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Un « potentiel énorme », des richesses à exploiter

CHAPITRE 5 : PRONOSTICS Développement et préservation

5.1 Imaginaires socio-économiques : Abondance, vie facile et paradis

5.1.2 Un « potentiel énorme », des richesses à exploiter

Cette abondance particulière qui profite aux Marquisiens et leur confère une situation privilégiée correspond, pour certains, à un potentiel à exploiter au sens économique, en vue d’un développement basé sur le secteur primaire et l’exportation des ressources. Secrétaire général de la subdivision administrative des Marquises, Moerani Frébault évoque le boom économique incroyable que provoquerait, selon lui, l’exploitation de ces ressources, soulignant leur incroyable disponibilité locale:

le potentiel de développement est formidable. Parce que tout existe déjà. Y’a rien à créer. Y’a juste à saisir ce qui existe! Et ce qu’on met pas à notre disposition. Et si… une île, se rendait compte de tout ça, je pense qu’elle pourrait… connaître un boom économique sans précédent, hein. Juste en faisant en sorte de bénéficier des mesures existantes. Et je sais pas si le gouvernement… en a conscience. S’ils savent à quel point… l’injustice est flagrante, s’ils l’entretiennent… Je suis pas persuadé, on va pas passer dans la… théorie du complot, hein. Je pense qu’ils se rendent juste pas compte.

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Outre les ressources agricoles et bovines évoquées dans le chapitre 1, les ressources halieutiques, notamment le thon (thon obèse, ou « bigeye », et thon albacore, ou « yellowfin »), sont souvent mises en avant. Plusieurs affirment que les Marquises ont parmi les « eaux les plus poissonneuses du globe ». En 2016 un important rapport de synthèse portant sur la biodiversité terrestre et marine des îles Marquises (Galzin, Duron et Meyer 2016) rendait compte des résultats de plusieurs études réalisées notamment dans le cadre de la campagne océanographique Pakaihi i te moana120 et financées par l’Agence des aires marines protégées. Cet ouvrage documente et montre ainsi le caractère exceptionnel de la biodiversité terrestre et marine des îles Marquises afin d’appuyer le dossier d’inscription des Marquises sur la liste des biens mixtes (naturels et culturels) du Patrimoine mondial de l’Unesco. Un des chapitres de l’ouvrage portant plus particulièrement sur les poissons pélagiques des Marquises explique ainsi que « l’archipel des Marquises constitue une zone océanique très spécifique en raison d’une intense activité phytoplanctonique » qui en fait un « hotspot pour la présence des thons dans cette région océanique » (Taquet et al. 2016 : 160). Les auteurs notent que « les rendements de pêche aux Marquises sont deux à trois fois plus élevées que dans les autres archipels » (Taquet et al. 2016 : 159).

Pour la directrice générale des services de la CODIM, Mareva Kuchinke, ce potentiel halieutique exceptionnel aurait tout intérêt à être exploité, comme le souhaite la CODIM, par le développement d’une pêche semi-industrielle, et non plus seulement « artisanale » faite à l’aide de poti marara121 et de bonitiers, qui permettrait de développer économiquement l’archipel :

Aujourd’hui, nous n’avons que des poti marara, des bonitiers, c’est pour la pêche côtière, pour le marché marquisien, le marché communal, le marché du village si tu veux. Mais on sait que y a une sacrée ressource en thon ici, inexploitée! Ok? D’accord, on a un projet d’Aire marine protégée, mais il faut quand même aussi qu’on développe notre archipel, hein.

Pour certains il ne faut cependant pas se faire d’illusion : cette impression d’abondance serait attribuable à une situation démographique particulière. C’est la faible occupation actuelle de

120 « Pakaihi i te moana » signifie « respecter l’océan » ou « respect de l’océan » (voir notamment le texte de Duron 2016

dans la synthèse sur la Biodiversité terrestre et marine des îles Marquises, Polynésie française). Cette campagne océanographique s’est déroulée d’octobre 2011 à février 2012.

121 Les poti marara désignent un type d’embarcation à moteur polyvalent et peu coûteux développé en Polynésie et destiné

à la pêche côtière. Il se caractérise par une coque en V adaptée aux vagues de haute-mer et un poste de pilotage situé à l’avant. À l’origine l’expression désignait un type de « speedboat » modifié élaboré pour la pêche au marara (poisson volant) dans les lagons des Îles-du-vent (Blanchet et Borel 1990). Il est aujourd’hui employé pour pêcher divers autres types de poissons, notamment les bonites, les thons ou les mahi mahi (dorade coryphène).

l’archipel qui donnerait ainsi lieu à une situation si avantageuse au vu des ressources disponibles, comme le remarque, par exemple, Moerani Frébault :

Bon, je suis le premier à critiquer ceux qui disent qu’ils ont peur du développement, hein, mais il faudra quand même avoir quelques réserves ! Je me rappelle toujours de ce que l’archéologue a dit dans son interview. [Pierre] Ottino, le spécialiste des Marquises, a dit qu’il fallait prendre garde à l’illusion d’opulence aux Marquises. Parce que cette illusion n’existe que parce qu’on est sous-peuplés! À cause de cet effondrement démographique, on a l’impression que la nature est généreuse aux Marquises, mais c’est pas le cas. Si la population venait à retrouver ses niveaux précédents on n’aurait plus de fruits, plus de poisson, plus rien, hein! (...) Ça m’a choqué, hein! C’est vrai que moi j’ai toujours eu tendance à dire « non, les Marquises, on a l’océan le plus riche du monde… ! » (...) Eh ben non, c’est faux! C’est parce qu’on n’est que 9000 dans tout l’archipel. Et si on venait pas à augmenter notre population, mais si on venait à exporter, avec des infrastructures internationales, là, on viendrait peut-être à la limite de ce que la nature est en mesure d’offrir. (...) On va pas revenir à 80 000 habitants, hein! Je sais que notre rythme d’évolution démographique ça va être relativement lent, c’est pas ça que je crains. Ce que je crains, c’est l’ouverture au commerce international. Là, c’est comme si on multipliait par 10 la population, hein! Si on se met à exporter 30 tonnes de thon par mois, ça va commencer à peser lourd. Alors là aussi, je suis pas expert, il faudra faire intervenir des experts pour nous dire jusqu’où on peut aller sans déséquilibrer quoi que ce soit. Il faudra s’arrêter à ce moment-là.