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L'UNESCO de 1945 à 1974

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Submitted on 28 Jul 2013

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L’UNESCO de 1945 à 1974

Chloé Maurel

To cite this version:

Chloé Maurel. L’UNESCO de 1945 à 1974. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2006. Français. �tel-00848712�

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Chloé Maurel

L’Unesco de 1945 à 1974

Thèse de doctorat d’histoire contemporaine

préparée sous la direction de M. Pascal Ory

Volume 1

Ecole doctorale d’histoire de Paris I

Juin 2005

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Remerciements

M. Pascal Ory

Archives de l’Unesco : M. Jens Boel, M. Mahmoud Gandher, M. Steve Nyong, M. Jean-François Pire, M. Michaël Ratliffe

Archives de l’ONU

Mission historique française en Allemagne Ecole française de Rome

Archives diplomatiques françaises Archives diplomatiques allemandes Archives diplomatiques italiennes Archives diplomatiques britanniques Archives diplomatiques américaines

Bibliothèque Widener de l’université de Harvard Bibliothèque Butler de l’université de Columbia

Oral History Research Office de l’université de Columbia

Bibliothèque nationale de France

M. Deliance, Centre catholique international de coopération avec l’Unesco (CCIC) Centre Unesco de Rome

Association des anciens élèves de l’ENS Bibliothèque Jacques Doucet

Ecole doctorale d’histoire de Paris I : Mme Claude Gauvard, Mme Christine Ducourtieux. M. Gilles Pécout

Mlle Christel Freu Mlle Pauline Peretz Mlle Audrey Kichelewski M. Alessandro Giacone M. Frédéric Gugelot M. Alain Maurel M. André-Marcel d’Ans M. Claude Auroi M. Victor Stockowski M. Pierre-Yves Saunier Mme Pauline Koffler M. Claude Lévi-Strauss M. Yves Bonnefoy M. Jean Larnaud M. Sorin Dumitrescu M. Claude Lévi-Strauss. M. Michel Batisse. Mme Anne Grinda. M. Sorin Dumitrescu. Mme Morazé. M. Jean d’Ormesson. M. Gérard Bolla. M. Jack Fobes. M. Henry Cassirer. Mme Marie-Jeanne Suinot. M. Marc Guesdon. M. Robert Féry. M. José Blat Gimeno. M. André Lestage. M. Deliance. M. Georges Balandier. M. Acher Deleon. M. Jean Jamin M. Michel Cantal-Dupart Mme Pauline B. Koffler. M. Yves Bonnefoy.

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M. Jean-Claude Pauvert. M. Philippe Roux. M. Jean Larnaud. M. Jacques Tocatlian. M. Harold Foecke. M. Raymond Poignant. M. Rex Keating. Mme Elise Keating.

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Introduction.

Première partie. Problèmes structurels.

Chap. 1. Des conceptions changeantes au fil des dirigeants. 1.1. La gestation des conceptions.

1.2. Huxley (1946-48) : un foisonnement de conceptions diverses. 1.3. Torres Bodet (1949-1952) : idéalisme et déception.

1.4. Evans (1953-58) et Veronese (1958-61) : une période de transition ? 1.5. Le « règne » de Maheu (1961-1974) : l’âge d’or ?

Chap. 2. L’omniprésence des tensions politiques. 2.1. 1945-53 : l’apparition précoce de conflits. 2.2. 1953-59 : l’Unesco ébranlée par la guerre froide. 2.3. 1960-1974 : l’affirmation du Tiers Monde.

Chap. 3. Problèmes de fonctionnement. 3.1. Une organisation aux compétences limitées. 3.2. Un mécanisme administratif complexe. 3.3. Un personnel moralement éprouvé.

Chap. 4. Une image insuffisante ? 4.1. D’importants efforts de promotion. 4.2. Des résultats inégaux.

Seconde partie. Réalisations. Chap. 5. Une typologie des actions ? 5.1. Thèmes.

5.2. Modalités.

Chap. 6. Des valeurs pacifiques communes. 6.1. Promotion de la paix et de ses corollaires.

6.2. Encouragement au respect entre les différents groupes humains. 6.3. Des efforts pour éliminer les facteurs de conflits.

Chap. 7. Entre universalisme et préservation des particularités culturelles. 7.1. Un effort de rapprochement des courants de pensée.

7.2. Une culture commune ?

7.3. Un patrimoine culturel mondial ?

7.4. Un certain essoufflement de l’idéal universaliste. 7.5. La promotion des particularités culturelles.

Chap. 8. De l’action intellectuelle à l’action matérielle. 8.1. Evolution vers des préoccupations matérielles.

8.2. Conceptualisations et expérimentations dans le domaine éducatif. 8.3. L’information et les communications au service du développement. 8.4. La science et la technologie appliquées au développement.

8.5. L’environnement.

Chap. 9. Une évaluation ?

9.1. Des efforts d’évaluation faits par l’Unesco.

9.2. Une organisation administrative des actions souvent déficiente. 9.3. Une collaboration difficile avec les États membres.

9.4. Des actions novatrices ?

9.5. Des ambitions adaptées aux moyens ?

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Liste des abréviations utilisées dans les notes de bas de page

Les références étant très abondantes, un système d’abréviations a été utilisé, afin de ne pas alourdir des notes de bas de page déjà très abondantes.

Biogr. : dossier biographique aux archives de l’Unesco. RU : archives diplomatiques britanniques.

EU : archives diplomatiques américaines. FR : archives diplomatiques françaises. IT : archives diplomatiques italiennes. RFA : archives diplomatiques de RFA. résol. : résolution

RP : revue de presse hebdomadaire de l’Unesco (en anglais)

12 C/PRG/8 : 8e document de la commission du programme de la conférence générale. CUA/21… : 21e document officiel de la catégorie CUA (activités culturelles)

72EX : 72e session du conseil exécutif.

DG/211 : discours du directeur général n° 211.

DG/71/9 : 9e discours du directeur général pour l’année 1971.

SCHM 8 : carton n° 8 du fonds SCHM, c’est-à-dire du fonds de la commission pour la rédaction de l’histoire de l’humanité.

Veronese : archives privées de Vittorino Veronese (institut Luigi Sturzo, Rome) Ascher : archives privées de Charles Ascher (université de Columbia)

Benton : archives privées de William Benton (université de Chicago)

OHRO : Oral History Research Office, université de Columbia. Interviews réalisées dans le cadre du Columbia Oral History Project.

X 07.83 Maheu, V : désigne le 5e dossier de correspondance portant la cote X 07.83 Maheu. CL/2337 : lettre circulaire n°2337.

93 EX/PRIV.SR.1 : première séance privée de la 93e session du conseil exécutif. DG : directeur général.

ADG ; assistant directeur général.

DDG : deputy director general, c’est-à-dire directeur général adjoint. JT : journal télévisé.

Congrès : rapports du Congrès américain (Congressional Records, Washington DC) lt. : lettre.

confid. : confidentiel. télégr. : télégramme. mémo : mémorandum. réf. : référence.

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Explications et précisions sur les notes de bas de page

C’est seulement dans certains cas qu’est mentionnée la fonction des auteurs et des destinataires des correspondances étudiées, seulement lorsque cela apparaît utile.

Dans une note de bas de page, souvent plusieurs références sont citées à la suite ; lorsque pour certaines d’entre elles, le fonds n’est pas mentionné, cela signifie qu’elle provient du fonds et de la boîte mentionnés précédemment. Lorsque tel document provient du même fonds mais pas de la même boîte, seule la référence de la boîte est mentionnée.

Aux archives de l’ONU, la cotation des archives a changé entre les deux séjours de recherche effectués : pour conserver une cohérence, c’est l’ancien système qui a été conservé.

