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La convergence de ces conceptions sous l’effet de la Seconde Guerre Mondiale.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 45-48)

Première partie Problèmes structurels.

1. Des conceptions changeantes au fil des dirigeants.

1.1. La gestation des conceptions.

1.1.3. La convergence de ces conceptions sous l’effet de la Seconde Guerre Mondiale.

Organizations of the Teaching Profession, WCOTP)1.

Ces Américains qui, dès la gestation de l’Unesco, apportent avec conviction leur soutien à la nouvelle organisation, loin d’être des individus isolés, ont des points communs. Ils forment une nébuleuse, constituée de divers réseaux. Nés autour de 1900-1910, ils appartiennent à la même génération, sont souvent des démocrates, et sont liés aux cercles de la Bibliothèque du Congrès, de l’université de Chicago2, de la Fondation Ford, et d’ONG éducatives. Ils jouent un rôle important dans sa promotion jusqu’au tournant des années 19603.

Il est à signaler qu’une des différences majeures entre conceptions américaines et britanniques est l’importance accordée au rôle de l’histoire par les Britanniques (proches en cela des conceptions françaises), idée qui n’est pas partagée par les Américains4.

Les conceptions anglo-saxonnes ont donc marqué profondément les orientations données à l’Unesco : la reconstruction, les besoins des masses, et en particulier l’éducation populaire, sont en effet ensuite devenus des piliers majeurs de l’organisation. L’harmonisation de ces conceptions a été rendue possible par l’expérience traumatisante de la Seconde Guerre Mondiale.

1.1.3. La convergence de ces conceptions sous l’effet de la Seconde Guerre

Mondiale.

C’est le traumatisme causé par la Seconde Guerre Mondiale et une volonté commune de sursaut moral par rapport aux atrocités qui s’y sont commises qui ont permis à ces conceptions de s’accorder et d’aboutir à la création concrète de l’Unesco 5, malgré les « grandes controverses » qui se sont manifestées à la conférence constitutive6. Le Préambule de l’Acte constitutif en témoigne clairement, évoquant « la grande et terrible guerre qui vient de finir ».7 De même, dans son discours à cette conférence, en novembre 1945, Léon Blum évoque parmi les buts de la nouvelle organisation celui de vaincre le nazisme et le fascisme8 ; et le « Rapport sur le programme de l’Unesco » publié en septembre 1946 par la Commission

1 Dont il fait une des ONG associées de l’Unesco. La WCOTP reçoit de l’Unesco 6000 dollars par an en 1953 et

1954, 4000 dollars par an en 1955 et 1956. Cf. W. Laves et Ch. Thomson, op. cit., p. 373, cité par G. Archibald,

op. cit., p. 222. 2

Lien-Link n°78 : nécrologie d’Anibal Buitron par Alain Gille : Buitron a fait ses études à l’Université de Chicago.

3 G. Archibald, op. cit., p. 319-320. Lien-Link n°78 : nécrologie d’Eugene Canade par Erwin Solomon : né en

1912, Canade appartient à la génération d’Américains nés pendant l’époque de la Première Guerre Mondiale, ayant grandi pendant la Grande Dépression des années 1930, devenus adultes dans les années 1940.

4 C’est ce qu’observe le Britannique Murray dans une lettre d’août 1945 : biogr. Murray : lettre de G. Murray à

J.-J. Mayoux, 17 août 1945 : « no doubt the American approach to education is in some ways very different from ours : we are based upon history, and the American mostly have a sort of suspicion that history in general is an old fashioned and superseded thing which we need not much bother about ». (« l’approche américaine de l’éducation est à certains égards très différente de la nôtre : nous nous fondons sur l’histoire, et la plupart des Américains ont une sorte de suspicion que l’histoire en général serait une chose démodée et périmée dont il ne faudrait pas beaucoup se soucier »).

5

En 1964 encore, dans un discours, Maheu rappelle : « C’est d’un excès d’horreur […] qu’est née la volonté de créer […] cette Organisation de l’espoir ». Discours de Maheu, 13 novembre 1964, cité dans : Jean Maheu : « Son fils et sa petite fille se souviennent », Journée d’hommage à René Maheu, cahier I, Groupe Miollis, AAFU, Paris, 2002, 87 p., p. 62-75.

6

OHRO, interview de Luther Evans, p. 303 : « big controversies ».

7 Acte Constitutif de l’Unesco.

8 ECO/CONF.29/VR.2 (1945), Conférence des Nations Unies en vue de la création d’une organisation pour

l’éducation, la science et la culture, Londres, 1-16 novembre 1945, p. 40-41 : discours du président adjoint, Léon Blum.

préparatoire désigne comme action prioritaire l’assistance éducative, culturelle et scientifique aux peuples qui ont souffert de la guerre1.

