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La conception française : l’idéal de coopération intellectuelle.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 33-39)

Première partie Problèmes structurels.

1. Des conceptions changeantes au fil des dirigeants.

1.1. La gestation des conceptions.

1.1.1. La conception française : l’idéal de coopération intellectuelle.

L’héritage de l’IICI.

La « compréhension internationale », la « solidarité intellectuelle et morale de l’humanité », la « prospérité commune de l’humanité », « le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales », ces principes exprimés dans l’Acte constitutif de l’Unesco, sont des héritages de l’humanisme des Lumières1. Leur inclusion est le résultat des efforts de personnalités françaises.

Celles-ci insistent aussi pour que l’Unesco reprenne une grande partie des caractères des organismes créés à Paris pendant l’entre-deux-guerres sous l’égide de la SDN et considérés comme les « ancêtres » de l’Unesco : l’Association française pour la SDN dès 1920, l’Organisation de Coopération Intellectuelle (OCI), la Commission internationale de coopération intellectuelle (CICI) à partir de 1922, et l’Institut International de coopération intellectuelle (IICI) à partir de 19242.

Ces organismes avaient pour but de favoriser la compréhension internationale par le rapprochement entre intellectuels de différents pays, par la création d’une « Société des Esprits » (P. Valéry) internationale. Ils se caractérisaient comme leur nom l’indique par des finalités d’ordre intellectuel. Ils avaient d’ailleurs réussi à susciter la participation de certains des plus grands noms des lettres et des sciences de l’époque, tels Einstein, Freud, et Bergson3. En 1944, le gouvernement provisoire de la République française cherche à remettre en fonctionnement l’IICI, entré en sommeil à la suite de la capitulation de la France en 1940. Henri Bonnet, qui avait dirigé cet institut jusqu’en 1940, désigne alors Jean-Jacques Mayoux comme son directeur intérimaire4. Lors de la conférence de San Francisco en 1945, la France

1 Ils ne seront remis en cause que dans les années 1960, où ils seront alors considérés comme l’expression non

pas de valeurs universelles, mais de valeurs occidentales. Contrairement à ce qu’affirme A. Finkielkraut, ces valeurs restent la ligne directrice de l’Unesco pendant au moins ses dix premières années. cf. A. Finkielkraut, La

défaite de la pensée, p. 74-76 : « les fondateurs de l’Unesco […] renouaient spontanément avec l’esprit des

Lumières. […] ils pensaient l’Unesco sous le patronage implicite de Diderot, de Condorcet ou de Voltaire. […] Dès les premières conférences de l’Unesco, l’ordre du jour change imperceptiblement : la critique des Lumières prend le relais de la critique du fanatisme », et l’Unesco se livrerait dès ses premières années à une « remise en question de l’humanisme abstrait ».

2 Encyclopedia universalis, 1990, article « Unesco » par V.-Y. Ghebali.

3 Bergson était président du CICI. Einstein et Freud avaient participé à la série des « Correspondances » entre

intellectuels organisée par l’IICI. Cf. J.-J. Renoliet, L’Unesco oubliée, Paris, Presses de la Sorbonne, 1999.

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préconise la continuation du fonctionnement de l’ancien IICI sous le nom d’« Organisation de coopération intellectuelle des Nations Unies »1. Mais l’influence américaine prédominante entraîne l’échec de ce projet. La constitution de l’Unesco provoque la dissolution de l’IICI par le gouvernement français. Celui-ci transfère à l’Unesco son personnel et « les activités valables qu’il a conservées »2. Malgré l’absence de continuité directe entre l’IICI et l’Unesco, on observe la transmission d’un véritable héritage entre les deux organismes. La nouvelle organisation s’inscrit de fait dans la continuité de son prédécesseur, puisqu’elle hérite d’une partie de son personnel et de ses activités. Surtout, l’Acte constitutif de l’Unesco manifeste, par plusieurs aspects, une proximité avec l’esprit de l’ancien institut, soulignant la dimension intellectuelle de la mission de la nouvelle organisation3.

