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CHAPITRE 3 : STRUCTURES MOBILISATRICES ET OPPORTUNITÉS POLITIQUES

3.3 La Communauté de commune des îles Marquises (CODIM), un nouvel acteur institutionnel

3.3.3 Codim : composition, tendances et projets

Le conseil communautaire de la CODIM est composé de « quinze délégués titulaires et quinze délégués suppléants, élus par les conseils municipaux des communes adhérentes ». Celui-ci se

rassemble au moins 2 fois par an, comme le précisent les « règles de fonctionnement » de la Communauté de communes. La fréquence de ces réunions paraît cependant avoir varié grandement depuis les débuts de l’institution. Ainsi en 2013, le conseil communautaire s’est rassemblé 7 fois et seulement 3 fois en 2015 (Procès-verbaux). Le bureau est formé d’un président et d’un vice-président élus à majorité absolue parmi les membres titulaires du conseil communautaire (CODIM 2016c).

Les rencontres du conseil communautaire se tiennent le plus souvent à Atuona (chef-lieu d’Hiva Oa, commune la plus importante du sud de l’archipel), où se situent les bureaux de la CODIM, mais sont également tenues ailleurs (dans les autres îles, et même à Pape’ete), à l’occasion. Le déroulement de ces rencontres présente certaines récurrences et suit, évidemment, un certain rituel : remerciements du président vis-à-vis des personnes présentes, prière ou bénédiction d’ouverture par la doyenne, vérification du quorum, proposition de secrétaire, ordre du jour, validation du procès-verbal de la rencontre précédente, présentations diverses (que ce soit de différents prestataires, bureaux d’études, consultants, ou des comptes rendus d’événements ou de rencontres extérieurs par des délégués, des représentants de l’État ou du Pays, etc), vote des délibérations, questions diverses, etc.

Si j’ai fait ressortir, dans les sections précédentes, les liens qu’entretenait la CODIM, au préalable, avec les projets et espoirs des autonomistes marquisiens, cette « réussite » d’avoir pu rassembler autour d’une table les élus des 6 communes des îles Marquises implique évidemment que la composition de cette institution est politiquement diversifiée. Un des défis avait été précisément, selon plusieurs participants, de rallier à ce projet les élus du groupe sud, associés au Tahoera’a Huira’atira, et cela fait partie des raisons pour lesquelles on considère qu’il s’agit d’une réussite. Plusieurs évoquent d’ailleurs, incluant le principal intéressé, les réticences initiales du maire de Hiva Oa, Étienne Tehaamoana, aujourd’hui l’un des plus enthousiastes vis-à-vis de la communauté de communes, comme en témoigne d’ailleurs le procès-verbal du conseil communautaire du 26 juin 2013 qui rapporte les propos du maire lors de la présentation de la nouvelle institution au conseil municipal de Ua Huka :

[Étienne Tehaamoana] revient sur la création de la CODIM et sur ses propres réticences initiales, en les justifiant par le fait qu’une communauté de communes aux Marquises, c’est d’une certaine manière le mariage de six Maires, alors que l’union de 2 personnes n’est déjà

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pas simple! Mais l’intérêt de réunir les 6 communes afin d’avoir une vision commune de développement et le travail effectué ont eu raison de ses réticences et Étienne expose toute sa motivation actuelle à faire vivre cette communauté de communes (PV du 26 juin 2013).

Les réticences initiales de certains concernent notamment le partage de compétences entre les communes et la communauté de communes.

Le conseil communautaire de la CODIM regroupe ainsi des acteurs associés aux principales tendances politiques (indépendantistes du Tāvini Huira’atira, autonomistes du Tahoera’a Huira’atira, autonomistes marquisiens, etc.). Certains de ses membres sont également des personnalités importantes de la société civile, notamment le Président et fondateur de l’association culturelle Motu Haka, Toti Teikiehuupoko, ou encore Joseline Piriotua, très impliquée dans les domaines de l’artisanat et du tourisme. Les projets portés par la CODIM reflètent également, on le comprendra, une diversité de tendances. Plusieurs projets phares portés d’abord par la société civile (Motu Haka), se verront d’ailleurs pris en charge par la CODIM, notamment le projet d’inscription des Marquises au patrimoine mondial de l’UNESCO, la protection des savoirs traditionnels98 ou le projet d’Aire marine protégée (voir 5.2.3).

