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Éléments de conclusion

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 187-200)

Le deuil était notre question de départ, notre point d’ancrage pour tenter de penser notre clinique, la visite de plusieurs auteurs avec leur mode d’analyse nous a permis d’enrichir nos représentations.

Mais ces représentations ne pouvaient trouver grâce à nos yeux que confrontées à notre clinique. Il apparaît comme évident que la notion de mort n’était pas étrangère à la question du deuil.

Les affects d’angoisse, d’effroi, de colère, de haine étant bien souvent présents dans le discours et les attitudes de nos patients, se posait à nous la tentative de les articuler. Comment penser cette réaction d’un enfant de six ans qui vient de perdre son papa, suite à l’évolution d’un cancer foudroyant ?

Sa maman présentait des symptômes, des attitudes que la littérature est parvenue dans sa globalité à décrire.

Pour ce qui est du petit garçon, nous avons mis des mots avec lui sur l’événement. Son comportement semblait, quant à lui, beaucoup plus détaché dans l’après-coup.

Comment comprendre l’attitude d’un adolescent confronté, lui aussi, à la perte de l’un de ses parents ? Son attitude a priori détachée, son refus de partager, d’échanger en premier lieu, est déconcertante pour son entourage.

Sous le terme générique de deuil, il semblerait que beaucoup de choses soient regroupées. Il nous a fallu tenter de mettre du sens, essayer d’entendre ce que les mots du patient parvenaient difficilement à décrire.

Certes, nous avons tenté de trouver des éléments de réponse chez différents auteurs. La notion de pulsion de mort introduite par Freud dans les années 20 a trouvé un écho fertile chez nous.

Là encore, cette notion freudienne n’a pas toujours le même sens en fonction des auteurs. Celle dont nous nous trouvons le plus en accord est l’interprétation que Françoise

 

Dolto en fait (Dolto, 2003). Nous parvenons à mettre du sens à notre clinique, en considérant que la pulsion de mort est le moment où le sujet s’apaise.

Toutes les tentatives du sujet à trouver des solutions, à travers l’expression d’affects ou de symptômes, qu’il nous adresse autant qu’à lui-même, nous semblent relever de la pulsion libidinale. Force nous est de constater que les tentatives d’un sujet en souffrance ne relèvent en rien d’une logique cartésienne.

C’est confronté à ces énigmes des réactions que la théorie freudienne nous est d’un grand secours. Nous ne reviendrons pas sur les fondements et la logique de la théorie psychanalytique, mais nous rappellerons que sans cette dernière, il ne nous aurait pas été possible de cheminer avec nos patients.

Ce chemin ayant pour essence l’établissement d’un nouveau savoir singulier qui, potentiellement, permet de désobscurcir des fragments d’un monde, tout autant singulier, qui est celui du patient au moment de la rencontre. Ce moment que nous appelons rencontre ne se produisant que si les acteurs de cette dernière l’autorisent et la laissent advenir. L’advenue de ce que nous nommons rencontre, chose simple a priori, s’inscrit dans un espace laissé par le patient aux prises avec les événements émergeant de sa temporalité et notre capacité à trouver la bonne place face à la dynamique des « dévoilements » que vit le sujet. À cela, nous devrons prendre en compte notre capacité d’accueil, de potentiel apaisement et ancrage de sa réalité, dans le tourbillon psychique auquel le sujet est bien souvent en proie.

Ce constat opéré, nous ne devons pas pêcher par orgueil en prétendant parler uniquement du patient et de son monde. À partir du moment où la rencontre avec ce dernier a eu lieu, à partir du moment où nous avons accepté de le rencontrer et de cheminer avec lui, nous faisons autant partie de son monde que lui du nôtre. Cela a pour nous, comme conséquence directe, qu’il n’est plus question de penser les acteurs en présence de la rencontre, comme des entités distinctes, singulières, mais comme l’émergence d’un système qui produit un dévoilement, dont il serait vain de tenter de lui attribuer un auteur singulier.

Nous tentons de saisir des éléments qui ne cessaient de lui échapper. Tout comme nous tentons de travailler avec lui avec des éléments qui ne cessent de nous échapper également. Nous reconnaissons que l’une des tâches des plus ardues qui nous est donnée d’accomplir est celle de parvenir à repérer les éléments qui lui appartiennent et ceux qui nous arrivent de notre propre histoire.

 

Il est évidemment question, dans notre propos, du transfert et du contre-transfert. Il est aussi question de ses fantasmes et des nôtres. Tout cela agissant et interagissant en dehors de toute volonté maitrisable et intellectualisable dans l’instant.

Étant donné que nous avons considéré que l’expression de la pulsion de mort s’exprimait par un état libidinal, que cette dernière était l’expression d’une phase de repos de l’activité psychique et, par extension, intellectuelle.

