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Ce thème abordé lors de l’approche proxémique n’a pas de raison d’être de nouveau évoqué lors de l’approche praxéologique. La façon d’envisager la proxémie lors de l’approche proxémique semble achevée.

3.3 Toucher avec le corps

Parmi les kinésithérapeutes interviewé(e)s, deux ne mentionnent pas le fait de toucher avec le corps. Anna Richard et Sophia citent les techniques de récupération articulaires pour lesquelles le kinésithérapeute est obligé de faire un corps à corps. Anna mentionne que pour « certaines techniques, on a besoin d’être vraiment proche du patient, pour tout ce qui est

technique du rachis ». Solange, Anna et Sophia mentionnent que l’on ne peut pas prendre

seulement avec les mains et de fait, cela nécessite un contact important des deux corps. Muriel mime quelques prises, elle spécifie : « C’est le corps entier, je fais avec les bras je fais avec les

cuisses et puis il y a toute cette partie cognitive, la communication ». L’entrée en

communication avec le patient est abordée dès la rencontre. Elle se manifeste notamment par l’abord corporel généraliste du patient tel un massage dont l’objectif pour le kinésithérapeute n’est pas thérapeutique, mais davantage de cerner psychologiquement le patient. L’objectif est de savoir quelles seront les dispositions du patient lors de l’interaction requise pour la mise en œuvre du corps à corps. Ces dispositions impliqueraient une mise en confiance. La communication se poursuit au moment de la palpation lors de la rupture proxémique quand le kinésithérapeute prend physiquement connaissance du patient et lors de l’approche praxéologique. Elle se manifeste d’une part, lors de l’écoute du corps que nous développons dans le paragraphe 4 ci-dessous et d’autre part par le guidage du kinésithérapeute, l’écoute et le guidage concourant alors à l’interaction du corps à corps.

3.3.1 Un confort pour le patient

Six des kinésithérapeutes verbalisent directement que de simples prises manuelles ne sont pas réalisables, elles en seraient douloureuses et approximatives. Les prises du patient sont faites avec le corps entier du kinésithérapeute. Elles sont ainsi rendues efficaces par un maintien avec plusieurs segments de leur corps. Elles peuvent alors être fermes, réalisées confortablement pour le patient et pour le kinésithérapeute, permettant à ce dernier une gestuelle conduite et répétée. Les kinésithérapeutes ne donnent pas d’exemple précis de techniques du corps, mais citent les conditions de mise en œuvre du corps à corps assurant à la fois une prise ferme pour le confort du patient. Ces manœuvres interviennent dans les techniques du corps et nécessitent un corps à corps (Solange, Anna). Sophia précise devoir « prendre un point d'appui

avec le tronc » et Solange « prendre à bras le corps ». Ces manœuvres sont justifiées par les

kinésithérapeutes qui parlent communément de portée ou de levier osseux, d’appui ou de contre appui et de guidage facilitant ou résistant. Les termes cités dans le même discours peuvent apparaître paradoxaux, ils sont évoqués simultanément pour la réalisation d’actions tantôt divergentes, tantôt convergentes. Ils sont en fait le reflet de la complexité des techniques du corps, qui pour les besoins de la rééducation assurent le maintien ferme et le confort, la sécurité et la déstabilisation, les résistances et les facilitations et sont tantôt accélérées, tantôt décélérées. Pour Dominique, Muriel et Théo, le corps à corps requiert de l’énergie. Théo justifie le fait que le kinésithérapeute utilise techniquement son corps, car « c’est tout le corps qui va donner de

l’énergie, de l’appui avec le déplacement, […] la main touche, mais c’est le corps qui emmène notre main, tout le corps dans son déplacement pour le corps de l’autre ». Théo se remémore

« les kinésithérapeutes en pédiatrie qui vont s’asseoir au tapis et qui ont le gamin entre leurs

jambes et qui vont faire faire des transferts d’appui, d’équilibre d’une jambe sur l’autre et là il y a presque un enveloppement ». Le terme même d’enveloppement est représentatif de l’image

du corps à corps. Cette notion au moment du contact avec le corps est reprise par Muriel qui en propose une conduite, mais aussi un objectif :

Je suis beaucoup dans l’enveloppe… moi par cette notion d’enveloppe de contenant, il faut que je fasse attention de ne pas enfermer le corps à corps. Ce n’est pas une prison où le corps est enfermé. Le corps à corps c’est ensemble vers quelque chose.

Nous retrouvons dans le propose de Muriel la conduite du corps à corps qui ne doit pas enfermer, mais au contraire permettre l’expression du corps. La réalisation de la

manœuvre ne peut contraindre le corps du patient. Sa réussite est subordonnée à sa participation. Le verbatim « ensemble vers quelque chose », s’apparente à un objectif de la manœuvre entreprise en coopération dans l’intentionnalité.

Le contact physique rapproché est nécessaire au confort du patient pour une juste réalisation de la gestuelle. Il est inhérent aux techniques kinésithérapiques.

3.3.2 Une gestuelle rendue possible

Gestuellement il n’est pas possible de tenir un objet éloigné du corps à bout de bras et de le manipuler, le retourner. Cette gestuelle est encore moins réalisable avec un corps vivant. La prise rapprochée du segment corporel et la mobilité de tout le corps viennent combler le manque de force du kinésithérapeute (Anna, Théo, Dominique), assurer son maintien et sa stabilité et permettre le contrôle du patient (Dominique). Par conséquent, les techniques du corps imposent une proximité ou interdisent leur pratique. Elles doivent être exécutées « avec

précision », tout comme le toucher, « on est au millimètre prêt, ici, ça n’est pas là » (Muriel).

Les kinésithérapeutes pour décrire la technicité ont comme dans les écrits professionnels le souci du détail et reprennent les termes de rigueur, précision, exigence de niveau, devant limiter tout parasitage pour ne pas perturber le patient. Muriel argumente que « le corps à corps n’est

pas que mental, il y a des conditions pour réussir ce corps à corps […] rigueur, méthodologie technique, au millimètre près, rigueur d'approche, qualité d'être capable d'aller chercher, le respect des limites ». Pour autant, la technicité pour être efficace doit aussi être fluide, non

saccadée, coulante, voire même belle, elle est comparée à plusieurs reprises par les kinésithérapeutes interviewé(e)s à une chorégraphie.

Si la proximité, sur le plan technique, permet l’efficacité, comme décrite lors du port de charge, elle constitue aussi un moyen d’économie du geste pour le kinésithérapeute. Le fait de porter et d’être toujours en action physique et cognitive est décrit par les professionnels, comme fatiguant (Muriel, Théo). Aussi pour assurer leur disponibilité, les kinésithérapeutes rationalisent leur gestuelle.