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Torres Bodet, de l’enthousiasme à la désillusion et à la démission.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 100-106)

Première partie Problèmes structurels.

1. Des conceptions changeantes au fil des dirigeants.

1.3. Torres Bodet (1949-1952) : idéalisme et déception 1 Jaime Torres Bodet, un humaniste et un idéaliste.

1.3.3. Torres Bodet, de l’enthousiasme à la désillusion et à la démission.

Des incertitudes et des contradictions.

Le flou des conceptions et l’éparpillement des projets.

Les débats tenus à la conférence générale et au conseil exécutif révèlent la difficulté des délégués à trouver des compromis pour faire s’accorder leurs conceptions divergentes1. Par conséquent, le flou persiste sur les objectifs, et l’accord ne parvient pas à se faire sur des priorités claires et concrètes à donner au programme. Les États membres, en particulier les États-Unis, déplorent l’abondance et l’éparpillement des projets2, et estiment que cet état de chose provient de l’échec à définir une « philosophie de base » de l’Unesco3. Torres Bodet lui-même admet que le programme de l’Unesco est « éparpillé »4, « trop abondant, trop dispersé »5, et reconnaît que le cloisonnement de l’organigramme en départements distincts produit des conséquences néfastes, entraînant une « lamentable antithèse » entre science et culture, qui fait que ces deux domaines « suivent des routes distinctes » au lieu d’aller de pair6.

Ce sont les Américains qui portent le jugement le plus sévère, comme le directeur général adjoint, Laves : « l’Organisation ne peut plus continuer à voter son programme sans avoir une compréhension claire de ce qu’elle veut accomplir et de quels sont les meilleurs moyens pour l’accomplir », s’exclame-t-il. Il déplore que le programme ait été augmenté peu à peu « par accrétion », et que cette inflation ait été encouragée par des « intérêts particuliers »7. Il regrette que le programme « manque de réalisme ». Il exhorte les États membres à se mettre d’accord pour en opérer une « clarification »8. Il déplore le « manque d’orientation précise » des activités de l’Unesco, et l’explique par « l’obscurité de la constitution » et « l’incertitude et le manque de direction de la conférence générale ». Il attribue ce flou à l’ambiguïté de l’Acte constitutif, qui laisse entendre que promouvoir l’éducation, la science et la culture serait en soi un facteur de paix. Laves critique le fait que le programme de l’Unesco ait été « divisé presque à la manière d’un cursus universitaire en différentes aires de savoir »9. L’américain Robert S. Smith, qui rédige en 1949 une étude sur

1 J. Torres Bodet, Memorias III, op. cit., p. 299 : « frustrada por la especializacion excesiva de los representantos

gubernamentales. […] El educador pretendia que todo se dedicase a la educacion. El artista y el literato, que todo se dedicase a la cultura. Y el sabio, que todo se eliminara, menos la ciencia ».

2

EU, box 1601 : rapport hebdomadaire de K. Holland, 9 mars 1950 : « the DG permits too many projects to be undertaken and the secretariat is just swamped »; box 1600 : télégramme confidentiel de Kenneth Holland au département d’état, 27 janvier 1950, 4 p. : « I wish the DG would be more critical of new projects » ; IT, note pour le ministre, 18 août 1950, doc. cité, p. 2-3 : le gouvernement italien critique « la disperzione delle forze, […], il programme di eccessiva vastità e di scarsa praticità che nessuno riesce ancora a ridurre sufficientemente ».

3 EU, box 1602, lettre confidentielle de M. DePalma à M. Abraham, 24 mars 1950 ; « basic philosophy ». 4 PER/ST/8, discours cité, p. 3.

5

J. Torres Bodet, Memorias III, op. cit., p. 57 : « demasiado abundante y demasiado disperso ».

6 Ibid., p. 300 : « una lamentable antitesis » ; « siguen rutas distintas ».

7 Discours de W. Laves, 13 avril 1950, discours cité, p. 9 : « the Organization can no longer vote its program

without having a clearer understanding of what it wishes to accomplish and what are the best means for accomplishing that result. The program has been expanded not on the basis of deliberate choices but essentially by a process of accretion. This has been encouraged by special interests […]. But this is not the way in which a public, international organization with a purpose and with limited funds ought to be run ».

8 Discours de Walter Laves, 13 avril 1950, doc. cit., p. 8 : « the program is lacking in realism » ; « determine

more precisely the objectives they have in mind to be reached by Unesco’s program […]. With such a clarification the effectiveness of Unesco would be immeasurably increased ».