Notre clinique nous ayant amené à faire le constat qu’un patient exprimait un état d’inconfort, voire douloureux, lorsqu’il y avait une altération ou une rupture avec un objet investi libidinalement.

Nous avons été amenés à faire l’hypothèse que le deuil pouvait être le symptôme d’un dysfonctionnement de la pulsion de mort. De façon concomitante, il était aussi l’expression d’un ratage de la pulsion libidinale.

Le dysfonctionnement de la pulsion de mort pouvant s’observer par l’absence d’apaisement du patient. Soit ce dernier se trouvait dans l’expression d’une grande souffrance psychique, soit dans un fort investissement occupationnel.

Notre travail était alors, non pas de tenter de restaurer le fonctionnement de la pulsion de mort, mais de canaliser, d’orienter le fonctionnement de ces pulsions libidinales en les réinscrivant dans une temporalité, lui permettant de nourrir ce que Heidegger nommerait son Dasein.

Ce que nous tentons de dire, c’est que notre objectif n’était pas de mener le patient à faire des projets et, potentiellement, à investir l’avenir. Les rares fois où des soignants bien intentionnés ont tenté de donner ce conseil, il nous a été donné de constater qu’il n’était pas suivi d’effets.

Le patient, en grande souffrance psychique, est bien souvent figé dans l’instant où nul passé et nul futur n’existent (on devrait ajouter que le présent n’existe pas non plus). On retrouve cette idée dans les réflexions de Saint Augustin sur l’éternité. Ces clivages sont peut- être à entendre avec la voix du poète qui l’énonce ici : « la mort où s’engouffre le temps Et la vie forte des murailles » (Char, 1977, p. 450). La vie serait-elle donc entravée, aveuglée par ceux qui essayent de la protéger ?

 

En se coupant ainsi de la temporalité, le patient témoigne de son incapacité à utiliser son énergie psychique à la mutation de son « être ». En parvenant à le réinscrire dans une temporalité (principalement la sienne), nous participons à cette faculté du patient à créer un nouveau savoir par le réagencement de ses traces mnésiques et par l’intégration des éléments issus de la construction intersubjective.

Il est cocasse d’entendre bien souvent l’entourage d’une personne endeuillée tenir ce propos « tu vas voir, ça va aller mieux, tu vas oublier… ». Ce propos nous a fréquemment été ramené par nos patients, dans certains cas, avec le commentaire personnel du patient « mais moi, je veux pas oublier ! ».

Une des conséquences de ce genre de propos, se voulant compatissant et soutenant, nous fût livré par une patiente qui, en exprimant son désir de ne point oublier, avec une pointe de colère, compléta son propos en disant « mais je ne veux pas aller bien ! ».

Nous trouvons dans la définition que donne J.-D Nasio de la pulsion de mort comme une pulsion permettant d’éliminer les déchets, un élément supplémentaire pour considérer le deuil comme le dysfonctionnement de la pulsion de mort.

« La pulsion de mort, c’est la tendance, tant au niveau biologique qu’au niveau psychique, qui pousse à se séparer des éléments dont il faut se séparer pour continuer à vivre ; la vie ne peut avancer qu’en perdant » (D. Berton citant J.-D. Nasio, 2014 p. 21)

« La pulsion de mort, c’est tout mouvement de séparation, soit la séparation des parties du Moi, soit la séparation de ceux qui sont autour de moi. » (op. cit., p. 23) Nous pensons que ce dysfonctionnement de la pulsion de mort découle du dévoilement du Réel, dont le sujet est dans l’incapacité de l’apprivoiser, de l’assimiler.

Dans une telle situation, dépassant de beaucoup ses ressources psychiques, il se trouverait figé dans l’effroi. Là encore, la théorie psychanalytique nous donne des outils pour tenter de penser cet état de fait.

La différence de réaction face à la perte d’un proche, investi en fonction de l’âge de nos patients, nous a amenés à réfléchir sur ce qui est communément appelé la résolution du

 

complexe d’Œdipe. Pour illustrer notre propos, nous prendrons un exemple dans la vie courante.

Qui n’a jamais observé l’état de détresse d’un jeune enfant à la sortie de l’école dont la maman est en retard pour venir le chercher. Même sa maîtresse (personne de confiance et connue de l’enfant) ne parvient pas à le rassurer sur l’arrivée prochaine de sa maman.

