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L’interprétation constitutionnelle des auteurs conservateurs

Chapitre 2 : Théorie de la critique de la charte

2.2 Prémisses conceptuelles et analytiques de la théorie

2.2.2 L’interprétation constitutionnelle et jurisprudentielle

2.2.2.3 L’interprétation constitutionnelle des auteurs conservateurs

L’interprétation constitutionnelle des auteurs conservateurs s’effectue d’une part par l’entremise d’analyses concernant le constitutionnalisme libéral et, d’autre part, par l’entremise d’analyses plus spécifiques concernant la Loi constitutionnelle de 1982.

Le constitutionnalisme libéral

Pour les théoriciens conservateurs, le constitutionnalisme a pour objectif non pas d’éradiquer les confrontations politiques – qui parfois peuvent devenir très fortes –, mais bien de tempérer les tensions par l’entremise de règles s’appliquant au jeu politique, particulièrement aux mécanismes institutionnels de poids et contrepoids (Knopff, 1999 : 32). Tel que défini au premier chapitre de ce mémoire, la démocratie parlementaire et la démocratie « madisonnienne » (Chevrier, 2009) sont tous deux des rameaux du constitutionnalisme libéral (Banfield et Knopff, 2009 : 20). Toutefois, non seulement ces modèles proposent-ils une vision différente de la séparation des pouvoirs, mais en plus chacun met de l’avant un modèle distinct de protection des droits et libertés64. Avec l’enchâssement de la Charte dans sa Constitution, le

Canada a bel et bien épousé, en 1982, le modèle de protection des droits en vigueur aux États- Unis. Il est important de comprendre que les auteurs conservateurs, contrairement aux auteurs progressistes, sont des partisans assumés du constitutionnalisme libéral et n’y voient pas de problématique particulière en ce qui a trait aux plus désavantagés de la société. Ce qu’ils remettent en question, ce n’est donc pas le constitutionnalisme libéral, mais, plutôt, sa version « madisonnienne », laquelle donne cours, à leurs yeux, d’une part à une politisation du pouvoir judiciaire et, d’autre part, à une judiciarisation du politique, car l’ensemble favorise un agrandissement substantiel du faussé qui sépare les citoyens de la sphère démocratique décisionnelle ; sans parler du fait que la tradition constitutionnelle canadienne est hostile à une

Charte s’imposant par l’entremise du pouvoir judiciaire (Knopff,1998 : 694).

Il est à noter que les auteurs conservateurs sont bien entendu favorables à la suprématie constitutionnelle dans lequel on retrouve une révision judiciaire en bonne et due forme de la constitutionnalité des lois (Patenaude, 2001 : 99). Le problème loge ailleurs, c’est-à-dire là où le pouvoir judiciaire, par l’entremise d’un activisme, peut en venir à changer unilatéralement les paramètres de la Constitution. Cette possibilité, résultat du paradoxe du constitutionnalisme libéral (Manfredi, [1993] 2001; Hirschl, 2000)65, que l’on retrouve uniquement dans la version

« madisonnienne » (Chevrier, 2009) de ce dernier, doit être examinée avec attention par le pouvoir judiciaire pour ne pas qu’il en vienne à être en conflit d’intérêts permanent envers ses propres prérogatives constitutionnelles. Le pouvoir judiciaire « only remains legitimate when it

64 Selon Chevrier (2009), les deux modèles protègent adéquatement les droits et libertés. Pourtant, depuis une

soixante d’année, les démocraties libérales de ce monde ont préféré adopter le modèle américain de protection des droits, plutôt que celui reposant sur le modèle de la démocratie parlementaire.

operates within parameters set by the Constitution. The judiciary should not extend it unilaterally » (Patenaude, 2001: 99).

À cet égard, Martin66 soutient que les juges au Canada peuvent faire acte d’une

originalité constitutionnelle importante, car la Constitution du pays loge non pas dans un texte unique, mais, plutôt, dans « an agglomeration from various sources » (2003 : 117) ; « I take ‘constitution’ to mean a collection of established rules and principles to prescribe the way the state apparatus is to operate » (Martin, 2003 : 7)67. Dans cette diversité de sources

constitutionnelles, les juges sélectionneraient arbitrairement ici et là des règles de droit et les interprèteraient au goût du jour. Martin affirme donc que les juges « [are] ‘making it up as they go along’» (2003: 117). Ce faisant, les juges sapent la démocratie canadienne puisqu’ils en viennent à des jugements « based not on law, but on personal preferences » (Martin, 2003 : 7), imposés à l’ensemble de la population. Dans cette approche constitutionnelle, le pouvoir judiciaire en viendrait bien souvent à restreindre la souveraineté parlementaire sur l’hôtel d’une interprétation autoréférentielle des conventions politiques canadiennes68. Pourtant, dit