9 W. Laves, « Unesco and the achievement of peace », art. cit. : « the obscurity of the constitution » ; « the

uncertainty and lack of direction of the general conference » ; « vast number of activities lacking in precise orientation » ; « Unesco’s purpose has been obscured and confused by the constitution itself, which declares that

La formulation du programme de l’Unesco, souligne le problème de la prolifération et de la

dispersion des projets et l’importance d’en limiter le nombre. Il souligne l’importance d’un « principe unifiant ». Il souligne la nécessité d’élaborer des critères plus précis pour la sélection des projets ; il propose, par ordre de critère du plus au moins important : « a) le projet est-il faisable en termes de budget et de personnel ? b) si le Secrétariat ne peut pas se charger du projet, est-ce qu’une ou plusieurs commissions nationales peuvent le faire ? c) est- ce qu’une autre organisation qualifiée peut faire ce projet ? d) quel est l’effet multiplicateur de ce projet ? e) ce projet contribue-t-il à la paix et au bien-être de l’humanité ? »1. De même, la délégation américaine à la conférence générale de 1949 souligne le grave problème de la dispersion du programme et la nécessité de le concentrer2. L’Américain Sharp déplore le « programme compliqué que seules quelques délégations peuvent comprendre »3.

L’ONU est elle aussi critique sur ces défauts ; à la conférence générale de 1950, ses représentants observent les efforts des « anti-proliférateurs » mais aussi leur échec à enrayer l’augmentation du nombre de projets4.

La presse observe les « tâtonnements » de l’Unesco devant son « immense champ d’action », le « fourmillement d’initiatives et de tentatives parfois sans lendemain, dont il est difficile d’apprécier l’importance respective ou le bénéfice réel, et dans lesquelles la parole l’emporte trop souvent sur l’action »5.

L’ethnocentrisme.

L’ethnocentrisme, qui s’était déjà manifesté durant la période de Huxley, perdure sans réel infléchissement sous Torres Bodet. Celui-ci le déplore, regrettant la quasi-absence de participation des intellectuels d’Afrique, d’Asie, et d’Amérique latine à l’Unesco, et affirmant, mais sans résultat, la nécessité d’« un meilleur équilibre de l’intelligence » entre Occidentaux et non-Occidentaux6. On observe aussi un occidentalocentrisme involontaire et inconscient dans la manière dont les projets de l’Unesco sont mis en oeuvre. En 1947, le premier volume du Book of Needs (« manuel des besoins » des pays devastés par la guerre) porte uniquement sur des pays d’Europe ; ce n’est que le second volume, paru en 1949, qui evoque les besoins en reconstruction des pays asiatiques, donc un peu tard7. Des projets d’esprit universaliste sont souvent, dans leur réalisation pratique, orientés dans un sens occidental. Ainsi, en 1948, les deux premières collections publiées par le Centre international d’échanges littéraires, La peinture européenne de 1860 à nos jours et La peinture italienne de

la Renaissance, portent sur des thèmes européens. De même, le premier tome de la nouvelle

série de l’Index translationum, publié en 1950, accorde une place prépondérante aux the organization exists to contribute to peace and security through education, sciences, and culture, but then gives plausible (though not in my judgment adequate) justification for activities that merely promote education, sciences and culture for their own sake » ; « divided almost in the manner of a university curriculum into areas of knowlegde ».

1 Ascher, box 149 : The formulation of Unesco programme, by Robert S. Smith, Harvard, 31 janv. 1949, 131 p.,

p. 115, 120-121 : « a unifying principle for Unesco ».

2

ONU, RAG-2/76, box 11 : rapport de la délégation des Nations Unies sur la 4e session de la conférence générale, de Louis Gros à Dr. Sze, 7 nov. 1949, p. 2.

3 Ascher, box 146 : lt. de Sharp à Ascher, 12 juin 1950 : « complicated program which only a few delegations

understand ».

4

ONU, RAG-2/76, box 11 : lettre de Gustavo Duran à H. Laugier, 7 juin 1950.

