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Quelques réflexions sur notre clinique

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 107-110)

Chapitre 3 : Les rencontres cliniques de notre travail de recherche

4. Quelques réflexions sur notre clinique

Nous pensions que la « clinique » - du moins le cheminement qu’elle nous amène à faire - était l’ossature de notre travail. Notre difficulté à en témoigner au plus près et la frustration qu’occasionne la relecture de nos propos, lorsqu’il s’agit de témoigner de nos rencontres, sont venues nous interroger. Les mots nous manquent, bien souvent pour témoigner au plus juste de ce moment singulier. Force nous est de reconnaître que nos propos couchés sur le papier trahissent irrémédiablement les ressentis de nos rencontres.

4.1. La notion d’Aura

« Le domaine entier de l'authenticité se dérobe à la reproductibilité technique - et, bien sûr, pas uniquement à la seule reproductibilité technique. » (Benjamin, 1939, p. 46)

Il nous a fallu réfléchir à la façon de rendre compte au plus juste, à trouver le moyen de s’approcher au mieux de l’authenticité de ces moments qui sont la sève de notre réflexion, le moteur de notre cheminement. Un auteur nous a aidé dans cette entreprise, sans pour autant nous apporter des solutions, mais au moins en nous permettant de mettre en mots cette chose qui nous échappe. Walter Benjamin est un philosophe qui s’est intéressé à la reproductibilité technique de l’œuvre d’art, c’est ainsi qu’il a forgé la notion d’aura pour ce qui est d’un objet, - dans notre cas, l’objet étant ces instants de la rencontre clinique - c’est dans cette dernière que nous avons identifié cette part manquante de nos écrits. Il la définit ainsi : « … on entend par « aura » d'un objet offert à l'intuition l'ensemble des images qui, surgies de la mémoire involontaire, tendent à se grouper autour de lui, l'aura correspond en cette sorte d'objet, à l'expérience qu'accumule l'exercice dans les objets d'usage. » (op. cit., p. 149)

 

Nous avons donc continué à réfléchir avec cet auteur sur cet écueil dans nos tentatives de témoignage de notre clinique. Comment contourner cette difficulté ? Comment combler ce manque, cette perte ? Notre questionnement trouvant un écho singulier dans le discours de souffrance que nous adressent les patients. Comment parvenons-nous à les aider, eux, dans cette entreprise, si nous ne sommes pas en mesure de penser ce qui est à l’œuvre lorsqu’émerge le manque ? Walter Benjamin nous a aidé à nommer une part de notre difficulté, mais nous n’avons trouvé aucune piste pour contourner ce manque. Il confirme l’existence imparable de celui-ci dans son propos : « il manque une chose à la reproduction la plus parfaite : l'ici-et-maintenant de l'œuvre d'art - le caractère absolument unique de son existence, au lieu même où elle se trouve. Mais c'est à cette présence unique, et uniquement à elle, que l'histoire doit de s'accomplir, et cette existence, à son tour, se soumet à elle. » (op. cit., p. 45)

4.2. Paradoxe de la temporalité

Après avoir exposé l’une de des difficultés de notre démarche universitaire de rendre compte, par notre écrit, de ce qui se joue dans nos rencontres cliniques, et du lien étroit entre cette question stylistique et notre pratique clinique, il nous est apparu pertinent de reformuler nos difficultés avec une dimension inhérente à la rencontre et formulées par Freud comme étant l’une des trois dimensions en jeu dans la psychanalyse. Nous voulons parler de la dimension dynamique dans laquelle nos rencontres s’opèrent (les deux autres énoncées par Freud étant la dimension topique et économique). Par essence, l’écrit est figé, mais tente de rendre compte (dans notre cas) de situations dynamiques. On pourrait penser que le fait que nous intervenons principalement dans des situations qui relèvent des soins palliatifs, que le temps nous est compté. Par expérience, nos interventions et nos suivis ne s’inscrivent pas dans une temporalité au long court. Mais cette apparente difficulté contingente n’en est pas vraiment une. Nous avons été souvent surpris de la rapidité incroyable avec laquelle nos patients cheminaient. Là où dans d’autres suivis, les patients étaient submergés par le surgissement d’éléments dans lesquels ils ne parvenaient pas à se reconnaître.