Souvent, pour un document officiel de l’Unesco, il est précisé qu’il a été trouvé dans un autre fonds ; en effet, les documents officiels de l’Unesco ne sont pas toujours faciles à trouver aux archives de l’Unesco, donc il semble plus rigoureux de préciser où a été trouvé tel document. Lorsque le texte rapporte les propos de telle personne, et qu’en note de bas de page la référence citée est un document écrit par quelqu’un d’autre, cela signifie que dans ce document, l’auteur cite les propos de la personne dont il est question dans le texte.

Il arrive qu’un document cité, qui traite de tel sujet, soit indiqué provenir de tel dossier de correspondance n’ayant théoriquement rien à voir avec ce sujet. Cela s’explique par le fait que les correspondances de l’Unesco sont souvent conservées dans des dossiers qui ne correspondent pas à leur sujet.

Lorsqu’une personne a déjà été présentée avec son prénom et nom, elle est ensuite souvent désignée seulement par son nom dans les notes (comme dans le texte). Pour le cas des frères Guy et Alfred Métraux, lorsqu’il est mentionné seulement Métraux, cela désigne Alfred Métraux.

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Liste des sigles

AAFU : association des anciens fonctionnaires de l’Unesco. ADG : Assistant director general.

AID : agency for international development.

ALECSO : Arab educational, cultural and scientific organization.

ASFEC : Arab States Fundamental Education Centre (centre d’éducation de base pour les États arabes).

BIRD : banque internationale pour la reconstruction et le développement. BREDA : bureau régional d’éducation pour l’Afrique.

CAC : comité administratif de coordination.

CAME : conférence des ministres alliés de l’éducation.

CCIC : centre catholique international de collaboration avec l’Unesco. CIM : conseil international des musées.

CIPSH : conseil international de la philosophie et des sciences humaines. CIUS : conseil international des unions scientifiques.

CREFAL : Centro regional de educacion fundamental para América latina (centre régional d’éducation de base pour l’Amérique latine).

DDG : Deputy director general.

ECOSOC : conseil économique et social des Nations Unies. FAO : organisation de l’alimentation et de l’agriculture. FFCU : fédération française des clubs Unesco.

FICE : fédération internationale des communautés d’enfants. FMI : fonds monétaire international.

HCR : haut commissariat aux réfugiés. HMG : Her Majesty’s Government.

ICCROM : International center for conservation and restoration of sites. ICOM : International council of museums.

ICOMOS : International council for conservation of monuments and sites. IICI : institut international de coopération intellectuelle.

IIHA : International Institute of Hylean Amazonia (institut international de l’hylée amazonienne).

IIPE : institut international de la planification de l’éducation. IIT : institut international du théâtre.

INA : institut national de l’audiovisuel.

IQSY : International Quiet Sun Years (années internationales du soleil calme). ISCS : service international de coopération scientifique.

JOC : jeunesse ouvrière chrétienne.

LEPOR : Long-term and expanded program of oceanic exploration and research. MAB : Man and Biosphere (programme « L’homme et la biosphère »).

MJC : maison des jeunes et de la culture. NEA : National Education Association.

OCI : organisation de coopération intellectuelle.

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OIC : organisation internationale catholique. OIG : organisation inter-gouvernementale. OIT : organisation internationale du travail. OMS : organisation mondiale de la santé.

OTAN : organisation du traité de l’Atlantique Nord. OUA : organisation de l’unité africaine.

PEMA : Projet expérimental mondial d’alphabétisation. PGI : programme géologique international.

PICG : programme international de corrélation géologique. PNUD : programme des Nations Unies pour le développement. PNUE : programme des Nations Unies pour l’environnement.

SCHM : Scientific and Cultural History of Mankind (histoire scientifique et culturelle de l’humanité).

SDN : société des nations.

TICER : Temporary International Council for Educational Reconstruction. UICN : union internationale pour la conservation de la nature.

UIT : union internationale des télécommunications.

UNICEF : United Nations International Children Education Fund. UNITAR : United Nations Institute for Training and Research. UNRISD: United Nations Research Institute for Social Development. UNRRA : United Nations Rehabilitation and Relief Agency.

UNRWA : United Nations Rehabilitation and Works Administration. UNTAB : United Nations Technical Assistance Board.

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Introduction

Ce travail porte sur les trente premières années (1945-74) de l’Unesco. Qu’est-ce que l’Unesco ? Pourquoi étudier l’Unesco dans son ensemble, et pourquoi ses trente premières années ? Quel est l’état des recherches sur la question ? Quelles sont les sources, et quelles difficultés présentent-elles ? Enfin, quels sont les problématiques et enjeux de cette recherche ? Telles sont les questions auxquelles cette introduction s’efforce de répondre. I. Qu’est-ce que l’Unesco ?

L’Unesco est une organisation intergouvernementale appartenant au système des Nations Unies. Il s’agit donc de présenter successivement les organisations intergouvernementales, le système de l’ONU, et l’Unesco.

Les organisations intergouvernementales.

Les théoriciens en donnent une définition précise. D’après Michel Virally, « une organisation internationale intergouvernementale est une association d’États souverains, établie par accord entre ses membres et dotée d’un appareil permanent d’organes, chargés de poursuivre la réalisation d’objectifs d’intérêt commun par une coopération entre eux »1. Daniel Colard précise que, « bien que composée d’États, elle a une existence indépendante de ceux-ci parce qu’elle possède une personnalité juridique qui lui confère une existence objective, une volonté autonome par rapport à ses membres »2. Les organisations intergouvernementales (OIG) se caractérisent par leur « base volontariste » : seuls en font partie les États qui ont exprimé la volonté d’y adhérer3. Diverses classifications d’OIG ont été envisagées par les théoriciens des relations internationales. Le classement peut s’opérer à partir d’un critère idéologique (OTAN/Pacte de Varsovie), d’un critère extensif (organisation à vocation universelle ou organisation à vocation régionale4), d’un critère de compétences (organisation à compétence générale ou organisation spécialisée), d’un critère d’effectivité des décisions (à valeur déclarative ou à valeur décisoire), d’un critère portant sur l’étendue de leurs fonctions (organisations politiques ou organisations techniques) ou enfin d’un critère portant sur leurs pouvoirs5. C’est surtout depuis 1945, sous l’effet de la considérable intensification des relations de coopération internationale, que les OIG ont connu une expansion remarquable, tant au niveau mondial que régional. Elles se multiplient rapidement et investissent progressivement tous les domaines de l’activité humaine6. Entre 1945 et 1975,

1 Cité dans B. Colas, « Qu’est-ce qu’une organisation internationale ? », in Organisations internationales à vocation universelle, Paris, La Documentation française, 1993, p. 11-14.

2

Daniel Colard, Les relations internationales de 1945 à nos jours, Paris, A Colin, 1995, p. 82.

3 Antoine Gazano, L’essentiel des relations internationales, Paris, Gualino, 2000, p. 46-47.

4 Exemples de ces organisations régionales, dont la création répond souvent à des motifs géopolitiques : le

Conseil de l’Europe (1949) ; l’Organisation des Etats américains (OEA, 1948) qui vise à favoriser le développement culturel des Etats américains et à adopter des « normes culturelles » ; le Conseil de coopération technique en Asie du Sud et du Sud-Est, plus connu sous le nom de Plan de Colombo ; la Ligue arabe ; l’OCDE ; l’Organisation de l’unité africaine (OUA, 1963).

5 Daniel Colard, op. cit., p. 86. 6

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la guerre froide et l’affirmation des pays du Tiers Monde issus de la décolonisation exercent des effets importants sur la constitution et les orientations des OIG. Dans le cadre de la guerre froide, chacune des deux grandes puissances crée des organisations concurrentes visant à rassembler les États de son camp (OTAN/Pacte de Varsovie) ; la création des organisations intergouvernementales contribue donc à la consolidation des blocs. D’autre part, dans le cadre de la décolonisation, les nouveaux États ayant accédé à l’indépendance s’efforcent d’intégrer les organisations existantes et, en outre, en créent de nouvelles qui leur sont propres, telle l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) en 1963. Une question essentielle se pose à propos des OIG : ont-elles vraiment joué un rôle important depuis 1945 ? Il semble que l’État souverain reste l’acteur principal des relations internationales, et que les OIG ne soient pas vraiment capables de s’imposer face aux États1. Cette question du rôle des OIG s’appliquera notamment à l’Unesco.

