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Digression : de l’observation à la logique d’une science

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 110-113)

Chapitre 3 : Les rencontres cliniques de notre travail de recherche

5. Digression : de l’observation à la logique d’une science

5.1. Penser la clinique

Dans notre tentative de penser la clinique dans le modèle psychanalytique, nous avons suivi l’argumentaire et les explications dans le texte freudien pour définir la psychanalyse (voir Partie 1). Nous sommes allés voir les argumentaires des détracteurs de la psychanalyse, afin de comprendre leur logique, leurs oppositions. Nous y avons trouvé des penseurs qui adhéraient à une logique rationaliste, déterministe, s’inscrivant fondamentalement dans un empirisme positiviste. Effectivement, en définissant ainsi la science, une bonne partie de la métaphasique, en tout premier lieu et par extension la métapsychologie, se voit reléguée à un statut de non-science. C’est dans un texte écrit par ce qu’on pourrait appeler des voisins de Freud (voisins parce que les auteurs sont viennois, tout comme Freud) que nous avons trouvé une synthèse des critères qui définissent une vision scientifique. Ce texte s'intitulant La conception scientifique du monde (Manifeste du Cercle de Vienne, 1929). Ce recueil de textes, écrit par plusieurs scientifiques, nous a paru être dans un premier temps une réaction à la psychanalyse. Notre première analyse fut motivée par le fait qu'en 1929, la psychanalyse a presque 30 ans d'existence et que les auteurs de ce manifeste sont viennois. En dehors du fait que le manifeste du Cercle de Vienne nous est apparu comme une ode à la conception d’une science positiviste, il est quasiment contemporain d’une avancée majeure en physique, présentée à une conférence à Bruxelles lors de l’automne 1927, il s’agit du principe d'indétermination d’Erner Heisenberg, prix Nobel de physique en 1933 (Heisenberg, 1958, p. 32). Si nous faisons référence à un père de la physique quantique, c’est que nous pensons que le XXe siècle est venu marquer un tournant dans la perception que nous pouvons avoir

 

des choses. Ce dernier rappelant qu’il ne faut surtout pas oublier un fait majeur : « nous ne pouvons négliger le fait que les sciences expérimentales sont élaborées par des hommes : elles ne se contentent pas de décrire et d'expliquer la Nature ; elles sont une partie de l'interaction entre la Nature et nous : elles décrivent la Nature telle que notre méthode d'investigation nous la révèle. »(op. cit., p. 90)

Il nous faut expliquer notre digression, comment un travail qui s’inscrit dans l’approche psychanalytique, peut nous amener à parler de la physique quantique ?

Comme nous l’avons suggéré au début de ce travail, il existe différentes façons de percevoir le monde. Certains auteurs se sont évertués à voir dans l’approche psychanalytique autre chose qu’une approche scientifique. Nous pensons que leur lecture de la science, tout comme de la psychanalyse, était telle que ces deux approches étaient inconciliables. Nous ne reprendrons pas les arguments de Roland Gori dans la partie qu’il présente sous le titre « La juridiction poppérienne peut-elle à elle seule instituer la rationalité scientifique ? » de son livre La preuve par la parole (Gori, 1996, p. 194). Dans la situation présente, nous voudrions montrer les similitudes entre le modèle induit par la physique quantique et l’approche psychanalytique.

5.2. Dialogue entre le physicien et le psychanalyste

En 1931, le Comité permanent des Lettres et des Arts de la Société des Nations prend l’initiative de publier des correspondances de représentants qualifiés. Il fut demandé à Albert Einstein de participer à ce projet. Il proposa Sigmund Freud comme interlocuteur. Freud accepta cette invitation. (Freud, 1933b, p. 62-63)

L’échange épistolaire entre Freud et Einstein paraitra sous le titre « Pourquoi la guerre ? » en 1933. Le premier titre de cette publication était « Droit et violence » récusé par Freud au profit de celui sous lequel le texte est connu.

