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Lorsqu’ils se rendent dans les différents services où des personnes de la file active sont hospitalisées, dans les services de psychiatrie ou dans les services somatiques, les professionnels de MARSS n’orientent pas leur action uniquement en direction des personnes à qui ils rendent visite mais aussi vers le personnel soignant de ces services.

Ce travail a à la fois un objectif ponctuel, clairement orienté et limité à la situation de la personne visitée (partager les informations médicales et sociales), et un objectif plus large de sensibilisation sur la maladie mentale et/ou les conditions de vie dans la rue.

Cette modalité du travail recoupe alors un des points de la circulaire ministérielle relative à la mise en place d’équipe mobile spécialisée en psychiatrie35.

Visite  à  Tadeusz  [NT]  

Un   homme,   polonais   ne   parlant   pas   français,   est   signalé   à   l’équipe   par   des   riverains   des   quartiers   sud   de   la   ville.   Une   tournée   de   rue   (véhiculée)   est   organisée   pour   le   rencontrer.   Tadeusz   ne   marche   plus   debout,   il   vit   replié   sur   lui-­‐même   (mycose   derrière   les   jambes,   fesses  violacées,  etc…),  boit  beaucoup  et  fait  état  de  douleur  au  ventre.  Il  vit  dans  un  groupe   «  ultra  violent  »  qui  semble  l’exploiter.  

Tadeusz  accepte  de  suivre  les  professionnels  qui  le  ramènent  au  Marabout  où  ils  le  lavent.   Pendant  que  les  résidents  du  lieu  lui  donnent  à  manger  et  à  boire  le  médecin  généraliste  de   l’équipe  appelle  l’hôpital.  

Tadeusz  est  hospitalisé  un  vendredi  après-­‐midi  dans  un  service  de  chirurgie.   Inf  –  et  ils  l’ont  pris  ?    

MG  –  Ben,  on  l’avait  fait  propre  avant  !  Sinon,  ils  en  auraient  pas  voulu.  

Le  mercredi  suivant,  MG  et  une  infirmière  de  l’équipe  lui  rendent  visite  à  l’hôpital.  

Le  premier  contact  avec  l’équipe  du  service  a  lieu  dans  le  bureau  des  infirmières  en  présence   de   l’interne   du   service.   Pour   eux,   il   n’y   a   plus   rien   à   faire,   Tadeusz   n’a   rien   de   «  grave  »   (pancréatite   chronique   et   pyélonéphrite),   la   première   affection     étant   due   à   sa  

35 Circulaire DHOS/O2/DGS/6C/DGAS/1A/1B no 2005-521 du 23 novembre 2005 « Le soutien aux travailleurs

sociaux ou d’équipes médico-sociales, confrontés à des situations de vulnérabilité sociale et psychique et insuffisamment formés, constitue, de ce fait, une mission essentielle de ces équipes mobiles spécialisées. Ces interventions permettent une amélioration des connaissances des acteurs de première ligne. Elles les mettent en compétence de se repérer face aux problèmes concernés, de décoder et analyser les demandes, de mettre en oeuvre les premiers stades d’écoute et de soutien. La mise en oeuvre de ces objectifs s’appuie sur des actions d’information, de sensibilisation, de formation. »

 

consommation  d’alcool.  Il  doit  être  soigné  par  un  traitement  médicamenteux.  Il  n’a  donc  rien   à  faire  en  chirurgie  et  est  donc  «  sortant  ».  

Le   médecin   de   MARSS   s’insurge  :   «  Mais   sortant   vers   où  ?   Ce   monsieur   vit   dans   la   rue   et   toutes  ses  maladies  sont  liées  aux  conditions  de  vie  dans  la  rue.  »  

Alors   que   le   staff   du   service   se   demande   que   faire,   MG   présente   l’existence   des   lits   haltes   soins  santé.  Mais  le  personnel  hospitalier  ne  connaît  pas  le  fonctionnement  des  LHSS,  ni  les   démarches   à   accomplir   pour   l’y   adresser.   MG   explique   alors   rapidement.   La   secrétaire   du   service  appelle  l’assistante  sociale  pour  qu’elle  s’en  charge.    

Secrétaire  :  «    tant  mieux  qu’il  y  ait  ça.  Parce  que  moi  ça  m’embête  un  peu  de  les  remettre  à  la   rue  comme  ça  les  gens  ».  

MG  –  ben  j’espère  que  ça  vous  embête  beaucoup,  parce  qu’on  ne  fait  pas  ça.  Les  soins  qu’on   fait,  c'est  pas  pour  faire  ça.  »    

Cette  tirade  est  suivie  d’un  briefing  auprès  du  staff  sur  les  conditions  de  vie  dans  la  rue  et   leurs  conséquences  sur  la  santé  des  personnes.  