Le système des Nations Unies (ONU).

L’ONU est née directement de la Seconde Guerre Mondiale : dès le 1er janvier 1942, les nations unies dans le combat contre l’Axe s’engagent à élaborer un système de sécurité collective pour le temps de paix. La Charte de l’ONU (ou charte de San Francisco) est signée le 26 juin 1945. L’ONU manifeste nettement sa volonté de rompre avec la passivité et le caractère européen de la Société des Nations (SDN) : elle se veut « une SDN améliorée et efficace »2, comme l’écrit Jean-Baptiste Duroselle. Ses objectifs, énumérés dans l’article 1 de sa charte, sont le maintien de la paix et de la sécurité internationales, la promotion des relations amicales entre les États et le développement de la coopération internationale en vue de résoudre les problèmes économiques, sociaux et culturels auxquels est confrontée la communauté internationale. Cette formulation très générale dessine les contours d’une mission extrêmement ample3. Initialement, l’ONU, qui ne comprend que 50 membres, est une organisation relativement fermée. Jusqu’au milieu des années 1950, elle est dominée par les États-Unis, la quasi-totalité des membres étant leurs protégés ou leurs alliés. La seule opposition vient alors de l’URSS. En 1955 sont admis en bloc 16 nouveaux membres, appartenant essentiellement au bloc socialiste. À partir de 1960 se produit le « tournant tiers-mondiste », avec l’entrée de 17 États, essentiellement africains, et l’Assemblée générale de l’ONU devient alors la caisse de résonance des revendications des pays du Tiers Monde. La « fièvre tiers-mondiste » atteint son apogée dans les années 1970, puis se dissout dans les années 1980, avec l’éclatement de l’unité du Tiers Monde4. Comme la SDN, l’ONU n’a pas toujours répondu aux espoirs qui avaient été placés en elle. Une certaine personnalisation du pouvoir aux mains du secrétaire général, la domination des nations puissantes sur les décisions prises, et souvent une incapacité à accomplir efficacement la mission de paix qui lui était assignée ont semblé provoquer une déception générale. Duroselle dresse le constat de « l’échec global de l’ONU comme garant de la paix »5. Plusieurs auteurs anglo-saxons plus récents confirment ce constat et approfondissent son analyse6.

1 Daniel Colard, op. cit., p. 88 ; Marcel Merle, cité dans Daniel Colard, op. cit., p. 88.

2 Jean-Baptiste Duroselle, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours (1917-1994), Paris, Dalloz, 1994,p. 417. 3 Collectif, Organisations internationales à vocation universelle, op. cit., p. 14-16.

4

Philippe Moreau-Defarges, Les organisations internationales contemporaines, Paris, Seuil, 1996, p. 10-18.

5 Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 417. 6

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L’ONU est le coeur d’un système complexe : il comprend des organes intergouvernementaux (l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité), des organes intégrés (le secrétaire général, la Cour Internationale de Justice), 13 institutions spécialisées, et des organes subsidiaires (HCR, PNUD, UNICEF). Les institutions spécialisées sont des organisations internationales répondant aux trois critères énumérés par l’article 57 de la Charte de San Francisco : création par voie d’accords intergouvernementaux, attribution de compétences dans des domaines spécifiques, et rattachement à l’ONU par des accords spéciaux. Elles dépendent du Conseil économique et social de l’ONU (Ecosoc), qui est chargé de la coopération dans tous les domaines concernant le niveau de vie matériel et culturel des hommes. Elles sont dotées d’une autonomie budgétaire et d’une indépendance de fait vis-à-vis de l’ONU, puisqu’elles ont leurs propres organes directeurs. La composition de leurs membres n’est pas calquée sur leur appartenance à l’ONU. Pour les institutions financières (FMI, BIRD), elle est plus limitée qu’à l’ONU, tandis que pour les organisations techniques, elle est généralement plus large1 (par exemple la Suisse est membre de l’Unesco mais n’a qu’un statut d’observateur à l’ONU). Les chefs de leurs secrétariats n’ont aucun lien de subordination vis-à-vis du secrétaire général de l’ONU. Elles ont une autonomie de programmation, ce qui peut aussi entraîner parfois des double-emplois et des chevauchements d’activités au sein de l’ONU. Souvent mal coordonnées entre elles et mal reliées aux Nations Unies, ces institutions ont en fait, selon Antoine Gazano, un rôle inégal et souvent dispersé2.

L’Unesco.

Contrairement à l’OCI, son ancêtre, qui était très dépendante de la SDN, l’Unesco est en théorie complètement autonome par rapport à l’ONU. Ses organes directeurs sont au nombre de quatre :

- la conférence générale, organe plénier regroupant tous les États membres. Elle tient une session ordinaire tous les deux ans pour arrêter la politique générale et voter le programme et le budget, adopte le plan à moyen terme tous les six ans, élit les membres du conseil exécutif et le directeur général. Pour tous les votes, chaque membre dispose d’une voix en application du principe d’égale souveraineté.

- le conseil exécutif, composé de membres élus pour quatre ans par la conférence générale parmi les délégués des États membres sur la base d’une répartition géographique et culturelle équitable. Il se réunit tous les six mois pour examiner certains documents fondamentaux (résolutions, programme et budget biennal) et pour assurer le suivi des activités de l’organisation. Dans l’intervalle des sessions de la conférence générale, il est l’organe souverain.

- le secrétariat, qui prépare et exécute le programme et le budget.

- le directeur général, élu pour six ans par la conférence générale sur présentation du conseil exécutif.

Pour mettre en oeuvre ses objectifs, l’Unesco coopère avec de nombreux partenaires : - les autres organisations intergouvernementales du système onusien.

1 Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 423-424, 468. 2

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- les nombreuses ONG à vocation culturelle, nées pour la plupart à l’initiative de l’Unesco et bénéficiant du statut consultatif prévu par l’article XI de l’acte constitutif [annexe 1].

- les délégations permanentes des États membres, qui sont des missions diplomatiques accréditées par les États membres auprès de l’organisation.

- les commissions nationales, prévues par l’article 17 de l’acte constitutif. L’Unesco leur reconnaît un rôle consultatif. Leur création « repose sur l’idée qu’une organisation culturelle internationale n’est viable et efficace que si elle s’appuie sur des organismes nationaux actifs, servant de traits d’union entre les gouvernements et les milieux intellectuels et scientifiques»1.

Ce dense réseau de partenaires variés est censé « contribue[r] à réduire le handicap que représente pour une organisation à vocation culturelle la nature politique de sa composition»2.

La mission de l’Unesco, contribuer à la paix au moyen de l’éducation, de la science et de la culture3, n’a pas l’aspect immédiatement concret et tangible qui caractérise celle de la plupart des autres institutions du système des Nations Unies, comme l’OMS et la FAO4. Par le vague de sa mission, elle est, comme l’observe Seth Spaulding, « une des organisations internationales les plus sujettes à malentendus […] et à controverses »5. Jean-Pierre Warnier souligne les difficultés de cette mission : l’Unesco est, observe-t-il, « un projet hybride, passablement idéaliste, qui pren[d] la culture et l’éducation non comme une fin, mais comme un moyen au service d’une paix dont chaque partie prenante se fai[t] une idée différente »6. Toutes ses actions devraient en théorie viser à la paix, et l’éducation, la science, la culture ne devraient en être que les moyens, les modalités. Cependant, en réalité, elle a développé de nombreuses activités dans le domaine de l’éducation, de la science et de la culture pour elles-mêmes, sans lien direct avec la recherche de la paix.

