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Un constant effort de synthèse.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 139-160)

Première partie Problèmes structurels.

1. Des conceptions changeantes au fil des dirigeants.

1.4. Evans (1953-58) et Veronese (1958-61) : une période de transition ?

1.5.4. Un constant effort de synthèse.

Durant ses deux mandats, Maheu s’efforce inlassablement de concilier les tendances opposées qui ont divisé l’Unesco depuis sa création sans jamais pouvoir être résolues ; il s’attache à opérer une synthèse entre l’idée de mission opérationnelle, pratique, et celle de mission intellectuelle ; entre la conception universaliste et la conception multiculturaliste ; entre le caractère non-confessionnel de l’Unesco et son spiritualisme croissant. Par là, il vise à réconcilier les Anglo-saxons avec les « Latins », les ressortissants du sud et ceux du nord, et les athées avec les chrétiens.

1 René Maheu. Portrait-souvenir …, op. cit. : article de M. Batisse, p. 36-37

2 Rapport du DG sur 1962, 218 p., p. 61 ; M. Prévost, op. cit., p. 168, 140, 149, 150, 160 ; René Maheu,

« L’évolution de l’Unesco de 1960 à 1962 », Chronique de l’Unesco, oct. 1962, vol. 8, n°10, p. 357.

3

M. Prévost, op. cit., p. 155-156.

4 S. Dumitrescu, article dans René Maheu. Portrait-souvenir…, op. cit. 5 René Maheu. Portrait-souvenir …, article de M. Batisse, p. 36-37.

6 EU, box 823 : « confid. report on the eight session of the international advisory committee on research in the

Maheu a contribué à une clarification de la conception et de la formulation du programme. C’est ce qu’observe la délégation américaine en 1965, estimant que le programme est désormais « mieux conçu, plus resserré, que dans les années précédentes »1 ; cette opinion se renforce chez la délégation américaine dans les années suivantes2.

Faire de l’Unesco à la fois une « agence opérationnelle » et un « forum de réflexion ». Le dilemme entre action opérationnelle et action intellectuelle avait déchiré l’Unesco depuis sa création. Maheu s’efforce de le résoudre par la synthèse.

L’idée d’une interpénétration entre action théorique et action pratique.

Maheu veut donner deux facettes à la mission de l’Unesco : théorique et pratique. D’une part, il veut en accroître de manière importante le budget, pour en faire une agence opérationnelle, capable de mener des actions concrètes et de grande ampleur dans le Tiers Monde3 ; d’autre part, il veut en faire un grand « forum » international de réflexion sur tous les grands problèmes éducatifs, scientifiques et culturels du monde contemporain4 ; il s’agit pour lui en cela d’opérer un « retour aux sources » de la mission intellectuelle de l’Unesco. Il s’efforce de lui donner une double mission, à la fois théorique et pratique. Ainsi, « ancrée sur les bases concrètes de la coopération intellectuelle, d’une part, et de l’aide au développement d’autre part », l’Unesco pourra selon lui acquérir enfin le poids qu’elle mérite, ne plus être « dans les nuages », mais bien inscrite « dans le monde, dans l’histoire », et par là enfin accomplir « sa vocation », c’est-à-dire devenir « la grande force spirituelle que ses fondateurs avaient rêvé qu’elle soit », tout en gardant « les pieds sur terre »5.

Par rapport avec Adiseshiah qui prône une orientation complète de l’Unesco vers l’aide au développement, Maheu adopte une position plus nuancée, soulignant l’importance de l’interaction entre la théorie et la pratique6. Alors que l’Unesco s’oriente de plus en plus nettement vers l’action opérationnelle, il maintient avec fermeté qu’elle ne doit surtout pas renoncer à sa mission de « promouvoir le progrès de l’esprit », en « stimul[ant] et organis[ant] à travers le monde, dans le cadre des différentes disciplines, le rassemblement et l’analyse des connaissances, la confrontation des expériences et des idées, la recherche en commun des interprétations explicatives »7. Maheu s’efforce ainsi de faire jouer à l’Unesco un « rôle d’équilibrage », c’est-à-dire qu’il oppose une certaine résistance aux revendications des pays en voie de développement, afin d’éviter que les ressources de l’organisation ne soient

1 EU, box 3341 : rapport de l’ambassade américaine à Paris au département d’état, 14 août 1965, p. 5 : « a

tighter, better conceived program than the Secretariat has produced in the recent past ».

