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Deuil et phases

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 138-143)

Partie 3 : Articulation théorico-clinique

2.3. Deuil et phases

 

Élisabeth Kübler-Ross

En 1969, paraît le livre On Death and Dying de la psychiatre Élisabeth Kübler-Ross (1926-2004). C’est dans ce livre qu’elle va détailler les cinq étapes du deuil. C’est en 1965, que le docteur Kübler-Ross est contacté par des étudiants en théologie afin de les aider dans leur travail de recherche ayant pour thème « la crise dans la vie humaine ». Leur hypothèse était que la crise la plus importante auquel était confrontée une personne était celle de la fin de

 

vie. Leur recherche commença par la rencontre de patients en fin de vie. Ils rencontrèrent des centaines de patients.

De ces rencontres, ils observèrent des attitudes, des comportements semblables chez les patients. Ces comportements apparaissant dans un certain ordre chronologique. Ils notèrent enfin que l’apparition chronologique de ces comportements n’était pas influencée par le fait que les patients soient informés de façon explicite ou non au cours de leur parcours de soins, des risques vitaux que l’évolution de la maladie leur faisait courir.

Refus (1)

Dans un premier temps, lorsqu’était faite l’annonce de l’échec du traitement et que cela impliquait une fin de vie potentiellement proche, la réaction la plus souvent observée chez les patients était l’incrédulité, la surprise, une difficulté à concevoir que c’était de leur situation dont il s’agissait dans cette annonce. Ce comportement des patients fut nommé étape du

REFUS. Le refus va être la première étape dans une chronologie de cinq.

Irritation (2)

Rapidement après l’annonce, l’attitude de refus face à la teneur du discours du corps médical, il va être observé une évolution dans l’attitude du patient qui, après le refus, va exprimer son agacement vis-à-vis de ce qui vient de lui être annoncé. C’est ce qui est considéré comme la seconde étape : L’IRRITATION. La nuance entre la première et la seconde

étape ne s’inscrit pas dans leur logique qui est celle d’échapper à la situation, mais la façon d’y faire face. Dans la première étape, celle du refus, le patient tente d’échapper aux événements en s’inscrivant dans une logique de fuite face à eux. N’y parvenant pas, il s’inscrit, non plus dans une dynamique de fuite, mais a contrario de combat, qu’il exprime par une forme d’agressivité. Le destinataire de cette agressivité pouvant être celui qui annonce la nouvelle, la médecine en général, Dieu le sort ou tout autre objet que le patient désignera comme bouc émissaire.

Marchandage (3)

Pour sortir de cet état de colère, le patient va adopter un nouveau comportement qui va être caractérisé par une tentative d’influer sur les événements. Élisabeth Kübler-Ross nous rappelle que cette étape est moins connue que les autres (du moins en 1965 quand son livre est publié). Cette tentative de la part du patient d’essayer d’infléchir le cours des choses est nommée l’étape du MARCHANDAGE. Par sa tentative de négociation, le patient tente ainsi de

 

redevenir acteur des événements. Cette étape du marchandage va durer tant que le patient aura l’impression de pouvoir infléchir les causes à l’origine des faits qui lui ont été annoncés. Il pourra être observé des tentatives de chantage, toujours dans la logique d’agir sur les événements.

Dépression (4)

L’étape du marchandage va s’arrêter lorsque le patient va prendre conscience de son incapacité à infléchir les choses (du moins de la façon dont il espérait le faire). En se rendant à l’évidence de son impuissance, et l’évolution potentielle de ses symptômes somatiques sont là pour lui rappeler l’inexorabilité de la situation qu’il vit. Le marchandage va donc laisser la place à la quatrième étape qui est celle de la DÉPRESSION. Cette étape est induite par

l’incapacité du patient à faire abstraction de ce qui lui arrive et conjointement, la même incapacité à influer sur les événements qui surgissent inexorablement. L’étape de la dépression est induite selon l’auteur par deux principaux facteurs. Le premier, intellectuel, le patient ne peut pas faire autrement que d’acter qu’il est en incapacité de trouver une solution ou une stratégie qui lui permettrait de venir contrarier le déroulé de la logique des événements et la seconde, plus somatique, qui, au vu de l’évolution de la maladie, peut générer un réel épuisement physique chez lui.

Acceptation (5)

Il nous faut rappeler que les observations de Kübler-Ross portent sur le patient en fin de vie et non pas sur d’éventuelles étapes que pourraient traverser les accompagnants du patient. Dans le cas où il n’y a pas de décès soudain du patient et s’il a pu traverser les quatre étapes qui précèdent, il va entrer dans la dernière des cinq phases du deuil selon l’auteur, c’est l’étape de L’ACCEPTATION. Lors de cette ultime étape, le docteur Kübler-Ross nous précise en parlant du patient : « … pour lui et il pourra regarder sa fin imminente d’un œil relativement apaisé. » (Kübler-Ross, E., 1969, Les derniers instants de la vie, 1975, p. 121). Cette dernière étape est donc celle de l’apaisement où le patient, à la lumière des propos de l’auteur, semble trouver une certaine sérénité, où il retrouve une certaine sagesse lui permettant de faire face à l’événement inéluctable de sa mort imminente.