La dimension dramatique de la situation étant donnée par le fait qu’il se retrouve seul avec elle, devant son école, où tous ses alter ego sont partis avec leurs parents. À l’arrivée de la maman, ce n’est point de la colère que l’enfant exprime, mais un élan vers cet autre qui, par sa présence, lui permet « d’être ». À cette hypothèse que nous faisons sur le fait que l’enfant s’apaise quand il lui est permis « d’être », ne répond pas à la question de ce que c’est que « d’être ». Notre expérience avec les enfants nous pousserait à dire qu’il peut « être » avec l’autre, non pas comme on pourrait vouloir le penser comme un sujet singulier, mais comme « complément » d’un système qui parvient à un équilibre pulsionnel, non pas de son point de vue, mais de son vécu dans l’instantanéité du dévoilement, du surgissement de l’instant, en s’inscrivant ainsi dans un potentiel à « être ».

Si la même situation se reproduit avec un adolescent, bien des parents vous témoigneront que la situation se joue d’une tout autre façon. Entre ces deux situations, le complexe d’Œdipe est venu modifier radicalement le sujet, l’amenant à des réactions tout aussi radicalement différentes. Une personne ayant à subir un deuil présente, bien souvent, un comportement qui a plus à voir avec le jeune enfant dont nous venons de parler, qu’avec l’adolescent ayant à subir une frustration.

Ces situations nous ont amenés à faire l’hypothèse que les mécanismes en jeu dans le complexe d’Œdipe sont ceux qui, potentiellement et idéalement, permettraient au sujet de gérer un événement de deuil. Nous considérons que l’un des effets fondamentaux du complexe d’Œdipe est de permettre à un sujet de rapatrier sur le registre de l’angoisse par le biais du langage, ce qui, auparavant, relevait de l’effroi.

Nous rappellerons que dans cette dynamique induite par le langage, il y a un effet collatéral qui est l’avènement de la haine.

L’un des problèmes découlant de cet état de fait, que notre clinique nous amène à constater, est que lorsqu’un sujet, enrichi de ces étapes lui permettant de trouver une

 

organisation adéquate face à ses situations de vie, devient dangereux pour lui-même, quand l’intensité des événements opère une désorganisation massive et qu’ainsi, elle l’amène à mettre en place un fonctionnement archaïque, associé à la puissance que lui confère la place, le statut qui lui est donné dans le contexte social.

Nous pensons que le pré requis fondamental nous permettant de, potentiellement aider un sujet dans une telle situation, est justement de faire abstraction de cette temporalité sociale par les attentes qu’elle induit, mais la prise en compte du sujet qui a perdu toute cohérence linéaire dans son histoire.

La « mort » a été une question de notre travail. Il nous apparaît que cette question ne peut être posée qu’à l’échelle sociale. Certains auteurs ont bien tenté de la fusionner avec la question de la « vie », mais là encore, il nous semble que cette tentative ramenait ce travail dans une dimension sociale.

Quant à Freud, il considère, concernant la question de la mort quand elle est posée, qu’il s’agit toujours de la mort de l’autre. Il n’est jamais question de sa propre mort. Heidegger le suit dans ce postulat. Jacques Lacan, dans sa conférence à Louvain, formulera qu’en ce qui concerne la mort, c’est une question de croyances. Le comble, c’est lorsque la mort devient une croyance scientifique, qu’on en vient à retenir d’elle un discours scientifique qui s’opposerait à une dimension de croyances.

Il nous revient à l’esprit l’un des propos d’un patient qui se savait condamné par l’évolution de son cancer. Cela faisait plus d’un an que nous le rencontrions hebdomadairement, toujours le même jour, à la même heure.

Ce patient de 75 ans était considéré par les soignants comme un sage qui, malgré sa maladie, prenait soin d’eux. Peu de temps avant son décès, que son état somatique ne laissait pas présager, nous le rencontrâmes et à cette question « Comment allez-vous aujourd’hui ? » il prit un air pensif comme s’il cherchait les mots les plus justes : « Aujourd’hui ça va, mais j’étais en train de penser que lorsque ça arrivera, ça se passera mal. ».

Surpris de sa réponse, nous lui demandâmes de nous expliquer ce qu’il voulait dire. Encore une fois, il prit son temps pour réfléchir et nous répondit : « Je sais que ça va arriver, il faudrait être bête pour ne pas le savoir. J’ai l’impression que je n’ai pas peur, mais quand

 

ça va arriver, ça ne peut que mal se passer, sauf si ça arrive dans mon sommeil. C’est comme ça, on ne peut rien y faire. »

Quand il prononça ces phrases, nous étions assis en face de lui, à boire ses paroles. Son visage était détendu, légèrement souriant. Nous sommes incapables de dire comment cette rencontre s’est achevée.

Connaissant ce patient de longue date, nous supposons qu’il a pris soin de nous, mais le premier souvenir qui nous reste de l’après cette rencontre, c’est notre état lorsque nous nous sommes retrouvés dans la cour de l’immeuble où il habitait, avec la sensation d’être complètement désorientés.

