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Inflation des étapes

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 145-151)

Partie 3 : Articulation théorico-clinique

2.5. Inflation des étapes

Jean Monbourquette

C’est quatorze ans après Élisabeth Kübler-Ross, en 1983, que l’on trouve, à nouveau sur le continent américain, une autre tentative de modéliser le deuil en étapes. C’est Jean Monbourquette, un psychologue québécois qui propose un découpage du processus de deuil en huit étapes. Il va reprendre en partie la modélisation de Kübler-Ross, en l’enrichissant de trois étapes supplémentaires, mais dans son cas, l’auteur va décrire les étapes d’une personne en deuil (il ne s’agit plus spécifiquement de patients confrontés à leur mort proche). Il n’en demeure pas moins que son travail s’inscrit dans une logique proche de celle d’Élisabeth Kübler-Ross, mais en lui apportant quelques enrichissements, dont nous pensons qu’ils proviennent très certainement de sa formation religieuse initiale. Avant d’être psychologue, à l’âge de 42 ans, Jean Monbourquette est ordonné prêtre catholique à 25 ans. Nous nous permettons de rappeler ce fait dans son parcours de vie, car il permet selon nous, de comprendre dans une certaine mesure, des éléments de sa modélisation que nous rappelons brièvement.

1-Le choc, correspondant au moment où le sujet est soumis à une trop forte intensité émotionnelle, c’est le moment où la personne peut avoir des réactions inadaptées à la situation, où elle n’est plus en mesure d’intégrer quoique ce soit…

2-Le déni, et donc la seconde étape, elle découle de la première étape, elle est une tentative maladroite et inappropriée d’intellectualiser, de s’approprier la cause du choc, allant jusqu’à donner l’impression de ne pas avoir intégré cette cause.

 

3-L’expression des émotions et des sentiments, Jean Monbourquette considère que par cette étape, la personne endeuillée réduit les tensions de son psychisme. C’est aussi le moment où la personne se reconnecte à la réalité des événements et par voie de conséquence, où elle a le plus besoin d’être entourée.

4-La réalisation des tâches rattachées au deuil, c’est à cette étape que la personne endeuillée s’apaise. Son comportement est de plus en plus adapté aux impératifs de la réalité nouvelle qu’elle commence à s’approprier, c’est le moment où elle est capable d’entreprendre les démarches nécessaires qui découlent des événements.

5-La découverte du sens de sa perte, s’inscrit dans l’apaisement de la personne, elle va ainsi pouvoir mettre des mots sur ce qui vient de lui arriver. Les choses prennent un sens, elle y trouve une logique qui est la sienne.

6-L’échange des pardons (demander pardon (au défunt) et accorder le pardon (au défunt). Suite à toutes ces étapes, il peut subsister des regrets dans l’histoire que la personne en deuil a construite de l’événement. Cette étape est justement la capacité que la personne a de diminuer l’intensité de ses regrets.

7-L’héritage, on pourrait illustrer cette étape par ce proverbe : « aussi noir que puisse être le nuage, il a toujours une face tournée vers le soleil ». L’héritage est donc cette capacité que la personne a de prendre en compte des effets non négatifs qui découleraient du drame qu’elle vient de vivre.

8-La célébration de la fin du deuil, n’est pas une période à proprement parler, mais ce moment où dans l’ancien temps, on cessait de porter le deuil ; l’auteur considère que ce moment peut faire l’objet d’une annonce officielle de la personne qui vient de vivre un deuil.

Nous ne reviendrons pas sur les principales critiques que nous faisons sur le fait d’aborder le deuil sous forme d’étapes, mais il nous apparait important de souligner une spécificité de l’approche de Monbourquette. Dans sa modélisation, l’auteur accorde une place à une dimension spirituelle et la formalise dans son approche du processus de deuil. Ce point particulier fait écho à notre expérience. Force nous est de constater que dans notre clinique, lorsque nous tentons de rencontrer un patient ou ses proches, il nous apparait important de comprendre les éléments de la logique de pensée des personnes. Cette logique prenant racine

 

dans l’histoire, le vécu, la culture et les ressentis des personnes que nous rencontrons. L’aide que nous tentons d’apporter, si nous espérons pouvoir être quelque peu efficients dans nos prises en charge, ne peut faire l’impasse sur les représentations des patients. À ce titre, nous trouvons que Monbourquette met en lumière un point important qui se rattache à la spiritualité, dans son cas, il est fortement coloré par la tradition catholique, mais charge à nous de l’adapter à la spécificité que nous dicte la situation dans laquelle nous sommes amenés à agir.