Il faut évoquer un problème qui se pose sans doute dans l’étude de toutes les grandes administrations : l’emploi, dans le cadre d’un tel travail, du terme « Unesco » apparaît ambigu et souvent insatisfaisant. En effet, l’Unesco, ce terme singulier, est inapte à désigner la multiplicité des acteurs qui la composent. L’Unesco est une somme de personnes qui ont des idées souvent divergentes. Lorsque l’on écrit « l’Unesco décide… », « l’Unesco fait… », cela peut désigner les délégués à la conférence générale, ou bien le directeur général, ou encore le conseil exécutif, ou enfin tel ou tel fonctionnaire du siège ou agent sur le terrain. Il y a là une ambiguïté, car il n’est pas rare que ces différents protagonistes n’aient pas les mêmes idées. Ainsi, l’emploi du terme « Unesco », bien que très fréquent dans ce travail, risque d’être peu rigoureux. C’est pourquoi on s’efforcera le plus possible de préciser chaque fois de qui il s’agit exactement.

1 Louis Dollot, Les relations culturelles internationales, Paris, PUF, Que sais-je, 1964, p. 110-111. 2 Collectif, Organisations internationales à vocation universelle, op. cit., p. 42-43.

3 Acte constitutif de l’Unesco [annexe 1]. 4

Michel Conil-Lacoste, Chronique d’un grand dessein, Unesco 1946-1993, Paris, Unesco, 1993, p. 16.

5 Seth Spaulding et Lin Lin, Historical Dictionary of the UNESCO, The Scarecrow Press, Inc., Lanham, Md.,

and London, 1997, 500 p. : « Unesco is one of the most misunderstood international organizations ». « controversies ».

6

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II. Pourquoi étudier l’Unesco dans son ensemble, et pourquoi les trente premières années (1945-74) ?

Pourquoi décider d’étudier l’action de l’ensemble de l’Unesco ? Cela pourrait à première vue paraître excessivement ambitieux ; on pourrait penser que le résultat ne pourrait être qu’un survol superficiel, et qu’il serait plus approprié de choisir un domaine précis. Cependant, ce choix se justifie ; en effet, analyser l’Unesco dans son ensemble n’a jamais été fait. Or, l’analyse de nombreuses actions de l’Unesco dans divers domaines et selon diverses modalités permet de trouver des constantes, des traits récurrents, et de tirer des conclusions générales. Certaines choses s’éclairent à la lumière d’autres, et étudier toute l’action de l’Unesco permet de tirer des conclusions générales, que des études particulières auront à charge d’affiner.

Pourquoi choisir une période de trente ans ? Le choix d’une période si longue, ajouté à celui d’un thème déjà très large, l’Unesco dans son ensemble, se justifie par le fait que cela permet de saisir des tendances et des évolutions sur la longue durée. Pourquoi choisir la période 1945-74 ? 1945 correspond au moment de la création de l’Unesco, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale1. Cette date s’impose. Quant à celle de 1974, trois raisons la justifient : d’une part, elle correspond à une rupture importante à l’intérieur même de l’organisation, puisque c’est la fin du mandat de René Maheu, directeur général très charismatique qui « régnait » depuis 1961 ; il est alors remplacé par le Sénégalais Amadou Mahtar M’Bow et, comme on le verra, l’Unesco change alors d’orientation ; d’ailleurs, en 1974-75, les trois plus importants directeurs généraux de cette période, Julian Huxley, Torres Bodet et Maheu, meurent. Ces trois décès concomitants marquent une rupture, étant donné que les directeurs généraux, après la fin de leur mandat, continuent souvent à s’exprimer au sujet de l’Unesco et à exercer une certaine influence sur elle. D’autre part, à partir de 1974, la crise économique mondiale exerce des répercussions sur l’organisation, entraînant une nette limitation de son budget et donc de l’ampleur de son action, alors qu’au contraire les trente premières années avaient vu leur expansion graduelle et continue. Enfin, la troisième raison est d’ordre pratique : étant donné que le délai officiel pour consulter les archives confidentielles est de trente ans, il apparaît logique de clôturer cette étude à 1974.

Cette période possède une cohérence sur le plan historique ; elle est en outre intéressante par sa diversité interne. En effet, elle est marquée successivement par les séquelles de la guerre et par la reconstruction, puis par les tensions de la guerre froide, et enfin par la décolonisation et par l’émergence des États du Tiers Monde. Son achèvement coïncide avec plusieurs importants changements dans le monde : des changements politiques, avec l’effondrement des dictatures de Grèce, du Portugal, de l’Espagne ; la démission du Président américain Nixon ; l’échec des États-Unis dans la guerre du Vietnam ; le développement croissant de la dissidence soviétique et chinoise; des changements économiques, avec le premier choc pétrolier ; et des changements culturels, liés à une crise des avant-gardes artistiques et culturelles, et au développement croissant de la critique contre le marxisme dans les milieux intellectuels européens. Ces changements ont certainement eu une influence sur

1 1er-16 nov. 1945 : conférence en vue de la création de l’Unesco (ECO/CONF). L’Acte constitutif de l’Unesco

est adopté le 16 novembre 1945 par les représentants de 44 gouvernements. Mais l’organisation ne commence à fonctionner véritablement que le 4 novembre 1946.

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l’Unesco. En outre, au niveau spécifique de l’Unesco, la cohérence interne de cette période de trente ans tient aussi à l’atmosphère d’enthousiasme et d’idéalisme qui a alors caractérisé l’organisation, selon le témoignage des anciens fonctionnaires et collaborateurs de l’Unesco interrogés, et qui semble s’être graduellement estompée par la suite.

III. Quel est l’état des recherches sur la question ?

« Ma première réaction a été de plaindre tous ceux qui essaient d’écrire une histoire systématique ou ‘théorique’ de l’Unesco. Quel dédale d’activités, parallèles ou divergentes, alors qu’elles sont censées toutes converger vers quelques objectifs principaux : on pourrait imaginer une douzaine de façons d’organiser les faits selon certaines lignes directrices, et chacune de ces approches serait défendable. »

Telle est la réaction de Jean Guiton, chef du département de l’éducation de l’Unesco, en 1956, face à la tentative de deux Américains (Walter Laves et Charles Thomson) ayant été associés à l’action de l’Unesco consistant à écrire sa propre histoire1. Les fonctionnaires de l’Unesco sont en effet bien placés pour se rendre compte de la difficulté de la tâche. L’Unesco est une organisation aux thèmes d’action tellement variés, aux modalités d’action tellement diffuses, aux problématiques tellement vastes, qu’il se révèle très difficile d’en écrire l’histoire.

Relativement peu de tentatives en ce sens ont été menées à bien, non seulement à cause de la complexité de l’entreprise, mais aussi parce que, dans de nombreux pays, les recherches historiques sur les institutions internationales ne sont pas très développées, la recherche restant généralement centrée sur les États-nations. Aux États-Unis, la recherche sur les institutions internationales et sur le thème de la paix et des relations culturelles internationales est beaucoup plus développée qu’ailleurs, notamment dans le cadre du « centre de sociologie des organisations », à l’université de Harvard, et des revues International

Organization, Human Organization, The American Political Science Review, International Studies Quarterly, World Politics, Journal of Peace Research, qui sont à la pointe dans le

monde entier sur ces sujets2.

Une évolution semble en train de se produire à cet égard. En effet, les Nations Unies constituent actuellement un thème d’étude en plein essor aux États-Unis, sous l’impulsion notamment de Thomas George Weiss, et dans le cadre du United Nations History Project subventionné par l’ONU. Parallèlement, l’Unesco a lancé en 2004, sur le même modèle, un

Unesco History Project, qui consiste à subventionner diverses études sur sa propre histoire.

Cependant, la question de l’indépendance de telles études subventionnées par l’institution sur laquelle elles portent peut être posée. Par ailleurs, le domaine des relations culturelles internationales est actuellement en grand développement en France.