Les Français qui participent au processus de création de l’Unesco affirment leur conviction que, étant donné le précédent de l’IICI, la France aurait un rôle de tout premier ordre à jouer dans la future organisation. Ainsi, à la conférence constitutive de novembre 1945, Léon Blum revendique au nom de la France l’installation de son siège à Paris : il présente Paris comme le « siège naturel » de l’Unesco, à cause de l’« avantage » de la France sur les autres nations, qui tiendrait selon lui « d’une part au fait que la culture française a toujours été marquée par une tendance à l’universalité, qu’il existe en France une tradition séculaire de générosité, de libéralité dans l’ordre de la pensée, qui sont bien dans l’esprit de la future organisation ; d’autre part que toutes les branches, toutes les formes de la civilisation humaine […] s’y sont toujours développées de pair et en liaison réciproque ». Léon Blum fait valoir aussi l’expérience de l’IICI, les « instruments de travail » que cet institut a créés à Paris, et exhorte la nouvelle Unesco à en tirer profit4. L’importance de cet héritage français est reconnue par les Anglo-Saxons5. L’installation du siège de l’Unesco à Paris constitue une grande source de prestige pour la France6.

On observe une continuité entre le personnel de l’IICI et du CICI et celui des premières années de l’Unesco : ainsi, Jean-Jacques Mayoux, dernier directeur de l’IICI, est nommé en 1946 chef de la section de la philosophie et des humanités de l’Unesco ; le philosophe chinois Lin Yutang, membre du CICI dans les années 1930, devient en 1946 chef de la division des arts et lettres7 ; l’écrivain égyptien Taha Hussein, imprégné de culture classique française, universitaire et homme d’État, délégué de l’Egypte à l’IICI dans l’entre-deux-guerres, apporte dès 1946 son soutien moral à l’Unesco, qu’il conçoit dans la perspective intellectuelle et

1 V.Y. Ghebali, article « Unesco », Encyclopedia Universalis. 2

FR, Nantes, carton 117 : PHS/C/46, « Liquidation de l’Institut International de Coopération Intellectuelle ».

3 « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être

élevées les défenses de la paix » ; la « paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et

morale de l’humanité ». 4

ECO/CONF.29/VR.2 (1945), Conférence des Nations Unies en vue de la création d’une Organisation pour l’éducation, la science et la culture, Londres, 1-16 novembre 1945, p. 40-41 : discours du président adjoint, Léon Blum.

5 Biogr. Gilbert Murray : lettre de Murray à Mayoux, 17 août 1945 : « C’est une bonne nouvelle que la

proposition d’une organisation internationale pour l’éducation et la culture ait été unanimement acceptée à San Francisco, et je suis très content qu’elle ait été faite par les Français. La France a toujours été le leader en coopération intellectuelle » (« It is good news that the proposal for an international Organization for Education and Culture was unanimously accepted at San Francisco, and I am very glad that it was made by the French. France was always the leader in Intellectual Cooperation »).

6 William R. Pendergast, « La politique étrangère française et la création de l’Unesco », in Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, p. 67-88. H. H. Krill de Capello : « The Creation of the United Nations educational

scientific and cultural organization (Unesco) », in International Organization, vol. 24, n° 1, hiver 1970, p. 1-30.

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humaniste de l’ancien institut1. Luther Evans lui-même, a posteriori, souligne « le rôle de l’IICI en tant que fond essentiel pour la création et le développement de l’Unesco »2.

De plus, une partie des fondateurs ainsi que des premiers fonctionnaires de l’Unesco est constituée d’anciens de la SDN [annexe 3]. Jean Piaget, directeur du BIE (Bureau international d’éducation, qui dépend de la SDN) depuis 1929, participe à la conférence constitutive de l’Unesco, et devient en 1949 sous directeur général chargé de l’éducation3. En outre, plusieurs fonctionnaires de l’Unesco, étant trop jeunes pour avoir travaillé à la SDN pendant l’entre-deux-guerres, ont cependant participé à cette époque en tant qu’étudiants aux « Rencontres de Genève » organisées par la SDN dans le cadre de l’Ecole des Etudes internationales de Genève, et auxquelles Alfred Zimmern, directeur adjoint de la SDN, a apporté une contribution importante. C’est le cas notamment de Jean Thomas4, et d’Emile Delavenay ; ce dernier témoigne que ces rencontres de Genève ont marqué sa jeunesse et décidé de son orientation future5.