Patenaude, seuls des textes constitutionnels formels peuvent être utilisés comme références pour restreindre la souveraineté parlementaire (2001 : 100). Par conséquent les juges « must show some self-restraint and curb democracy only when a formal and explicit clause of the Constitution forces them to do so » (Patenaude, 2001: 104). Tel que mentionné dans le premier chapitre de ce mémoire, la constitutionnalisation du droit signifie, entre autres, que les juges sont les gardiens suprêmes de la Constitution (Kelly, 2005). Le problème selon les auteurs conservateurs est que « the judges of the Court have difficulty grasping the disctinction between ‘guardian’ and ‘owner’ (Martin, 2003 : 23). C’est pourquoi l’axe interprétatif conservateur de la

66 Cet auteur, un juriste, dit faire une critique du pouvoir judiciaire non pas politique mais bien de principe. Une

critique politique consiste à dire que tel ou tel jugement est mauvais alors qu’une critique de principe consiste à identifier le processus qui a mené à la décision (Martin, 2003 : 3). L’argument principal de son ouvrage est le suivant: « If Supreme court decisions have one common characteristic, it is that they are unprincipled » (Martin, 2003: 9). Selon lui, en 1982, le Canada a vécu un coup-d’état judiciaire (2003 : 175) qui prend origine dans une orthodoxie qui s’est imposée récemment parmi les Canadiens en général, mais surtout parmis les élites académiques, politiques et, en définitive, parmis les élites du corps judiciaire. À ce titre, les Canadiens entretiennent une croyance dans leur esprit voulant que ce soit la Constitution et les courts de justice qui, « magically, take care of everything. In a democracy, however, citizens take care of everything » (Martin, 2003: 74). Cette orthodoxie, pour Martin, relève d’une idéologie composée d’une petite clique non représentative des Canadiens, véhiculant une approche non démocratique, basée sur une épistémologie douteuse à saveur hautement féministe (Martin, 2003 : 3). L’épistémologie de cette orthodoxie est principalement basée sur une approche où les émotions sont au cœur des jugements et des visions politiques et, surtout, où l’état de victimisation est l’objectif premier. Cette orthodoxie, par exemple, « would suggest that, for young lawyers, thinking good thoughts is more important than knowing any law » (Martin, 2003: 17). De plus, dit-il, aujourd’hui les étudiants en droit et les juges se complaisent à croirent « that, prior to the Charter, Canada was a vile and oppresive country in which citizens were absolutely without rights » (Martin, 2003: 70). En terminant, l’auteur explique que les « groupes litigants » – les « charterclaimers » systématiques – se rattachent non seulement à cette orthodoxie, mais de plus, qu’ils sont au cœur de la judiciarisation du politique au Canada. Enfin, « in deciding cases the judges of the Supreme Court are guided more by the orthodoxy than by the law and the Constitution » (Martin, 2003 : 3).

67 À cet égard, notons que la Constitution canadienne comprend différentes Lois, celles de 1867 et de 1982.

Également, la Constitution canadienne se retrouve dans les statuts parlementaires et dans les conventions politiques qui en émanent. La Loi constitutionnelle de 1867 n’était à l’origine qu’un statut du Parlement mère à Londres.

théorie critique de la Charte prétend que les juges sont ni des « protectors », ni des « perservers » de la Constitution (Martin, 2003 : 23). Au contraire, les juges constituent le premier danger auquel doit faire face la Constitution (Martin, 2003 : 23) ; ainsi, dit Martin, de façon polémique, « I believe that a useful and practical means of protecting our constitutional democracy would be to abolish the Supreme Court » (2003 : 23).

