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Théorisation de la judiciarisation du politique au Canada

Chapitre 1 : Problématique, cadre méthodologique et présentation de l’objet de recherche

1.3 Théorisation de la judiciarisation du politique au Canada

Cette troisième partie du premier chapitre vise à préciser et justifier trois éléments-clés de la typologie proposée dans ce mémoire : (1) l’ordre de présentation des théories; (2) le premier exercice de catégorisation du débat; (3) l’état scientifique actuel du corpus documentaire.

1.3.1 Ordre de présentation des théories

L’ordre de présentation des théories n’est pas le fruit du hasard. Tout au contraire, cet ordre résulte d’une organisation chronologique basée sur l’ordre d’apparition des théories. Toutefois, il est à noter qu’il s’agit d’un ordre ne s’appliquant qu’au cas de la théorisation de la judiciarisation du politique au Canada. Par exemple, on retrouve un débat universitaire semblable aux États-Unis. À cet effet, certains des auteurs déplorent que le débat canadien soit indument influencé par celui qui a cours au sud de la frontière. Bernatchez confirme cette analyse en soulignant que les auteurs de la théorie critique de la Charte « se sont largement inspirés du débat doctrinal étatsunien, à telle enseigne qu’il s’agit parfois d’un calque » (2000 : 92). À l’opposé, les auteurs de la théorie du dialogue perçoivent l’ordre constitutionnel canadien de 1982 comme étant particulièrement unique. En effet, selon eux, les articles 1, 33 et 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 rendent le cas canadien hermétique aux problèmes particuliers que l’on retrouve dans la judiciarisation du politique aux États-Unis.

1.3.2 Première tentative de catégorisation des théories

En 1991, Jacques Gosselin a publié un ouvrage intitulé La légitimité du contrôle

judiciaire sous le régime de la Charte « tiré de sa thèse de doctorat » (Morissette, 2000 : 41).

Dans cet ouvrage, l’auteur consacre un chapitre sur la théorisation du « contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois » (Gosselin, 1991 : 186) et, ce faisant, propose de répondre à la question qui suit : « Comment doit s’exercer ce nouveau pouvoir dévolu aux tribunaux sous le régime de la Charte ? ». Gosselin précise que « [p]lusieurs auteurs au Canada ont déjà élaboré des théories afin de tenter d’apporter des réponses à cette interrogation ». Il nous invite donc à entrevoir sommairement « les diverses prises de position » (Gosselin, 1991 : 153-154). Deux

30 Selon Della Porta et Keating « [a]n important element of paradigm is that it is accepted by the whole community of

scientists active in a certain discipline » (2008: 20). Suivant ce raisonnement, nous croyons qu’il est soutenable ici de parler de paradigme puisque les théoriciens du débat parlent tous de la judiciarisation du politique au Canada. En effet, soit qu’ils en contestent son existence, soit qu’ils en font la défense, soit qu’ils se bornent à en expliquer les tenants et aboutissants.

