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Nous avons déjà évoqué la question des orientations diverses que les membres de l’équipe peuvent être amené à faire, dès lors que la personne exprime une demande ou présente un besoin dont il n’est pas du ressort de MARSS de s’occuper.

Au premier rang de ces demandes se trouve l’accès à un hébergement d’urgence, ou la procuration de biens de première nécessité.

Pour toutes ces situations, il est important, de noter que les orientations doivent être adaptées, autant à la demande de la personne qu’à sa capacité d’action. Ainsi se soucier des capacités motrices d’une personne est crucial avant de procéder à n’importe quelle orientation. De la même manière, il faut considérer les horaires d’ouverture des institutions administratives avant d’y adresser une personne qui éventuellement choisira de ne pas s’y rendre, ces heures- là étant les plus propices pour faire la manche. Comme l’expliquait ce sans-abri pour justifier le fait qu’il n’ait pas recours aux lieux proposant des repas gratuits : « ce n’est pas rentable.

Le temps d’y aller de manger de revenir, c’est les meilleures heures pour la manche. Si je fais ça, je perd de l’argent » [NT].

De même, pour les accompagnements. Si la question des capacités motrices mérite d’être étudiée avant de proposer un accompagnement, elle est ici plus facile à percevoir, les professionnels étant aux côtés de la personne lors du déplacement, pouvant alors directement évaluer la possibilité d’atteindre le service visé.

 

En plus des horaires d’ouverture des différents services d’adresse et de la mobilité des personnes, les propositions d’accompagnements doivent aussi tenir compte de la chronologie des journées des personnes dont il est question. Cette considération est d’autant plus importante pour les personnes souffrant d’addiction. En fonction des habitudes de consommation, qui se font à des heures plus ou moins régulières, les professionnels essaient de programmer leurs accompagnements à des moments qui seront plus favorables que d’autres.

[NT]  du  21/03/2013  

Accompagnement  à  la  PASS  Rimbaud  

Xavier   et   Gérard   doivent   être   accompagnés   à   la   PASS   Rimbaud   pour   des   problèmes   somatiques  divers.    

Rendez-­‐vous  leur  est  donné  à  9h30  au  Palais  de  Justice,  lieu  où  ils  ont  l’habitude  de  passer  la   nuit.  

Le  médecin  généraliste  est  en  retard.  En  l’attendant,  je  discute  avec  Gérard  et  Xavier  pendant   que  chacun  fini  de  cannette  de  8,6.  

Le  médecin  arrive,  on  prend  le  métro  pour  aller  à  la  Conception.  Pendant  tout  le  trajet,  (dans   la  rue,  le  métro,  le  hall  de  l’hôpital),  Xavier  «  fait  les  mégots  ».  Il  m’explique  :  «  quand  on  est   alcoolique,  on  est  obligé  de  boire  et  bien  c’est  pareil,  je  suis  obligé  de  fumer.  C’est  triste  mais   c’est   vrai.   Avant   je   ne   faisais   pas   ça   (les   mégots)   puis   maintenant…   c’est   que   je   n’ai   plus   d’argent.  Mais  dès  que  j’ai  de  quoi,  je  m’achète  des  cigarettes  ».  

Arrivé   à   la   PASS,   il   n’y   a   pas   de   médecins,   ils   sont   en   réunion.   Le   médecin   généraliste   de   l’équipe  appel  le  médecin  coordinateur  de  la  PASS  ;  elle  arrivera  dans  20  minutes.    

L’inscription  sur  la  file  d’attente  se  fait  à  l’aide  du  seul  nom  de  famille.  La  salle  d’attente  est   très  calme,  surchauffée,  silencieuse.    

Gérard  sue  à  grosses  gouttes,  «  c’est  à  cause  du  diabète  »  nous  dit-­‐il.  

Au  bout  des  25  minutes  prévues,  le  médecin  arrive.  En  début  de  consultation,  Xavier  est  assis   en  face  du  médecin  de  la  PASS  mais  elle  s’adresse  essentiellement  au  médecin  de  l’équipe  en   parlant  de  «  lui  »  et  de  «  il  »  pour  refaire  le  tableau  clinique  de  Xavier.  Cette  étape  effectuée,   le  généraliste  retourne  dans  la  salle  d’attente  pour  évaluer  si  Gérard  n’est  pas  en  manque.   Le   médecin   de   la   PASS   pose   alors   toutes   les   questions   protocolaires   sur   la   vie   et   l’état   de   santé  de  Xavier  qui  répond  à  tout  sans  problème.  Au  moment  de  passer  à  l’examen  clinique,   le  médecin  de  la  PASS  me  demande  de  sortir  du  cabinet.  