5 RP, 19 mai 1953 : Revue de Paris, mai 1953 : article de P.-L. Bret.

6 J. Torres Bodet, Memorias III, op. cit., p. 48 : « un equilibrio mejor de la inteligencia ».

7 The Book of Needs (of 15 war-devastated countries in education, science and culture), I, Paris, Unesco, 1947,

traductions d’œuvres européennes1. Et la célébration des grands hommes organisée par l’Unesco concerne essentiellement des Occidentaux. En 1949, le recueil Autour de la nouvelle

déclaration des droits de l’homme s’efforce de prendre en compte les représentants des

différentes zones géographiques. Cependant, si les peuples africains sont évoqués, ce n’est qu’en tant que « peuples non autonomes » et « sociétés primitives », et les articles les concernant sont écrits par des Occidentaux2. Les publications et périodiques produits par l’Unesco durant cette première période sont le plus souvent édités uniquement en anglais et en français, les deux langues officielles de l’organisation, ce qui exclut les populations de nombreux États membres. C’est le cas de l’Index translationum, du Bulletin international des

sciences sociales (édité en anglais et français à partir de 1949), de la revue Current Sociology

(éditée en anglais de 1952 à 1957), de la revue International Political Science Abstracts (éditée en anglais de 1952 à 1954), et des dictionnaires de terminologie des sciences sociales réalisés à partir de 1957. Cela s’observe aussi à travers les images. Ainsi, un timbre belge sur l’Unesco en 1951 montre un homme blond faisant la classe à des enfants noirs, et cette image est marquée de paternalisme et de sentiment de supériorité occidental3.

Enfin, les États membres occidentaux se montrent dans ces années généralement peu intéressés par les besoins des États extra-occidentaux. Ainsi, Torres Bodet évoque dans ses

Mémoires la déception qu’il a éprouvée lors de sa rencontre en 1951 avec le chancelier

Adenauer et le président Theodor Heuss, devant leur froideur et leur absence d’intérêt pour les projets visant les masses sous-développées4.

Un progressisme politique et social en réalité limité.

D’autre part, les positions progressistes affichées par l’Unesco ne se traduisent pas par des actions sur le plan pratique. Si l’Unesco affirme en 1951 le principe de « l’accession graduelle de tous les peuples à l’indépendance politique et aux responsabilités internationales »5, elle fait preuve en réalité d’une extrême prudence au sujet de la question coloniale6. Les relations entre l’Unesco et les puissances coloniales sont alors très cordiales7. Les délégations de ces États comprennent des administrateurs coloniaux8. En effet, les deux partenaires ont des intérêts communs. Ces relations sont marquées par une intense coopération, sous la forme de consultations et d’arrangements officieux. Ainsi, à l’été 1951, l’Unesco, avant de publier son rapport sur « l’usage des langues vernaculaires dans l’éducation », le soumet officieusement aux services coloniaux des trois principales

1 Comme la Politique d’Aristote, le Discours de la méthode de Descartes, et le Don Quichotte de Cervantes. 2 Collectif, Autour de la nouvelle déclaration des droits de l’homme, Paris, Sagittaire, 1949. Y ont participé

notamment Gandhi, Teilhard de Chardin, Aldous Huxley, Salvador de Madariaga.

3 Courrier de l’Unesco, nov. 1951, p. 9 : « Un nouveau message d’amitié et de paix » : timbres sur l’ONU,

l’Unicef et l’Unesco, de différents pays [annexe 13].

4 J. Torres Bodet, Memorias III, op. cit., p. 252-255. 5

CUA/28, 3 août 1951.

6 Si elle publie en 1949, dans Autour de la nouvelle déclaration des droits de l’homme, un texte écrit quelques

années auparavant et défendant explicitement les droits de l’Inde à l’indépendance, c’est que, justement, au moment de la publication de cet ouvrage, l’Inde a désormais acquis son indépendance. Autour de la nouvelle

déclaration des droits de l’homme, op. cit., p. 162-165 : « La conception hindoue des droits de l’homme », par

S.V. Puntambekar, 1947 : « Quant à nous, en Inde, nous voulons être libérés de la domination etrangère et de la guerre civile. La domination étrangere est néfaste. Notre pays en a souffert pendant des siècles. Nous devons la condamner, sous sa forme moderne comme sous sa forme ancienne. Notre pays doit être indépendant ».

7

RU, FO 371/88919 : lettre de J. Chadwick à M. Ormerod, 14 avril 1950. À Montréal, à la réunion du Canadian

Council for Reconstruction Through Unesco, en 1950, deux Colonial fellows du Commonwealth présentent des

contributions.