« Je voudrais revenir sur un sujet dont j'ai déjà parlé, la création continue d'imprévisible nouveauté qui semble se poursuivre dans l'univers. Pour ma part, je crois l'expérimenter à chaque instant. J'ai beau me représenter le détail de ce qui va m'arriver : combien ma représentation est pauvre, abstraite, schématique, en comparaison de l'événement qui se

 

produit ! La réalisation apporte avec elle un imprévisible rien qui change tout. Je dois, par exemple, assister à une réunion ; je sais quelles personnes j'y trouverai, autour de quelle table, dans quel ordre, pour la discussion de quel problème. Mais qu'elles viennent, s'assoient et causent comme je m'y attendais, qu'elles disent ce que je pensais bien qu'elles diraient : l'ensemble me donne une impression unique et neuve, comme s'il était maintenant dessiné d'un seul trait original par une main d'artiste. Adieu l'image que je m'en étais faite, simple juxtaposition, figurable par avance, de choses déjà connues ! » (Bergson, 1938, p. 99-100) 

 

4.3. Éclairage de notre sous-titre

Dans le développement que nous essayons de faire, en tentant de saisir ce qui se passe dans nos rencontres cliniques, il est une notion qui nous est apparue très fertile, que l’on doit à Paul Ricœur. Lors d’une conférence devant une assemblée de psychiatres en 1992, il donna le titre de « La souffrance n'est pas la douleur » en préambule au développement de son intervention, il fit cette affirmation : « Ma présupposition est que la clinique et la phénoménologie se recroisent dans la sémiologie, dans l'intelligence des signes du souffrir. La première instruit la seconde par sa compétence, la seconde instruit la première par la compréhension du souffrir qui paraît sous-jacente à la relation thérapeutique elle-même. » (Ricœur, 1992, p. 13-14). La lecture de ce propos nous a amené à tenter de repenser ce qui, pour nous, était une évidence. A un tel point que notre problématique a tenté de s’articuler autour de la notion énoncée dans le titre de ce travail, sans mettre « au travail » le sous-titre que nous avons choisi et qui est « cheminement clinique ». Dans notre choix, le terme de cheminement fut motivé par le fait de rappeler la notion de mouvement, de « dynamique » chère à Freud. Parallèlement à cette notion, nous avions à l’esprit les textes de Martin Heidegger « chemin de campagne » qui rendaient compte de quelque chose de non figé, de quelque chose qui se construit en perpétuel changement, aux antipodes de protocole figé. Et il y a la seconde notion, celle qui était la plus importante à nos yeux, la « clinique ». La clinique venant témoigner du contexte dans lequel ce travail s’inscrivait, l’élément duquel il tirait sa substance. Par clinique, nous entendions la présence de l’autre, auprès de l’autre, au chevet du patient. Si notre sous-titre a fini par sortir de l’ombre sur le chemin de notre travail, c’est qu’il est venu mettre en exergue un écueil. Comment penser et témoigner de notre clinique et de son cheminement si celui qui la vit, la pense, et l’écrit* est le même sujet ? Comment, dès lors, ne pas tomber dans une sorte de géocentrisme ? - [* ce n’est très certainement pas un

 

hasard si, à plusieurs reprises, nous avons témoigné de notre grande difficulté à rendre compte de notre clinique, l’idée qui nous taraudait était : comment transcrire, expliquer, mettre en lumière une chose qui ne peut que se vivre dans la singularité de la rencontre ? Comment parvenir à témoigner d’autre chose que de l’ombre des « choses » ?] - Nous n’avons véritablement pas réglé notre problème, mais de l’état de caillou dans notre chaussure dont on ignore qu’il est la cause de notre gène, nous avons pu y réfléchir, à défaut de nous en défaire. C’est donc avec des penseurs de la phénoménologie que nous avons essayé d’apprivoiser l’endolorissement dû à notre gène.

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 107-110)