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Développement : le projet d’aéroport international

CHAPITRE 5 : PRONOSTICS Développement et préservation

5.2 Développement et préservation

5.2.2 Développement : le projet d’aéroport international

Le projet d’aéroport international est sans doute celui qui suscite le plus d’espoirs (et de promesses) pour le développement des Marquises. Or, c’est aussi celui qui paraît diviser le plus parmi les participants rencontrés. Alors que la plupart des acteurs l’associent au leader indépendantiste Oscar Temaru − qui a régulièrement réitéré sa volonté de voir naître un tel projet en particulier depuis le taui de 2004 (Tahiti news 2015), affirmant trouver absurde qu’un territoire grand comme l’Europe ne possède qu’une porte d’entrée −, cette idée s’avère pourtant beaucoup plus ancienne. On en retrouve en effet des traces notamment dans les professions de foi de l’Union Marquisienne qui avançait déjà l’idée d’une « ligne extérieure sur Hawai’i » en vue des élections territoriales de 1996. Cette possibilité aurait aussi été envisagée par le Territoire en 1998, mais aurait alors laissé « le conseil municipal de l’île [de Nuku Hiva, sur laquelle on souhaitait construire l’aéroport] (...) très partagé » (Sivadjian 1999 : 25).

Fenêtre sur le monde, et notamment sur Hawai’i, dont on souligne la relative proximité géographique (et culturelle), une telle infrastructure contribuerait fortement, croit-on, au développement des secteurs clés de l’économie marquisienne, notamment la pêche et le tourisme. Pensé très souvent en symbiose avec un projet de port de pêche, comme mentionné précédemment, il favoriserait, d’une part, l’exportation de ressources clés telles que le thon frais

et permettrait, d’une autre, d’augmenter la fréquentation touristique de l’archipel, notamment grâce à une ouverture sur Hawai’i. Pour plusieurs des acteurs rencontrés ce projet est un point névralgique du développement des Marquises. S’il n’est pas la seule condition nécessaire au développement de l’archipel, il en serait un outil fondamental autour duquel viendraient se greffer d’autres secteurs d’activité économique. Alors que la plupart des défenseurs de ce projet s’entendent pour dire qu’il faudrait « juguler les impacts » et contrôler le flux de touristes (en imposant par exemple des cotats), on pourrait schématiquement identifier au moins quatre positions par rapport à ce projet.

Il y a d’une part ceux (1) qui sont assez largement favorables à un aéroport international, pour les raisons déjà exprimées. Mais il y aussi ceux (2) qui se disent plutôt favorables à un aéroport régional, avec une ligne qui relierait les Marquises directement à Hawai’i. Le projet imaginé, dans ce cas (et parfois dans le premier), prend souvent pour modèle l’aéroport de Rapa Nui (l’île de Pâques) pour souligner que des infrastructures assez simples, plus modestes que celles de l’aéroport international de Faa’a (Tahiti), suffiraient et qu’il n’y a pas, par conséquent, à miser sur un projet pharaonique. (3) Finalement plusieurs acteurs rencontrés – sans qu’ils ne représentent la majorité, ils représentent un nombre non négligeable – s’y opposent ou y sont plutôt défavorables. Parmi ces derniers, certains à vrai dire se montrent plutôt sceptiques, mettent en avant les préparations qui seront nécessaires et le fait que les Marquises ne sont pas prêtes à accueillir tous ces nouveaux touristes, les infrastructures actuelles, notamment en ce qui concerne l’hébergement, étant largement insuffisantes125.

Chez d’autres, (4) la critique du projet d’aéroport international est parfois beaucoup plus profonde. Ceux qui s’y opposent complètement soulignent non pas seulement que l’archipel n’est pas prêt à recevoir les touristes en termes de structures d’accueil, mais que les Marquisiens ne sont pas eux-mêmes préparés aux impacts qu’entraînerait cette nouvelle ouverture sur le monde,

125 Une note expresse de l’IEOM de 2015 faisait état de la situation de l’hébergement touristique aux Marquises : « La

capacité d’hébergement aux Marquises se compose de deux hôtels classés : le Hanakee Pearl Lodge sur l’île de Hiva Oa (14 chambres) et le Keikahanui Pearl Lodge (20 chambres) à Nuku Hiva. Cette offre hôtelière réduite est complétée par 32 pensions de famille, pour une capacité totale de 336 clients, dont plus de la moitié sont situés à Hiva Oa et Nuku Hiva. Les touristes en hébergement terrestre sont majoritairement internationaux (57% des nuitées en 2013) bien que la clientèle résidente soit non négligeable. Les coefficients de remplissage sont plus faibles aux Marquises-Australes que dans l’ensemble de la Polynésie française : 38% dans l’hôtellerie internationale (contre 60% en moyenne) et 19% dans les pensions de famille (contre 25%) » (IEOM 2015).