À la lecture de ce texte (et de son titre initial), on peut supposer qu’Albert Einstein, très impliqué dans des activités en faveur de la paix et du désarmement, avait une idée de ce qu’il voulait mettre en lumière. Tout d’abord, dans le choix de son interlocuteur, en la personne de Freud. Nous faisons l’hypothèse que conscient de l’enclin à la violence dont fait preuve

 

l’espèce humaine, il pensait peut-être qu’un psychopathologue tel que Freud pourrait apporter des éléments de réponse à ce « mal ». On connaît l’opinion de Freud sur cet exercice de style, qu’il exprima en ces termes : « soi-disant discussion avec Einstein, ennuyeuse et stérile » (op. cit., p. 63). Nous pensons reconnaître dans la position freudienne au sujet de la violence, non pas une pathologie humaine comme le pense Einstein, mais l’expression de la pulsion. La violence ne serait donc pas à éradiquer, mais du fait qu’elle est une part constituante de l’humain, elle serait plus à domestiquer, apprivoiser et idéalement utiliser comme un moyen d’atteindre des potentiels mécanismes de sublimation.

Ce décalage de conceptions, de visions entre l’un des plus brillants physiciens de son temps, père de la théorie de la relativité et les apports de découvertes faites à l’aube du vingtième siècle. C’est en 1900 que fut énoncée par Planck, la loi qui porte son nom (Heisenberg, 1958, p. 14). Elle est le résultat d’un travail commencé en 1895. Les implications en physique de cette découverte vont être multiples et poussent Heisenberg à tenir ce propos : « le changement apporté au concept de réalité, tel qu'il se manifeste en mécanique quantique, n'est pas seulement une continuation du passé : il semble qu'il y ait rupture réelle dans la structure de la science » (op. cit., p. 12)

Si nous avons tenu à faire ces rappels au sujet de la découverte et les implications de la physique quantique, ce n’est pas uniquement pour la coïncidence des dates avec la découverte de la psychanalyse - premier texte de Freud et Breuher, en 1895 avec Étude sur l’hystérie et énoncé de la première topique freudienne, en 1900, dans l’interprétation du rêve - si nous avons pris le temps de cette digression, c’est que nous trouvons dans les énoncés de ce physicien qu’est Heisenberg, des similitudes avec la psychanalyse. En changeant quelques termes, nous constatons qu’ils pourraient s’appliquer à la psychanalyse. Pour conclure notre développement au sujet de la physique quantique, nous le ferons avec un constat personnel de Heisenberg sur certains de ses contemporains : « les sciences expérimentales sont élaborées par des hommes : elles ne se contentent pas de décrire et d'expliquer la Nature ; elles sont une partie de l'interaction entre la Nature et nous […] la grave difficulté éprouvée par des savants, même aussi éminents qu'Einstein à comprendre et à accepter l'interprétation de Copenhague (Heisenberg, 1958, p. 90)

 

Les constats que pose Heisenberg, sur sa discipline, nous font étrangement penser à notre vécu dans la rencontre clinique. Notre difficulté à témoigner, non de nos rencontres, mais de ce qu’il s’y passe pour le patient et nous-mêmes prend corps dans les explications de Heisenberg. Dans nos vignettes cliniques, nous venons décrire des faits — observés par nous-mêmes, et donc passés par le filtre de notre subjectivité — et pourtant, nous ne cachons pas notre gêne à tenter de mettre du sens, notre embarras à tenter de formuler une conceptualisation. Il nous a fallu nous remettre au travail pour essayer de penser cette gêne. Le système rendu possible par les penseurs de physique quantique est certes venu nous rassurer, mais n’est pas parvenu à répondre à cette sensation non-encore cristallisée en question. Face à la difficulté dont nous venons de témoigner, nous ne résistons pas au plaisir de partager ce propos sur l’observation et de cette tâche aveugle inhérente à cette dernière : « le terme « se passe » ne s'applique qu'à l'observation et non à l'état de choses entre deux observations ; il s'applique à l'acte physique d'observer et non à l'acte psychologique et nous pouvons dire que la transition du « possible » au « réel» se produit dès que l'interaction de l'objet avec la jauge de mesure (donc avec le reste du monde) est entrée en jeu ; le terme « se passe » n'a aucun lien avec l'acte d'enregistrement du résultat par le cerveau de l'observateur. Mais le changement discontinu de la fonction de probabilité se produit en même temps que l'acte d'enregistrer, car c'est le changement discontinu de notre connaissance au moment de l'enregistrement qui a son reflet dans le changement discontinu de la fonction de probabilité. » (op. cit., p. 50-51)

Dans le document Deuil, mort et trauma : cheminements cliniques (Page 110-113)