8 Tel Marcel Maquet, gouverneur du Congo belge et membre de la délégation belge à l’Unesco. Cf. RP/9/49, 22

puissances coloniales (France, Royaume-Uni, Belgique), pour consultation. Sur la demande de l’Unesco, la Commission nationale française organise une réunion officieuse au Quai d’Orsay, pour présenter le projet de rapport de l’Unesco aux fonctionnaires français intéressés. Une consultation semblable est organisée avec le Colonial Office britannique, et avec le Ministère des colonies de Belgique1. Ce procédé de consultations officieuses, bien qu’il soit, au sein de l’Unesco, dénoncé par René Maheu, qui évoque « les justes critiques qu’un pareil traitement préférentiel peut nous valoir de la part des autres États membres et ce que ce précédent peut enlever à notre indépendance », est utilisé couramment. Les avantages que l’Unesco retire de cette collaboration officieuse avec les puissances coloniales sont importants ; ils consistent dans des « avantages diplomatiques immédiats » et dans « la valeur technique de la documentation » fournie par les puissances coloniales2. Ainsi, loin de s’opposer au système colonial, l’Unesco s’accommode de ce système et entretient avec les puissances coloniales des relations très étroites, ce qui va à l’encontre des principes progressistes qu’elle professe.

En outre, à cette époque, la délégation italienne comporte un ancien collaborateur de Mussolini, De Clementi3. Cependant, il faut préciser que ce n’est pas l’Unesco qui est responsable du choix des membres des délégations des États membres. Il faut aussi observer que cela n’est pas spécifique à l’Unesco, en rappelant que l’Allemand Kurt Waldheim, devenu secrétaire général de l’ONU à partir de 1971, avait été lié au nazisme.

De même, l’admission de l’Espagne franquiste à l’Unesco en 1952 apparaît en nette contradiction avec les idéaux progressistes de l’organisation, bien que pour certains, cette admission constitue au contraire un moyen de faire pénétrer en Espagne, au moyen des publications et des programmes de l’Unesco, une influence démocratique4.

Ces défauts et ces contradictions internes donnent lieu à une crise de confiance. Une évolution vers la crise de confiance.

Devant le décalage entre les aspirations idéales qu’il avait mises en l’Unesco et la réalité concrète, Torres Bodet se décourage peu à peu. Moins d’un an après son entrée en fonction, il affirme sa déception au sujet de la lenteur des progrès de l’Unesco5 ; il affirme : « les résultats obtenus me frappent beaucoup moins que les obstacles qui demeurent »6, « je

1 408.01 : mémorandum confidentiel de Marcel Destombes, service des relations extérieures, au directeur

général, 29 août 1951, 4 p., « Projet de rapport aux Nations Unies sur l’emploi des langues indigènes dans l’éducation » ; memorandum confidentiel de Marcel Destombes, service des relations extérieures, au directeur général, 6 septembre 1951, « Visite au Colonial Office, Londres, 30-31 août 1951 », 4 p. ; Memorandum de Marcel Destombes, 29 août 1951, doc. cité : il a rencontré M. Van Hove, directeur de l’éducation et des cultes, au ministère des colonies.

2 408.1 : mémorandum confidentiel de Maheu, ODG, à Blonay et Guiton, 10 septembre 1951, 5 p., « Rapport

intérimaire sur l’emploi des langues vernaculaires dans l’enseignement », p. 4. Pour Maheu, « en aucun cas on ne saurait soumettre à un examen préalable de quelques Etats le texte d’un rapport où l’on prétend exprimer les vues de l’Organisation, surtout sur une question aussi délicate que celle qui fait l’objet du présent rapport et qui se prête si aisément à la controverse politique ».

3

E. Delavenay, op. cit., p. 370.

4 US National Commission for Unesco, Informal report of the US Delegation to the seventh session of the general conference of Unesco, november 12th-december 11th, 1952, 30 p., p. 5.

5 PER/ST/8, 20 mai 1949, discours cité, p. 2-3 : « la tâche de l’Unesco est immense et ne peut être menée à bien

en l’espace de quelques années ; ceux qui y travaillent actuellement ne sont que des précurseurs qui préparent l’Unesco de l’avenir » ; DG/166, 26 janvier 1952, discours cité, p. 3-4 : « les progrès sont lents - il serait vain de le dissimuler ».

6 DG/35, discours cité, p. 1. Il souligne les « grandes difficultés que l’Unesco a rencontrées sur sa route » depuis

suis bien loin d’être satisfait de notre œuvre »1. « Pouvons-nous nous déclarer satisfaits ? […] Les réponses, on le sait, sont fort pessimistes »2. Ce pessimisme se fonde sur le constat lucide d’une disproportion entre les ambitions de l’Unesco et ses moyens réels. « Notre programme est immense et les ressources dont nous disposons pour le mettre en œuvre sont bien limitées ! » Il observe que, « du fait de l’insuffisance des moyens », l’action de l’Unesco est « si restreinte qu’elle risque de paraître purement symbolique »3. Il estime que l’organisation connaît « une sorte de crise de croissance »4, et évoque le risque « que l’Unesco ne s’ankylose en pleine croissance »5. Il est déçu de la réticence des intellectuels à y participer6. Au fil du temps, l’insatisfaction et le pessimisme ne font que croître chez Torres Bodet. Début 1951, il affirme ressentir « à chaque moment la sensation de ne pas réaliser pleinement ce qu’[il] souhaite. Au terme de chaque effort, [il se] retrouve face à [lui-] même, seul »7. Il se sent désabusé face à à la « lenteur » des activités, qui, de plus, lui « apparaissent destinées à la déroute »8. Ce sentiment intense de désillusion est à la mesure des espoirs illimités qu’il avait placés dans l’Unesco9.

