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Cristallisation excessive

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 126-129)

Partie 3 : Articulation théorico-clinique

1.1. Cristallisation excessive

M. GR est un homme de 45 ans, il est amené à consulter pour des douleurs dans le bas du dos. Une fois tous les examens d’usage effectués, les résultats sont « catastrophiques ». Il est atteint d’un cancer généralisé qualifié d’agressif. Les douleurs du bas du dos sont dues à une métastase qui vient comprimer sa moelle épinière et provoque une paralysie du bas du corps "syndrome de la queue de cheval". L’équipe médicale est en grande difficulté face à cette situation de par le jeune âge du patient et du fait qu’il soit père de deux enfants (6 et 9 ans). Le patient et sa femme sont informés de l’absence de traitement curatif au vu de l’avancée du cancer.

Une opération neurochirurgicale est tentée afin de diminuer la compression de la tumeur et lui permettre de retrouver l’usage de ses jambes. Malheureusement, malgré l’opération, M.GR ne retrouve pas l’usage de ses jambes, c’est aussi à ce moment que l’équipe médicale nous sollicite au vu des difficultés qu’elle rencontre dans la prise en charge de ce patient.

Lors de notre rencontre, M. GR nous informe « Merci, mais je n’ai pas besoin de vos services. Ce sont les médecins qui ne comprennent pas. Je ne peux pas rester ainsi. Ma famille a besoin de moi et je ne peux rien faire si je n’arrive pas à marcher et en plus, ils ne semblent pas savoir calmer mes douleurs ». Pendant notre prise de contact, M. GR nous fait un bref historique de ce qui lui arrive, en s’étendant longuement sur l’incapacité des médecins à lui permettre de retrouver l’usage de ses jambes et leur incapacité à le soulager efficacement de la douleur toujours très présente. L’important est de rentrer le plus vite possible chez lui afin de « pouvoir s’occuper de ses enfants ». À aucun moment lors de cet échange, M.GR ne prononce le mot "cancer" au point qu’à la fin de l’entretien, un doute nous traverse l’esprit sur le fait qu’il ait été informé de ce dernier.

Nous assistons à un entretien avec le médecin, en présence de sa femme, où le médecin rappelle que les douleurs dont se plaint M. GR et les causes de sa paraplégie sont les conséquences de son cancer. Lors des entretiens qui suivent, M. GR continue à se projeter dans un avenir plus ou moins proche avec ses enfants, tout en se plaignant de l’inefficacité des médecins. « J’ai promis à mes enfants que je serai toujours là pour eux. Je ne veux pas qu’ils s’inquiètent de la maladie ». Sa plainte somatique demeure vivace malgré les différents antalgiques utilisés, jusqu’au jour où l’équipe médicale décide d’alléger les doses d’antalgiques et de les associer à un anxiolytique. Pendant quelques jours, M. GR semble

 

plus détendu et moins algique. Son discours change, il ne parle plus de ses douleurs et évoque des éléments de son histoire de vie (avant son hospitalisation). Quelques jours plus tard, le patient décède dans son sommeil.

Dans le cas de patients ayant subi des stimulations supérieures à ce que leur appareil psychique est en mesure de gérer, ils peuvent donner l’impression, par une apparente absence de cauchemar, que les effets du traumatisme sont absents, pouvant même nous amener à douter du fait qu’il y ait eu traumatisme. L’expression de ce dernier pouvant se retrouver dans le mode d’investissement de ces patients de leurs lésions d’organe.

« La violence mécanique du trauma libérerait le quantum d’excitation sexuelle qui a un effet traumatique en raison du manque d’apprêtement par l’angoisse ; la lésion corporelle simultanée, quant à elle, lierait l’excédent d’excitation en recourant à un surinvestissement narcissique de l’organe souffrant » (Freud, 1920, p. 305)

L’incapacité de l’appareil psychique à produire des liens entre des stimulations qui dépassent la capacité d’absorption apparaît comme l’explication logique du blocage de ce dernier et son incapacité à mettre en place son fonctionnement habituel, s’articulant entre le principe de plaisir et le principe de réalité.

