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Un enthousiasme moins vif qu’auparavant.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 121-123)

Première partie Problèmes structurels.

1. Des conceptions changeantes au fil des dirigeants.

1.4. Evans (1953-58) et Veronese (1958-61) : une période de transition ?

1.4.3. Un enthousiasme moins vif qu’auparavant.

Ces années sont celles d’une certaine désillusion au sujet des conceptions de l’Unesco5. La persistance des tensions internationales contribue à remettre en cause le présupposé selon lequel la guerre serait la conséquence de l’ignorance et de la méconnaissance entre peuples et individus, tandis que leur connaisance mutuelle entraînerait l’harmonie6, et l’idée selon laquelle les communications favoriseraient la constitution d’une communauté de pensée mondiale7. Le caractère flou et hétéroclite des conceptions de l’Unesco apparaît de plus en plus clairement. Cette désillusion se fonde aussi sur la prise de conscience de plus en plus nette que l’Unesco ne pourra pas obtenir de véritables résultats à court terme. Comme l’exprime Jacques Havet, « puisque c’est sur l’esprit des hommes que les entreprises de l’Unesco doivent pour la plupart exercer leurs effets, le progrès ne peut se mesurer qu’à la longue ; les hommes ne peuvent pas changer d’attitudes et d’idées du jour au lendemain »8.

1 CUA/55, 29 octobre 1953, 4 p., p. 1.

2 OHRO, interview de Luther Evans, p. 475-476.

3 Ascher, box 145 : New York Times, 6 déc. 1958 : « Italian Inducted as Unesco’s Chief ». 4

Journal Métraux, 30 sept. 1954.

5 E. Delavenay, « Mes souvenirs de Jean Thomas », article cité. L’Unesco est dans les années 1950 « une Maison

où beaucoup aspirent à régner sur des idées mais ne parviennent guère à concrétiser des aspirations, ou même des velléités ».

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Reinhold Niebuhr, « The Theory and Practice of Unesco », in International Organization, vol. IV, 1950, p. 3- 11, p. 6. Il rappelle que quelques-uns des plus terribles conflits de l’histoire se sont déroulés entre peuples voisins qui se connaissaient bien.

7 W. Laves et Ch. Thomson, op. cit., p. 276 et suiv. 8

Les représentants des États membres émettent ainsi de plus en plus de protestations et de critiques. Ainsi, Henri Laugier, membre français du conseil exécutif de 1952 à 1957, se singularise par sa liberté de parole et les critiques qu’il n’hésite pas à formuler contre l’orientation conformiste donnée à l’Unesco par Evans. En 1957, il quitte l’Unesco « déçu, voire découragé », estimant qu’elle est devenue un simple « organisme central de distribution de services » et qu’elle a renoncé à ses ambitions initiales1. De même, Carneiro, délégué du Brésil à la conférence générale, déplore « les forces d’inertie qui paralysent l’action », et qui font que l’Unesco « n’a pas atteint le seuil de son efficacité ». Il regrette qu’elle n’ait pas davantage réussi à inspirer confiance à ses États membres par la formulation de conceptions claires et convaincantes, et qu’ainsi elle se « condamne à un jeu permanent d’illusionnisme »2. La délégation américaine se livre à des critiques semblables3.

Le déclin de l’enthousiasme pourrait aussi en partie s’expliquer par l’augmentation numérique du personnel, qui selon Mme Koffler a « mis fin à l’atmosphère de proximité, d’intimité, d’exaltation, des premières années » ; la « perte du contact personnel direct » entre les divers membres du personnel aurait entraîné une diminution de la bouillonnante réflexion théorique qui avait marqué les débuts, et une certaine perte de dynamisme intellectuel4.

