reposant sur une répartition en fonction des mois de naissance. Cette répartition s’opère pour des patients sans suivi ou avec un suivi interrompu depuis plus de 6 mois (sauf si le secteur concerné envisage la suite de la prise en charge du patient)24. Cependant, MARSS bénéficie de 5 lits intersectoriels dans le service du Pr Naudin. Ces lits intersectoriels sont en principe réservés aux personnes sans abri dont on ne connaît pas l’identité (ni la date de naissance), qui sont très éloignées du soin Toutefois, parce qu’elle n’est pas toujours satisfaite des soins dispensés à ses patients dans d’autres services spécialisés, parce que le partenariat avec le service Vega est devenu plus efficient, et pour la continuité des soins dispensés, MARSS tend à négocier l’hospitalisation dans le service Vega de certaines personnes qu’elle suit (notamment les personnes hébergées au Marabout qui devraient être sectorisées sur l’hôpital Edouard Toulouse).

3) Les contingences matérielles

Lorsque la décision d’HDT/SDT est prise, c’est parfois la disponibilité des lits d’hôpital (lits vacants ou absence de lits disponibles) qui va décider de la date d’une hospitalisation. Les horaires de travail de l’équipe ne coïncident pas toujours avec les périodes au cours desquelles les personnes quittent les lieux interstitiels de la ville où elles s’abritent du froid ou de la chaleur et peuvent être rencontrées. La règle d’être « suffisamment nombreux » ne peut s’appliquer que le lundi et le mardi matin ; les autres jours l’effectif des professionnels effectuant du travail de rue est plus restreint. Les périodes de vacances ne sont également pas propices, parce que l’EMPP fonctionne en effectif réduit.

Ces contingences matérielles font qu’une décision d’hospitalisation sans consentement peut être différée de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, ou n’aboutit pas car entre temps soit la personne a disparu. Dans d’autres cas, si l’état de la personne s’est amélioré pendant ce temps, une nouvelle évaluation de la situation remet en cause la décision, l’hospitalisation sous contrainte n’apparaissant plus comme le soins le plus pertinent.

4) Les procédures administratives

Avant la promulgation de la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011, l’EMPP réalisait des HDT-U (hospitalisation à la demande d’un tiers pour péril imminent), même en l’absence de péril imminent, parce que cette procédure ne demandait qu’un seul certificat médical pouvant émaner d’un médecin de l’établissement (ici, l’établissement est l’AP-HM). En effet, dans la procédure HDT, deux certificats médicaux sont nécessaires en plus de la lettre du tiers, mais l’un deux doit être rédigé par un médecin extérieur à l’établissement ce qui est difficile25 à trouver dans les situations d’hospitalisation depuis la rue. Nous avions donc là un premier contournement des règles consistant à recourir de manière extensive à la notion de péril imminent pour n’avoir qu’un seul certificat médical à produire.

24 Voir en annexe 5 : Règles de sectorisation

 

Le second arrangement avec les règles concernait la lettre du tiers26. Une fois que l’équipe avait décidé de l’hospitalisation sous contrainte, elle cherchait un tiers potentiel :

- Soit en tentant de mobiliser la famille lorsqu’elle savait où la contacter.

- Soit en trouvant un tiers a posteriori parmi les membres de l’équipe (médiateurs, travailleurs sociaux) qui connaisse la personne à hospitaliser.

Dans les deux cas, la démarche est l’inverse de celle qui est prévue par la loi dans laquelle la demande du tiers est à l’origine de la démarche de soin sous contrainte, comme l’explique ce médecin :

«  Le   piège   avec   ce   travail-­là   c'est   de   faire   ça   (HDT).   Parce   que   du   coup   tu   es   vraiment   un  

contrôle,  tu  vois,  vu  qu'il  n'y  a  pas  de  tiers  en  plus,  que  c'est  nous  qui  faisons  le  tiers,  ça  veut  dire   que   tu   hospitalises   qui   tu   veux   dans   la   rue   en   fait,   finalement   ça   revient   à   ça.   À   un   moment   donné,  allez  !  On  va  nettoyer  la  rue  !  C'est  ça  le  risque,  à  mon  avis…  Je  pense  que  l'on  peut  très   vite   se   sentir   tout-­puissant   …   C'est   pour   ça   que   vraiment,   le   tiers,   quand   c'est   quelqu'un   de   l'équipe  qui  le  fait,  il  faut  vraiment  que  ce  soit  quand  il  n'y  a  pas  d'autre  possibilité.  Il  faut  être   vraiment…  Parce  que  déjà  c'est  un  moment  pour  contacter  l'entourage,  c'est  une  ouverture  vers   l'entourage,  c'est  con  de  s'en  priver,  et  ensuite  parce  que  voilà  c'est  la  loi….  »  [E]  

Au-delà du risque de contrôle social (répressif) que représenterait une psychiatrie affranchie de la régulation législative, cet extrait d’entretien pointe par la formule « le tiers, c’est nous » la fonction de souci de l’autre que représente l’hospitalisation sans consentement. Par conséquent, on peut avancer que l’HDT/SDT répond à une éthique du care, tout autant qu’à l’éthique médicale d’assistance à personne en danger. Cependant, la nécessité d’une lettre d’un « tiers » conduit à des bricolages : trouver un tiers, faire rédiger une lettre conforme au modèle imposé par les textes législatifs, produire cette lettre dans le délai imparti de 24 heures :

«  les   actes   manqués,   enfin   je   suis   pas   ‘psychanalytique’,   mais   on   a   toujours   une   réticence   au  

fond  de  soi  et  on  y  arrive  pas.  Pendant  un  moment  sur  ma  boîte  mail  j’avais  le  truc,  style  préfet,   la   procédure   c’est   ça,   tout   bien   expliqué   et   ça   a   du   arriver   une   fois   que   ça   se   passe   [correctement]   (…).   La   première   question   des   urgences   c’est  :   «  et   le   tiers  ?  ».   Ma   réponse   :   «  dans  les  24  heures  vous  l’avez,  ne  vous  inquiétez  pas  »  «  ok  »,  et  moi  pendant  25  heures  c’est  le   flip,  et  on  arrive  comme  à  chaque  fois  mais  c’est  toujours  au  dernier  moment.  Et  là  une  fois  de   plus  c’était  comme  ça,  parce  que  le  tiers  n’était  pas  arrivé,  et  surtout  il  est  arrivé  au  mauvais   nom   du   directeur,   donc   il   a   fallu   le   refaire   le   lendemain,   parce   qu’ils   l’envoyaient   à   Edouard   Toulouse,  donc…  le  truc  que  j’avais  réussi  à  faire  le  matin,  finalement  il  n’était  pas  bon,  fallait  le   refaire,   donc…   c’est   compliqué   pour   les   tiers   aussi,   la   procédure   elle   est   pas   si   simple,   et   ça   change   aussi   parce   que   l’hôpital   dit   «  elle   va   dégager   des   urgences,   donc   il   faut   changer   le   modèle,  c’est  à  vous  de  vous  débrouiller  quoi  »  [E].  

La loi de juillet 2011 prévoit une procédure (SDT pour péril imminent) permettant au directeur d’hôpital d’admettre la personne sans lettre de tiers, lorsque la personne à hospitaliser est socialement très isolée, ou si l’entourage ne veut pas se constituer comme tiers. Cette adaptation législative permet de résoudre l’ambigüité de la société face à la nécessité d’hospitaliser certaines personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères en situation d’exclusion sociale.