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La conception anglo-saxonne : l’insistance sur les moyens modernes de communication.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 39-45)

Première partie Problèmes structurels.

1. Des conceptions changeantes au fil des dirigeants.

1.1. La gestation des conceptions.

1.1.2. La conception anglo-saxonne : l’insistance sur les moyens modernes de communication.

Les réflexions développées au Royaume-Uni.

Au Royaume-Uni se développent pendant la Seconde Guerre Mondiale d’intenses réflexions sur la possibilité d’établir une institution internationale visant à la paix dans le monde au moyen de la culture. Elles se déroulent à différents niveaux, formels et informels, au sein de différentes instances : au gouvernement, dans les cercles des administrateurs coloniaux, au sein de la BBC, dans les associations éducatives et culturelles privées, dans les cercles scientifiques.

Le gouvernement britannique s’intéresse vivement aux possibilités de créer une telle institution internationale. Il contribue de manière importante aux réflexions tenues à ce sujet, en organisant la Conférence des Ministres Alliés de l’Education (CAME), entre novembre 1942 et 1945. Cette initiative revient en particulier au ministre britannique de l’éducation, Richard A. Butler. Conçue initialement comme un dispositif provisoire destiné à venir en aide aux pays dévastés par la guerre, la CAME devient rapidement le principal laboratoire de réflexion en vue de la création de l’Unesco1. Cette conférence rassemble des Britanniques visionnaires et idéalistes, comme Ellen Wilkinson2. Et la phrase du préambule de l’acte constitutif (« les guerres naissant dans l’esprit des hommes… »), généralement attribuée à l’Américain MacLeish, aurait en fait selon Luther Evans (futur directeur général) été prononcée par le premier ministre britannique de l’époque Clement Attlee dans un discours à la conférence constitutive de l’Unesco, et MacLeish, « fasciné par ce discours, par cette phrase », aurait demandé et obtenu d’Attlee la permission de l’inclure dans le préambule de l’acte constitutif3.

Une des composantes conceptuelles originales apportées par les Britanniques à l’Unesco est l’intérêt pour les problèmes des peuples dits « sous-développés ». Cet intérêt est mis en avant par les administrateurs coloniaux, conscients de ces problèmes. De nombreux anciens administrateurs coloniaux britanniques4 joueront dans les premières années de l’Unesco un rôle important, apportant à la nouvelle organisation leur connaissance de la situation scolaire et culturelle dans les territoires coloniaux et leur intérêt pour ces questions, intérêt qui avait

1 E. Chniti, La Grande-Bretagne et l’Unesco, 1942-1957. Douze ans de relations entre une institution des Nations-Unies et une puissance fondatrice, Paris I, thèse d’histoire, dir. Girault, 1997, p. 137 ; Peter Lengyel, International Social Science : the Unesco Experience, Transaction Books, New Brunswick, USA, 129 p., 1986,

p. 8-9.

2 Femme de gauche, ancienne suffragette, ancienne membre du parti communiste britannique. 3 OHRO, interview de Luther Evans, p. 323 : « fascinated by this speech, by this sentence ».

4 Fred Clarke, président du comité d’education de la commission préparatoire (1945-46), était professeur à

l’université de Londres, et ancien dirigeant du comité consultatif du Colonial Office britannique ; il avait participé en 1944 dans ce cadre à la rédaction du rapport Mass education in African society ; il était très convaincu de l’importance de l’alphabéisation des masses dans les pays sous-développés (Philip Jones,

International policies for Third World Education : Unesco, literacy and development, ed Routledge, London and

NY, 1988., p. 25). Pour cela il prônait une action coopérative, communautaire (action à l’échelle de la communauté locale). Il était très conscient des changements sociaux en cours et en préparation dans le monde ; il a imposé ses vues au comité d’éducation de la commission préparatoire (W.F. Connell, A History of education in

the twentieth century world, Canberra, Curriculum development centre, 1980, p. 324-325). Le Français André

manqué à la SDN et à l’IICI. John Bowers en particulier, ancien administrateur colonial au Soudan, recruté à l’Unesco par Huxley sur la recommandation d’un collègue de guerre pour son expérience des besoins des pays sous-développés, exerce une influence importante sur les conceptions éducatives de l’Unesco et marque de ses idées et de son style les dix premières années de l’organisation dans ce domaine1.