« Ce serait alors la tâche des strates supérieures de l’appareil animique que de lier l’excitation des pulsions qui arrive dans le processus primaire. Le ratage de cette liaison provoquerait une perturbation analogue à la névrose traumatique ; c’est seulement une fois cette liaison effectuée que la domination du principe de plaisir (et de sa modification en principe de réalité) pourrait s’imposer sans être inhibée. » (op. cit., p. 306)

Freud rappellera un élément important sur la nature d’un traumatisme ; les effets de ce dernier étant à contextualiser dans l’histoire singulière du sujet.

Nous ne devons pas céder à une facilité simplificatrice qui permettrait de lier un fait unique avec l’apparition d’un symptôme.

Le symptôme étant le fruit de la sensibilité, du vécu et de l’état du patient au moment où ce que nous appelons « le moment déclencheur », où nous observons le dysfonctionnement de l’appareil psychique.

« Mais en règle générale, le symptôme n’était pas le précipité d’une unique scène « traumatique », mais le résultat de la sommation de nombreuses situations

 

analogues. » (Freud, 1925 a, p. 68)

À travers les avancées théoriques visant à comprendre les mécanismes du traumatisme, Freud n’écartera pas l’hypothèse formulée par Otto Rank, de considérer que le tout premier traumatisme auquel est confronté un sujet est celui de la naissance.

Le bébé, venant au monde, vierge de toute organisation psychique, apparaît comme évident qu’il soit dans l’incapacité de gérer les stimulations extrêmes découlant de l’agression du milieu, quand il est extrait de la protection et du filtre du ventre maternel.

« C’est comme une telle expérience vécue prototypique que s’offre à nous, pour ce qui est de l’homme, la naissance, et c’est pourquoi nous sommes enclins à voir dans l’état d’angoisse une reproduction du trauma de la naissance. » (Freud, 1926a, p. 248) Les sensations extrêmes découlant de ce premier contact au monde marqueraient les origines archaïques du développement de l’appareil psychique d’un sujet. Il n’est pas à exclure que les expériences qui suivent ce moment ne rentrent pas en résonnance avec ce moment princeps.

Par voie de conséquence, il serait une partie plus ou moins importante à la racine de l’expression de ce qui définit la spécificité de l’histoire d’un sujet.

Le bébé se construisant en plus avec les matériaux mis à sa disposition pour lui permettre de trouver un équilibre, voire un apaisement perpétuellement remis en question par les situations auxquelles il est amené à être confronté.

« D’après le développement de la série : angoisse — danger — désaide (trauma), nous pouvons résumer : la situation de danger est la situation de désaide reconnue, remémorée, attendue. L’angoisse est la réaction originelle au désaide dans le trauma, qui sera alors reproduite ultérieurement dans la situation de danger comme signal d’appel à l’aide. Le moi qui a vécu passivement le trauma en répète maintenant activement une reproduction affaiblie, dans l’espoir de pouvoir en diriger le cours en agissant par lui-même. » (op. cit., p. 281)

La situation de M. GR vient donc parfaitement illustrer que le traumatisme de l’annonce d’une maladie grave, et potentiellement létale qu’est le cancer, peut s’illustrer à travers une plainte décalée par rapport à une logique pragmatique de personnes extérieures et en mesure d’évaluer et de mesurer les conséquences potentiellement attendues de la situation.

La douleur somatique et ses conséquences, par leurs places prépondérantes dans le discours du patient, le mettent en grande difficulté pour parvenir à opérer le dévoilement d’une

 

souffrance psychique quant à sa possibilité d’articuler son histoire actuelle avec la potentialité de la dynamique de l’histoire familiale dans laquelle il s’inscrivait.

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 126-129)