L’idée développée par Archibald MacLeish (pourtant américain) à la conférence constitutive de l’Unesco, selon laquelle l’organisation devrait être « la conscience morale de l’humanité », se place dans l’héritage de l’IICI6. L’action de l’institut a largement inspiré le programme culturel de l’Unesco : révision des manuels scolaires, échanges universitaires internationaux, problème du droit d’auteur, traductions d’oeuvres littéraire s, coordination des bibliothèques et des archives, activité auprès des musées, réflexions sur les droits de l’homme, avaient été entamés de façon importante par lui avant d’être poursuivis par l’Unesco. Pour Jean-Jacques Renoliet, « en 1939, malgré les difficultés de toutes sortes, l’IICI avait à son actif un certain nombre de réalisations et était en passe de voler de ses propres ailes »7.

Ainsi, l’IICI fait en un sens figure de modèle pour l’Unesco. La présence de nombreux intellectuels de culture française.

Dans les débuts de l’Unesco, sous l’impulsion des Français, l’idée est répandue parmi ses dirigeants et ses délégués que cette nouvelle organisation, aux buts si élevés, doit être dirigée par une élite : « dix personnalités ‘de première grandeur’ » selon Clarence Beeby, « une poignée de grands hommes » selon William Benton8, « un réseau d’hommes supérieurs collaborant en contact étroit avec elle » selon Paulo de Berrêdo Carneiro9.

1 Courrier de l’Unesco, novembre 1948, p. 3 : « Taha Hussein exalte la mission de l’Unesco ».

2 OHRO, interview Luther Evans, p. 294 : «the role of the Internatioal Institute as an essential background for

the creation and development of Unesco ».

3 Article dans le Courrier de l’Unesco, 1er nov. 1949, p. 9 : « Le prof. Piaget sous-directeur général chargé de

l’éducation par intérim ».

4 E. Delavenay, « Mes souvenirs de Jean Thomas : tradition normalienne et le ‘C’ dans ‘Unesco’ », in Souvenir de Jean Thomas, Nice, 1984, 94 p., p56-62.

5 E. Delavenay, op. cit., p. 105 : « Combien de mes condisciples de ces étés genevois sont devenus de loyaux et

compétents serviteurs de la cause de la paix, soit comme délégués de leurs gouvernements, soit comme fonctionnaires internationaux, à l’ONU ou à l’Unesco. Dans le second quart du siècle aucune institution n'a autant contribué, à mon sens, que les corus d’Alfred Zimmern, à former une génération désireuse et capable de mettre en œuvre la coopération internationale à laquelle chacun de nous aspirait ». Lien-Link n°82 : « Ma longue histoire d’amour avec l’Unesco », par Emile Delavenay. Il témoigne avoir été « un habitué » des rencontres de Genève.

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Benton, box 401 : lt. de G.V. Allen à Thomas A. Brindley, 22 juin 1967 : « the moral conscience of mankind ».

7 J.-J. Renoliet, op. cit., p. 332.

8 Journal de la conférence générale de 1947, vol I., 5e séance plénière, 10 novembre 1947, p. 77-81 : propos de

William Benton, p. 81.