Les cercles de la BBC constituent un autre milieu où se développent pendant la guerre, dans le cadre de la propagande de guerre pour les Alliés, d’importantes réflexions sur les tâches et les moyens d’action de la future Unesco. Les hommes de la BBC réfléchissent au rôle important que les communications de masse seront amenées à jouer dans l’œuvre de paix de la future organisation. La préoccupation de toucher les masses au moyen des techniques modernes de communication de masse avait été négligée par l’IICI. Il s’agit donc d’un autre élément novateur introduit par les Britanniques. De même que le milieu des administrateurs coloniaux, celui de la BBC fournit un vivier de fonctionnaires de l’Unesco : de nombreux Britanniques ayant travaillé pour la BBC dans les années 1930 et pendant la guerre rejoignent l’Unesco dans les premières années de celle-ci. C’est notamment le cas du Français Emile Delavenay2, et du Britannique Rex Keating, directeur de programme à la BBC dans les années 1930, devenu en 1947 directeur de la radio à l’Unesco3.

D’autre part, des associations culturelles et éducatives privées britanniques, comme le

British Council, la London International Assembly, le Council for Education in World Citizenship, s’interrogent pendant la guerre sur les modalités d’action d’une grande

organisation internationale de coopération culturelle et éducative pour l’après-guerre4.

Enfin, dans les cercles scientifiques britanniques, autour des laboratoires de recherche et de la la British Association for the Advancement of Science, et de personnages comme Julian Huxley et Joseph Needham, se développent de manière informelle des réflexions sur la nouvelle organisation. Ils soulignent l’importance de la science, de la coopération scientifique internationale, de l’éducation scientifique, afin de favoriser l’établissement de la paix. Leur apport conceptuel se concrétise de manière tangible dans le sigle de la nouvelle organisation. C’est sous leur impulsion que le terme même de « science » est inclus dans le sigle de l’Unesco5. Dans un mémorandum d’avril 1945, Needham prône officiellement la transformation du sigle « UNECO » en « UNESCO », soulignant la convergence d’objectifs entre la nouvelle organisation internationale et le projet de Service International de Coopération Scientifique (ISCS) qui avait été développé parallèlement, et préconisant leur unification6. Ce document de Needham est le premier qui porte le sigle Unesco7. C’est en novembre 1945, à la Conférence constitutive, que le terme « science » est officiellement

1 J. Huxley, Memories, II, op. cit., p. 17-18.

2 Biogr. Delavenay ; E. Delavenay, op. cit. ; Lien-Link n°82 : « Ma longue histoire d’amour avec l’Unesco », par

Emile Delavenay. Delavenay est entré à la BBC en 1939.

3

Interview P. Koffler.

4 Pendant la guerre, dès 1941 ont eu lieu des réflexions de la London International Assembly et du Council for

education in world citizenship ; son rapport est paru en mars 1943, sous le titre Education and the United

Nations. Ce rapport propose un plan concret de rééducation pour les peuples des pays de l’Axe ; ces

recommandations ont été adressées au CAME mais il n’a pas obtenu de réponse. (P. Jones, op. cit., p. 10-11) ; E. Chniti, op. cit., p. 681-682.

5 Dès la séance d’ouverture, E. Wilkinson évoque les perspectives de nouveaux progrès spectaculaires de la

science et souligne la nécessité de rapprocher celle-ci des humanités. (M. Conil Lacoste, op. cit., p. 24). Huxley, Needham, Wilkinson, et l’Américain Harlow Shapley, directeur de l’observatoire de l’université de Harvard, ont joué un grand rôle dans l’inclusion du terme « sciences » dans l’intitulé de l’Unesco (G. Archibald, op. cit., p. 63).

6 D. Mylonas, op. cit., p. 335-341. 7

inclus, sur la proposition d’Archibald MacLeish1. L’explosion des bombes atomiques américaines à Hiroshima et Nagasaki en août 1945 a certainement joué un rôle important dans la prise de conscience de l’importance du contrôle social de la science2. Les scientifiques britanniques, qui ont ainsi joué un rôle majeur dans la gestation de l’Unesco, y occuperont une place importante dans les premières années. Le scientifique britannique Julian Huxley, devenu premier directeur général de l’organisation, recrute plusieurs de ses collègues et amis, tel Joseph Needham, biochimiste de Cambridge, esprit éclectique, intéressé par la culture chinoise et l’histoire des sciences3.