2

Report of the US delegation to the 17th session ..., doc. cit. : « We believe that Unesco has done a commendable job in revamping the program and in giving it a more pragmatic and cohesive orientation that it has been lacking for years ».

3 EU, box 827 : memorandum de conversation avec Maheu, 16 octobre 1962, 4 p., p. 2-3. 4

M. Prévost, op. cit., p. 243.

5 DG/1964 : discours de Maheu au terme de la discussion générale à la conférence générale, 2 novembre 1964, p.

7, 9, 10.

6 Article d’Acher Deleon, in René Maheu. Portrait-souvenir …, op. cit., p. 63-64 ; M. Prévost, op. cit., p. 178,

évoque au sujet d’Adiseshiah « l’admiration que j’éprouvais pour la très vaste culture, la sûreté de jugement, et la fermeté des idées, de ce diable d’homme, à qui je crois toujours que l’Unesco a dû un bon tiers de son âme ». Francis Blanchard, « Les amitiés au sein des Nations Unies », Journée d’hommage à René Maheu, Cahier I, op.

cit., p. 30-33. 7

entièrement mobilisées par l’aide au Tiers Monde au détriment de la réflexion intellectuelle1. « Pour l’Unesco, l’action technique et l’action éthique s’interpénètrent indissolublement, et l’Unesco n’existe que par cette interpénétration », déclare-t-il2.

Maheu s’efforce de mettre l’éducation à contribution pour faire cette synthèse. L’éducation constitue pour Maheu l’un des piliers de la mission de l’Unesco3. Lui-même se revendique comme un authentique « éducateur » : « Je ne suis qu’éducateur ! Professeur, issu d’une famille tout entière d’instituteurs, je n’ai connu, pendant la plus grande partie de ma vie, pas autre chose que l’éducation, et son austère et noble sacerdoce », déclare-t-il en 19624. C’est ce qu’il affirme à beaucoup de gens, en particulier à William Carr : « je suis un enseignant de vocation. J’étais enseignant avant de devenir directeur général de l’Unesco et quand je travaille avec des enseignants je travaille avec mes collègues »5.

Les fonctionnaires de l’Unesco, comme Maheu, s’efforcent de développer l’idée d’une synthèse entre action théorique et action pratique. Ainsi, Hemptinne écrit qu’ « il n’y a aucune oposition enre les activités de coopération intellectuelle et méthodologique d’une part (c’est la conception originelle de l’Unesco, dérivée de l’IICI) et d’autre part les activités dites opérationnelles effectuées sur le terrain au service d’États membres individuels et à leur demande. Bien au contraire ! Ces deux formes de l’action de l’Unesco se sont renforcées et enrichies mutuellement »6.

A la fin de la période, Maheu réplique aux critiques qui affirment que la nouvelle orientation de l’Unesco constituerait une déviation par rapport à sa mission naturelle ; en 1973, il affirme que bien que les deux tiers des ressources de l’organisation aillent désormais à l’aide au développement, « nous sommes une organisation non pas d’aide mais de coopération et nous devons le rester » ; « nous sommes une organisation non pas d’intervention mais de stimulation » ; « si nous donnons la priorité à l’aide au développement, ce n’est pas vraiment par vocation mais parce que, du point de vue à la fois de la morale et du réalisme, corriger la situation historique présente est l’indispensable condition à une coopération efficace et juste »7. En 1976, dans l’article sur René Maheu dans l’Encyclopedia

Universalis, Jean Thomas évoque le fait qu’« on lui a parfois reproché de négliger, en faveur

des actions opérationnelles, les devoirs de l’Unesco envers la coopération intellectuelle »8.

