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CHAPITRE 3 : STRUCTURES MOBILISATRICES ET OPPORTUNITÉS POLITIQUES

3.2 Paysage associatif

3.2.1 Te Motu Haka o te Henua ‘Enana

La Fédération culturelle et environnementale Motu Haka o te Henua ‘Enana s’est taillée une place absolument non négligeable dans le paysage associatif marquisien et plus généralement au sein de la société civile marquisienne, se trouvant à l’origine de plusieurs initiatives importantes. Pour cette raison il en sera beaucoup question dans ce mémoire. Or elle est loin d’être la seule association active, comme nous avons pu le voir, et il importera, par conséquent, de la replacer dans le contexte plus large des « structures mobilisatrices » (McCarthy 1996) aux Marquises.

L’association Motu Haka o te Henua ‘Enana fut créée en 1978 à l’occasion d’un synode du même nom (« Motu Haka », traduit parfois comme « le rassemblement » de la Terre des Hommes en français), à l’initiative de l’évêque de l’époque, Mgr. Hervé-Marie Le Cléac’h (1915- 2012)71.L’origine bretonne de ce « farouche défenseur de la culture » (Teikiehuupoko, 11 mai 2016) marquisienne n’est pas sans lien avec sa sensibilité particulière aux enjeux culturels et identitaires locaux, aux dires de plusieurs acteurs culturels l’ayant côtoyé72.

Par le biais de cet évêque engagé pour la préservation de la culture marquisienne, l’Église catholique accompagne ainsi le « renouveau culturel », l’éveil culturel marquisien. Alors qu’à partir de 1863 le Règlement pour la conduite des indigènes de l’île de Nuku Hiva (aussi surnommé « Code Dordillon », du nom de l’évêque l’ayant institué à l’époque) avait interdit plusieurs pratiques culturelles marquisiennes, Mgr. Le Cléac’h, dans le sillage du concile Vatican II (1962), introduit une esthétique marquisienne dans la cathédrale de Taiohae, notamment, et

71 Évêque du 1er mars 1973 au 31 mai 1986. C’est Mgr. Guy Chevalier qui lui succèdera jusqu’au 5 septembre 2015, puis

Pascal Chang-Soi jusqu’à aujourd’hui. Tous trois sont membres de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie (picpuciens).

72 Une citation de lui publiée dans un article du Nouvel Observateur sur les îles Marquises en atteste par ailleurs : « Ma

grand-mère ne parlait pas le français, ma mère le possédait fort mal et moi je me souviens encore des taloches reçues à l’école lorsque je faisais des fautes dans une langue qu’on ne pratiquait pas en famille. Je retrouvais aux Marquises un cas semblable à celui que j’avais connu enfant. Et j’avais vécu Mai 68 à Paris. Comment pouvais-je être décemment le pasteur d’un peuple dont je ne possédais pas l’idiome ? Comment annoncer la Bible sans qu’elle s’inscrive dans la culture de ceux dont je devais assumer l’éducation religieuse ? » (de Gubernatis 2011).

dans la liturgie, qui intégrera des éléments de la culture marquisienne tels que la langue, des instruments de musique tels que le « pahu » (tambour traditionnel marquisien) et des chants traditionnels adaptés à la liturgie. Des sculpteurs locaux réaliseront des ornementations pour la cathédrale et les églises de l’archipel, qui intégreront des symboles et des éléments de la culture marquisienne à l’iconographie chrétienne.

À l’origine du Matavaa o te Henua ‘Enana (L’éveil de la Terre des Hommes), souvent désigné comme le « Festival des arts des îles Marquises », événement culturel initié en 1987 et ayant lieu, depuis, tous les 4 ans alternativement dans chacune des îles de l’archipel73, l’association Motu Haka a également œuvré, depuis sa création, à la réalisation d’enquêtes auprès des anciens et mené des recherches au niveau de la tradition orale, notamment sur les danses, les chants, les légendes, la langue, etc. Son président et cofondateur, George Toti Teikiehuupoko, me racontait en entrevue :

avant [19]85, on se déplaçait dans les îles, pour informer, informer... Et dans chaque île, nous avions créé des antennes de Motu Haka et eux étaient chargés d’enregistrer des légendes, voilà, de faire des collectes, donc pour avoir une banque de données au niveau tradition orale. (...) Donc depuis cette époque-là on a fait, et même on a créé, une petite « académie » au sein de Motu Haka, entre guillemets, hein! C’était pas véritablement l’Académie [marquisienne actuelle]... Une section, si tu veux, qui s’occuperait uniquement de la langue. Et on l’avait dénommée Te oko nui!