C’est dans le cadre de la CAME que ces divers mouvements de pensée, formels ou informels, trouvent l’occasion de s’exprimer. Hommes politiques, administrateurs coloniaux, scientifiques, éducateurs, intellectuels, hommes spécialisés dans les communications, s’y réunissent4. Appartenant à une même génération, ils se caractérisent par leur sensibilité de gauche et par leur enthousiasme pour la future organisation. C’est principalement grâce aux efforts d’Ellen Wilkinson et de John Maud que Julian Huxley est porté à la tête de l’Unesco5.

Ainsi, les Britanniques ont contribué par leurs réflexions à introduire dans les conceptions de l’Unesco des préoccupations qui étaient absentes de celles de l’IICI, à savoir la prise de conscience de la nécessité d’agir à l’échelle des masses, et la prise en compte de l’importance sociale de la science6. Ils ont donc apporté aux conceptions de l’Unesco des éléments novateurs. Les réflexions dans le même sens développées aux États-Unis ont également exercé une influence majeure sur la nouvelle organisation.

Les réflexions développées aux États-Unis.

La mise en place du système de l’ONU a été soutenue par les États-Unis au plus haut niveau : au niveau présidentiel. Durant la Seconde Guerre Mondiale, le président Roosevelt a en effet accompli plusieurs gestes en faveur de la création d’une nouvelle organisation internationale dédiée au maintien de la paix et de la sécurité (« Message sur l’état de l’Union » en janvier 1941 ; Charte de l’Atlantique en août 1941 ; enfin, signature de la Déclaration des Nations Unies le 1er janvier 19427). En 1945, le président Truman a tenu un discours au retentissement important, dans lequel il souligne l’importance de la future organisation8.

1 ECO/CONF/29, 2e séance de la 1e commission, 5 novembre 1945, p. 126. Cité par G. Archibald, op. cit., p. 69 ;

D. Mylonas, op. cit., p. 342.

2 D. Mylonas, op. cit., p. 342. 3 J. Huxley, Memories II, p. 17-18.

4 Ex. : Joseph Needham, spécialiste de la science chinoise, John Grierson, pionnier du film documentaire, J.B.

Priestley, écrivain.

5 E. Chniti, op. cit., p. 682-684. A. Zimmern, secrétaire exécutif de la commission préparatoire, étant tombé

malade, il fallait lui trouver un remplaçant. Huxley, ayant assisté à l’une des réunions publiques de la commission préparatoire, y avait rencontré John Maud, proche collaborateur de Wilkinson et chargé des affaires de l’Unesco au ministere de l’éducation. John Maud a l’idée de proposer Huxley comme successeur de Zimmern. Lors d’un repas privé, Wilkinson et Maud font cette proposition à Huxley, lui laissant entendre que ce poste serait un marchepied vers le poste de directeur de l’Unesco. Cf. J. Huxley, Memories, II, op. cit., p. 14 ; Juliette Huxley, Leaves of the tulip tree, London, p. 196-197 ; E. Chniti, op. cit., p. 211 ; Betty D. Vernon, Ellen

Wilkinson (1891-1947), London, Croom Helm, 1982, 254 p., p. 40-43, 60-64 : elle a été suffragette, féministe, et

communiste.

6 Cf. aussi les réflexions fonctionnalistes de David Mitrany sur la paix. David Mitrany, A Working Peace System,

Londres, Chatham House, 1943.

7

G. Archibald, op. cit., p. 22.

8 Léon Blum, dans son propre discours à la conférence constitutive de l’Unesco, en novembre 1945, y fait

référence. ECO/CONF.29/VR.2 (1945), Conférence des Nations Unies en vue de la création d’une organisation pour l’éducation, la science et la culture, Londres, 1-16 novembre 1945, p. 40-41 : discours du président adjoint, L. Blum : « nous voulons contribuer, comme le dit le président Truman, dans les points 5 et 10 de son récent

Cependant, ce sont surtout des personnalités intellectuelles ainsi que des associations privées qui ont joué un rôle moteur dans l’élaboration de conceptions novatrices pour l’Unesco. Les réunions de la CAME à Londres ont attiré en effet de nombreux intellectuels américains ainsi que de nombreuses ONG éducatives de ce pays. La délégation des États-Unis à la CAME et à la conférence constitutive se montre très dynamique et active1. Elle est dirigée par le sénateur J. William Fulbright2. Elle comporte notamment William Carr, de la National

Education Association (NEA), Ralph Turner, historien, professeur à l’université de Yale,

ayant travaillé pour le Département d’État pendant la guerre, et membre de la délégation américaine lors de la conférence des ministres de l’éducation à Londres en 19443, et Archibald MacLeish, poète et bibliothécaire de la bibliothèque du Congrès4. Ces hommes marquent par leurs idées le cours des réflexions de la CAME. Les conceptions qu’ils développent se focalisent sur deux aspects principaux : la reconstruction et l’éducation des masses.