Une insistance sur la mission intellectuelle et philosophique de l’Unesco.

Maheu défend l’idée, abandonnée depuis 1947, de développer une philosophie spécifique de l’Unesco9. Proclamant que « la vocation de l’Unesco n’est pas utilitaire, mais éthique », que « les objectifs de l’Unesco sont essentiellement moraux », il estime que l’Unesco doit obéir à une philosophie de la paix, fondée sur la croyance au libre-arbitre :

1 EU, box 825 : memorandum de Coombs à Cleveland, compte rendu d’une réunion avec Maheu, 12 avril 1962 :

« balancing role ».

2 R. Maheu, op. cit., p. 271. 3 Interviews Tocatlian et Balandier.

4 12 C/INF/12, discours de Maheu, 1962, discours cité, p. 3. 5

Benton, box 401 : lt. de Carr à Benton, 5 juin 1964 : resumé de sa conversation avec Maheu : Maheu lui dit « I am a teacher at heart. I was a teacher before I became DG of Unesco and when I work with teachers I am working with my own people ».

6 Hemptinne : dossier « science et technologie ». 7

Mirèse Akar, « Portrait : DG de l’Unesco, René Maheu …. », art. cit.

8 Encyclopedia Universalis, 1976, p. 503-504 : article « René Maheu », par Jean Thomas.

9 Maheu « cherchait un difficile compromis entre son goût pour l’abstraction des concepts et la nécessité de

demeurer neutre à l’égard des idéologies des Etats membres », Raymond Aron, Mémoires, Paris, Julliard, 1983, p. 86.

« l’Unesco est fondée sur la croyance qu’en définitive c’est la liberté de l’homme qui décide de l’histoire, qui choisit notamment entre la paix et la guerre »1.

Étant donné que les années 1960 voient un net accroissement de l’action pratique, Maheu se consacre principalement, dans sa tentative de « rééquilibrage », à promouvoir l’action intellectuelle et philosophique. En 1962, à un colloque de l’Unesco sur Rousseau, il affirme : « L’Unesco est d’abord et avant tout une organisation vouée aux échanges d’idées et aux confrontations intellectuelles, mais, quelquefois, ses activités en matière d’assistance aux États membres tendent à devenir de plus en plus pratiques et semblent prendre le pas […] sur la coopération intellectuelle. En réalité, si son action au plan des échanges culturels est moins spectaculaire, elle reste sa vocation essentielle et même, je voudrais dire que l'œuvre qu’elle accomplit dans le domaine du développement n’a de sens que dans la mesure où celui-ci répond à cette vocation. […] Si l’Unesco se bornait à fournir des services d’experts […] dans les domaines de sa compétence, elle ne serait pas à la hauteur des ambitions de ses créateurs »2.