Cette volonté de « saucissonner » le deuil en étapes successives se rencontre fréquemment chez les soignants de soins palliatifs. Leurs références sont souvent le modèle de Kübler-Ross, plutôt qu’un autre. Il semble que le moment où ce dernier a été publié en 1969 et traduit en français en 1975, est contemporain de la prise de conscience d’une partie du corps médical sur la reconnaissance des soins palliatifs et la nécessité de les développer en France (voir la partie sur les soins palliatifs).

À la suite de cette situation de Mme R., nous réitérons nos réserves sur cette modélisation proposée par Élisabeth Kübler-Ross. Il nous est apparu pratique pour les soignants qui parvenaient à mettre du sens sur les événements et les attitudes que peuvent avoir les patients et/ou leur entourage. Elle était même utilisée comme une règle prédictive que certains soignants s’autorisaient à expliquer aux patients. Dans la tentative que l’humain fait de mettre du sens à ce qui lui arrive, tout élément est bon à prendre pour anticiper ce qui va potentiellement arriver et ainsi, se préparer psychiquement à l’épreuve en devenir. L’important n’étant plus l’épreuve en soit, mais les moyens que l’on utilise pour pouvoir y faire face.

À ce titre, cet outil nous est apparu intéressant, tout en étant dangereux par la tendance que ceux qui l’utilisaient avaient d’enfermer les patients et leur entourage dans un scénario qui semblait être pour eux la normalité. En étudiant les écrits de cet auteur américain, nous avons noté qu’elle y introduit des subtilités qui permettent de moduler sa grille de lecture en fonction de nuances que la situation pourrait présenter…

 

Pour notre part, nous nous sommes rapidement confrontés à un écueil majeur dû à l’enfermement du sujet dans une attitude attendue, nous poussant à faire l’économie de penser la situation présente qui, par essence, selon nous, ne peut être que singulière !

Dans notre quête à trouver des moyens de penser notre clinique, nous nous sommes tournés vers un auteur français qui a consacré la majeure partie de sa carrière à penser le deuil. Lui aussi a cédé à une modélisation par étape. L’avantage de son approche est qu’il détermine trois étapes qui, par voie de conséquence, sont beaucoup plus générales et donc moins « enfermantes ». Dans un premier temps, il considère l’étape du choc, lorsque le sujet est confronté à une épreuve de réalité massive qui n’avait pas été, a priori, élaborée psychiquement.

Devant l’ampleur de ce qui n’avait pas été anticipé, le sujet doit rentrer dans une phase de dépression. Pendant cette phase, le patient va tenter de retrouver un équilibre de réaménager, de penser ces éléments qui sont venus le submerger.

Lorsqu’il finit par y parvenir, il rentre dans une phase deux qu’il nomme « résolution ». Cette approche, proposée par Michel Hanus, a l’avantage, selon nous, de laisser beaucoup plus de latitude pour penser les réactions et les interactions dans notre clinique dans un contexte de soins palliatifs.

La vision du deuil chez Michel Hanus

Pour ce qui concerne l’approche de Michel Hanus, qu’il décrit en 1994, il s’inscrit selon nous, totalement dans la lignée d’une conception psychanalytique. Il nous rappelle que le deuil et la mort entretiennent un lien ambigu. Il va tenter d’articuler le « déroulé » des attitudes que la clinique lui a permis d’observer chez les personnes frappées par la perte d’un proche. Pour cela, il tente de les penser à la lumière des écrits freudiens, mais aussi des apports d’autres auteurs qui ont réfléchi et travaillé, après Freud, sur la perte et l’attachement, cette démarche s’inscrivant totalement dans notre propre démarche.

La première observation de Michel Hanus est de constater dans sa clinique trois temps de durée variable chez les personnes touchées par un deuil. Dans un premier temps, il y a bien évidemment la survenue de l’événement, qu’il va nommer le « choc ».

 

Le choc (1)

Le choc est pour Hanus ce moment où une personne va être confrontée à la survenue de l’événement. Ce moment est déclenché soit par le fait lui-même, soit par l’annonce de ce dernier. Ce moment correspond, à proprement parler, comme la survenue de ce qui est vécu comme une perte pour le sujet. Mais il précise que cet état est la partie visible d’une logique interne. L’auteur garde en tête la logique de fonctionnement de l’appareil psychique tel que décrit par Freud, ce qui l’amène à apporter une précision importante quant à la logique interne des manifestations du sujet. Il nous précise ce point en ces mots : « De toute façon, le choc est bien le résultat et la traduction clinique de l’accroissement subi de la tension émotionnelle qui demande alors à se décharger. » (Hanus, 2001, p. 103)

La dépression (2)