Cependant, ce déclin de l’enthousiasme n’est pas continu. L’inauguration en 1957 du nouveau bâtiment du Siège place de Fontenoy, bâtiment aux proportions grandioses et à l’architecture novatrice, marque une sorte de seconde naissance pour l’Organisation, inspirant de la « fierté » au personnel5. Et l’arrivée de Veronese à la tête de l’Unesco en 1958 semble insuffler un nouvel entrain, une nouvelle énergie, aux membres du Secrétariat. Dans ses discours, Veronese, évoque « le sang toujours plus jeune appelé à circuler dans les veines de l’être vivant que nous voulons constituer ensemble ». Usant d’une rhétorique manichéenne et reprenant le thème de la « foi », il souligne le « mérite », la « constance », l’« intelligence », le « cœur », la « foi » de l’Unesco, dans sa lutte contre « la peur, l’égoïsme et la haine »6. Il estime que l’Unesco a désormais dépassé le stade des « incertitudes », et atteint enfin « le stade de sa maturité »7. La fin des années 1950 voit aussi entrer au Secrétariat plusieurs nouveaux fonctionnaires idéalistes, liées à plusieurs réseaux : celui des communautés d’enfants8, celui des groupes fédéralistes9, celui des Suisses et des Belges10, celui de

1 Chantal Morelle et Pierre Jacob, Henri Laugier. Un esprit sans frontières, Bruylant, LGDJ, 1997, 412 p., p.

309 et 312. Il se dit clairement « en désaccord sur la politique qui oriente l’Unesco », dans sa communication à la réunion des commissions nationales européennes de l’Unesco, en 1956, p. 282, 310.

2 P. de Berrêdo Carneiro, Vers un nouvel humanisme, Paris, Seghers, 1970, 335 p., p. 239-241.

3 Alfred de Grazia, « The World Intelligentsia and Unesco », in American Behavioral Scientist, 4 janvier 1961,

p. 3. Cité par J. Sewell, op. cit., p. 205, et par G. Archibald, op. cit., p. 277.

4 Interview P. Koffler.

5 DG/58, discours de L. Evans, « L’Unesco et les forces de l’avenir », 11 octobre 1958, p. 1 ; Lien-Link n°83 :

« Exercice d’admiration filiale. Le dialogue posthume de deux écrivains combattants, Jean et Michel Prévost, père et fils », par E.R. (ancien fonctionnaire n’ayant donné que ses initiales) : « les interminables couloirs de l’Y futuriste de la place Fontenoy ». Cf. aussi Emmanuel Devouge-Lamielle : Ville et culture : analyse du discours

suscité par la création du siège de l’Unesco à Paris, Paris, thèse, 1975.

6 DG/212, Paris, 5 déc. 1958 : discours de Veronese lors de son installation, p. 5. 7

EU, box 4247 : Vittorino Veronese, « L’Unesco face aux problèmes d’aujourd’hui », Rome, 8 mai 1961.

8 Jean-Baptiste de Weck, article cité. Il mentionne comme influence déterminante pour son entrée à l’Unesco en

1950 sa participation dès 1946 comme ouvrier au village Pestalozzi pour les enfants orphelins de guerre, à Trogen, en Suisse.

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J.-B. de Weck, article cité. Il mentionne son engagement dans l’Union fédéraliste interuniversitaire (UFI).

l’association « Peuple et culture »1, et celui des intellectuels ayant fui les pays communistes2. Ces trois éléments, à savoir l’inauguration du nouveau bâtiment du siège en 1957, l’arrivée de Veronese en 1958, et l’entrée de nouveaux fonctionnaires idéalistes, contribuent ainsi à un regain d’enthousiasme. Celui-ci se révèle pourtant passager. En effet, Veronese ne se montre pas à la hauteur des ambitions qui avaient été placées en lui. Sa dépression puis sa démission mettent fin à ce bref regain d’optimisme.

Au terme de ces années conceptuellement assez vides (1953-1961), l’Unesco s’engage au contraire à partir de sa prise en main par René Maheu en 1961 dans un important renouvellement conceptuel, qui entraîne l’avènement d’une période de rayonnement intense.

1.5. Le « règne » de Maheu (1961-1974) : l’âge d’or ?

De tous les dirigeants de l’Unesco, René Maheu apparaît incontestablement comme la plus forte personnalité. La période durant laquelle il dirige l’Unesco se révèle très féconde en nouveaux développements conceptuels. Il donne à l’organisation un nouveau souffle à la fois sur le plan des idées et sur celui de l’action.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 121-123)