Les conceptions de l’Unesco sont aussi marquées par le fonctionnalisme, qui a connu un essor au cours de la guerre, où plusieurs organes d’administration ou de contrôle, dotés de pouvoirs supranationaux dans des domaines techniques, avaient été établis par les pays alliés, et, comme l’observe Denis Mylonas, « avaient laissé un souvenir d’efficacité qui incitait à la poursuite de l’expérience ». L’Unesco s’inscrit donc « dans la tradition des institutions fonctionnelles de la guerre »2.

Il est significatif, aussi, qu’une grande proportion du personnel embauché par l’Unesco dans les toutes premières années soit constituée d’anciens combattants, d’anciens membres d’organisations internationales de secours, comme la Croix Rouge, de résistants, de déportés, de fils de déportés [annexe 3].

Le cas de René Maheu, futur directeur général, mérite attention. Lecteur à l’institut français de Londres de 1933 à 1939, puis attaché culturel de l’ambassade de Londres de 1936 à 19393, il se trouve pendant la guerre au Maroc, professeur au lycée français de Rabat. Le journaliste Paul-Louis Bret, résistant, envoyé à Alger pour tenter de constituer un réseau d’information francophone dans les pays du Maghreb, entre en contact avec lui, et, à partir de novembre 1944, l’intègre dans l’agence France-Afrique, puis le met à la disposition des services officiels du gouvernement d’Alger4. C’est par ces cercles de la Résistance, ainsi que par les cercles intellectuels qu’il a fréquentés à Londres, dont faisait partie notamment Julian Huxley, que Maheu a dû son entrée à l’Unesco. Les cercles de la Résistance, en France et à Londres, ont ainsi constitué des viviers pour le recrutement du personnel de l’Unesco (comme de l’ONU5). L’expérience commune de la Résistance a rapproché ces hommes6.

D’autre part, parmi les membres du personnel de l’Unesco de cette époque, plusieurs se sont exilés en Amérique pendant la guerre. Enfin, parmi les Américains entrés à l’Unesco dans les premières années, plusieurs ont fait partie des services de propagande psychologique de guerre contre l’Axe [annexe 3].

Le traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale revient très souvent dans les témoignages du personnel des premières années de l’Unesco7. L’Américain F.H. Potter témoigne : « Nous étions tous de grands amis et nous étions si heureux de travailler à la promotion de la

1 C/2, 5 septembre 1946. Cité dans A. Monclus, Carmen Saban, La Escuela Global. La educacion y la communicacion a lo largo de la historia de la Unesco, Unesco, Fondo de Cultura economica, Madrid, 1997, p.

59.

2 D. Mylonas, op. cit., p. 412-413.

3 RU, PREM 11/5185 : visit of R. Maheu, DG Unesco, to UK : record of meeting with Prime Minister, 10 april

1964 : note confid. intitulée : R. Maheu. Biogr. René Maheu.

4 René Maheu, Portrait-souvenir par ses collaborateurs, Association des anciens fonctionnaires de l’Unesco,

sous la direction de Witold Zyss, 2000, 222 p., article d’Emile Delavenay, p. 60-61.

5 Biogr. Henri Laugier : scientifique français, démis de ses fonctions d’enseignement et de recherche par le

gouvernement de Vichy en 1940 et nommé par le général de Gaulle recteur de l’académie d’Alger en 1943, il devient ensuite haut fonctionnaire de l’ONU.

6 Ainsi Jean Thomas et Michel Prévost ont combattu ensemble dans le maquis. Michel Prévost, op. cit. ; Souvenirs de Jean Thomas, réunis et présentés par Roger Lassalle, Nice, R. Lassalle, 1984, p. 17-22. R. Maheu,

« Julian Huxley, un humaniste militant », Le Figaro, 27 février 1975 : « je suis reconnaisant au cher Julian [Huxley] – je le connaissais depuis les beaux jours d’avant-guerre de Bloomsbury - de m’avoir généreusement offert, un certain 4 septembre 1946, par l’entremise de Jean Thomas, un contrat d’un mois renouvelable pour servir au Secrétariat de la Commission Préparatoire, décidant ainsi à notre insu du cours de ma vie pour les 28 années suivantes ».

7 Lien-Link n°74 : « La premiere équipe du Dr. Julian Huxley », par Jacques Godchot. Interview Grinda. Souvenir de Jean Thomas, op. cit., p. 32-36 : témoignage d’Antoine Pietri. Parmi les membres du personnel de

l’Unesco qui appartiennent aux générations les plus anciennes, on observe aussi le traumatisme de la Première Guerre Mondiale. C’est le cas notamment de Jean Thomas, marqué par la participation au front de son frère aîné.

coopération et de l’amitié internationales après cette horrible Seconde Guerre Mondiale »1. Denise Percevaut évoque le contraste entre « la sinistre guerre » et la nouvelle Unesco pleine de promesses2. Roger Bordage, déporté à l’âge de dix-huit ans, évoque son expérience « traumatisante » de la guerre :

« la question de la paix devint dans ma vie une préoccupation permanente, même une obsession. Contribuer à éviter le retour des horreurs de la destruction arb itraire de l’être humain à cause d’une idéologie néfaste et barbare et à prévenir le retour de la monstruosité des conflits belliqueux fut une des raisons principales pour moi, de vouloir travailler dans le cadre des Nations Unies à aider au maintien de la paix »3.