Le projet pour la future organisation élaboré en avril 1944 par la délégation américaine à la CAME est orienté principalement vers la reconstruction éducative et culturelle ; la nouvelle organisation s’intitulerait « Organisation des Nations Unies pour la reconstruction éducative et culturelle » (ONUREC). Son but serait de « réparer, dans la mesure du possible, le tort causé à l’héritage culturel commun du monde par les puissances fascistes », dans les pays européens et asiatiques5. Il s’agit d’une sorte d’équivalent de l’UNRRA dans le domaine de l’éducation et de la culture6. L’insistance des États-Unis sur la reconstruction des pays dévastés par la guerre s’explique également bien sûr par des intérêts politiques et économiques. Si le projet d’ONUREC, discuté longuement en avril 1945, n’a finalement pas été adopté7, les conceptions développées par les Américains autour de celui-ci ont profondément marqué l’Unesco, notamment concernant l’importance de mener des actions concrètes, pratiques8.

D’autre part, une autre orientation majeure que l’Unesco doit à l’influence des conceptions américaines est l’insistance sur l’« éducation ». Les 42 ONG éducatives et culturelles américaines qui assistent en tant que conseillères aux délibérations (American

Council on Education, National Education Association, American Association of University

discours, à construire un monde affranchi de la peur et de la misère, où les conditions de vie soient partout améliorées ».

1 OHRO, interview de Luther Evans, p. 302, 334-335 : parmi les membres importants de la délagation

américaine, George Stoddard, qui avait été commissioner of education de l’Etat de New York ; Herbert Emmerich, expert en questions d’organisation ; Donald Stone, fonctionnaire du département d’état ; M. Murrow, représentant au Congrès ; G.N. Shuster, professeur à Hunter College ; K. Holland, plus tard directeur de l’institut international d’éducation ; Dr. Schlagle de la NEA ; Marlon Shapely, astronome de Harvard ; Alexander Meiklejohn, président de l’université du Wisconsin ; le sénateur Murray.

2 P. Lengyel, op. cit., p. 8-9. G. Archibald, op. cit., p. 319-320. 3

L’historien Ralph Turner avait été recruté en 1941 par la division des relations culturelles du département d’état. Cf. Gail Archibald, op. cit., p. 25. L’ouvrage principal de Ralph Turner est The Great Cultural Traditions, New York, 1941, 2 vol. (Biogr. Ralph E. Turner).

4 J. Huxley, Memories, II, op. cit., p. 313 ; G. Archibald, op. cit., p. 67. En 1944-45, A. MacLeish a été assistant

secrétaire d’état pour les affaires culturelles.

5 Projet rédigé par les délégués américains Studebaker et Kefauver. Cf. doc. confidentiel du 27 avril 1944,

« Activities in London of American Delegation to the CAME », 4e réunion privée de la délégation du 7 avril 1944. Et : « Suggestions for the development of the CAME into the United Nations Organisation for Educational and Cultural Reconstruction », archives diplomatiques américaines (documents cités par Gail Archibald, op. cit., p. 34-35).

6 L’UNRRA, agence de secours et de reconstruction des Nations Unies, a été créée en 1943 pour secourir les

pays occupés par les puissances de l’Axe. Ses trois directeurs généraux successifs ont été américains. Les principaux pays bénéficiaires étaient la Chine et les pays d’Europe de l’est, pays au sujet desquels les Etats-Unis craignaient la contagion communiste.

7 D. Mylonas, op. cit., p. 230-236 et 295-298.

8 Ascher, box 145 : lt. de Donald C. Stone, assistant director in charge of administrative management, à J.

Women, National Congress of Parents and Teachers, etc.), y exercent une influence

importante, soulignant le caractère essentiel de l’éducation dans l’action de la future organisation, élément qui avait été négligé par l’IICI1. La National Education Association, par la voix de William Carr, prône notamment une concentration des efforts de l’Unesco sur l’éducation publique, l’éducation des masses, l’éducation populaire, et estime que les États- Unis ont beaucoup à apporter aux autres nations dans ce domaine. Elle considère qu’au sein de la nouvelle organisation, l’élément éducatif devrait primer nettement2.