Depuis 1991 l’association Motu Haka est devenue une « Fédération » (Teikiehuupoko, 11 mai 2016). Elle a aujourd’hui des « antennes » dans chacune des îles des Marquises74, des associations culturelles locales liées à ce qui est devenu une Fédération non seulement culturelle mais aussi environnementale. Celle-ci a en effet supporté des projets tels que l’inscription des Marquises au patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que bien mixte, soit tant pour sa valeur naturelle que culturelle. Dans le cadre de ce projet, elle a soutenu et coordonné des missions scientifiques. Elle a également collaboré à la formation de référents culturels dans le cadre du projet PALIMMA – Te haatumu o te tai moana (patrimoine culturel relatif à la mer), visant à

73 Jusqu’en 1993 il était prévu que l’événement se tienne tous les deux ans en alternance sur l’une des 3 îles principales

(Nuku Hiva, Ua Pou et Hiva Oa). Or, l’édition de 1993 n’eut pas lieu, dû à des conflits politiques entre l’association et la commune de Ua Pou ou devait se tenir l’événement qui sera reporté deux ans plus tard, soit en 1995. À partir de ce moment il sera décidé que l’événement se tienne aux 4 ans (toujours en alternance dans les 3 îles principales). Entre ces éditions, des

Matavaa iti ou « mini-festival » sont également organisés sur les îles moins peuplées (Tahuata, Fatu Hiva et Ua Huka).

74 On pense, par exemple à des associations comme Te Hina o Motu Haka à Nuku Hiva, ou Tuoi (présidée par Benjamin

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promouvoir, valoriser et protéger le patrimoine culturel lié à la mer. Ce programme, coordonné par l’Agence des aires marines protégées (AAMP), en collaboration avec Motu Haka, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et avec le soutien des membres de l’Académie marquisienne (CODIM, PV des 31 mai et 1er juin 2013), s’inscrivait dans le cadre de deux projets portés également par la CODIM, soit l’inscription des Marquises au patrimoine mondial de l’UNESCO et la création d’une Aire marine protégée pour l’archipel.

Pour Toti, Motu Haka a aujourd’hui accompli sa mission initiale et joue maintenant le rôle d’une « sentinelle » :

P.P. : Et maintenant qu’est-ce que fait Motu Haka? C’est-à-dire, quelles sont les actions de

[l’association aujourd’hui] ?

T. T : Ah ben, Motu Haka... ! Hé ben Motu Haka c’est plutôt... une espèce de sentinelle,

hein, qui veille. Ben... elle est consultée! Moi, pour moi, je dirais que Motu Haka a accompli sa mission. C’est-à-dire, cette transmission de savoirs. Maintenant qui prend la relève? Ce sont les communes, la Communauté de communes. (...) tant mieux! Tant mieux, hein. Tant mieux que, enfin, tous les élus sont d’accord sur ce principe que... c’est grâce quand même à ça qu’on peut aussi mettre en place un développement économique, durable, dans l’archipel des Marquises, par ces manifestations qui attirent, quand même, du monde!

Notons finalement que plusieurs membres bien connus de l’association ont été impliqués assez activement au sein de partis autonomistes marquisiens et ont exprimé des positions et revendications en ce sens. L’association entre Motu Haka et des positions politiques « anti- Flosse » ont d’ailleurs donné lieu à des conflits politiques, notamment avec l’ancien maire de Ua Pou, associé au Tahoera’a Huira’atira, et a valu qu’on demande à l’association de confier l’organisation du Matavaa à un comité organisateur indépendant de Motu Haka à partir de 1995.