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CHAPITRE 5 : PRONOSTICS Développement et préservation

5.2 Développement et préservation

5.2.4 Tourisme et « préservation »

On remarquera, notamment avec les discussions autour du projet d’aéroport international, que le tourisme est unanimement considéré, chez les acteurs rencontrés, comme un secteur d’activité sur lequel doivent miser les Marquisiens dans l’avenir pour « ramener du pognon », et ce, même chez les plus critiques du développement et de la « culture pour le tourisme ». Le tourisme est ainsi presque toujours partie prenante des mondes futurs imaginés par les différents participants. Ceux-ci parviennent aisément à entrevoir un tourisme qui permette un équilibre désirable entre développement, préservation et mise en valeur de la « nature » et de la culture marquisienne. Ils se montrent donc généralement assez critiques du « tourisme de masse » et de ses impacts sur la vie locale.

Dans la perspective des dirigeants politiques, si le tourisme constitue une opportunité économique, cette opportunité peut être saisie pour la valorisation et la promotion de la culture et la préservation d’espaces naturels et archéologiques. Le tourisme se voit ainsi présenté comme une façon de tirer profit de ce qui se fait déjà et de ce qu’on souhaite pour l’archipel pour ramener de l’argent qui permette à la population de vivre adéquatement. Il est vu comme un secteur-clé dont le développement permettra des retombées dans les autres secteurs économiques (pêche, agriculture, artisanat). La CODIM met en avant la nécessité de trouver un « équilibre » entre le développement et la préservation de l’environnement en se basant sur des études et sur des exemples et contre-exemples internationaux. Ces propos de Debora Kimitete expriment bien la position de l’institution :

Quand tu développes le tourisme, t’as l’artisanat qui suit, parce que, forcément, les gens ils viennent, mais ils achètent, etc. T’as la pêche qui se développe parce qu’ils vont vendre plus de poissons, parce que y’aura plus de touristes. Y’a toutes les activités induites et, du coup, c’est pas que les prestataires touristiques ou les pensions ou les activités touristiques qui vont en bénéficier, mais… .tous! Tous ceux qui travaillent avec eux! Donc c’est tout le monde finalement! C’est tout le monde. Parce que… ici on est… les Marquisiens ils sont tous

polyvalents. Ils sont à la fois pêcheurs, agriculteurs… voilà! Parce qu’on n’a pas le choix! Je veux dire, on peut pas se spécialiser dans un seul domaine, parce que y’a pas assez de monde pour que ça fonctionne de cette façon. Quand t’as quelqu’un qui, par exemple, un prestataire qui est guide, il peut pas vivre que de ça, puisqu’il a pas des touristes tous les jours. Donc il est obligé d’être guide, mais il est aussi agriculteur, il est aussi pêcheur, il est… voilà. Et donc, finalement, si on développe le tourisme, beaucoup plus que maintenant, parce qu’aujourd’hui, y’a… On va dire, avec les croisiéristes, on a 10 000 touristes par an. C’est pas beaucoup. C’est à peu près la même chose que la population. D’accord? Et, notre objectif, au niveau de la CODIM en tout cas, ça a été de dire « y’a eu une étude faite, qu’est- ce qui est acceptable? ». Parce qu’on veut pas non plus un tourisme de masse! On veut pas… on veut pas le tourisme qu’ils ont à Hawai’i, hein! Y’a 7 millions de touristes à Hawai’i. 7 millions !! Nous c’est pas ce qu’on souhaite. Donc, qu’est-ce qui est acceptable? Quelle est la part qui serait intéressante pour les Marquises, pour qu’elles puissent en vivre, mais sans que ça dénature… son produit? Sans que ça dénature l’île? Avec toujours cette notion de préservation de l’environnement. On veut le développement, mais on veut aussi préserver l’environnement. Donc, comment… accepter et… avoir un équilibre entre les deux. Il faut trouver l’équilibre.

Et donc, l’étude qui a été menée par la CODIM, on a fait appel à un bureau d’études, qui nous a étudié le projet, et qui nous a dit… Par exemple, sur l’île de Pâques. Ils avaient 20 000 touristes par an. Quand ils ont été classés à l’UNESCO, c’est 60 000 touristes par an. Ils en souffrent. Aujourd’hui, ils en souffrent. C’est une population de 3000 habitants et ils en souffrent. Parce que c’est au détriment de leur vie, aussi. Alors, c’est bien, parce que ça amène de l’économie dans l’île, mais c’est pas bien, dans le sens où… ça détruit ta qualité de vie. Ou ton environnement. Parce que y’a des choses qui se font… Après il faut être vigilant là-dessus. Donc il disait : « si, demain, vous êtes à l’UNESCO, il faut s’attendre à ce que votre population touristique augmente. ». Est-ce qu’on souhaite avoir 60 000 touristes par an? (…) Donc, ce qui serait acceptable, c’est qu’on double. Qu’on soit, on va dire, en 2023, (…) c’est d’avoir 20 000 [touristes]. Et là, 20 000 habitants, on sait que y’a, en tout cas, des prestataires, des pensions, des hôtels, qui pourront s’en sortir. Après, ça va se faire petit à petit! Mais il faut pas que ce soit un tourisme de masse ou que ça soit d’un coup, comme ce qui s’est passé à l’île de Pâques. Donc on a des exemples.

