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Lorsque l’arrêt des traitements génère colère et agressivité contre l’Autre médical.

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 135-138)

Partie 3 : Articulation théorico-clinique

2.2. Lorsque l’arrêt des traitements génère colère et agressivité contre l’Autre médical.

Madame R.

Madame R. est une jeune femme de 37 ans, elle a deux enfants, un garçon de 6 ans et une fille de 9 ans, ils sont pris en charge par sa famille pendant son hospitalisation dans le service d’onco-hématologie. Elle est de plus en plus fatiguée et son mari s’est rendu disponible pour être le plus souvent à son chevet. Le cancer de cette patiente a atteint une évolution qui dépasse les possibilités curatives des traitements médicamenteux, l’annonce est faite à la patiente et son mari que, dorénavant, l’objectif du corps médical est de se centrer sur le confort de Madame R.

À notre arrivée dans le service, c’est ainsi que le médecin en charge de cette patiente nous présente la situation – nous tenons à préciser que nous ne faisons pas partie de ce service d’hospitalisation, mais de par le fait que nous prenons souvent en charge des patients qui sortent de ce service, il arrive que nous soyons sollicités, avant même le retour au domicile des patients, afin de créer un lien dans la continuité des soins et c’est dans ce contexte que nous rencontrons Mme R. ainsi que son entourage –.

La patiente semble apaisée, son mari à côté d’elle complètement effondré. Il semble désemparé et dépassé par ce qu’il lui arrive. Dans nos échanges, il n’a pas de questions, il écoute et répond en quelques mots, il nous paraît être ailleurs. Quand il est au chevet de sa femme, il ne dit rien, reste dans un coin de la pièce silencieux, comme hébété, abasourdi…

La situation prend une autre tournure avec l’arrivée du frère de la patiente. Après avoir vu sa sœur, il demande à voir le médecin auprès duquel il exprime son refus que plus aucun traitement curatif ne soit administré à sa sœur. « Vous ne pouvez pas la laisser mourir comme ça ! Sans rien faire ! »

Devant la réponse du médecin, « J’ai longuement discuté avec votre sœur, elle connait sa situation, et j’ai discuté avec elle de ce qu’elle voulait et de ce que nous pouvions faire… ».

 

Le ton monte, il tente d’argumenter en rappelant qu’elle est maman de jeunes enfants et que ces derniers ont besoin d’elle, qu’elle est encore très jeune, que cela ne se fait pas de laisser mourir une maman… faisant référence à l’arrêt des transfusions. Il ponctue son propos en ces termes : « si c’est du sang que vous voulez, je vous donne le mien ! »

[au vu de l’intensité et de la violence de la situation, nous faisons le choix délibéré d’utiliser un style de narration indirecte, nous considérons que nous ne sommes pas en mesure de combler le fossé inévitable entre le « vécu » et la narration a posteriori. L’utilisation du style direct creusant, selon nous, d’autant plus cet abîme]

Le médecin tente d’expliquer la situation. Les seuls traitements qui peuvent lui être administrés sont des transfusions sanguines. L’anémie de sa sœur s’aggrave, les transfusions sont à visée de confort, mais ces dernières ont de moins en moins d’effet sur la patiente. Le médecin rappelle au frère que sa sœur est tout à fait lucide sur sa situation et que suite à une discussion sur l’évolution de la maladie, les traitements, elle a exprimé qu’elle est trop fatiguée, qu’elle veut dormir, qu’elle souhaite être tranquille. Il lui a été expliqué que l’arrêt des transfusions va augmenter sa sensation de fatigue, qu’elle va finir par s’endormir… et ne plus se réveiller.

En notre présence, il lui est donc rappelé que sa sœur connait la situation et que le choix de ne plus faire de transfusion appartient en propre à la patiente. Elle a exprimé être soulagée de l’orientation de sa prise en charge…

La réaction du frère redouble de violence, il menace d’appeler un avocat, de porter plainte, il refuse tout contre argumentaire au discours qu’il tient, commence à avoir des gestes agressifs sur des objets qui l’entourent. Il prend conscience du débordement de sa violence et coupe court à l’entretien, prétextant d’appeler son avocat. Il se met à l’écart pour téléphoner tout en déambulant devant l’entrée du service.