Bien des auteurs du XXème siècle sont venus interroger cette notion. Pour certains, influencés par la phénoménologie et l’ontologie, et de surcroit, élèves de Heidegger (Lévinas, Jonas, Handers) dont l’un travailla la question en « camp de la mort » ! Pour un autre, dont le père fut un des traducteurs de Freud en français, Jankélévitch n’a jamais caché l’influence qu’a eu sur lui ce penseur de la durée, en la personne de Bergson.

Chacun, avec sa sensibilité, son expérience, se « soumet à la question » de la mort, force nous est de constater qu’aucun ne parvint à aller au-delà…

Face à ce constat, on pourrait être tentés d’avancer une pensée de pure logique mathématique, se référant à la logique des ensembles, en affirmant qu’un système (ensemble) ne peut se contenir lui-même.

Notre propre mort faisant partie intégrante de ce que nous sommes, nous ne pouvons donc pas faire la contorsion de l’observer, la penser, sans nous déprendre de nous-mêmes.

Cette distorsion nous est impossible, à moins que l’on ne recoure à la croyance ou à la superstition. Ce recours nous emmènerait inévitablement sur le terrain de la sophistique. Pour couronner le tout, l’écueil insurmontable de cette incapacité à s’observer soi-même est rendu définitivement inatteignable par Freud avec son postulat de l’inconscient.

Ce nouvel obstacle, dont Freud est l’artisan, nous est rappelé par Lacan, sous la terminologie du sujet divisé ! L’observateur humain, si tenté qu’il fût de penser qu’il pouvait accéder « objectivement » à ses perceptions, il nous faut reconnaître que la chose ne peut être

 

envisagée que dans la totale incompréhension des effets de sa part inaccessible le constituant, mais néanmoins agissante sur sa manière d’intégrer ses perceptions.

Dernier détail, comme si les entraves intrinsèques du sujet n’y suffisaient pas, il y a aussi cette même part inatteignable chez l’autre… C’est à cet endroit que se situe notre travail. Nos tentatives de faire émerger du sens, à l’image d’un échafaudage de travail, que l’on assemble au gré du relief et des spécificités de l’édifice.

La rencontre avec nos patients est cet édifice. Un échafaudage que l’on module, reprend, corrige, mais quoi qu’il en soit, il est et demeure secondaire. Il reste un pis-aller remis en cause par ce qui, selon nous, est appelé « dasein » par Heidegger. Un échafaudage à usage unique de l’instant qui ne peut souffrir d’être figé, sous peine de voler en éclats.

Devant le constat que nous avons dû faire de cet "impossible" à penser la « mort », nous sommes venus interroger l’expression de nos outils à penser. Ne portaient-ils pas en eux l’essence de notre incapacité à penser ? Pour le dire simplement, notre langage ne nous faisait- il pas défaut ?

Pour continuer notre chemin, nous avons été aidés par les observations de François Jullien, philosophe et sinologue, sa connaissance d’une langue, s’exprimant avec des signes, nous fut précieuse.

Il nous permit de prendre conscience que la structure de la langue dans laquelle nous tentons de penser et de nous exprimer (le français) portait en elle un « trou ». Cette dernière, par sa logique, s’inscrivait dans un mode de révélation ontologique.

La conséquence directe de ce constat étant de laisser impensé le statut de la transition. Pour illustrer son propos, nous pourrions dire que la langue française (et selon François Jullien, les langues européennes) est telle une pellicule de cinéma, constituée d’une succession d’images figées dont la transition de l’une à l’autre est par essence absente.

Malgré ce constat douloureux, nous avons continué à interroger cet outil qu’est le langage au travers de l’utilisation que nous en faisions dans la rencontre avec nos patients.

De statut d’outil, il est devenu cet élément incontournable dans notre pratique et dans notre réflexion. Les linguistes sont ces professionnels qui ont pris les langues pour objet d’étude.

 

Notre ambition a été de réfléchir sur l’effet produit par les langues sur le sujet qui est, selon nous, la production d’un langage. Le travail de Jean-Pierre Lebrun nous a permis de retrouver des éléments de notre clinique.

Cela nous a permis d’avoir des éléments de compréhension sur l’expression de sentiment de haine, lorsque nos patients se trouvaient dans des situations où ils étaient débordés. Le caractère extrême de ces situations nous facilita la tâche et illustre fort bien ce propos freudien « c’est à la lumière du pathologique que l’on comprend le normal ».

L’acmé de la crise étant passée, il nous fallut tenter de retrouver dans nos suivis les éléments édulcorés que la situation extrême avait mis en lumière. C’est chez Jacques Lacan que l’on trouva un concept nous permettant de poursuivre notre chemin.

Dans son séminaire XX, il introduisit la notion de « lalangue ». Ce nouvel outil nous amena à une relecture de notre parcours. Nous devons ici faire l’aveu qu’à cette étape, les

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