Or, chez plusieurs acteurs qui ne font pas partie de la classe dirigeante marquisienne, les inquiétudes concernent les intentions : on s’inquiète de savoir si les différentes initiatives proposées sont faites d’abord « pour nous » ou « pour le tourisme », pour servir une logique économique, de profit. Certains expriment de la méfiance à cet égard envers la « classe » politique. Les discours des acteurs ne montrent pas moins certaines ambiguïtés. Ainsi ai-je d’abord été surpris par la réponse d’Humu alors que je le questionnais sur le rapport que devraient entretenir, selon lui, développement économique et culture. En effet, alors que ce jeune marquisien de Hiva Oa très impliqué dans la culture s’était montré assez critique de certaines dérives culturelles, notamment dû à des influences extérieurs et à la religion catholique, je m’attendais à ce qu’il exprime certaines réticences ou critiques quant au développement de la culture pour le tourisme. Sa réponse fut pourtant la suivante :

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La culture, hein? Je pense que... il faut qu’elle soit en symbiose, plutôt, avec le tourisme. Ça c’est deux choses... Parce que sans la culture ou sans le tourisme, ou bien sans la culture pour le tourisme, c’est difficile. Beaucoup vivent de l’artisanat ici, hein. L’artisanat, le tatouage... (…) Mais, après, ensuite, il faudra savoir ne pas trop toucher à ce que les anciens nous ont laissé. On a des sites archéologiques. On sait très bien que l’île elle est... gorgée de sites archéologiques! Comme à Nuku Hiva, comme partout.

Quant à Casimir qui se montre très critique de la folklorisation de la culture pour le tourisme et du développement à l’Occidental, il remarque néanmoins que cela ne les empêche d’espérer « faire d’une pierre deux coups » :

il faut que ça reste d’abord pour nous! Mais… Si on peut faire d’une pierre deux coups! Si on peut se faire du pognon avec… avec notre culture tant mieux aussi! Tu vois? En même temps, on fait vivre notre culture, en même temps on développe le tourisme… Si c’est ça le choix (...) Je pense que de plus en plus notre société va tendre vers ça… notre société marquisienne. (…) [O]n garde nos traditions, on la fait vivre, mais au rythme du tourisme. Et… tant mieux finalement! (...) Ça nous permet de raviver notre culture, de… faire évoluer, tu vois? Le Festival ça fait évoluer. Là, on a un… j’ai entendu des chants que j’ai jamais entendus.

Il semble ainsi que plusieurs distinguent un tourisme qui est fait dans une perspective de développement touristique et de profit – qui impliquerait une image du développement au sens plus classique du terme, une recherche de croissance et des structures démesurées qui menaceraient les paysages, les milieux naturels, les sites archéologiques et le « cadre de vie » - , d’un tourisme qui permet de « ramener des sous » à la population et même de donner une impulsion créatrice à la culture.

Un passage du Plan de développement économique durable de la CODIM expliquant la vision de l’institution sur le tourisme « vert » et « authentique » à développer illustre bien la façon dont s’articule, dans ce cas, la recherche d’équilibre entre « développement » et « préservation » évoquée plus tôt :

C’est le cadre de la petite hôtellerie familiale et celui de la pension de famille qui semblent les mieux à même de préserver l’authenticité des relations nouées entre visiteurs et hôtes. Ce sont ces deux cadres qui peuvent éviter l’augmentation rapide du salariat, puis la domination du statut du salariat parmi les acteurs économiques, situation qui porterait probablement un coup destructeur à l’authenticité des contacts noués avec les touristes, avec les randonneurs, avec les plaisanciers et avec les autres visiteurs. (CODIM 2012 : 26).

sites archéologiques se révèle ainsi une nécessité pour le développement et l’exploitation, à long terme, d’un tourisme qui se base principalement sur cette image de Marquises « authentiques » et « préservées ». Cette dimension se révèle plus explicitement alors que l’institution cherche à justifier l’avantage concurrentiel des Marquises sur le marché du tourisme et à montrer en quoi cette image d’authenticité leur permet de se démarquer d’autres destinations touristiques. On évoque alors la nécessité de « préserver le cadre de séjour dans ce qui le rend attractif et envoûtant pour le visiteur : territoire vierge, contact avec l’habitant, peu de constructions imposantes et qui pourraient dénaturer le cadre » (2012 : 25). Au tout début de ce plan de développement, dans la section « données et constats », la CODIM note ainsi que « l’un des principaux atouts des Marquises est son authenticité : authenticité de la culture, du patrimoine, du peuple marquisien… », précisant que « les Marquises sont classées parmi les toutes premières destinations mondiales dans la catégorie du tourisme authentique. » (2012 : 17). Figer les Marquises dans une « authenticité rare et préservée » (2012 : 17), serait-elle alors la solution adoptée pour concilier développement économique et « préservation » dans une continuité transformatrice en ce qu’elle entend dépasser les « horizons de fatalisme » et ouvrir la porte à des « espoirs d’emploi » ? Cette image-souhait (Bloch 1976) destinée à attirer le visiteur-touriste – « territoire vierge, contact avec l’habitant, peu de constructions imposantes et qui pourraient dénaturer le cadre » (CODIM 2012 : 25) – ne concorde-t-elle pas précisément avec les images- souhaits de plusieurs des acteurs cités plus haut ? Cette altérité utopique, cette « autre Polynésie » (CODIM 2012 :20) que l’on souhaite vendre aux touristes, qui aurait « préservé » son authenticité – implicitement par rapport au reste de la Polynésie et, notamment, à Tahiti – , n’est- elle pas aussi celle que certains revendiquent ?

5.2.5 Des limites au développement : progressivité, équilibre, développement « à terme »