L’Unesco a été très peu étudiée à partir de sources archivistiques de première main. Ainsi, Elise Keating, archiviste à l’Unesco dans les années 1970 et 1980, témoigne que tout

1

X 07 A 14/31 « Unesco, purpose, progress and prospects » : lt. de Guiton à Berkeley, 21 fev. 1957, p. 1 ; « My first reaction was to pity all those who try - or may be called upon - to write a systematic or « theoretic » history of Unesco. What a maze of activities that are either parallel or diverging, while they are all supposed to converge towards a few governing objectives : one could think of a dozen ways of organizing facts along some guiding lines, and all these approaches would be defendable ». Il s’agit de l’ouvrage de Walter H. Laves et de Charles A. Thompson, Unesco, Purpose, Progress and Prospects, Paris, Unesco, 1957, 469 p.

2 Georges Abi-Sabab, Le concept d’organisation internationale, Paris, Unesco, 1980, 292 p. : article de

Chadwick F. Alger, p. 130-154, « L’organisation internationale vue sous l’angle du fonctionnalisme et de l’intégration », p. 132.

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au long de cette période, très peu de chercheurs sont venus dans les archives et ont demandé à consulter les dossiers de correspondance1. Plusieurs auteurs font le constat d’une réelle lacune en travaux sur l’Unesco2.

En ce qui concerne l’histoire de l’Unesco dans son ensemble, il faut tout d’abord mentionner les ouvrages universitaires d’histoire des relations internationales, qui lui font une place, sans que ce soit leur objet spécifique. Cependant, s’ils présentent les conditions de la création de l’Unesco, son fonctionnement, ses buts, ses actions, ses dysfonctionnements, ses crises, et les enjeux qui l’entourent, cette présentation ne se fonde pas sur des recherches de première main3.

Les recherches universitaires (mémoires de maîtrise, DEA, thèses) portant sur l’Unesco, de même que les articles de revues, concernent la plupart du temps un aspect très précis de son histoire. Il n’y a donc pas d’ouvrage universitaire consacré à l’histoire de l’Unesco dans son ensemble. En revanche, plusieurs panoramas généraux de l’histoire de l’Unesco ont été publiés aux éditions Unesco, comme Chronique d’un grand dessein, Unesco

1946-19934, Histoire de l’Unesco5, et Unesco, 50 années pour l’éducation6. Les deux premiers ne sont en réalité que des chronologies, des catalogues d’actions. En outre, étant publiés par l’Unesco, ces ouvrages sont dépourvus du recul et de l’indépendance de vue nécessaires à un véritable travail historique. Ils sont porteurs de l’idéologie et du discours officiel de l’Unesco ; ils ne sont généralement pas réalisés à partir d’une analyse rigoureuse et critique des sources, et se caractérisent souvent par des silences et des déformations de la réalité. Ils ne peuvent donc pas être considérés comme des ouvrages historiques suffisamment objectifs. Leurs auteurs ne sont d’ailleurs pas des historiens mais le plus souvent d’anciens fonctionnaires de l’Unesco. Ainsi pour donner un exemple d’erreurs commises par ces auteurs, Michel Conil-Lacoste, dans Chronique d’un grand dessein, affirme que Julian Huxley aurait été élu directeur général « pour une période de deux ans, à sa demande »7, ce qui est faux, puisque, comme le montrent de manière concordante plusieurs sources (voir chap. 1), c’est en fait le gouvernement américain qui a fait pression sur lui pour qu’il s’engage à ne rester que deux ans en poste, au lieu des six ans normalement prévus. Il faut aussi mentionner les brochures publiées par le « club histoire » de l’association des anciens fonctionnaires de l’Unesco (AAFU), et qui consistent en des témoignages sur certains aspects de l’action passée de l’Unesco8. Plusieurs ouvrages rédigés par d’anciens fonctionnaires de l’Unesco ont en outre été publiés par des maisons d’édition extérieures, mais ils s’apparentent plutôt à des témoignages et à des essais qu’à de réels travaux historiques ; ils ne résultent généralement pas de recherches historiques de première main9.

1 Interview Elise Keating.

2 James Sewell, Unesco and World Politics, Princeton, 1975, p. 357. 3

Voir bibliographie.

4 Michel Conil Lacoste, Chronique d’un grand dessein, Unesco 1946-1993, Paris, Unesco, 1993. 5 Fernando Valderrama, Histoire de l’Unesco, Paris, Unesco, 1995.

6 E. Brunswic, René Ochs, Jean-Claude Pauvert, John Ryan, Unesco, 50 années pour l’éducation, Paris, Unesco,

1997.

7 Michel Conil-Lacoste, op. cit., p. 28

8 Jean-Claude Pauvert, Max Egly, Le « complexe » de Bouaké, 1967-1981, Unesco, AAFU, Les cahiers

d’histoire, 1, 2001, 79 p. ; Michel Batisse, Gérard Bolla, L’invention du « patrimoine mondial », Unesco, AAFU, Les cahiers d’histoire, 2, 2003, 101 p.

9 Jan Opocensky, The Beginnings of Unesco 1942-1948, op. cit. ; Laves et Thomson, op. cit. ; Richard Hoggart, An idea and its servants, Unesco From Within, Londres, Chatto and Windus, 1978 ; Chikh Bekri, L’Unesco, une entreprise erronée ?, Paris, Publisud, 1991 ; Daniel Behrman, Ceux qui ne peuvent attendre, Unesco, Thieme,

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Il est important de noter que parmi les thèses réalisées sur l’Unesco, la plupart l’ont été aux Etats-Unis, et qu’aux États-Unis ou en France, la plupart sont non pas des thèses d’histoire mais de droit, de science politique, de sciences de l’information et de la communication. En outre, un tour d’horizon de la bibliographie des travaux universitaires sur l’Unesco montre que certains thèmes et certaines périodes ont été nettement préférés à d’autres par les chercheurs. Sur le plan chronologique, la genèse1 et les toutes premières années de l’Unesco ont attiré davantage l’intérêt que les années 1950 et 1960 ; mais c’est surtout la « crise » de l’Unesco dans les années 1980, liée au retrait des États-Unis, qui a fait l’objet du plus grand nombre de travaux. La majorité des travaux portent ainsi sur les vingt-cinq dernières années. La période ici traitée comble donc un vide historiographique. Sur le plan thématique, l’éducation est, très nettement, le thème qui a suscité le plus de travaux universitaires. Ceux-ci s’intéressent soit à certaines des conceptions éducatives développées par l’Unesco2, soit à l’action éducative concrète menée par l’organisation dans un lieu précis3. La sauvegarde du patrimoine mondial a constitué également le thème de plusieurs études, mais elles portent essentiellement sur la période d’après 1972 (date de l’adoption de la Convention du patrimoine mondial). La grande popularité de cette partie du programme de l’Unesco, liée au sauvetage très médiatisé des monuments de Nubie en 1968, explique sans doute un tel engouement pour ce thème4. Plusieurs recherches portent également sur certains des enjeux de politique internationale auxquels a été confrontée l’Unesco au fil du temps5.

Par ailleurs, dans le domaine de la sociologie et de l’anthropologie des organisations, de nombreuses études ont été menées, que ce soit aux États-Unis ou en Europe et notamment en France ; bien qu’elles ne portent pas sur l’Unesco, elles sont d’un apport intéressant pour l’étude de cette organisation.

Par rapport aux autres, la présente recherche se singularise par son ampleur ; tout en consistant en des analyses précises et fouillées, elle s’étend sur une longue période et concerne tous les domaines de l’action de l’Unesco : éducation, science, culture, communications, patrimoine, droits de l’homme. Son originalité réside aussi dans son effort d’objectivité. Celui-ci se manifeste par la nature des sources (de première main), leur quantité, et leur traitement (étude croisée), contrairement à la plupart des recherches universitaires réalisées jusqu’à présent, qui se sont fondées essentiellement sur les documents officiels produits par l’Unesco. Justement, il convient maintenant de présenter les sources et les problèmes de traitement qu’elles ont présentés.