De même, le Suisse Jean-Baptiste de Weck explique que la raison principale qui l’a poussé à entrer à l’Unesco est « la guerre, l’horreur des bombardements, des injustices du nazisme, de l’arrogance du fascisme, le martyre des pays amis, la Pologne, la France, les Pays Bas, la découverte des camps de concentration et de l’holocauste »4. La guerre cimente les convictions pacifistes de ces hommes, qui, à l’instar de Michel Prévost, veulent « ne pas avoir vécu en vain la dernière guerre » et décident de « croi[re] aux Nations Unies »5. Plusieurs des membres du personnel de l’Unesco de la première période sont d’ailleurs liés à des mouvements pacifistes, comme celui des Combattants de la paix, qui devient bientôt le Mouvement de la paix6.

L’explosion des deux bombes atomiques au Japon a un impact très important sur les réflexions menées par la conférence de Londres7. Cela suscite une prise de conscience de toutes les decouvertes scientifiques et technologiques intervenues pendant la guerre, et donne soudain à la science et à la technologie une place singulière ; ainsi la Seconde Guerre Mondiale a contribué à déterminer l’inclusion de la science parmi les attributions de l’Unesco, alors que cela n’avait pas été prévu précédemment ; en effet, la coopération scientifique internationale était considérée comme quelque chose de déjà établi de manière satisfaisante (contrairement à la coopération culturelle et éducative internationale) ; et de plus, la science était généralement considérée comme un sous-élément de la culture ; donc, puisque le terme de « culture » devait figurer dans l’intitulé de la nouvelle organisation, quelle nécessité d’y ajouter le terme de science ? Cela semblait aussi inutile que d’y ajouter ceux de théâtre, musique, littérature, etc.8

Dans ces premières années, la presse souligne ce lien très étroit entre l’Unesco et la guerre : « l’Unesco est enfant de la guerre », « né des horreurs qu’elle engendre »9 ; l’Unesco est née « de la lassitude de la guerre, l’épouvante devant les horreurs, la peur instinctive du suicide auquel l’humanité se sent acculée »10 ; « l’Unesco est issue de cet élan qui se veut

1 Lien-Link n°81 : « How I entered Unesco », par F. H. Potter : « We were all great friends and so very happy to

be working for the Promotion of International Co-operation and Friendship after that horrific Second World War ».

2 Lien-Link n°83 : courrier des lecteurs, lettre de Denise A. Percevaut.

3 Lien-Link n°86 : « Comment et pourquoi je suis entré à l’Unesco », par Roger Bordage.

4 Lien-Link n°85 : « Pourquoi et comment je suis entré à l’Unesco », par Jean-Baptiste de Weck. Cf. aussi : J.B.

de Weck, Servir la cause universelle de l’Unesco. Une moisson d’expériences et de souvenirs.

5 M. Prévost, op. cit.,, p. 3-4.

6 M. Prévost, op. cit., p. 3-4. Jean Defrasne, Le pacifisme, Paris, PUF, Que sais-je, 1983, p. 114-115. 7 OHRO, interview de Luther Evans, p. 309-310 : « scared to death ».

8

Journée d’hommage à René Maheu, Cahier II, table ronde 2 et 3. L’héritage au XXIe siècle, Groupe Miollis,

AAFU, Paris, 2002, 107 p., p75-77 : article de Michel Batisse : « Partager la science ».

9 X 07.83 Torres Bodet, IV : Escher Tageblatt, 19 déc. 1949 : « Quelques instants avec Jaime Torres Bodet,

directeur général de l’Unesco » par H.T.

10

prophétique »1 et qui est né au lendemain de la guerre. De nombreux anciens fonctionnaires soulignent eux aussi ce lien2.

Le traumatisme causé par la Seconde Guerre Mondiale constitue donc l’un des principaux facteurs d’harmonisation des conceptions diverses qui se sont combinées pour former le socle conceptuel initial de l’Unesco ; l’expérience de la guerre a également beaucoup contribué à créer un fort sentiment de dévotion aux idéaux de paix de l’Unesco parmi le personnel. Cette fusion harmonieuse de diverses conceptions est cependant de courte durée. Dès les premières années de fonctionnement de l’organisation, des divergences se font jour.

1.2. Huxley (1946-48) : un foisonnement de conceptions diverses.

Dans le document L'UNESCO de 1945 à 1974 (Page 45-48)