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Le tissage d’un lien une rencontre

Chapitre 3 : Les rencontres cliniques de notre travail de recherche

3.4. Le tissage d’un lien une rencontre

« La parole survient quand on habite le langage en y risquant sa peau, c’est-à-dire quand on se risque à s’interroger sur qui on est et à tenter de le dire. Il y a dans la parole une véritable attestation de l’être qui se donne dans le langage. » (Malherbe, 2007, p. 29)

Le retour au domicile d’un patient, dans le cadre de l’hospitalisation à domicile, vient perturber l’organisation habituelle des patients et de leur entourage. Dans le cas de pathologies lourdes handicapantes et parfois morbides, le retour dans un cadre familier est, certes, un avantage, mais l’absence de cadre médical, hospitalier de tous les instants, peut générer des états d’anxiété qui ont rarement été anticipés par le patient et son entourage (qui, dans ce contexte précis, se voit qualifié « d’aidant » dans l’organisation de l’hospitalisation à domicile ; sans eux, le retour au domicile est bien souvent impossible).

C’est principalement face à ces situations que nous tentons d’apporter une aide. Dans ce contexte, les réactions oscillent entre deux extrêmes. Soit, lors de nos entretiens, le patient a besoin de témoigner, de parler de la situation qu’il vit, tout en ayant pris conscience que la logique qu’il utilisait pour penser sa vie antérieurement, est inadaptée et le met en difficulté, soit ce qu’il vit le met tellement en difficulté qu’il se trouve dans l’incapacité de penser, de prendre du recul, ne parvenant bien souvent qu’à être submergé par ses affects. Ses questions, quand il parvient à en formuler, n’appellent aucune réponse, si ce n’est un sentiment d’impuissance et de désarroi, illustré avec justesse par le propos de J.-F. Malherbe :

« Un jour, vous êtes là, présent, sans que vous sachiez du tout ni pourquoi ni pour quoi. Quelqu’un vous appelle, quelqu’un vous parle et sollicite une réponse de votre part. Vous l’écoutez, vous saisissez intuitivement qu’il attend quelque chose de vous, que vous comptez à ses yeux, mais vous n’entendez rien à ce qu’il vous dit. Et, surtout, vous ne savez encore ni quoi ni comment lui répondre. Il ne se décourage pas, il insiste, il persévère. À la longue, vous commencez à entendre

 

quelques mots. Petit à petit, il vous a suscité à la conscience. Vous comprenez qu’il vous parle de vous et de lui, et même de quelques autres qui, eux aussi, vous parlent. Vous vous risquez à répondre, mais il n’entend pas grand-chose à vos balbutiements. Ceux-ci, cependant, l’encouragent à poursuivre une conversation qui n’est plus tout à fait à sens unique. Finalement, sa parole et votre commun exercice vous livrent la clé du rébus. » (Malherbe, 2007, p. 27)

Il nous apparaît important de rappeler que toutes ces situations sont uniques, singulières et nous contraignent à découvrir avec le patient l’attitude la plus juste chez nous qui pourra potentiellement l’aider. Allant d’une écoute où nous nous contentons de tenter de ponctuer son discours en espérant que cela lui permette de se le réapproprier d’une façon nouvelle. Et ainsi induire des représentations qui l’aideront à faire face à ce qu’il vit d’une manière moins anxiogène.

Soit dans les situations où les mots manquent, il faudra que nous sortions de notre réserve pour lui proposer les mots inspirés par la situation dont il nous témoigne et que nous partageons dans l’instant. Ces mots, même si c’est nous qui les prononçons, ils ont pour visée de tenter de donner une accroche aux pensées du patient et non de se substituer à ces dernières. L’aider à trouver des mots avec lesquels il va pouvoir travailler en les reprenant, en les réajustant, en les modifiant pour qu’ils deviennent ces planches dont parle P. Valéry : « Chaque mot, chacun des mots qui nous permettent de franchir si rapidement l’espace d’une pensée, et de suivre l’impulsion de l’idée qui se construit elle-même, son expression me semble une de ces planches légères que l’on jette sur un fossé, ou sur une crevasse de montagne, et qui supportent le passage de l’homme en vif mouvement. » (Valéry, 1957, p. 1317)

Le temps que durent nos rencontres avec nos patients demande toute notre attention, toute notre énergie afin de trouver l’attitude la plus juste pour permettre au Sujet de trouver son chemin. Mais il nous faut tenter de penser les éléments en jeu dans la rencontre avec le patient.

 

3.5. Éléments de la rencontre  

L’exemple

Dans nos rencontres, nous nous sommes questionnés sur l’attitude la plus adéquate à avoir. Nous savons par le témoignage d’Abram Kardiner, qui fit son analyse avec Freud à Vienne, en 1921-1922 (Kardiner, 1977, p. 18) que lors de séances, Freud pouvait être mutique ou se livrer à des échanges en fonction des analysants qu’il recevait (op. cit., p. 80). Cela nous semble cohérent avec le fait qu’à certain moment, le patient que nous sommes amenés à rencontrer peut être dans un tel état de stupeur qu’il semble important de lui prêter nos mots lorsque les siens lui font défaut. Nous pensons que dans ce cas de figure, nos propos peuvent avoir une fonction contenante, rassurante et apaisante. Il ne s’agit pas de submerger, mais de calmer le patient dans sa difficulté à penser. Il nous semble important de rappeler que nos propos qui découlent directement de notre écoute (par écoute, nous entendons tout signe que nous percevons chez le patient et qui génère chez nous un effet. Cet effet étant à l’origine de notre action dans le cadre de la rencontre). Il apparaît important de préciser que nous souscrivons à la position soutenue par Roland Gori sur le fait que la fonction du psychanalyste n’est en rien celle d’un lecteur de pensées (Gori, 1996, p. 2). Nous adhérons aussi à l’idée que nos réactions ne témoignent en rien d’un quelconque savoir de ce qu’est ou peut vivre le patient mais découle d’« une connaissance consistant des effets de l'acte de parole et de l'écoute de la situation psychanalytique. » (Gori, 1996, p. 163)

3.6. Propositions à la rencontre

Dans son livre paru en 2012, François Jullien nous fait la proposition de cinq concepts qui ont trouvé un écho dans notre pratique clinique. Par son propos et sa réflexion, cet auteur vient mettre des mots sur cette expérience singulière de l’accueil, la rencontre, l’accompagnement du sujet au travers de sa parole, lorsque cette dernière émerge afin qu’il puisse venir « dire ».

3.6.1. La disponibilité

La première notion qu’il propose renvoie aux conditions de la rencontre. Pour que la rencontre puisse s’opérer, il lui faut des conditions propices – en terme plus psychanalytique, nous dirions que pour que la survenue du transfert s’opère, pour que le lien se tisse, il faut qu’il y ait rencontre – Jullien nous propose de penser l’un des prérequis comme étant la