1 Denis Mylonas, La genèse de l’Unesco : la Conférence des ministres alliés de l’éducation (1942-1945),

Bruylant, Bruxelles, 1976. Concernant l’« ancêtre » de l’Unesco, l’OCI, la thèse de Jean-Jacques Renoliet est à mentionner. Bien qu’elle consacre une place finalement réduite à l’étude même des réalisations culturelles de ces organismes, elle donne des pistes de réflexion intéressantes et des éléments de comparaison entre l’OCI et l’Unesco. (Jean-Jacques Renoliet, L’Unesco oubliée. La SDN et la coopération intellectuelle (1919-1946), Paris, publications de la Sorbonne, 1999).

2 Dominique Sioen, L’Unesco et le droit à l’éducation, thèse de droit public, Paris 2, 1978. Michel Legault, Contribution à une recherche sur la philosophie de l’éducation de l’Unesco, thèse de doctorat en philosophie,

institut catholique de Paris, 1985.

3 Voir bibliographie.

4 Ex : Thibault Postel, L’Unesco et la sauvegarde du patrimoine culturel et naturel mondial, 1986 ; Hélène

Trintignant, La protection internationale des biens culturels en temps de paix, thèse de droit et de sciences économiques, Montpellier, 1974 ; Fabrice Argounès, L’évolution de la notion de patrimoine mondial de

l’humanité : action de l’Unesco, 1999, DEA Paris IV, dir. M. Soutou.

5 Ex : Samir Haffar, L’Unesco et le conflit israélo-arabe (1948-1978), thèse de troisième cycle en sciences

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IV. Des sources vastes mais qui présentent d’importantes difficultés. Les sources étudiées sont :

- les documents officiels de l’Unesco ;

- les publications de l’Unesco pendant la période 1945-74, qui tiennent lieu de sources ; - les revues de presse de l’Unesco ;

- les archives audiovisuelles de l’Unesco ;

- les archives confidentielles de l’Unesco (correspondances) ; - les archives oficielles et confidentielles de l’ONU ;

- les archives diplomatiques de cinq États membres : États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, RFA ;

- les archives de l’INA ;

- de nombreux ouvrages de l’époque, tenant lieu de sources, consultés à divers endroits et notamment à la bibliothèque du Congrès à Washington ;

- des fonds privés ;

- des mémoires et témoignages d’anciens fonctionnaires ;

- des entretiens oraux ou écrits avec 27 anciens fonctionnaires ou collaborateurs de l’Unesco. Cette recherche se fonde donc sur des sources de première main et très variées, en différentes langues (français, anglais, allemand, espagnol, italien).

Le choix des cinq États dont ont été examinées les archives diplomatiques se justifie par le fait qu’ils comptent parmi les plus influents à l’Unesco pendant toute la période. Idéalement, il aurait été souhaitable de pouvoir consulter aussi les archives diplomatiques de l’URSS et de l’Inde, qui représentent d’autres camps idéologiques que ces cinq États occidentaux, et qui ont elles aussi joué un rôle important à l’Unesco dans ces années. Cependant cela n’a pas été possible, pour des raisons matérielles, linguistiques, financières, et temporelles. Il faut d’ailleurs préciser que ce travail, s’il a une vaste étendue dans la délimitation du sujet, ne peut prétendre à l’exhaustivité dans son traitement, étant donné la durée prévue pour les thèses nouveau régime.

Une grande partie des sources consultées sont inédites. Au Royaume-Uni notamment, parmi les dossiers de correspondance diplomatique examinés, beaucoup venaient à peine d’être ouverts à la consultation. De même, à l’Unesco, la quasi-totalité des dossiers de correspondance analysés n’avaient encore jamais été consultés.

Ces différentes sources requièrent un important recul critique, ainsi que des précautions spécifiques à chacune d’entre elles. Ainsi, les documents officiels de l’Unesco, de même que ses publications, sont caractérisés par une appréciation presque uniformément positive de son action, et par une présentation complexe qui rend les véritables enjeux difficiles à discerner. Ils sont très répétitifs, se citant les uns les autres, et caractérisés par un vocabulaire soit technique et administratif, soit vague et consensuel. Dans le cadre de cette recherche, les archives officielles ont plutôt servi d’outils pour vérifier et dater avec certitude certaines actions et décisions de l’Unesco. L’un des enjeux importants de cette recherche a été de parvenir à dépasser le langage consensuel de l’Unesco, la « langue de bois », qui y est très

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présente, comme l’ont déjà observé certains auteurs1. Par ailleurs, les revues de presse réalisées par l’Unesco semblent caractérisées par une sélection disproportionnée d’articles positifs et élogieux. Devant le problème de l’extrême abondance de la documentation disponible au siège de l’Unesco et par conséquent face à la nécessité de sélectionner les sources, il a été décidé pour ce travail de concentrer l’effort sur les dossiers de correspondance de préférence aux archives officielles. En effet, c’est dans ces dossiers, qui contiennent des lettres, des rapports et des mémorandums confidentiels, que les véritables enjeux, les obstacles, les problèmes, les conflits, sont exprimés clairement et sans ambages ; ces documents apparaissent nettement plus fiables et objectifs que les archives officielles ; cependant, il ne faut pas pour autant manquer d’être vigilant aux mobiles particuliers ayant pu inspirer chacun de leurs auteurs, et d’être attentif aux vides et aux lacunes que comportent les dossiers : plusieurs lettres et rapports compromettants pour l’Unesco en ont manifestement été retirés2. Quant aux archives diplomatiques des États membres, si elles présentent l’avantage d’offrir un éclairage extérieur sur l’Unesco, elles sont caractérisées par la prégnance de l’intérêt national. Les témoignages des anciens fonctionnaires, formulés souvent à plusieurs décennies de distance, sont souvent inconsciemment déformés sous l’effet de ce décalage temporel, et rendus subjectifs par l’implication personnelle de ces acteurs. Ainsi, toutes ces sources demandent de la vigilance dans leur interprétation. Cependant, leur analyse rigoureuse et prudente, leur accumulation et leur croisement permettent d’aboutir à des conclusions qui peuvent être jugées fiables.

La recherche dans les archives de l’Unesco pose des difficultés singulières, étant donné leur mauvais classement et le caractère lacunaire, peu détaillé et erroné des outils de recherche disponibles. De nombreux obstacles rendent malaisée la consultation des correspondances confidentielles. Deux inventaires existent pour celles-ci. L’un consiste en des fiches classées par cotes, concernant la période 1946-56. Chaque fiche porte une cote et un thème très général, par exemple « zones arides », ou « Allemagne », ce qui ne permet pas de cerner précisément le contenu ni la date des documents (souvent plusieurs cartons) ainsi désignés. Ce fichier est en outre très lacunaire, de nombreuses fiches en ayant manifestement été retirées, en tout cas de nombreux thèmes importants de l’action de l’Unesco n’y figurant pas. Le second inventaire, sous forme de cahier, concerne la période 1956-66, et présente lui aussi des cotes suivies d’un thème vague. Pour la période postérieure à 1966, aucun réel inventaire n’existe. Pourtant, ces correspondances sont théoriquement accessibles dans un délai de trente ans, c'est-à-dire jusqu’à 1974. Les hasards des incohérences de cotation permettent néanmoins d’avoir accès à plusieurs cartons concernant la période 1966-74. D’autres dossiers de correspondance (pour la période après 1966 justement) se trouvent dans un autre bâtiment (Miollis), mais, là encore, l’inventaire de ce fonds est vague, lacunaire, peu cohérent, erroné. L’absence d’un panorama clair, complet et rigoureux de l’ensemble des dossiers de correspondance disponibles, ainsi que le fait que le contenu de nombreux cartons ne correspond pas vraiment à ce qui est indiqué, rendent difficile une sélection rigoureuse et systématique des correspondances à consulter.