Enfin, Patenaude précise, en citant Bonenfant, que «‘Good government by judges still remains government by judges […] …I fear that…in a political, social, economic and ethnic system as complicated as that of our country, the regulatoin of essential problems may well be abandoned to the dialectical game of a few learned and honest people » (2001: 99). À ce titre, pour lui, le contrôle politique grandissant du pouvoir judiciaire, notamment son emprise jalouse sur la Constitution, est un recul important de la souveraineté démocratique du peuple (Patenaude, 2001 : 104). En terminant, dit-il, il est vrai que cette nouvelle donne constitutionnelle est en elle-même légitime puisque endossée « by the seal of legitimacy » (Patenaude, 2001 : 104) – c’est-à-dire qu’elle fut entérinée par les premiers ministres des provinces de l’époque. Cependant, rappelle-t-il, cet argument « may create some problems in Quebec ! » (Patenaude, 2001 : 104) ; cette province n’ayant toujours pas signé jusqu’à maintenant la Loi constitutionnelle de 1982.

La Loi constitutionnelle de 1982

L’axe interprétatif conservateur stipule que l’article 7 a été créé d’abord et avant tout pour protéger les droits procéduraux des Canadiens, notamment dans le cas d’individus pris dans une poursuite au criminel (Martin, 2003 : 121) ; et non pour devenir un outil par lequel le pouvoir judiciaire se donne « the authority to review the substantive fairness of state acts » (Martin, 2003 : 121). Pour preuve, Martin souligne « the evidence given by senior civil servants » – ceux qui participèrent à l’élaboration de la Charte – lesquels prévoyaient, dit-il, « that section 7 was intended only to guarantee procedural rights » (2003 : 121). De plus, l’auteur mentionne l’emplacement de l’article 7 dans la Charte qui démontre que cet article « begins the ‘legal rights’ part of the Charter » (Martin, 2003 : 121). Malgré ce constat, nous confie Martin, le juge Lamer, dans le Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.) [1985], « dismissed the evidence » et « concluded that section 7 did, indeed, guarantee substantive rights » (2003: 121). Pourtant, en faisant de l’article 7 l’objet d’une interprétation substantielle, « the judges transforme it into an indenpendent basis for the exercise of judicial review powers », et d’autaut plus important, « gave themselves a further basis for reviewing the substance of state acts » (Martin, 2003: 121). Conséquemment, les juges, en s’éloignant d’une interprétation procédurale de l’article 7, transgressent les doctrines du légalisme libéral, si

important dans le cas du droit criminel. Encore, « [f]rom a legal realist perspective, the Supreme Court amends the Charter every time it interprets it » (Morton et Allen, 2001: 65).

L’article 15(1), quant à lui, énonce des règles de droit ayant comme objectifs de restreindre le pouvoir dont dispose le corps législatif en discriminant des individus sur la base de critères identitaires ou d’autres, arbitraires. À ce titre, l’article 15(1) prévoit que ces critères sont la « race », les origines « ethnique » ou « nationale », la « couleur », la « religion », le « sexe », l’« âge », un handicap « mental » ou « physique » (Loi constitutionnelle de 1982). Par l’entremise du jugement Andrews c. Law Society of British Columbia [1989], les juges ont unilatéralement changé l’article 15 en y incorporant ce qu’ils appellent des « analogous grounds » (Martin, 2003 : 121). Cette intervention a eu comme effet que l’article 15(1) soit davantage étendu « to cover persons who were members of any ‘discrete and insular minority’» (Martin, 2003 : 22)69. Ce faisant, la Cour a non seulement été à l’encontre de l’intention des

constituants de 1982 quant à l’article 15(1), mais de plus, en procédant à l’extension constitutionnelle de cet article, elle a à la fois apporté une limitation supplémentaire au pouvoir des parlementaires de légiférer sur diverses questions et s’est octroyée le droit de faire des rajouts de critères discriminatoires dans des législations ultérieures. Il est pourtant prévu par la Loi constitutionnelle de 1867 que ce type de rôle soit réservé uniquement au pouvoir législatif. Ce donnant le droit d’exercer ce rôle de législateur, et puisque cela fait dorénavant partie de la jurisprudence de la Cour, « [t]he Court may now overrule any state act which is ‘unfair’ or which makes distinctions the judges do not like. Once again, the judges of the Supreme Court have acted to expand the ambit of their own power and their own discretion » (Martin, 2003: 123).