Les États-Unis se font les défenseurs de la priorité à l’ « éducation », au détriment de la « science » et de la « culture ». Ils sont réticents à l’inclusion du terme « science » dans l’intitulé de l’Unesco, par crainte de devoir être amenés à partager avec la communauté scientifique internationale leurs connaissances en matière atomique et nucléaire3. Ils sont peu favorables à la « culture » au sens intellectuel et élitiste, et favorisent l’acception de ce terme dans le sens « culture de masse », de même qu’ils concoivent le terme « éducation » comme « éducation de masse ».

L’insistance sur les « masses » est notamment le fait d’Américains ayant travaillé pendant la guerre dans le Psychological Welfare Branch de l’armée américaine. Formés aux méthodes modernes de propagande des masses, ils souhaitent les appliquer à la diffusion des idées pacifistes. C’est le cas notamment de l’Américain Sandy Koffler, qui, rattaché à ce service pendant la guerre, a conduit une action de propagande de masse en Italie, remontant du sud au nord de la péninsule en suivant l’armée américaine, et ayant créé un journal, le Corriere, destiné à la population locale. Ce journal constitue en quelque sorte, selon sa veuve, l’ancêtre du Courrier de l’Unesco, revue conçue par Koffler à partir de son entrée à l’Unesco en 19474. En fait l’Italie a joué un rôle non négligeable dans l’émergence de cette préoccupation pour les communications de masse. (Il est à noter qu’outre l’expérience de Koffler, l’Italie avait accueilli dans l’entre-deux-guerres l’expérience pionnière de l’Institut international du cinématographe éducatif5).

La préoccupation pour l’éducation des masses, qui était absente de l’IICI6, trouve son expression claire à l’Unesco : à la fois dans le sigle lui-même, « le E dans UNESCO »7 ; et dans l’Acte constitutif, avec les expressions de « libre échange des idées et des connaissances », de « multiplier les relations entre les peuples », et surtout dans les deux premiers des trois modes d’action énumérés dans l’article I a : favoriser « la connaissance et la compréhension mutuelle des nations » grâce à « la libre circulation des idées, par le mot et

1 D. Mylonas, op. cit., p. 295 ; OHRO, interview de Luther Evans. Waldo G. Leland, président du American Council of Learned Societies, etait un membre très actif du l’ancêtre de la commission nationale américaine. Il a

joué un rôle important dans les premières années de l’Unesco.

2 EU, box 2243 : National Education Association, Memorandum for conference with the under-secretary of state,

23 septembre 1947, 2 p. La NEA préconise que le prochain directeur général soit un éducateur américain. W. Carr, « Shall the UN control education in axis countries ? », Progressive Education, American Education Fellowship, mai 1945. W Carr, « Eternal vigilance in education », Camp Fire Girls Magazine, mai 1945. W Carr, « What part can education play in the people’s peace », Minnesota Journal of Education, fév. 1945. COM 1 : W. Carr, « Conditions Necessary for the Success of Unesco », discours à la Sorbonne, 21 novembre 1946, Mois de l’Unesco (publié dans Les Conférences de l’Unesco, Paris, éditions de la Revue Fontaine, 1947). Cf. aussi W. Carr, The continuing education of William Carr, an autobiography, NEA, Washington DC ; chap. 6 : « The United Nations and Unesco », p. 94-115.

3 G. Archibald, op. cit., p. 77. 4 Interview P. Koffler. 5

Christel Taillibert, L’institut international du cinématographe éducatif, regards sur le rôle du cinéma éducatif

dans la politique internationale du fascisme italien, Paris, Montréal, L’Harmattan, 1999.

6 L’IICI n’avait pas inclus l’éducation dans ses attributions à cause de l’opposition en 1925 du délégué belge qui

avait défendu l’idée que les questions d'éducation relevaient de la souveraineté nationale.

7

par l’image », ceci au moyen des « organes d’information de masses » et d’« accords internationaux » ; et l’article I b, qui insiste sur « l’éducation populaire » et « la diffusion de la culture »1.

Ainsi, sous l’influence de la conception américaine, l’une des évolutions essentielles de l’IICI à l’Unesco est le passage d’une « coopération intellectuelle » à une « coopération culturelle », d’une action s’adressant aux élites à une action s’adressant aux masses. Le terme « intellectuel » est banni, jugé aristocratique, élitiste, et réactionnaire2. Les Anglo-Saxons estiment que l’échec de l’IICI est en partie dû à son appellation maladroite (à cause du terme « intellectuel »), et qu’il est essentiel que la nouvelle organisation trouve une appellation qui « parle » aux masses3. L’Américain Archibald McLeish a influencé de façon

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