Dans un second temps, les effets induits par le « choc » laissent place à l’expression de ce que l’auteur considère comme l’étape centrale qui est, pour lui, le processus de deuil dans sa globalité. Ses mots pour la définir sont : « Cette étape centrale est constituée par un authentique état dépressif qui s’installe plus ou moins rapidement après la survenue du décès ou de la perte » (op. cit., p. 109). Il précise que cet état est bien souvent celui qui dure le plus longtemps, allant de quelques mois voire davantage (des années) sans qu’il soit légitime de parler de deuil pathologique. Mais la survenue de cet état dépressif ne peut apparaitre qu’une fois la tourmente de ce qu’il a appelé le choc est dépassé, ce qui induit que la prise en compte de la perte est intégrée et potentiellement en partie admise par le sujet.

Pour notre part, nous tenons à préciser que notre lecture de cette étape diffère (voir critique) quelque peu de celle de M. Hanus, quand il définit cette étape centrale comme « constituée par authentique un état dépressif ». Nous émettons quelque réserve sur sa façon de nommer ce temps et par conséquent la logique sous-jacente que cela induit. Mais nous restons en total accord avec ses hypothèses dynamiques de l’appareil psychique qui sous- tendent le fonctionnement du sujet. Il les décrit ainsi : « La souffrance dépressive du deuil est l’expression et la conséquence du travail de désinvestissement qui s’opèrent nécessairement après la perte d’un être aimé. C’est là l’essence même du travail de deuil. » (op. cit., p. 111)

Le rétablissement (3)

Pour ce qui est de la troisième étape du deuil, elle est nommée « le rétablissement » ; l’auteur décrit les signes qui indiquent qu’une personne se trouve à ce moment du processus

 

de deuil quand on observe une nouvelle dynamique dans le fonctionnement de la personne : « Il débute lorsque le sujet se tourne vers l’avenir, s’intéresse à de nouveaux objets, est capable de ressentir de nouveaux désirs et de les exprimer. » (op. cit., p. 116)

Critique :

Quand M. Hanus considère le moment qui fait suite au choc de l’événement comme un état dépressif, nous avons tendance à nuancer notre position. D’un point de vue psychopathologique, si nous admettons le fait qu’au moment où le sujet prend en compte le changement de sa réalité (l’événement qui va lui demander de se mettre au travail), ce dernier est submergé dans son psychisme. Le trop de stimulation pouvant donner lieu à de la colère, de l’agressivité, etc. Ces différentes expressions d’humeur venant confirmer son incapacité à gérer ce trop de stimulation.

Mais pour ce qui est de nommer l’état qui suit comme étant un état dépressif, nous sommes enclins à considérer que cet état nous donne à voir beaucoup de signes, que l’on pourrait attribuer certes à un état dépressif, mais ce serait écarter l’hypothèse que face à un trop de stimulation, le sujet peut être amené à opérer un retrait (afin de se soustraire au trop de stimulation) et devant son incapacité à gérer la situation, il mettrait en place un état régressif lui permettant néanmoins, si ce n’est de faire face aux événements, du moins de s’inscrire dans une sorte d’évitement. La conséquence de notre hypothèse serait alors de ne plus considérer les deux premières étapes telles que décrites par M. Hanus, de la même façon. Face à un trop de stimulation, un sujet dans l’incapacité de gérer un état pulsionnel explosif sera amené à fonctionner sur un mode archaïque. Si nous devions décrire les changements dans le temps de son fonctionnement archaïque, nos observations cliniques nous ont amené à constater que dans un premier temps, les réactions du sujet sont en miroir (façon la plus simple de court-circuiter l’arrivée du trop de stimulation) et dans un second temps, le fonctionnement reste toujours archaïque, mais s’élabore légèrement (pour cela, il y a nécessité d’opérer un retrait nécessaire au fait de s’extraire au trop de stimulation).

Face à l’annonce d’une mauvaise nouvelle — dans le cadre de notre clinique, la mauvaise nouvelle est bien souvent l’impuissance des médecins à proposer un traitement curatif — le patient doit faire face au discours médical, qui est fréquemment vécu comme un abandon, un renoncement, si ce n’est d’une guérison, une alternative à une mort induite par la

 

pathologie dont ils souffrent. Dans cette situation où une personne doit faire le deuil d’une guérison, ou de la toute-puissance de la médecine, il apparaît logique de retrouver l’une des manifestations décrites dans la phase initiale du deuil : la colère. La rencontre avec la colère de Madame A. est venue interroger la logique des modélisations présentées précédemment. Comment expliquer qu’une colère puisse passer… et ne pas passer en fonction des interlocuteurs que madame A. rencontre ?

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 145-151)