Peu à peu, Torres Bodet communique ses doutes et sa désillusion croissante au personnel et aux délégués10, même à ceux qui étaient initialement parmi les plus ardents soutiens de l’Unesco, comme Berredo Carneiro11. Ainsi, en février 1949, Gabriel Marcel, délégué français à la conférence générale de Beyrouth, affirme dans un article de presse : « je dois avouer qu’elle m’a surtout apporté des déceptions »12. Selon Antonina Vallentin, la mission de l’Unesco apparaîtrait peu à peu aux délégués comme « quelque chose d’irréel » et d’irréalisable, consistant en de vains efforts pour « réconcilier l’irréconciliable » ; assistant à la conférence générale de 1949, elle souligne l’atmosphère de désillusion qui s’en dégage, évoquant « cet air triste et distingué des prophètes voués à l’échec » qui caractériserait les délégués13. En 1950, M. Montagnier, le chef du bureau des conférences, écrit à Ascher que, malgré la « crise très grave » que connait l’Unesco, « néanmoins je continue à espérer que lorsque la situation itnernationale se sera clarifiée, l’Unesco aura un très grand rôle à jouer. C’est cet espoir qui me retient dans l’organisation, alors que j’aurais beaucoup de choses intéressantes à faire au service de mon pays »14.

De même, le personnel de l’Unesco ressent du découragement ; ainsi, en 1949 A. Métraux écrit à un ami : « Cette année est sans doute la dernière que je passe à l’Unesco car

1 DG/9/49, 11 avril 1949, discours cité, p. 2. 2 Ibid.

3 DG/35, discours cité, p. 3. 4

DG/6/49, 21 février 1949, p. 3-4 ; PER/ST/8, 20 mai 1949, p. 2-3 ; « période critique de sa croissance ».

5 DG/9/49, 11 avril 1949, p. 6.

6 Ascher, box 146 : lt. de Sharp à Ascher, 12 juin 1950 : Torres Bodet est déçu et ennuyé de l’hésitation d’Alva

Myrdal à décider si elle prend le poste de chef du département des sciences sociales ou non.

7

J. Torres Bodet, Memorias III, op. cit., p. 159 : « tuve, a cada momento, la sensation de no estar realizando plenamente cuanto deseaba. Al final de cualquier esfuerzo, me encontraba a mi mismo, solo ».

8 Ibid., p. 251 : « empresas que aparecian destinadas a la derrota » ; « lentitud ».

9 M. Prévost, op. cit., p. 30. « J’ai depuis souvent pensé que son unique tort avait été de rêver trop tôt l’Unesco

telle qu’elle devait être » ; DG/74/5, 20 mai 1974, p. 5 et 7 : Maheu a reproché à Torres Bodet la grande amertume que celui-ci a exprimé dans ses Mémoires au sujet de l’Unesco ; mais il comprend que « l’Unesco l’avait d’autant plus déçu qu’il l’avait ardemment, et je dirais farouchement, aimée. Il était évident qu’il en éprouvait une grande amertume ». « Peut-être est-ce notre civilisation qui l’a tué ». Et J. Huxley, Memories II,

op. cit., p. 67.

10 M.H. Holcroft, op. cit., p. 60-61 : « misgivings ».

11 FR, NUOI carton 334 : note confidentielle du ministère des affaires étrangères, 27 mars 1953 ; il affirme qu’en

1952, le département d’état américain a reproché à Carneiro « d’avoir montré un manque de foi profonde dans le destin de l’Unesco ».

12 RP/6/49, 2 mars 1949 : Opéra (Paris, 16 fév. 1949) contient un article de Gabriel Marcel, délégué français à la

conférence générale de Beyrouth ; il souligne les « dangers […] évidents » qui menacent l’Unesco.

13 Antonina Vallentin, « Paix. état de conscience », art. cit., p. 3-4. 14

j’ignore si je suis d’humeur à vivre ainsi dans l’irréalité d’un univers dont rapports et conférences font la seule substance »1. La démission de Laves en janvier 1950 participe de

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 100-106)