Le  scénario  se  reproduit  de  façon  rigoureusement  identique  pour  la  consultation  de  Gérard.   Nous  quittons  la  PASS  aux  alentours  de  12h.  Le  médecin  de  l’équipe  s’enquiert  alors  auprès   de  Gérard  :  

-­‐  ça  va  ?  t’as  envie  de  boire  ?   -­‐  ben…  disons,  que  j’y  pense…  

Nous   retournons   à   pied   au   local   de   l’équipe.   Sur   le   trajet,   Xavier   continue   de   «  faire   les   mégots  ».  Nous  les  invitons  à  partager  le  repas  de  midi  avec  nous  dans  les  locaux  de  l’équipe.   Arrivée   rue   Bel   Air,   le   médecin   de   l’équipe   doit   téléphoner.   En   s’adressant   à   moi  :   «  tu   commandes   les   pizzas…   et   deux   bières   aussi  ».   La   pizzeria   se   trouve   au   coin   de   la   rue.   Je   passe  la  commande,  il  y  en  a  pour  15  mns.  

Gérard  :  un  quart  d’heure.  Ça  laisse  le  temps  de  boire  une  bière  ça  !  

En  disant  ça,  il  a  les  yeux  qui  pétillent  comme  un  enfant  pensant  à  un  bonbon.  

Je  prends  donc  la  commande  des  bières  et  les  achètes  à  l’épicerie  de  l’autre  côté  de  la  rue.     Au  moment  d’ouvrir  sa  8,6  Gérard  déplore  «  putain,  je  tremble…  »  

Le  médecin  de  l’équipe  revient.  Gérard  s’adresse  à  lui  :    

G  –  Vous  êtes  docteur  et  vous  me  payez  une  bière  !  C’est  normal  ça  ?   Dr  –  Je  n’allais  pas  te  laisser  en  manque.  C’était  ça  ou  du  Valium.  

 

G  –  Ah,  non  le  Valium  c’est  bon,  j’ai  déjà  donné.  Je  ne  l’aurais  pas  pris.   Dr  –  Bon  ben  tu  vois.    

S’en   suit   une   discussion   sur   les   différents   traitements   (cure   et   médicament)   que   Gérard   a   déjà  pris  pour  essayer  d’arrêter  de  boire.    

Cette note de terrain, permet d’illustrer comment au cours d’un accompagnement se mêlent les différents éléments que nous avons présentés jusqu’ici autant sur la construction nécessaire d’un lien préalable à l’accompagnement, que sur les différentes adaptations des pratiques professionnelles à la situation particulière des personnes.

En effet, cet accompagnement fait suite à deux précédentes tentatives s’étant soldé par un échec. La première fois, un rendez-vous était donné à Gérard et Xavier au local de l’équipe pour les accompagner à la PASS ; rendez-vous auquel ils ne se sont pas présentés. Lors de la seconde tentative, le rendez-vous, cette fois fixé au palais de justice, était prévu aux alentours de 10h30. À l’arrivée de l’équipe mobile, Gérard et Xavier étaient déjà très alcoolisés. Cela compromettait autant la possibilité de les accompagner physiquement jusqu’à la PASS (déplacement très compliqué et perte de l’importance perçue de cet accompagnement), que l’un des objectifs de cet accompagnement : faire des bilans sanguins qui demandent aux personnes d’être à jeun.

On retrouve aussi dans cet extrait, l’adaptation des rythmes et des moyens de déplacements. Marcher lentement parce que Gérard a mal aux jambes et que Xavier fait les mégots et prendre le métro, ce qui nécessite d’avoir prévu les tickets de transport pour les deux hommes.

Bien d’autres éléments figurent dans cet extrait, mais le dernier que nous relèverons réside dans cet écart face aux bonnes pratiques médicales par l’offre d’une bière à des personnes souffrant d’alcoolisme chronique. Pour autant, comme le montre les échanges qui terminent la séquence, cette transgression des bonnes pratiques médicales permet de maintenir une relation de qualité avec Gérard. Sans ce geste, soit Gérard serait parti de son côté pour acheter à boire ce qui aurait créé une nouvelle situation de défection, soit le médecin lui aurait proposé du Valium qu’il aurait refusé, créant ainsi une tension potentiellement très importante notamment du fait de l’état de manque dans lequel Gérard « commençait » à se trouver. Par ailleurs, ce geste permet à la fois au médecin de l’équipe de montrer sa compréhension de la situation et l’empathie éprouvée pour Gérard, et d’autre part, permet d’engager une discussion très libre et détendue sur le rapport que Gérard entretient avec les traitements, ceux qu’il a déjà connus, expérimentés, ce qui a marché ou pas, etc…