Devant cette déferlante d’agressivité, nous avons pris du temps en aparté avec le médecin, quelque peu déstabilisé par le frère de la patiente. Un peu plus tard, nous parvenons à entrer en contact avec ce frère. Nous le laissons s’exprimer et exprimer tout son ressentiment sur le médecin par qui est venu la mauvaise nouvelle. Nous nous contentons de pointer quelques éléments de son discours, lorsque ce dernier baisse d’intensité. Le frère de la patiente ne semble pas nous considérer de la même façon que le médecin. Il accepte d’argumenter son point de vue et prend en compte nos remarques lorsqu’on lui fait remarquer qu’il hausse le ton. Le dialogue ainsi rétabli, nous l’enjoignons de prendre le temps de la réflexion, de s’enquérir de ce que pense sa sœur et son mari et que l’équipe médicale, le médecin étaient

 

tout à fait disposés à échanger, expliquer les tenants et les aboutissants de la prise en charge, voire l’adapter dans l’intérêt de la patiente.

Nous aurons rapidement un nouvel entretien avec le médecin et ce frère inquiet - dont nous nous autorisons à dire qu’il venait de prendre la mesure de la gravité de la situation - Lors de cet échange, où son interlocuteur privilégié est le médecin, il tente une négociation pour la mise en place de traitements qui, de son point de vue, sont nécessaires alors que du point de vue médical, ils sont jugés déraisonnables. Même si l’échange commence calmement, ce proche de la patiente se met à menacer de poursuites juridiques si ce qu’il considère comme étant nécessaire pour sa sœur n’est pas mis en place…

Les deux jours suivants, nous passons régulièrement dans ce service, pour s’enquérir de l’évolution de la situation et si l’équipe médicale n’est pas trop en difficulté avec les proches de Mme R.

Quarante-huit heures plus tard, la patiente décède dans son sommeil, en ayant tout de même exprimé qu’elle était en plein accord avec l’équipe soignante et que ce qu’elle voulait, c’était « se reposer ».

Le frère de la patiente est étrangement calme et réservé après le décès de sa sœur. Sans refuser l’échange, il ne répond pas aux questions, aux sollicitations ou marques d’intérêt qui lui sont témoignées.

Nous supposons que le groupe qui s’est constitué autour de cet événement dramatique a certainement été soutenant et étayant pour ce frère qui venait de perdre sa sœur. Le groupe constitué de son beau-frère et ses parents a eu une attitude que nous décrirons comme plus fataliste. Ils étaient certes tristes, semblaient rassurés d’avoir pu être là pour accompagner leur proche. Il leur a certainement fallu prendre la mesure de l’événement qu’ils étaient en train de vivre, l’important n’étant plus de sauver la malade coûte que coûte de ce drame annoncé qu’est son décès proche, mais d’être là à partager son dernier souffle.

Cette situation est venue illustrer de façon quasi parfaite une modélisation forte, présente dans certains services confrontés à ce type d’événement. Nous pourrions articuler le cheminement de ce frère confronté à cet événement dramatique, avec une approche par étapes :

 

Dans un premier temps, le frère exprime un refus quasi catégorique devant ce que nous appellerons l’épreuve de réalité de l’évolution de la maladie. Ce moment est appelé, selon les professionnels, le refus ou le déni.

Dans un deuxième temps, face à l’absence de réponse allant dans le sens de ses attentes, ce frère est envahi par la colère, l’irritation. Là peut être repéré une deuxième étape.

Dans un troisième temps, des tentatives de négociations, de menaces, de propositions pourraient caractériser une étape de marchandage, une tentative d’infléchissement des faits.

Puis une nouvelle étape, très certainement devant l’échec de l’étape précédente, voyant que le cours des choses ne dépend pas d’un acteur spécifique, mais de l’évolution normale des choses.

L’attitude de ce frère est une attitude de retrait souvent nommée phase de dépression. Il nous est difficile de rentrer dans le détail au sujet de l’attitude de ce frère, car ce dernier refusait toutes tentatives de dialogue. Ses interactions étaient, en apparence, adaptées. Nous pouvons décrire son agressivité, suivie par sa tentative de marchandage, lorsqu’il propose de donner son propre sang pour que l’on transfuse sa sœur, mais que dire de ses pensées, de son ressenti ? Il prenait soin de ses parents, son regard était ni fixe ni fuyant, nous pouvons juste dire qu’il avait une attitude calme et en retrait par rapport à ce que nous avions observé de lui précédemment.

La dernière étape que nous n’avons pas observée, mais que nous supposons, est appelée l’étape d’acceptation. Elle commence lorsque le sujet se met à interagir à nouveau avec son entourage et qu’il parvient à prendre acte des faits qui viennent de se produire et pour lesquels il n’a aucun moyen de les infléchir.

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 135-138)