(…)  

On  va  voir  Tadeusz  dans  sa  chambre.  Il  semble  plutôt  en  forme,  mais  MG  et  l’infirmière  se   posent  la  question  de  ce  qu’il  sait  de  sa  situation.  MG  va  se  renseigner  au  bureau  infirmier   MG  –  «  ils  l’ont  pas  informé…  enfin…  ils  l’ont  fait,  mais  en  français.  »  

Il   appelle   alors   le   service   de   traduction   et   après   une   première   tentative   infructueuse   en   italien,  il  parvient  à  avoir  un  traducteur  polonais.  Par  traducteur  interposé,  Tadeusz  déclare   être  content,  bien  manger  et  bien  dormir  mais  s’inquiète  de  savoir  qui  va  payer  pour  tout  ça.   Il   est   aussi   inquiet   quant   au   transfert   de   service   à   venir   et   à   d’éventuels   autres   examens   douloureux  qu’il  aura  à  subir.  Il  explique  qu’il  ne  veut  pas  joindre  sa  famille  depuis  l’hôpital   pour   ne   pas   les   inquiéter   alors   qu’il   n’a   pas   donné   de   nouvelles   depuis   longtemps.   Enfin   il   insiste  auprès  de  l’équipe  de  rue  pour  que  ses  «  copains  de  rue  »  ne  soient  pas  prévenus  ni  de   où  il  se  trouve  ni  de  ce  qu’il  devient  «  parce  que  se  sont  des  débiles  ».  

Suite  à  cette  visite,  un  nouveau  passage  par  le  bureau  infirmier  vise  à  planifier  le  transfert   vers   les   LHSS.   Le   staff   du   service   s’interroge   sur   comment   Tadeusz   pourra   se   rendre   au   LHSS  :  puisqu’il  qu’il  n’a  ni  sécu,  ni  mutuelle,  aucune  ambulance  n’acceptera  de  le  prendre.     MG   précise   que   l’équipe   a   fait   les   démarches   pour   l’obtention   de   l’AME   et   que   les   ambulanciers  seront  donc  remboursés,  mais  cela  ne  semble  pas  suffire.  Il  propose  alors  que   l’EMPP  se  charge  du  transfert  à  condition  d’être  prévenu  suffisamment  à  l’avance.    

En  quittant  l’hôpital,  MG  m’explique  :  «  j’ai  insisté  pour  planifier  le  transfert  parce  que  sinon   ils   leur   donne   l’adresse   et   ils   leur   disent   d’aller   là-­‐bas.   Mais   les   mecs   n’y   vont   pas.   Ils   s’arrêtent  au  bar  et  ils  n’arrivent  jamais  jusqu’aux  LHSS  ».  

Dans cet extrait la sensibilisation opérée par l’équipe porte avant tout sur les conditions de vie à la rue, les contraintes spécifiques que cela entraine en matière de soins et les dispositifs existant pour y remédier. Dans d’autres situations un même travail pourra être fait dans des services habitués à la grande précarité mais inquiets face aux troubles psychiques présentés par une personne.

 

II - 4 - Consultations

Des consultations médicales (psychiatrique, somatique et en addictologie) et sociales sont proposées aux personnes de la file active et aux autres personnes à la condition qu’elles soient sans abri. L’objectif de ces consultations est de favoriser l’accès aux soins des personnes vivant dans la rue, et la continuité de ces soins.

Les consultations médicales - instaurées depuis 2009 - ont lieu le mardi après-midi. Une permanence sociale a été instaurée en janvier 2010 ; elle a lieu le jeudi après-midi (de janvier à juin, elle a été assurée par une seule assistante sociale, puis par les deux). En dehors de ces permanences, il arrive que les médecins ou les assistantes sociales donnent des rendez-vous à des personnes. De plus, un psychiatre assure depuis janvier 2012 des consultations à l’accueil de nuit St Jean de Dieu ; un autre a tenté d’instauré des consultations à l’UHU Madrague- Ville de décembre 2011 à mars 2012, mais cette initiative a été abandonnée car elle n’était pas bien reçue par le personnel de l’UHU. Vingt-cinq consultations médicales en moyenne et une vingtaine de consultations sociales sont assurées chaque semaine.

L’accueil était assuré par le secrétaire de l’EMPP et, durant plusieurs mois, bénévolement par un usager de l’EMPP pour lequel l’équipe envisageait une embauche comme médiateur. Cet accueil a été systématisé par le coordinateur de l’équipe à son arrivée : le secrétaire et un médiateur sont systématiquement présents lors des consultations ou lors de la permanence sociale. Pour les langues qui ne sont pas parlées par le personnel, l’équipe recourt à un interprétariat téléphonique.

II - 4 - 1 - Le lieu

Jusqu’en décembre 2012, les consultations avaient lieu dans le local de l’équipe rue Bel Air, qui était un vieil appartement traversant d’un immeuble bourgeois mais vétuste. Malgré des demandes réitérées auprès de l’administration de l’AP-HM, aucun aménagement n’a été effectué pour adapter l’espace à un usage professionnel, ni au niveau de la disposition des pièces, ni au niveau du mobilier. Hormis une salle de soin, l’ensemble des bureaux de consultation et la salle d’attente étaient des espaces banalisés dans lesquels étaient absentes les marques habituelles des lieux dédiés aux soins.