constats résultent de notre lecture de ce chapitre : premièrement, Gosselin a procédé deux décennies avant nous, à une catégorisation des théories de la judiciarisation du politique au Canada. Ainsi, force est de constater que notre observation, concernant les catégories distinctes en termes d’approches analytiques et appliquée aussi au phénomène qui intéresse nos universitaires, est bien fondée. Deuxièmement, Gosselin nous permet de prendre connaissance de onze auteurs desquels émanent, selon lui, des théories distinctes du contrôle judiciaire des lois. L’auteur nomme ces théories à partir des noms des théoriciens qu’il étudie (par exemple : la théorie de Hogg, la théorie de Monahan, la théorie de Mandel, la théorie de Hutchinson et Petter, etc.) Cet état de fait démontre qu’en 1991 la théorisation du phénomène n’était encore qu’à ses balbutiements. Deux caractéristiques nous incitent à affirmer cette immaturité théorique : d’abord, les auteurs mentionnés par Gosselin sont d’ores et déjà partie prenante de notre recherche et ils font dorénavant partie d’un corpus documentaire comprenant une cinquantaine d’auteurs. De plus, ces auteurs peuvent désormais être regroupés, dépendamment des approches intellectuelles qu’ils épousent dans leurs travaux respectifs, au sein de l’une des quatre théories que nous proposons dans ce mémoire. Par exemple, parmi ces auteurs cités par Gosselin, notons que les propos d’Hogg et de Monahan s’inscrivent aujourd’hui dans la théorie du dialogue, alors que ceux de Mandel, d’Hutchinson et de Petter s’inscrivent maintenant dans la théorie critique de la Charte. En conséquence, les théories respectives de ces auteurs, telles que perçues par Gosselin, se sont juxtaposées au fil du temps – en partageant des affinités électives – pour former, aujourd’hui, des théories plus générales ancrées sur des bases conceptuelles bien étoffées. À ce titre, déjà en l’an 2000, Morissette faisait état d’un avancement théorique important en ce qui a trait à la théorisation de la judiciarisation du politique au Canada et ce, en spécifiant « qu’il y a eu une maturation dans les commentaires savants et que les contributions critiques sont plus nombreuses parmi les écrits récents » (40). Ainsi, dit-il, « il semble que les critiques de la légitimité judiciaire aient mis quelques années pour discerner la cible précise de leurs objections » (Morissette, 2000 : 40). Effectivement, on observe cet état de fait lorsque l’on compare les théories exhibées par Gosselin il y a 23 ans avec les théories actuelles qui proviennent souvent des mêmes auteurs.

1.3.3 Le corpus documentaire théorique et son état scientifique actuel

Deux précisions s’imposent avant d’aborder la typologie des théories comme telle; il s’agit du quasi absence de références francophones dans le mémoire et de la lacune dans la communauté scientifique concernant l’état du débat, à laquelle nous comptons remédier.

1.3.3.1 Références francophones

Le corpus documentaire de ce mémoire est composé presque entièrement d’universitaires anglophones. Cette réalité est confirmée par Bernatchez (2000 : 94) et Morissette qui dit qu’« [a]u Canada, on a relativement peu écrit en langue française sur la

légitimité du juge constitutionnel » (2000 : 40). Cela s’explique par le fait que trois approches analytiques principales ont été élaborées en rapport avec les réformes constitutionnelles effectuées en 1982. L’une de ses approches s’intéresse au pouvoir judiciaire ; une autre s’intéresse aux rouages politiques entourant les réformes ; finalement, la dernière s’intéresse aux conséquences de ces réformes pour l’état de la fédération canadienne. Celle-ci est à l’origine d’« analyses [qui] ont surtout porté sur le caractère illégitime de la réforme constitutionnelle de 1982 eu égard à la question nationale québécoise » (Bernatchez, 2000 : 94). Notons qu’au Québec, bastion des universitaires francophones du pays, ces événements constitutionnels sont la plupart du temps analysés en vertu de la troisième approche.

1.3.3.2 Lacune dans la communauté scientifique

Mace et Pétry affirment que le chercheur doit s’appliquer à « repérer une ou plusieurs lacunes dans les travaux antérieurs traitant du même sujet et, partant, de combler ces lacunes » (2000 :30). À ce titre, nous ne pouvons affirmer avoir identifié des lacunes scientifiques (factuelles ou méthodologiques) au sein des analyses produites par les différents théoriciens qui forment le corpus documentaire. Malgré tout, nous avons constaté qu’aucun de ceux-ci n’a consacré de temps à l’exercice didactique consistant à apprécier l’état des recherches produites à ce jour. Autrement dit, nul ne propose d’exposer l’état du débat. Toutefois, force est d’admettre que les auteurs identifient, la plupart du temps dans les introductions d’articles et d’ouvrages, un certain nombre de références de base. Ces dernières sont répétitives et, de ce fait, elles font foi d’une certaine assise savante du phénomène. À juste titre, on constate dans les textes de ces théoriciens une volonté d’inscrire le débat dans le temps et de le faire progresser vers une certaine exactitude. Finalement, 33 ans après l’enchâssement de la Charte, nous disposons d’un certain recul face au phénomène étudié, ce qui n’était ni le cas de Gosselin (1991) au moment où il publia son ouvrage, ni le cas des théoriciens qui y faisait l’objet d’une analyse.