Cela correspond aux vœux des pays « latins », et notamment du gouvernement français, qui, en 1965, souhaite une extension des activités de l’Unesco dans le domaine de la culture, domaine auquel « la France accorde un grand prix », et qui craint une diminution des activités dans ce domaine, à cause de la « nouvelle orientation » de l’Unesco. Le gouvernement français déplore que « le rôle de l’Unesco comme agent d’exécution des divers organismes des Nations Unis dispensateurs de fonds tend à orienter de plus en plus l’organisation vers les activités d’ordre ‘opérationnel’ et de ce fait à modifier la substance même de son propre programme » ; il craint « qu’absorbé par les tâches adminsitratives très lourdes qu’entraînent pour lui les activités dites « opérationnelles », le Secrétariat n’y consacre le meilleur de lui- même et ne renonce […] aux initiatives qu’on attendait de lui dans les domaines où l’action qualitative et la réflexion doivent prévaloir »3. Comme l’exprime le diplomate français Jean Fernand Laurent en 1970, les représentants de la France à la conférence générale et au conseil exécutif, « n’ont cessé de soutenir que l’Unesco […] ne devait pas négliger pour autant sa vocation première, héritée de l’Institut international de coopération intellectuelle », à savoir « être un centre international de reflexion et de coopération intellectuelle »4. Il en va de même pour l’Italie : ainsi, en 1965, la commission nationale italienne affirme que la culture doit être et rester « source première et but final de toute l’activité de l’Unesco », et s’affirme opposée à la tendance à « diminuer le poids concret et la place précise que les activités culturelles ont au sein de l’Unesco ». Elle estime cependant que l’Unesco doit « éviter la définition d’un complexe doctrinaire qui sort des buts de l’Unesco et est exposé […] au péril de déviations ou préférences idéologiques »5.

Dans cet esprit, Maheu crée en 1966 une division de la philosophie, à la tête de laquelle il nomme la philosophe suisse Jeanne Herrsch6. Maheu s’efforce de donner à l’Unesco un net caractère intellectuel par la composition du personnel du Secrétariat. Sous son influence,

1 R. Maheu, La Civilisation de l’ universel. Inventaire de l’avenir, 1966, Paris, R. Laffont, p. 270-272. Cf. aussi :

Conférence générale de 1962, rapport du directeur général, p. 57.

2 Journée d’hommage à René Maheu, Cahier II, op. cit., p. 56-61, Michel Batisse, « Deux fronts pour un même

combat ».

3 X 07 A 120/197 UNSA : observations et commentaires du gouvernement français sur l’avant-projet condensé

de programme et de budget pour 1967-68, 27 p., p. 8-10.

4 Fr, Nantes, carton 104 : lt. de Jean-Fernand Laurent au ministre des affaires étrangères, 6 janv. 1970.

5 X 07 A 120/197 UNSA : commentaires de la commission nationale italienne sur le programme et budget 1967-

68, 17 p., en français, p. 9-10.

6

l’Unesco accueille dans les années 1960 un nombre accru d’intellectuels1, de scientifiques et d’artistes, comme, outre Jeanne Herrsch, le philosophe libanais René Habachi, de tendance spiritualiste et personnaliste2, le poète et peintre argentin Eduardo Jonquières3, Frank Malina, scientifique américain inventeur des premières fusées spatiales, et peintre novateur, pionnier dans le domaine de l’art cinétique, auteur de réflexions sur les interactions entre art, science et technologie4, Bergeaud5 ; le conseil exécutif accueille des grandes figures comme Indira Gandhi6, Amadou Hampâté Bâ7, le poète chilien Pablo Neruda8 ; le sociologue britannique Richard Hoggart, directeur du secteur des sciences sociales, des sciencs humaines et de la culture9 ; Roger Caillois est directeur de la division de la diffusion internationale de la culture10. En outre, des scientifiques comme Paul Lazarsfeld11 et des intellectuels comme Robert Escarpit12 sont régulièrement associés à l’action de l’Unesco ; le violoniste Yehudi Menhuin est dans ces années président du Conseil international de la Musique. L’Américaine D’Arcy Hayman, qui travaillait dans ces années dans le département des arts, dit avoir été amenée, par son travail à l’Unesco, à travailler avec des célébrités comme Picasso, Miro, Vasarely, Chagall, Giacometti, Jean Arp, Jean Lurçat, Max Ernst, Jean-Louis Barrault, Yehudi Menhuin, Samuel Beckett, André Maurois, Jean Cocteau, Jorge Luis Borges, etc.13

Malgré cette insistance mise par Maheu sur la mission intellectuelle et philosophique de l’Unesco, cependant en pratique, au fil de ses deux mandats, l’activité culturelle et intellectuelle de l’Unesco diminue en fait au profit de l’action opérationnelle14.