- La salle d’attente : le hall d’entrée et la salle multi-usage (grand salon faisant office de salle de réunion, de salle de repos, de bureau du coordinateur et de salle d’attente) remplissaient cette fonction.

Les personnes se présentant à la consultation arrivaient toutes à la même heure, soit une demi- heure à une heure avant le début des consultations. Cela s’explique par l’horaire inapproprié des consultations pour les personnes vivant dans la rue. Celles-ci doivent se présenter avant 15 heures (et parfois même plus tôt) à la porte des accueils de nuit si elles veulent y avoir une place. Ainsi, entre 20 et 30 personnes sont entassées pendant deux à trois heures sur des chaises dans le hall et dans la salle multi-usage, ce qui généraient des tensions entre les personnes, surtout lorsque certaines sont agitées ou très délirantes. Un espace fumeur (essentiel pour celles, nombreuses, qui ont une addiction forte au tabac) a été aménagé dans la cour. Mais l’accès à la cour se faisait par un bureau souvent occupé. C’est donc à la fenêtre de la salle d’attente que les patients fumaient une cigarette, ce qui en hiver diminuait la température de la pièce, et qui, en toute saison, élevait le niveau sonore de la salle multi- usage.

 

La salle d’attente étant aussi le bureau du coordinateur, un ordinateur était présent qui, s’il n’était pas en accès libre, était souvent utilisé par les patients pour faire des recherches personnelles, imprimer des documents, ou écouter de la musique. Des journaux et revues étaient à la disposition des patients, mais en raison de la forte proportion de personnes parlant peu ou mal le français, ces journaux sont peu consultés.

Le fait que cet espace soit banalisé, que la salle multi-usage soit meublée de canapés bas et de chaises, et que les usagers partagent cet espace avec les professionnels qui viennent y prendre un café, participe à l’instauration de relations soignants-soignés particulières sur lesquelles nous reviendrons.

Du café, de l’eau et des biscuits sont offerts aux patients en quantité illimitée. C’est un élément très important qui donne une coloration particulière au lieu qui ne se veut pas seulement un espace de consultation, mais d’accueil des personnes. D’ailleurs, pendant plusieurs mois, il a été mis en place un vestiaire pour les personnes et des distributions de produits d’hygiène. Cette initiative a été abandonnée en juillet 2011 pour des raisons de sécurité, d’hygiène (le vestiaire était dans la salle de soins) et de cohérence du projet.

L’accueil les jours des consultations, mais aussi de manière informelle les autres jours de la semaine, l’agencement du lieu, la convivialité, faisaient du local un point de repère dans la ville et un lieu d’accès aux soins psychiatriques bienveillant pour les personnes de la rue. Ceci est particulièrement important pour des personnes qui sont pour la plupart méfiantes envers la psychiatrie, en raison d’expériences douloureuses antérieures. De plus, ce marquage symbolique de l’espace permet de travailler le lien avec la personne pour atteindre l’objectif que l’équipe s’est fixée d’amener la personne aux soins.

- les bureaux de consultation : lors des consultations médicales, deux psychiatres, un médecin généraliste addictologue et un interne en psychiatrie consultent, et souvent un médiateur reçoit un patient en entretien. Il y a donc une utilisation intensive des bureaux pendant trois heures et tous les bureaux de l’équipe (y compris celui du secrétaire) étaient mobilisés (soit trois bureaux et une salle de soin).

Les salles de consultation étaient très différentes dans leur agencement. L’une était une grande pièce disposant d’un imposant meuble de bureau sur lequel était disposé un ordinateur et des ordonnanciers. L’usage de ce bureau variait selon les médecins. Le MG, un psychiatre, les internes s’asseyaient derrière le meuble (face au patient). Un des psychiatres s’asseyait à coté du patient. Les autres salles de consultations ne laissaient pas d’interprétation possible. Leur exiguïté faisait que pour l’un (occupé habituellement par le secrétariat) médecin et patient étaient assis face à face, avec une table étroite entre eux. L’autre (le bureau des médiateurs) obligeait médecin et patient à s’asseoir cote à cote.

- la salle de soin : elle comprenait un lit d’examen et une paillasse, permettant un examen clinique somatique ou des soins (pansements). Elle était située dans une pièce aveugle servant aussi de stockage pour le matériel de bureau et d’entretien.

- Gestion de la pharmacie

Une pharmacie alimentée par l’hôpital est gérée par l’EMPP. Son usage est théoriquement limité à dépanner des personnes qui ne peuvent acheter temporairement leur traitement psychotrope (pour des problèmes d’accès aux droits) afin d’éviter des ruptures de traitement. Quelques molécules à usage somatique sont également disponibles (traitement antalgiques, de pédiculose, de gale, et quelques antibiotiques). Ces médicaments sont stockés dans une armoire ad-hoc, fermée à clef.