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Les premières sessions de la conférence générale, ainsi que le secrétariat, accueillent de nombreux intellectuels. La délégation française comprend ainsi notamment Jean Sarrailh (recteur de l’université de Montpellier), Léon Blum, Paul Rivet (directeur du Musée de l’homme), Marcel Bataillon (professeur de littérature espagnole au Collège de France), Pierre Auger (directeur de l’enseignement supérieur), Jean Cassou (conservateur du Musée d’art moderne), Henri Wallon (professeur au Collège de France)1, Jacques Maritain, Lucien Febvre, René Cassin, Frédéric Joliot-Curie, François Mauriac, Paul Langevin, Henri Wallon, Louis Jouvet, Gustave Monod, Léo Lagrange, et l’historien Charles Morazé2. Gabriel Le Bras, Albert Camus, Raymond Aron ont aussi été envisagés pour y siéger3. De plus, des intellectuels de renom sont pressentis pour des postes importants à l’Unesco, entre autres l’historien français Lucien Febvre, le poète américain Archibald MacLeish, et le poète italien antifasciste Eugenio Montale4.

Un certain nombre de ces intellectuels sont d’anciens élèves de l’Ecole Normale Supérieure, où ils se sont connus dans les années 1930 : Michel Prévost5, Roger Caillois6, Paul Leclerc7, Pierre Auger, Jean Thomas8, Jacques Havet9, Emile Delavenay10, René Maheu11. Ces quatre derniers personnages sont entrés à l’Unesco dès sa création et y ont accompli une longue carrière, devenant de véritables piliers de l’organisation. Ils sont restés tout au long des années liés par des liens étroits et solides. En 1962, dans son discours d’entrée en fonction, René Maheu évoque « [s]on vieil ami Jean Thomas » qui, dit-il :

« après m’avoir accueilli à l’Ecole Normale Supérieure il y a maintenant 37 ans, m’invita avec le même sourire en août 1946, à entrer à la Commission Préparatoire de l’Unesco à Londres, et qui, après avoir travaillé avec moi pendant quatorze ans au Secrétariat, siège maintenant à la délégation française. C’est lui qui me conduisit un certain samedi de septembre 1946 à Londres à Julian Huxley lequel, comme on dit, ‘me recruta’. »12

En 1973, il rappelle à nouveau cet événement :

« En juillet 1946, j’étais à la fois en vacances et chômeur et je pensais entrer dans l’enseignement en France, au premier octobre. À vrai dire sans grand plaisir […]. J’en étais donc là quand je rencontre par hasard Jean

1 FR, NUOI carton 335 : GD/AL, note pour le ministre, 8 octobre 1947. 2 X 07.21 (44) D, I : « Délégation de la France ».

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FR, Cabinet du ministre, Bidault, carton 38, dossier « Unesco, 5 sept. 1946- 1er juillet 1948 » : note pour le cabinet du ministre, à l’attention de M. Morin, au sujet : conférence de l’Unesco, 13 septembre 1947, n° 1119.

4 IT, Gabinetto, 1943-58, pacco 99, posiz. V5 : Unesco ; busta 1948 : lettre du secrétaire particulier du ministre

au prof. Ragghianti, 3 mai 1948 : Montale est pressenti pour le poste de directeur pour les lettres et les arts.

5

M. Prévost, L’île des Uneskimos, Mémoires d’un ancien fonctionnaire de l’Unesco, 1949-1983, janvier 1996, dactylographié, non publié, conservé aux archives de l’Unesco, p. 6. Prévost entre à l’Unesco en 1946 grâce à Jean Thomas, condisciple de son père à l’ENS.

6 Who is Who in France, 1975-76 ; M. Prévost, op. cit., p. 6 ; Biogr. Caillois. Caillois a travaillé à l’Unesco de

1948 à 1973. Sa femme, Elena Caillois (Bykova), a également travaillé à l’Unesco, de 1947 à 1976. Exilé en Argentine pendant la guerre, Caillois intéresse à l’Unesco son amie l’écrivaine Victoria Ocampo. Biogr. Ocampo : celle-ci a ensuite légué sa villa de Buenos Aires à l’Unesco ; Nécrologie de V. Ocampo, Le Monde, 30 janvier 1979 ; Lien-Link n°84, Patrice Vermeren, « Roger Caillois et la fondation de la revue Diogène. Une boussole mentale à l’épreuve de l’Unesco ».