La conception de Maheu de la mission intellectuelle de l’Unesco n’est pas limitée aux humanités et à l’éducation. Elle s’élargit jusqu’à comporter une dimension idéologique ; l’ambition de Maheu est de faire de l’Unesco un important forum de réflexion sur les problèmes politiques, sociaux, économiques, du temps présent.

1 Lien-Link n°82 : « Entrer à l’Unesco comme entrer en religion ? » par Zacharie Zachariev. Lien-Link n°80 :

nécrologie de Jacques Havet par Nicolas Bodart et René Ochs ; Lien-Link n°80 : critique de « Dossier classé » de Henri Lopes, par Ninno Chiappano.

2 Lien-Link n°86 : nécrologie de René Habachi, par Marie-Odile Bonnerot : Habachi, ami d’Emmanuel Mounier,

de Teilhard de Chardin, « personnaliste méditerranéen », « au confluent des penseurs d’Orient et d’Occident, du Moyen Age et de la modernité ». Cf. René Habachi, Le Transgresseur, Paris, Desclée de Brouwer, 1984.

3 Lien-Link n°75 : nécrologie d’Eduardo Jonquières. Lien-Link n°81 : « Education for all : about 50 years ago :

the Major Project in Latin America, 1957-66 », par José Blat Gimeno. Lien-Link, n°75 et 77, articles de N. Chiappano.

4

Lien-Link n°83 : « Frank Malina and Unesco. Yesterday, Today and Tomorrow », par John E. Fobes. Cf. aussi : http:www.olats.org/pionniers/malina/malina.shtml. Interview Koffler.

5 Biogr. René Bergeaud : ancien élève de l’ENS, agrégé de lettres, il est entré à l’Unesco en 1961, à la division

de l’Afrique du département de l’éducation.

6

Premier ministre de l’Inde (1966-1977 et 1980-1984). Membre du Conseil exécutif de 1960 à 1964.

7 Membre du conseil exécutif de 1962 à 1970,

8 17 C/VR.5, 22.11. 17 C/NOM/14, 23 août 1972. Membre du Conseil mondial de la paix. Prix international de

la paix. Prix mondial Lénine pour la paix. Prix nobel de littérature 1971. Membre du conseil exécutif et ambassadeur et délégué permanent du Chili à l’Unesco.

9 Cf. R. Hoggart, 33 Newport Street, autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises,

Paris, Seuil, 1991, 288 p. ; R. Hoggart, La culture du pauvre. Etudes sur le style de vie des classes populaires en

Angleterre, Paris, Minuit, 1970 ; R. Hoggart, Between Two Worlds, Essays, London, Aurum, 318 p.. En février

1970, il est nommé sous-directeur général pour les sciences sociales, les sciences humaines et la culture (ODG/DG/Memo 30.220, 2 février 1970). EU, box 3225 : airgram de l’ambassade américaine de Paris au département d’état, 24 déc. 1970, 56 p., p. 20 et 36.

10 Ibid. 11

Biogr. Lazarsfeld : scientifique, sociologue et psychologue.

12 Biogr. Escarpit. Missions pour l’Unesco en Amérique latine en 1969, et plusieurs publications pour l’Unesco

sur la promotion du livre.

13 D’Harcy Hayman, box 3 : CV de D’Harcy Hayman. 14

La volonté de faire de l’Unesco un important forum de réflexion sur les problèmes politiques, sociaux, économiques, du temps présent.

Maheu annonce ses ambitions en la matière de façon très médiatique, en août 1963 dans Le Monde et le Sunday Times. Il y affirme sa volonté d’opérer « une réorientation radicale » de l’action de l’Unesco et « un retour aux idéaux de base qui ont présidé à sa création »1, en faisant prendre à l’Unesco « une part plus active aux grands débats qui préoccupent actuellement les hommes », notamment à trois questions brûlantes : le racisme, la « post-décolonisation », et le désarmement2.