1 Ex : Jean-Luc Mathieu, Les institutions spécialisées des Nations Unies, Paris, Masson, 1977, p. 215.

2 Ex : sur le projet de Marbial, le rapport de Lucien Bernot, 1953, et le livre d’Antonio Ballesteros, sont

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Par ailleurs, il n’a pas été donné accès, sauf à titre exceptionnel, aux documents strictement confidentiels comme les archives des séances privées du conseil exécutif et de la conférence générale, et les documents confidentiels du cabinet du directeur général. En outre, de nombreux rapports et lettres auxquels il est fait allusion dans certaines correspondances, et qui semblent particulièrement importants, se sont révélés introuvables dans les archives. Souvent, des rapports confidentiels très importants produits par l’Unesco ont été trouvés dans les archives d’un État membre, alors qu’ils ont été cherchés en vain dans celles de l’Unesco. Ainsi, il est significatif que ce soit dans les archives diplomatiques américaines qu’a été trouvé un extrait du rapport contestataire et très critique sur le fonctionnement de l’organisation rédigé en 1970 par la table ronde du personnel1. Il s’est révélé introuvable aux archives de l’Unesco, de même que plusieurs autres rapports très intéressants2. Il en va de même de certaines publications de l’Unesco, qui ont soulevé en leur temps des problèmes politiques, et qui ne se trouvent ni à la bibliothèque de l’Unesco ni aux archives de l’Unesco3. Il apparaît donc que les archives de l’Unesco pratiquent une censure. Cela a été constaté par d’autres chercheurs4, et même par certains anciens fonctionnaires eux-mêmes, venus y faire des recherches5.

Le règlement des archives [annexe 2] stipule que « les documents portant la mention ‘diffusion restreinte’ ou ‘confidentiel’ ne peuvent être consultés qu’avec l’accord préalable de l’unité compétente du Secrétariat », et que pour les dossiers de correspondances et rapports confidentiels, le délai de trente ans peut être ramené à cinquante ans, sur décision du chef des archives, pour les types de dossiers suivants :

« - dossiers contenant des informations particulièrement délicates sur les relations entre l’Unesco et ses États membres ainsi qu’entre l’Unesco et les organisations intergouvernementales ou non gouvernementales ;

- dossiers contenant des pièces dont la divulgation risquerait de nuire à la réputation, d’attenter à la vie privée ou de menacer la sécurité de certaines personnes ;

- dossiers du personnel (concernant les fonctionnaires ou les agents de l’Unesco) ;

- dossiers confidentiels des Cabinets du Directeur Général, du Directeur Général adjoint et des sous-directeurs généraux de l’Unesco.»

En outre, même une fois passés les délais règlementaires, le chef des archives a le droit de « refuser l’accès à un document ou à un dossier s’il estime que ce document ou dossier garde toujours, incontestablement, un caractère confidentiel ». L’accès à des documents ou dossiers avant la fin du délai prévu peut également se faire, sur décision du chef des archives, sous condition notamment « que la consultation de ces documents ne puisse en aucun cas nuire aux intérêts de l’Organisation »6. Quant aux archives audiovisuelles de l’Unesco, elles contiennent des centaines de films commandés ou réalisés par l’organisation. Cependant, pour la plupart d’entre eux, le chercheur n’a pas la possibilité de les visionner : ils seraient

1 EU, box 3224 : rapport de la table ronde du personnel, 1970, 150 p., en français, 30 avril 1970. 2

Ex : le rapport de Lucien Bernot sur le projet de Marbial, 1953.

3 Ex: Equality of rights between races and nationalities in USSR (1961) ; Gail Archibald écrit l’avoir demandé

en vain aux archives et à la bibliothèque de l’Unesco.

4 Gail Archibald, Les Etats-Unis et l’Unesco, 1944-1963, Paris, Publications de la Sorbonne, 1993,p. 257. 5

Emile Delavenay, qui relate la censure d’une publication sur la Corée en 1952 sur la pression des Etats-Unis, observe qu’il n’a « trouvé aucune trace de cet incident symptomatique dans les archives de l’Organisation ». Emile Delavenay, Témoignage. D’un village savoyard au village mondial, 1905-1991, 1992, Edisud, La Calade, Aix-en-Provence, 436 p., p. 369.

6

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conservés sur des bobines anciennes, pour lesquelles le service audiovisuel de l’Unesco ne possèderait plus les appareils permettant de les lire1.

Le désordre et les problèmes de conservation et d’accessibilité des archives de l’Unesco sont un fait ancien, lié à l’énorme masse de documentation que l’organisation a produite et sous laquelle elle a rapidement été submergée, et à l’absence de réelle politique archivistique pendant les trente premières années. D’importantes quantités d’archives ont été jetées lors du déménagement du siège de l’Unesco en 1958. C’est ce que déplore en 1975, dans une lettre, Sandy Koffler, rédacteur en chef du Courrier de l’Unesco : « si nous avions pensé à l’historien de l’an 2000, nous aurions gardé beaucoup de ces soi-disant ‘déchets’ », observe-t-il, déplorant également la mauvaise tenue des archives2. De même, Markku Järvinen, ancien chef des archives de l’Unesco, déplore l’absence de politique archivistique, qui s’est traduite par un manque de place et de moyens pour les conserver et les classer, et par le recours à des « expédients » successifs3. Les archives de l’Unesco ont d’ailleurs été victimes d’un incendie en 1983, au cours duquel de nombreux dossiers de correspondance ont brûlé. Peter Lengyel, ancien fonctionnaire, déplore lui aussi ce problème et souligne la faible capacité de mémoire collective au sujet des organisations intergouvernementales, qui en serait la conséquence4. Malgré toutes ces difficultés d’accès aux archives de l’Unesco, il est néanmoins possible au chercheur persévérant de trouver des moyens pour obtenir les documents souhaités. Il faut aussi relativiser ce genre de difficultés en rappelant qu’elles ne sont pas spécifiques à l’Unesco5.

Par comparaison, les archives diplomatiques françaises, américaines, britanniques, et celles de l’ONU, ont présenté des conditions de recherche satisfaisantes. Les archives diplomatiques allemandes et italiennes se sont révélées décevantes par le faible nombre de dossiers effectivement disponibles et consultables. Par ailleurs, certains fonds, comme le fonds privé de Michel Leiris, celui de René Maheu, les archives du CCIC, et les archives de la commission nationale française, sont restés fermés.

Il convient de s’interroger sur la valeur à accorder au témoignage oral des anciens fonctionnaires de l’Unesco. Dans l’ensemble, ceux-ci sont marqués par un sentiment d’appartenance tellement fort, ils adhèrent tellement à l’idéologie et au discours officiel de l’organisation, que, même une fois à la retraite, ils ont souvent du mal à s’en détacher et à formuler un récit qui ne soit pas la réplique de ce discours officiel. Cela est renforcé par le poids moral du « serment de loyauté » que beaucoup d’entre eux ont prêté, ainsi que par l’idée omniprésente à leur esprit d’un « devoir de réserve ». Enfin, leur récit participe souvent d’une reconstruction personnelle des événements : il est souvent difficile de porter un jugement critique sur ce à quoi on a consacré toute sa carrière, bien que l’on soit pourtant l’un des

1 Propos de Mme Carbonnell, directrice de ce service (en 2004). 2

Ascher, box 145 : lt. de Koffler à Ascher, 31 janv. 1975 : «I have often said that Unesco should never throw anything away [...]. Certain posters and documents and even books published in the first years of the Organization are now unobtainable. Much material was thrown into the waste-paper baskets when Unesco made its major move from avenue Kleber to Place Fontenoy in 1958. If we had thought of the historian of the year 2000, a lot of this so called « junk » would have been preciously guarded for the future ».

3 Lien-Link n°81 : nécrologie de Marion Jung-Fawtier par Markku Järvinen.

4 Peter Lengyel, International Social Science : the Unesco experience, Transaction Books, New Brunswick,

USA, et Oxford, 129 p., 1986, p. 2-3.