La clause dérogatoire (l’article 33) constitue un élément-clé de la judiciarisation du politique au Canada, car elle dégage le pouvoir judiciaire de sa responsabilité constitutionnelle consistant à adopter une posture déférente envers le pouvoir législatif (Morton et Knopff, 2000). En effet, puisqu’elle permet au pouvoir législatif de faire fi d’une révision judiciaire induisant une invalidation constitutionnelle d’une loi, les juges entendent par là qu’ils n’ont pas le dernier mot dans l’ordre constitutionnel et ainsi, font preuve d’activisme judiciaire plutôt que de restreinte (Morton et Knopff, 2000). Toutefois, notons que les auteurs conservateurs accusent également le pouvoir législatif de promouvoir cet activisme. Morton souligne que les gouvernements canadiens et provinciaux « have actively participated in Charter politics through

69 Martin explique, dans les mots de la Cour, que deux « characteristics » permettent au juges d’identifier si un

groupe est un « discrete and insular minority » nécessitant, de ce fait, la protection de l’article 15(1) : « It is a social group whose members share a common characteristic that (a) sets them apart form the majority » et « (b) imposes obstacles that render them incapable of defending or advancing their commonly shared interests through ordinary political action » (2003 : 122). Continuant, l’auteur fait remarquer que ces « characteristics » ne peuvent être découvertes – c’est-à-dire observées – que par l’entremise de « ‘social science evidence’», ce qui, jusqu’alors, était rejeté du revers de la main par le pouvoir judiciaire.

the devices of the section 33 legislative override and the reference procedure » (1987 : 46). En effet, l’article 33 « places responsibility for observing constitutional rights on Parliament, the legislatures, and the courts, thus creating a legislative-judicial partnership, the final outcome of which the people shall judge » (Morton, 1987 : 55)70. Adhérant à cette analyse, Martin admet

que la procédure constitutionnelle des renvois est en partie responsable de l’abstraction grandissante du travail de la Cour suprême (2003 : 161). Cependant, Knopff rappelle qu’il y a une perversion inhérente à l’utilisation politique de l’article 33 qui est la suivante : « [u]nder assumptions of judicial finality in interpretaion [of the Constitution], the use of section 33 clearly implies that legislatures are infringing rights rather than reasonably disagreeing about their proper meaning and scope » (2003: 213). Il a été noté que les Canadiens perçoivent l’utilisation de la clause dérogatoire comme étant illégitime (Kahana, 2001). Pourtant, cette perception « rests on two false assumptions: that judges are infallible, and that the meaning of Charter rights are self-evident and widely agreed upon » (Morton, 1987: 54). Ainsi, les Canadiens font fausse route en entretenant une perception négative de la clause dérogatoire, notamment parce que cet article permet au pouvoir législatif de conduire une examination de la révision judiciaire (Morton, 1987 : 54). Pour cause, « [j]ust as judicial review serves as a check on a certain kind of legislative mistake, so ‘legislative review’ serves as a check on judicial error » (Morton, 1987: 54). Toutefois, étant donné la désapprobation généralisée de l’élite académique canadienne envers l’utilisation de cette clause et étant donné la perception populaire des Canadiens vis-à-vis celle-ci, les politiciens, eux, s’autocensurent dans leur droit d’exercer cette prérogative constitutionnelle par peur des répercussions électorales. De ce fait, l’échange interinstitutionnel entre les branches du pouvoir semble davantage se muer en une dynamique où le pouvoir législatif entérine les jugements constitutionnels des tribunaux, ce pour quoi les théoriciens conservateurs parlent d’un monologue plutôt que d’un dialogue (Morton, 1999). Conséquemment, depuis 1982, le pouvoir législatif se voit contraint d’être dans une posture à la fois réactive et proactive envers le pouvoir judiciaire (Morton, 1987 : 46)71. Devant cette

situation, il apparaît primordial de réhabiliter la clause dérogatoire aux yeux des Canadiens (Martin, 2003 : 193).

Terminons en précisant que les auteurs conservateurs reconnaissent que l’article 52(1) autorise explicitement la révision judiciaire au Canada (Martin, 2003 : 6), et que révision judiciaire il y avait avant 1982. Cependant, Martin (2003) spécifie que cette révision judiciaire n’était en aucun cas censée se transmuer en un activisme judiciaire ayant comme résultat d’imposer des actions particulières au pouvoir législatif. La Loi constitutionnelle de 1982

70 Morton semble admettre la véracité de la thèse des auteurs de la théorie du dialogue, pour qui l’article 33 induit

une forme d’échange interinstitutionnel.