En choisissant ces trois orientations, Maheu s’éloigne à dessein des problématiques philosophiques qui avaient caractérisé les premières réflexions de l’Unesco, et engage résolument l’organisation dans les problèmes politiques et sociaux de l’époque. Il s’agit pour lui de « faire de l’Unesco la grande force de persuasion qui rendra les forces de dissuasion totalement inutiles»3. Maheu souhaite que l’Unesco mène dans ces trois domaines des « études objectives », afin de « dépassionner » ces questions controversées. Dans le domaine du désarmement, il propose que l’Unesco réfléchisse au « passage d’une économie d’armement à une économie de désarmement », à « la conversion d’une civilisation armée à une civilisation sans armement ». Il attribue à l’Unesco la mission de « proposer une affectation et une répartition à travers les nations des crédits libérés par l’arrêt des expériences nucléaires et de l’armement » : il estime que ces crédits devraient être consacrés en premier lieu à la lutte contre l’analphabétisme, puis à l’éducation, à la culture, à la science et à l’aide aux pays en voie de développement4.

Si l’intérêt pour ces trois questions n’est en fait pas quelque chose d’absolument nouveau de la part de l’Unesco, puisque le racisme avait fait l’objet d’un programme en sciences sociales depuis 1947 et que l’Unesco avait commencé à prendre en compte le phénomène de la décolonisation dans les années 1950, cependant ces domaines n’avaient jamais été considérés comme prioritaires5. Ces thèmes de réflexion sont hautement polémiques. Leur traitement par l’Unesco est soutenu par l’URSS, au nom du fait que ces questions sont « essentielles à la paix »6, et est combattu par les États-Unis, qui estiment qu’elles sont d’ordre politique et donc outrepassent la compétence de l’Unesco7.

Maheu affirme que l’Unesco doit constituer une véritable ‘force de persuasion’ » par son action éthique8. En revanche, l’Unesco n’est alors pas exempte de contradictions avec la volonté d’être progressiste, puisqu’en 1965 elle accueille, dans le cadre du congrès international de la police, Maurice Papon9.

1 « L’Unesco se propose de donner une nouvelle orientation à son action, déclare au Monde M. René Maheu »,

propos recueillis par J.-Cl. Berry, Le Monde, 21 août 1963, p. 1-2 ; RU, ED 121/1163 : mémorandum de L.C.J. Martin, 17 septembre 1963, 3 p., « radical reorientation » (Sunday Times, 11 août 1963).

2 Le Monde, 21 août 1963, article cité. 3 DG/1964, discours cité, p. 9-10. 4

Le Monde, 21 août 1963, article cité.

5 RU, ED 121/1163, lettre d’Edward Boyles à Peter Smithers, 10 septembre 1963.

6 Vadim Zagladine, « A l’Unesco », 3 juin 1960, art. cit., p. 5. « Une organisation spécialisée dans les échanges

scientifiques et culturels a, par définition, le devoir de se pencher sérieuement sur le problème de la coexistence pacifique ». Et : Vadime Sobakine, L’Unesco : problèmes et perspectives, éditions agence de presse Novosti, Moscou, 1972, 134 p., p. 51-56 et 132.

7 W. Benton, « The Defenses of Peace : Progress Report on Unesco », 7 mars 1964, article cité. « I can conceive

that Unesco can contribute to the cause of disarmament by stimulating study of its economic and social consequences. […] But I cannot conceive that the cause of disarmament can be advanced by echoing at Unesco House the negociations taking place at the UN and in keys capitals ».

8 RP, 13 nov. 1964 : Le Monde, 4 nov. 1964 : cite le discours de clôture de Maheu à la conférence générale. Ce

discours est aussi cité par le Journal de Téhéran, 3 nov. 1964.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 139-160)