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Le toucher dans ce paragraphe est abordé selon le prisme de l’acte kinésithérapique, central pour ce professionnel. Il occupe une place fondamentale lors du bilan palpatoire, et est un paramètre constitutif essentiel du corps à corps, nous en établissons une typologie.

1.3.1 Le toucher kinésithérapique : un moyen d’échange avec le patient

Le toucher en kinésithérapie peut s’apparenter à un dialogue, qui renseigne simultanément celui qui touche et celui qui est touché, informant ainsi le patient et le kinésithérapeute. Les renseignements sont issus lors du toucher, d’une part des qualités discriminatoires acquises par le kinésithérapeute avec l’exercice professionnel et d’autre part, des changements qui se produisent pour le patient sous l’effet de ce toucher. Cet échange requiert pour ce professionnel, une disposition perceptive, et pour le patient un accompagnement pour la découverte de ses sensations. Il est invité à exprimer ses sensations lors des différents questionnements du kinésithérapeute.

Les perceptions du corps sont indissociables de la psyché dans sa dimension psychoaffective au cours du traitement. Pour le kinésithérapeute, ses perceptions sont conditionnées par le corps souffrant du patient et par son psychisme. Le kinésithérapeute, après un premier temps d’observation et d’échange, exerce un toucher simple. Cette phase est une étape de bilan, qui permet de situer le patient. Pour le kinésithérapeute, la seconde étape est intrinsèque au diagnostic de ce professionnel et conduit ses stratégies pour décider du mode de traitements. Si le patient laisse paraître une réticence au cours du bilan palpatoire, qu’elle soit d’origine douloureuse ou autre, le kinésithérapeute peut remettre en question son abord thérapeutique corporel et modifier ses techniques de traitement. C’est en partie par le toucher que le kinésithérapeute complète son bilan, évalue l’état de tension des différentes structures superficielles, cutanées, mais aussi profondes musculaires, tendineuses, ligamentaires, neurologique ou autres. Il apaise la douleur, mais la déclenche parfois pour les besoins de son

bilan ou de sa thérapie. Le kinésithérapeute lors de son toucher singulier met en exergue le sens tactile discriminatoire de sa palpation qui sert son diagnostic kinésithérapique.

1.3.2 Du toucher simple à la palpation kinésithérapique

Le toucher établit une relation de peau à peau. Le kinésithérapeute singularise son toucher pour réaliser une palpation lors du contact corporel prolongé des différentes structures pathologiques du patient. La palpation, qui révèle sous ses doigts différents dysfonctionnements constitue une étape de son diagnostic, va au-delà du simple contact de peau. Elle nécessite reconnaissance et discrimination des tissus pour discerner les différentes caractéristiques des structures situées sous les téguments. Cette palpation peut aussi procurer un ressenti pour le kinésithérapeute, pour autant, le professionnel ne doit faire preuve que de reconnaissance discriminatoire. Sapir (1980) mentionne le ressenti du médecin lors de la palpation du ventre :

Mais palper du ventre n’est pris en considération que si l’enveloppe, par exemple le péritoine, est suspect de maladie. Autrement dit, la peau de cette région si intime, le contact qu’elle procure à la main qui la touche doivent être ignorés (p 136).

Pour les besoins de son exercice, la palpation du kinésithérapeute est complexe. Il tire la peau, la tend, la frictionne et, par la discrimination de son toucher, il perçoit au travers du recouvrement tégumentaire et reconnaît les différentes structures situées dessous. Ce temps, prémisse de la thérapie, constitue un moment important pour le kinésithérapeute qui va décider de sa thérapie sur le plan praxéologique, au regard du patient, de sa pathologie, de sa symptomatologie reconnue par le toucher, et aussi de ses réactions. L’enveloppe tégumentaire de recouvrement qui constitue normalement une barrière, appelée la barrière tégumentaire, est alors outrepassée. Le kinésithérapeute, après avoir situé le patient au cours de son approche biopsychosociale et proxémique, poursuit son recueil d’informations issues de la palpation.

C’est au cours de cette approche, issue de la rupture proxémique, que le diagnostic est complété, selon la singularité du patient. La transgression de la barrière cutanée constitue pour le kinésithérapeute l’une des stratégies lui permettant de décider de son traitement, avec ou sans corps à corps.

1.3.3 L’approche praxéologique du corps à corps

L’approche praxéologique a trait aux sciences de l’action humaine, aux techniques du corps qui permettent la mise en œuvre du corps à corps. Elle requiert une technicité qui nécessite la précision de la gestuelle tant pour sa finesse que la sécurisation du patient. Pour l’exécution de la manœuvre, les deux corps sont en interaction. Technicité et sécurisation singularisent le toucher kinésithérapique qui engage la main, mais aussi ce que nous avons nommé le corps « entier » du kinésithérapeute. Le chapitre ci-dessous poursuit les différentes formes de toucher et ses conséquences au cours des thérapies.