7 E. Delavenay, op. cit., p341. Paul Leclerc, normalien, agrégé de lettres, travaille à l’Unesco à partir de 1949. 8 Biogr. Jean Thomas.

9 Biogr. Jacques Havet. Lien-Link n°80 : nécrologie de Jacques Havet par Nicolas Bodart et René Ochs : après

avoir été reçu premier à l’ENS et premier à l’agrégation de philosophie, « une occasion inattendue s’offrit à lui : Jean Thomas, qui avait été son examinateur au concours de Normale, alors secrétaire exécutif de la Commission préparatoire de l'Unesco récemment créée à Londres, lui proposa un engagement provisoire, qu’il accepta ».

10 E. Delavenay, op. cit.,, avant-propos : il évoque l’influence de « la France de Jaurès », de « l’Ecole Normale

Supérieure de Lanson, Paul Dupuis et Lucien Herr » dans la formation de sa personnalité. Lien-Link n°82 : « Ma longue histoire d’amour avec l’Unesco », par Emile Delavenay : « Une de mes premières visites [à son retour à Paris] est pour mon camarade normalien René Maheu […]. Il m’accueille avec cordialité ». Biogr. Delavenay.

11 John Fobes, « La fonction publique internationale », in Journée d’hommage à René Maheu, Cahier I : l’homme et le directeur général, Groupe Miollis, AAFU, Paris, 2002, 87 p., p. 30-33 : Maheu « faisait partie de

cette petite élite qui avait passé par l’ENS, participé à la Résistance, souffert de l’Occupation et connu l’instabilité de la IVe République ».

12 12 C/INF/12, 16 novembre 1962 : discours prononcé par Maheu devant la conférence générale lors de son

Thomas, un de mes anciens surveillants de Normale et qui était l’adjoint de Julian Huxley, que j’avais connu à Londres avant la guerre, ainsi d’ailleurs que son frère Aldous. Jean Thomas me suggère d’aller le voir, ce que je fais et je deviens aussitôt directeur et seul fonctionnaire de la division de la libre circulation de l’information. »1

Jacques Havet rend lui aussi hommage à Jean Thomas, évoquant en lui « un patron, un ami, un exemple »2. Emile Delavenay le considère comme « l’incarnation de cette solidarité normalienne »3. Il est à noter que Jean Thomas est l’auteur d’ouvrages sur la philosophie des Lumières, ce qui confirme la prégnance de cette conception4.

Plusieurs intellectuels français, sans être à proprement parler employés par l’Unesco, ont aussi participé, de manière ponctuelle, à ses activités intellectuelles. Ainsi, André Malraux prononce en 1946 une conférence pour l’Unesco sur le thème « L’homme et la culture artistique », et correspond avec l’Unesco en 19505. De même, Jean-Paul Sartre entretient des liens avec l’Unesco dans les premières années6.

De nombreux intellectuels étrangers mais francophiles ou de culture française participent également à l’Unesco dans ces années [annexe 3].

Les Suisses francophones ont également joué un rôle important, ce qui peut s’expliquer par leur intérêt pour les organisations internationales et l’action pour la paix. C’est en particulier par l’intermédiaire de structures comme la SDN, le Bureau international d’éducation (BIE)7, créé en 1926 par Jean Piaget, la Croix rouge internationale8, et les communautés d’enfants, dont beaucoup ont vu le jour en Suisse9, que la Suisse a constitué un vivier important de futurs fonctionnaires de l’Unesco.

Ainsi, l’Unesco a été très marquée par l’influence française. Sous l’impulsion de ce courant, la nouvelle organisation s’est efforcée de conserver l’esprit et le style de l’IICI10, c’est-à-dire de jouer un rôle de « pionnier de la diffusion de la culture, de la science et de la connaissance », et de devenir une sorte de « ministère mondial de l’Education chargé d’assurer la défense des biens et valeurs culturels »11. Ces intellectuels ont développé une

1 X 07.83 Maheu, VI : L’Orient - Le Jour, n° 83, 6-12 janvier 1973, p. 13-15 : « Portrait : directeur général de

l’Unesco, René Maheu : ‘Notre rôle n’est pas d’intervenir mais de stimuler’ », interview de Maheu, par Mirèse Akar.