 

Notre critique

Nous ne cacherons pas notre scepticisme vis-à-vis de l’analyse et des interprétations du docteur Kübler-Ross. Il nous a bien entendu été donné, dans certaines situations, d’observer les signes cliniques qu’elle décrit, mais nous avons aussi rencontré bon nombre de situations qui présentaient un certain décalage avec cette grille de lecture. Certes, Kübler-Ross nuance son propos en précisant que l’ordre d’apparition des cinq étapes du deuil n’est pas figé, que la durée varie, que certaines étapes peuvent se chevaucher, que pour parvenir à la dernière étape (celle de l’acceptation) quand cela est possible, le patient doit bien souvent être aidé dans le franchissement de celles qui précèdent… Toutes ces précisions et nuances ne parviennent pas à nous faire adhérer à sa modélisation.

Nous émettons deux principales réserves au sujet de cette approche :

- La première ne porte pas sur les signes cliniques observés, mais plus sur l’interprétation et l’organisation que l’auteur en fait. Par exemple pour sa dernière étape, il nous était donné d’accompagner des patients qui montraient des signes « d’apaisement », mais les effets des drogues utilisées dans une prise en charge palliative peuvent expliquer en grande partie l’état du patient. Ces signes de tranquillité apparente dont témoigne le docteur Kübler- Ross, dans le cas où le patient est encore en état de nous adresser un discours compréhensible et que nous soyons toujours présents à ses côtés (bien souvent lorsque le patient semble apaisé, non algique et que la famille du patient est là, nous avons considéré qu’il était de notre devoir de nous retirer pour laisser le patient avec ses proches, tout en restant disponible, si le besoin s’en faisait sentir…). Mais soyons honnête, il y a des situations où la famille n’est pas encore arrivée ou tout simplement absente. Dans ces cas-là, le calme du patient nous faisait plus penser à un état de vacuité, d’incapacité psychique à mettre en sens l’événement… Nous devons reconnaitre que ces dix dernières années, malgré le fait que notre clinique s’inscrit dans les prises en charge palliative, nous n’avons pas rencontré de situation où les derniers instants de la vie pouvaient nous faire penser à nos représentations fantasmatiques de la mort d’un sage.

- La seconde critique, et non des moindres, sont les effets induits par la modélisation du docteur Kübler-Ross sur les soignants et les accompagnants du patient en fin de vie. Le déroulé prédictif des étapes du deuil a certes un effet rassurant sur « ce qui va se passer » et par conséquent, rassurant. Cet effet anxiolytique sur l’entourage du patient peut avoir de façon secondaire directe une prise en charge et un accompagnement plus serein et donc moins

 

délétère pour le patient lui-même. Mais il présente un écueil, qui est celui d’être dans une démarche attentiste, au détriment d’une attitude adaptative aux événements dans leurs singularités au moment de leurs survenues.

Ce que nous venons de qualifier de démarche adaptative présente, selon nous, l’avantage indéniable de permettre la survenue de comportements, de stratégies qui s’inscrivent dans une logique où l’accompagnant et le patient imaginent, inventent dans l’interaction de leur rencontre, les éléments qui ont les potentialités à être les plus adaptées à la situation singulière qu’ils sont amenés à vivre mutuellement. L’inconvénient d’un tel cas de figure est qu’il demande une énergie adaptative de la part des soignants, que le stress de ne pas y parvenir, peut générer la mise en place de mécanismes de défense massifs. Nous pensons que c’est bien souvent l’apparition des mécanismes de défense des acteurs confrontés à une situation qui est, par nature stressante, qui génère des réactions sous-inadaptées, voire dans des cas extrêmes, qualifiées de déshumanisantes.

Nous reviendrons sur nos critiques de façon plus spécifique, un peu plus loin dans notre travail, en les articulant à une situation clinique.

Il nous paraît important de témoigner du chemin que nous avons emprunté dans notre clinique. Avant d’avoir à prendre en charge des patients relevant des soins palliatifs, notre expérience s’était construite principalement dans des secteurs d’activité de la pédiatrie. Nos outils pour penser notre clinique s’étaient donc forgés autour de l’enfant et par extension, des adultes qui entourent les enfants.

À notre arrivée dans le service de soins palliatifs, très certainement pour nous rassurer, nous nous sommes plongés dans le travail de Kübler-Ross auquel les soignants et certains de nos confrères faisaient perpétuellement référence. Cela nous a certes permis de mieux comprendre le discours des soignants, mais étrangement, cela nous a laissé relativement désarmé face aux discours des patients et de leur famille. C’est donc tout naturellement que nous sont revenus des réflexes, une logique, des notions découlant d’auteurs tels que Françoise Dolto, Donald Winnicott, etc. Ces nouvelles situations auxquelles nous étions confrontés, nous avons tenté de les penser influencées par notre expérience. Mais dans le cas présent, ce fut en premier lieu, John Bowlby, en référence à son travail sur l’attachement et tout particulièrement le développement qu’il a fait de son travail sur la perte.

 

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 138-143)