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étant préoccupés par les impacts potentiels de produits importés sur la santé, des impacts moraux et sur le mode de vie et des impacts de la modernité sur les valeurs et le rapport à la culture marquisienne. L’un des participants à ma recherche s’inquiète de l’augmentation de l’affluence de produits extérieurs jugés dangereux, tels que les drogues, qui causent déjà des problèmes ailleurs, à Tahiti notamment126. Un autre des participants suggère également que ce genre d’initiative ne « profite toujours qu’aux plus riches » et n’est en réalité « pas dans l’intérêt de tous », que cela créera des emplois, mais que ce seront des « salariés (...), des gens d’ici qui vont travailler pour des boss qui vont les exploiter », générant des inégalités sociales et produisant une logique de profit.

Enfin, certains participants ont souligné que les Marquises possèdent déjà depuis longtemps leur aéroport international : la mer. La position d’Humu Kaimuko est en ce sens intéressante. Se préoccupant à la fois des impacts économiques qu’auraient l’implantation de ces nouvelles structures d’accueil et d’hébergement (hôtels, pensions, etc.) sur les « impôts » et sur les plus démunis, il suggère qu’un port international serait plus adéquat, à la fois parce qu’il permettrait une augmentation de la fréquentation touristique qui ne nécessiterait pas l’ajout d’hôtels et de « grands bâtiments » et permettrait de préserver l’île. Un tel projet s’inscrirait davantage en continuité avec ce qui a été initié par les « ancêtres » :

Je l’ai déjà dit à beaucoup... même quand le ministre du Tourisme est venu ici. Je lui ai dit : « Si on doit mettre en place un aéroport, on va devoir mettre en place des bâtiments pour loger ces personnes. On sait très bien que le touriste, il part! (...) Et après, finalement, c’est pas rentable ces grands bâtiments. Faillite. Mais les impôts restent! Ce sont les petits coprahculteurs et les artisans de petites sculptures qui vont payer ces impôts? Je pense que... [ça] doit venir de la mer, d’un (...) port international, c’est plus intéressant pour nous! Pour développer l’argent. Au niveau du tourisme, croisières... Bon, les bateaux de croisière arrivent et nous, on se charge des activités culturelles : danses, démonstrations, visite des sites... On a tout ce qu’il faut, pour ça! Mais après, ils retournent dormir, sans toucher à l’île en fait! Au contraire. On va montrer les compétences de l’île : les sites archéologiques, danses, culture, démonstrations... Ensuite ils retournent dans leurs bateaux dormir. (...) Sinon, dans quelques années, on va ressembler à Hawai’i! si on choisit le (… ) projet d’aéroport. (…) Ici, c’est plutôt vers la mer. Comme on a toujours fait, nos anciens, hein. Ça a toujours été par la mer. Ça continue! Ça c’est quelque chose qu’il faut maintenir, parce que sinon, si on va ailleurs, c’est pas bon. Tu vois l’Aranui127, ce qu’il est en train de faire, c’est

bien!

126 À ce sujet, notons que des saisies d’importantes quantités de drogue, notamment d’ « ice » et de cocaïne, transportées

par bateau, défraient déjà régulièrement la manchette.

127 Cargo-mixte desservant les Marquises aux trois semaines, à raison de 16 rotations par an (IEOM 2016). Il offre à la

Encore une fois ici, Hawai’i (comme Tahiti, comme la France) agit à titre d’image-repoussoir en proposant un contre-modèle « esthétique », « trop moderne » de ce à quoi pourraient ressembler les Marquises. Le fait que cette critique s’exprime en des termes « esthétiques » comme je le suggère, ne signifie pas pour autant qu’elle s’y limite et recouvre évidemment des préoccupations plus profondes sur le type de vie et d’avenir des Marquisiens, sur les impacts de la modernité et de la globalisation sur la vie aux Marquises et sur les possibilités concrètes qui s’y trouvent.

5.2.3 Projets de « préservation » : inscription au patrimoine mondial de l’Humanité (UNESCO)