2 Jacques Havet, « Un patron, un ami, un exemple… », in Souvenir de Jean Thomas, Nice, 1984, témoignages

collectés par R. Lassalle, 94 p., p. 68-73.

3

E. Delavenay, « Mes souvenirs de Jean Thomas : tradition normalienne et le ‘C’ dans ‘Unesco’ », in Souvenir

de Jean Thomas, Nice, 1984, 94 p., p56-62. 4 Biogr. Jean Thomas.

5 Biogr. Malraux : « L’homme et la culture artistique », conférence de Malraux prononcée à la Sorbonne pendant

le « Mois de l’Unesco » 1946 (COM 1) ; et : correspondance avec Malraux, 1950 (CLT/ART).

6 COM 1 : conférence de Sartre prononcée à la Sorbonne pendant le « Mois de l’Unesco » 1946. Et il propose à

l’Unesco de rédiger une brochure sur le thème du racisme.

7 Le BIE avait été créé en 1926 par Jean Piaget sous la forme d’une association privée d’éducation, et était

devenu en 1929 la première organisation intergouvernementale spécialisée en éducation. Cf. collectif, Les

organisations internationales à vocation universelle, p. 45. Seth Spaulding et Lin Lin, Historical Dictionary of the UNESCO, The Scarecrow Press, Inc., Lanham, Md., and London, 1997, 500 p., p. 3. Selon Seth Spaulding, la

réticence de Jean Piaget à placer le BIE directement sous la responsabilité de l’ONU en 1945 aurait favorisé la création de l’Unesco.

8 Lien-Link n°81 : nécrologie de Marion Jung-Fawtier par Markku Järvinen. Lien-Link n°73 : nécrologie de Guy

Métraux, par Witold Zyss : Guy Métraux a travaillé de 1944 à 1947 au Comité international de la Croix Rouge.

9 Lien-Link n°85 : « Pourquoi et comment je suis entré à l’Unesco », par Jean-Baptiste de Weck. Il a travaillé dès

1946 comme ouvrier au village Pestalozzi pour les enfants orphelins de guerre des pays dévastés, créé à Trogen en Suisse. Cf. aussi J.B. de Weck, Servir la cause universelle de l’Unesco. Une moisson d’expériences et de

souvenirs.

10 Roger Caillois, « In memoriam : René Maheu », décembre 1975, p. 10-11, cité dans Hilaire-Philippe

Sagbohan, L’Afrique noire francophone et l’Unesco de 1960 à nos jours, thèse de doctorat, Paris I, 1979, p. 28. Caillois observe qu’à ses débuts, l’Unesco « tenait encore beaucoup de l’IICI, dont elle était l’héritière : il s’agissait, plutôt que d’une organisation efficace, d’une société des esprits à laquelle appartenaient des personnalités ».

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conception classique, européenne, de la culture, inspirée de l’IICI ; ils conçoivent l’action de l’Unesco comme centrée principalement sur le domaine intellectuel1.

L’IICI, un contre-modèle ?

Cependant, l’IICI, tout en servant de point d’appui à la nouvelle Unesco, joue également un rôle de repoussoir. En effet, les fondateurs de l’Unesco s’attachent à éviter que la nouvelle organisation ne reproduise les défauts de l’ancienne : ainsi, l’Unesco vise à atteindre les masses (et non plus seulement une élite), à mener une action concrète (et non plus seulement une action intellectuelle), et à avoir une portée mondiale (et non plus seulement européenne).

Le principal défaut que les fondateurs de l’Unesco reprochent à l’IICI est son caractère élitiste. L’IICI visait à « toucher les masses par l’intermédiaire des milieux intellectuels et non directement »2. Les actions de l’IICI s’étaient limitées à des rencontres d’intellectuels et à des

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