En dépit du discours mettant de l’avant l’unité de la CODIM (voire presque son unanimité), il me paraissait tout à fait légitime et essentiel, au vu de la diversité des tendances représentées au sein de cette institution, de m’interroger sur les désaccords, sur les clivages potentiels, ainsi que sur le rôle ou la place des rapports de pouvoir et des jeux politiques dans la formation de l’institution et les orientations prises par celle-ci.

Mon étude montre pourtant ici ses limites : comme il ne me fut possible d’observer qu’une seule des rencontres du conseil communautaire (voir 2.3.2.2), il s’avère en effet difficile de m’avancer sur les désaccords et rapports de pouvoir pouvant être observés in situ dans les pratiques quotidiennes de l’institution, notamment vu l’accès limité que j’en ai eu. La lecture des procès-

98 Le PDEM évoque la nécessité d’adopter un droit collectif de la propriété intellectuelle, « par l’adoption d’une loi du pays

qui aura pour objet non seulement de protéger les savoirs traditionnels mais aussi de recréer des « anciennes structures » polynésiennes, qui seront détentrices de cette protection » et par « la formalisation d’une convention avec l’INPI [Institut national de la propriété industrielle] afin d’assurer la mise en œuvre de la loi » (2012 : 85). Toti Teikiehuupoko, président de Motu Haka, de l’Académie marquisienne et délégué communautaire à la CODIM s’est longtemps battu pour la reconnaissance d’un tel droit collectif de la propriété intellectuelle. Membre du Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française, il a par ailleurs déposé un rapport sur cette question en 2006 (Teikiehuupoko 2006).

verbaux des réunions du conseil communautaire depuis le 4 février 2011 jusqu’aux 26 et 27 février 201699, rencontre à laquelle j’eus l’occasion d’assister, offre en revanche des indices à ce sujet, comme les échanges avec des acteurs, impliqués ou non, au sein de cette institution.

Plusieurs acteurs ont souligné l’importance du rôle de président et son influence majeure sur les orientations prises par l’institution et les projets priorisés. Alors que la lecture des PV fait apparaître une presque constante unanimité au moment des votes d’adoption « des délibérations » qui pourrait laisser croire effectivement à une surprenante unité au sein du conseil communautaire, l’élection du second président en 2014 laisse entrevoir des clivages plus importants et un conseil communautaire plus partagé. Non seulement le président élu, Félix Barsinas − associé au Tahoera’a Huira’atira −, ne l’a emporté que par une voix (majorité absolue de 8 voix) sur son concurrent, le président sortant de la CODIM, Joseph Kaiha – associé au courant autonomiste marquisien −, mais le procès-verbal de cette réunion témoigne également du caractère politique et des tensions pressenties en vue de l’élection, étant donné l’insistance de plusieurs délégués (maires) sur l’importance de la séance, leur appel au « respect » et l’expression du souhait que « cela se déroule dans les meilleures conditions » (PV du 25 avril 2014: 2).

[Benoit Kautai] rappelle combien cette séance est importante et souhaite que cela se déroule dans les meilleures conditions. Nestor OHU prend la parole, avec des paroles humoristiques, il salue également les nouveaux délégués de la CODIM. Comme Benoît il souhaite que la séance se déroule dans le respect. Étienne TEHAAMOANA salue également toutes les personnes. Il est certain que cette séance se déroulera sans problème. (...) Félix BARSINAS prend la parole, il salue tout le monde et met en avant la qualité de proximité des délégués communautaires de Tahuata. Henri TUIEINUI prend la parole et remercie les anciens maires, réélus cette année, ainsi que les nouveaux délégués. Il rappelle ensuite le statut de la CODIM, en évoquant une présidence tournante, termes absents du statut. Il souhaite que nous poursuivions dans ce sens en respectant « la parole donnée ». Il ne veut cependant pas que cela soit source de conflit. Il ne veut heurter personne, c’est ce qu’il pense (PV du 25 avril 2014 : p. 2).