Le kinésithérapeute fait usage de son corps pour le façonnage et la modélisation du corps du patient avec adaptation gestuelle et précision. Pour ses fins, le kinésithérapeute a recours à la complétude du toucher, ce qui nécessite des exigences tant dans la perception, nécessaire à la discrimination, que dans la précision pour l’exécution de la manœuvre. L’abord du patient se fait de façon complète, dans sa corporéité et sa corporalité et, sur le plan kinésithérapique, cet abord est dit complet parce qu’il s’exerce successivement de façon globale puis analytique et de nouveau globale avec réflexivité. Dans sa thèse de doctorat, Samé (2009) nous précise :

C’est, en tous cas, l’avis des kinésithérapeutes soucieux justement non pas d’un morceau de corps mais d’une personne dont une partie du corps requiert, à un moment donné, une attention et un soin kinésithérapique tout spéciaux, pour être ensuite capable, à nouveau, d’avoir et d’être un corps (p. 39).

Cette particularité du kinésithérapeute, alternant abord global et abord analytique du patient, contribue, pensons-nous, à ce que Rémondière (1995) et Monet (2003) nomment la situation centrale du kinésithérapeute, en France, parmi les professionnels de la rééducation. Le toucher kinésithérapique, alternant successivement abord global et abord analytique, arrive au terme de son évolution, à son pic, lors de la mise en œuvre des techniques du corps.

1.3.3.1 Un sens complexe. L’œil vient compléter les perceptions de la main et dans l’article de

Cochet et al (2000) il constitue l’un des outils corporels du kinésithérapeute, permettant de repérer les manifestations du ressenti par le patient, mais aussi les multiples variations du déroulement du mouvement humain. Cette mise à contribution de l’œil du kinésithérapeute est exposée comme venant compléter le toucher kinésithérapique, il fait partie des bilans et sert le diagnostic kinésithérapique.

En complément de l’examen clinique, et ce durant tout le temps de la séance, le patient est attentivement observé par le kinésithérapeute. Concernant la peau, qui constitue un organe premier du soin en kinésithérapie, elle nécessite quelques fois d’être observée à jour frisant, avec un déplacement du professionnel à la recherche d’un rayon lumineux pour mieux percevoir une perturbation comme un relief modifié ou une pilosité perturbée. Gaubert en 2006, mentionne que, lors de sa recherche effectuée dans un institut de kinésithérapie, si les professionnels regardaient avec insistance les jambes d’un individu c’était pour mieux commenter la déformation dans le plan frontal, source de rhumatisme précoce. L’œil est alors scrutant, insistant, il apparaît tel un organe touchant. Le patient, ainsi scruté par le regard du kinésithérapeute, peut être touché par ce regard constituant pour lui un fait d’entrave à sa pudeur.

L’exigence d’une discrimination, méticuleuse et analytique, pour la reconnaissance des structures anatomiques, incite le kinésithérapeute à seconder sa vue par son toucher au cours duquel la main s’exerce au discernement des différentes structures complétant ainsi la vision. À ce propos, Focillon (1934, p. 1) mentionne : « Les voyants eux aussi ont besoin de leurs mains pour voir, pour compléter par le tact et par la prise la perception des apparences ». Dans le cadre de la formation, l’enseignant, pour accompagner l’étudiant dans cette démarche de reconnaissance tactile, lui demande quelques fois de fermer les yeux, de se concentrer sur son toucher et de verbaliser ce qu’il ressent sous ses doigts. Cette démarche pédagogique fait préciser à Balas (2012) :

Enfin, on peut remarquer, ce qui fait écho au premier constat historique fait ici sur la place des non-voyants dans la profession, que l’instrument principal de travail du masseur kinésithérapeute est sa main. Cette main, qu’il éduque, devient un moyen de palpation, de massage, de mise en tension, mais aussi un récepteur de sensations. Ce qui guide ce professionnel est autant sa proprioception que sa vision ou son ouïe. Reste alors, quand on veut transmettre l’essentiel de ce métier, à énoncer par des mots, ces sensations kinesthésiques complexes, ce qui n’est pas simple (p.5).

À ce moment, nous pouvons considérer que le toucher intervient pour voir et savoir comme précisé par De Koninck (1995) dans les liens qu’il fait entre intelligence et toucher. Le toucher, pour être discriminatoire, nécessite la connaissance des structures anatomiques ; il permet au kinésithérapeute de les discerner et les reconnaître. Il est complété par la vision avec l’œil qui apparaît aussi comme un organe touchant, capable de discriminer les différentes

structures. Le kinésithérapeute met en exergue les différents sens du toucher : de ses mains, il prend connaissance du patient puis, pour compléter son toucher il aguerrit sa main à une discrimination méticuleuse et analytique des tissus, telle la discrimination de la vision.

1.3.3.2 De la main au corps. Dans la recherche épistémologique du corps à corps en