5

Sonia Combe, Archives interdites, Paris, La Découverte, 328 p., 2002 ; cf. aussi : article de Jean-Luc Einaudi,

Le Monde, 20 mai 1998 : « Pour la vérité, enfin » (au sujet du 17 octobre 1961) : « Dans une démocratie, ce n’est

pas à de hauts fonctionaires agissant en tant que tels qu’il revient d’écrire l’histoire. Qu’on laisse les chercheurs travailler librement sur les archives, avec l’esprit critique nécessaire, en procédant aux recoupements indispensables avec d’autres sources ».

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mieux placés pour en connaître les points faibles. Plusieurs des anciens fonctionnaires interrogés ont ainsi refusé d’admettre l’existence de quelconques difficultés, de tensions politiques, de problèmes de fonctionnement, d’échecs de l’Unesco. Ce problème a aussi été constaté par d’autres chercheurs1. En cela, plusieurs entretiens se sont révélés décevants. Certains anciens fonctionnaires ont en revanche manifesté beaucoup plus de recul et plusieurs entretiens ont été très enrichissants. La méthode employée a été selon les cas l’interview orale en face-à-face, non directive (dans 18 cas), l’interview téléphonique (dans sept cas), ou le questionnaire écrit (dans trois cas).

Au sein de l’association des anciens fonctionnaires, et par le biais de leur revue, Lien, s’est d’ailleurs récemment déroulé un débat, à l’occasion de la publication par l’ancien fonctionnaire américain de l’Unesco Raymond Johnson d’un article révélant qu’il a, au cours de sa carrière, dérobé des documents confidentiels de l’Unesco de nature politique sur l’ordre de son gouvernement :

« Lorsqu'on quitte l'Organisation, il est solennellement rappelé à chacun qu'il faut faire preuve de la plus grande « réserve » au sujet de tout ce qu'on sait de l'Unesco. Je tâcherai donc d'être discret, du moins à 95 %. L'ancienneté des faits mentionnés ici me permettra pourtant de lever de quelques maigres centimètres le lourd voile couvrant les secrets internes et intimes de la Grande Maison de la Culture. »2

écrit-il en préambule à ses révélations. Plusieurs autres anciens fonctionnaires ont également évoqué les erreurs et échecs du système de l’ONU dans cette revue3, et certains n’ont pas hésité, comme Zacharie Zachariev, à remettre en cause « l’obligation de réserve et de confidentialité imposée et acceptée par les fonctionnaires internationaux » : « une réserve pour quoi faire ? », conteste-t-il4. Sorin Dumitrescu, décrivant dans la revue de l’AAFU les pressions politiques qu’il a subies de la part de son gouvernement, s’estime « convaincu que de tels témoignages n’ont rien à voir avec le devoir de réserve requis de la part des fonctionnaires internationaux »5. Nino Chiappano, responsable de l’AAFU, souligne le « dilemme », la « contradiction », entre « devoir de mémoire » et « devoir de réserve ». Il rappelle : « d’après notre statut, le devoir de réserve ne s’arrête pas le jour où nous partons à la retraite, bien au contraire, il est censé nous accompagner, ombre fidèle, jusqu’au dernier de nos jours ». Il s’interroge cependant sur « le bien fondé de ce ‘devoir’ », et prône un « assouplissement – ou une interprétation plus permissive – du devoir de réserve »6.

La méthode de recherche suivie pour réaliser ce travail a été celle-ci : après une étude des documents officiels, ont été repérés les programmes de l’Unesco qui ont paru les plus importants, ainsi que les enjeux politiques majeurs, et il a été tenté de consulter les dossiers de correspondance qui y correspondent. Étant donné les conditions particulières de classement des archives de l’Unesco et d’accès aux documents, la méthode n’a pas pu être aussi systématique que souhaité. Ainsi, pour de nombreux programmes ou sujets intéressants, les archives étaient introuvables, ou bien les dossiers contenaient trop peu de documents

1 G. Archibald, op. cit., p. 256-257 ; J.-C. Clorennec, op. cit.

2 Lien-Link n°80 :« Être américain à l'Unesco dans les années soixante », par Raymond Johnson. 3

Lien-Link n°86 : « When Unesco encountered diplomatic pitfalls in Africa », par Jacques Richardson.

4 Lien-Link n°76 : « Bribes de mémoire. L’Afghanistan » par Zacharie Zachariev.

5 Lien-Link n°84 : « Etre roumain à l’Unesco dans les années 60 et 70 », par Sorin Dumitrescu ; Courrier de l’Unesco, juin 1990, p. 45-50, « Otage de la Securitate », par Sorin Dumitrescu [annexe 28].

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intéressants pour étayer la réflexion. En revanche, parfois des documents très intéressants ont été découverts de manière inopinée et inattendue.

Ce travail présente les conclusions des recherches effectuées, accompagnées de quelques exemples, les plus intéressants et les plus représentatifs. Il faut comprendre que ce ne sont que quelques exemples parmi beaucoup d’autres qui ont été collectés, et qui par leur abondance ont permis d’arriver à la conclusion en question, mais que ces exemples ne sont pas tous cités, à cause du manque de place et pour ne pas lasser le lecteur. Par ailleurs, il a été décidé de mentionner très peu de données chiffrées. De toute façon, étant donné l’abondance des sources et l’ampleur du sujet, il s’imposait d’opérer une sélection. Des données chiffrées sont disponibles à foison dans les documents officiels de l’Unesco ; le lecteur intéressé par de telles données peut donc s’y reporter aisément.

Le contenu des sources collectées a orienté ce travail dans un sens un peu différent de celui qui était d’abord prévu : alors qu’initialement cette réflexion se voulait consacrée aux conceptions de l’Unesco et à leur évolution dans une optique d’histoire des idées, la conscience s’est imposée de plus en plus au cours de sa réalisation de l’importance des enjeux politiques et des problèmes de fonctionnement administratif, et donc une place plus large leur a été consacrée ; corollairement, les conceptions de l’Unesco se sont révélées diffuses, voire confuses, et très dépendantes des conditions politiques et économiques ; ainsi ce travail s’inscrit finalement plus que cela n’était prévu au départ dans le champ de l’histoire politique, de l’histoire sociale, et de l’histoire des relations internationales.

Il est clair que seule une petite partie des archives disponibles sur le thème et la période sélectionnés a pu être consultée. Cependant, au fil de la réalisation de ces recherches, les nouvelles archives consultées corroboraient les conclusions vers lesquelles avaient amené les précédentes. Ainsi, il semble que la quantité d’archives consultées, ainsi que la manière dont elles ont été analysées, aient permis d’aboutir à des conclusions objectives.

V. Problématiques et enjeux.

Quelle a été l’efficacité de l’Unesco pendant ses trente premières années ? Cette interrogation sur l’efficacité de cette organisation qui se veut « la conscience du système des Nations Unies » est importante1. Et elle est particulièrement opportune dans le contexte d’une remise en cause durable et croissante de l’efficacité de l’Unesco et des Nations Unies depuis le milieu des années 1970, d’une interrogation sur leur éventuelle réforme, et du retour récent (2002) des États-Unis en leur sein. Après 1974, l’Unesco a vu son efficacité de plus en plus mise en doute. Comme l’observe Victor-Yves Ghebali, « depuis 1974, l’Organisation subit une crise endémique dont le point culminant fut atteint en 1984-85 avec le retrait des États-Unis et de la Grande-Bretagne », et, depuis, l’Unesco est « à la recherche d’un second souffle »2. « L’Unesco, une entreprise erronée ? »3 ; « l’Unesco devrait-elle survivre ? »4, telles sont les interrogations qu’ont alors exprimées plusieurs anciens fonctionnaires de l’Unesco.

1 Yves-Marie Laulan, La faillite des « machins », Paris, Les Belles Lettres, 1996, p. 78. 2 Encyclopedia universalis, 1990, « Unesco », par V.-Y. Ghebali.

3 Chikh Bekri, op cit. 4

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