Le commentaire du président sortant, Joseph Kaiha, à l’issue du vote dénote également une valorisation de la recherche du consensus et de l’unité et un respect pour le processus et l’institution : « Joseph KAIHA rappelle l’appareil formidable de la démocratie, et accueille avec

99 Ces procès-verbaux me furent très généreusement transmis par la secrétaire comptable (Service Administratif et financier)

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respect l’élection du nouveau président, il accepte sa candidature en tant que Vice-président, afin, notamment d’assurer une continuité » (p. 3 PV du 25 avril 2014).

Le déroulement de l’élection du président de la CODIM, rappelle à certains égards les observations faites par l’anthropologue John Kirkpatrick lors des campagnes électorales communale et territoriale de 1977100 à Ua Pou, consignées dans un article paru en 1981.

Kirkpatrick remarque alors l’importance des « appels à l’unité » et des discours d’« unité » dans la vie politique marquisienne. Ayant fait ressortir l’omniprésence de ce thème dans les slogans et noms de partis de toutes les listes s’étant présentés cette année-là, il montre aussi l’importance des « appels à l’unité » dans les discours des différents candidats, remarquant que ces discours « consisted of little more than such appeals » (Kirkpatrick 1981 : 451). Tous mettent ainsi de l’avant, de façon similaire, la nécessité de s’unir pour le progrès des Marquises. Il suggère qu’aux Marquises: « elections are a problematic process in which Marquesans find potential leaders, and that appeals to « unity » both testify to the Marquesan idea of the polity and help to simulate it momentarily » (Kirkpatrick 1981 : 455). Il me semble qu’un processus similaire est à l’oeuvre dans le cas de la Communauté de communes des Marquises au moyen de laquelle peut être performée cette idée d’une entité politique unie et, surtout, solidaire. Prétendant représenter les intérêts des Marquises, ce n’est alors pas seulement l’unité et la solidarité de l’institution qui est performée, mais celle, plus largement, de tout l’archipel, alors même que plusieurs des Marquisiens que j’ai pu rencontrer soulignaient les divisions et les rivalités au sein de la société marquisienne − entre le Nord et le Sud, entre les différentes îles, entre différentes vallées, sur certaines îles, et même entre les individus. Ils renvoient parfois à un imaginaire qui évoque les rivalités et compétitions intertribales d’autrefois, souvent à des situations politiques actuelles concrètes, telles que la compétition pour les ressources financières ou pour la réalisation de travaux d’infrastructures ou de projets localement, mais aussi un sentiment de compétition entre les Marquisiens eux-mêmes qui ne se soutiendraient pas, chercheraient à rabaisser les autres, notamment ceux qui souhaitent monter leur propre affaire.

Au moment de mon ethnographie, un sentiment de blocage était palpable, ou du moins un sentiment que les choses n’avançaient pas aussi vite qu’on l’aurait souhaité, que certains projets

« stagnaient », notamment les projets d’inscription des Marquises au patrimoine mondial de l’UNESCO et d’Aire marine protégée (voir 5.2.3). Plusieurs avaient hâte de sortir de la phase « d’études » qui avait marqué les premières années de la CODIM, faute des compétences nécessaires pour les mettre en application. On retrouve d’ailleurs l’expression de ce sentiment à quelques reprises à la lecture des procès-verbaux des rencontres du conseil communautaire et l’affirmation de la nécessité de ne pas « attendre » des hommes politiques, du gouvernement de Tahiti, des autres et d’agir maintenant.