71 Morton fait allusion au « charter proof process », perpétré par les avocats du ministère de la justice sous l’égide de

prévoit que les juges exercent une révision judiciaire procédurale – reposant sur le droit négatif – protégeant exclusivement les citoyens contre l’État. À vrai dire, seul l’article 23 constitue une disposition qui force l’État à agir pour garantir l’éducation selon les langues minoritaires partout au Canada, soit le Français ou l’Anglais, dépendamment des cas (Martin, 2003). À l’opposé, au fil des années qui a suivi les réformes constitutionnelles de 1982, la Cour suprême est devenue une cour constitutionnelle (Morton et Knopff, 2000 : 42), arbitrant une panoplie d’enjeux sociaux. Pourtant, traditionnellement, cette Cour réglait uniquement des disputes à caractère financier ayant cours entre particuliers et, très rarement, entre ceux-ci et l’État: « [t]his meant that constitutional rights were understood to be not just ‘for’ but also ‘by’ individuals. Individual litigants raised rights claims in the course of settling legal disputes with the state. Among other things, this meant that the dispute came first, the constitutional issu second » (Morton et Knopff, 2000: 42). Aujourd’hui, le pouvoir judiciaire – selon Morton et Knopff (2000) –, aux prises avec des groupes d’intérêts poursuivant des objectifs politiques à travers ses institutions, se voit contraint de juger des causes où se confrontent ces différents groupes, souvent représentés (indirectement ou directement) par le biais de cas individuel72.

Enfin, les juges ont, depuis 1982, changé la Constitution unilatéralement et injustement (Martin, 2003). En effet, le « result of the Court’s interpretations of the ‘unwritten constitution’, the Preamble to the Constitution Act, 1867, and sections 7 and 15(1) of the Charter is to radically expand the scope for judicial review and judicial discretion » (Martin, 2003 : 123).

72 Morton et Knopff sont les auteurs conservateurs les plus prolifiques et ont, au fil des années, élaboré une fine

analyse de la judiciarisation du politique au Canada. Ces auteurs avancent l’idée voulant que le système politique canadien soit coincé par des groupes d’intérêts divers regroupés dans le « Court Party », composés de « partisan of the courts » (Morton et Knopff, 2000 :16). À l’opposé des revendications populaires et démocratiques des 19ème et

20ème siècles, qui concernaient les droits sociaux d’ordre matériel (nourriture, logis, santé, etc.), les groupes actuels

revendiquent davantagent des droits individuels non matériel. À ce titre, le « Court Party » comportent cinq dimensions : les (1) national unity advocates, représenté par Trudeau père, pour qui la Charte était, entre autres, un projet nationaliste (2000 : 47-51) ; les (2) civil libertarians, ceux-ci détestent l’État et voit en la Charte un Dieu (2000 : 51-54) ; les (3) equality seekers, représentés par la nouvelle gauche (2000 : 54-62), sont concernés « with life- style issues and the politics of identity » (2000 : 55) – on y retrouve principalement les féministes, les environnementalistes, les mouvements pour la paix, les nationalistes ethniques et les homosexuels (2000 : 55) ; les (4) social engineers, issue de la tradition Rousseauiste, tout comme Trudeau père, selon lesquels il suffit d’enrayer les inégalités sociales pour atteindre un paradis sur terre (2000 : 62-65) ; et, finalement, les (5) postmatérialistes qui poursuivent « individual freedom, social equality, and equality of life issues », qu’on retrouve « from segments of the well educated and affluent, students, academics, journalists, professionals and civil servants » (2000 : 66-67). Ces groupes ont peçue dans la constitutionnalisation du droit et chez le pouvoir judiciaire une façon ingénieuse de contourner les avenues politiques traditionnelles et démocratiques qui n’ont pas su répondre à leurs revendications politiques au fil du temps (Knopff et Morton, 2000 : 16). Ainsi, l’objectif central du « Court Party » « is to change the meaning of constitutional rules and the policy outcomes shaped by these rules. The actual dispute becomes just a vehicule for pursuing the policy objective » (Morton et Knopff, 200014). Pour ce faire, les groupes litigants s’investissent d’une part parmis les universités – surtout dans les départements de droit – où ils visent à transmettrent leur interptétation du monde aux étudiants et aux professeurs et, d’autre part, dans le pouvoir judiciaire en tant que tel. Ce faisant, ces groupes s’investissent dans des causes judiciaires soit en finançant des individus qui poursuivent les mêmes objectifs qu’eux, soit en présentant une argumentation devant la cour, soit en soumettant aux juges chargés de la cause des rapports scientifiques appuyant leur thèse et, enfin, en organisant des séminaires éducatifs pour les juges canadiens. Finalement, pour les auteurs conservateurs, cette propension à employer des mécanismes extérieurs aux arènes politiques traditionnelles – qui fait partie de la révolution de la Charte – comportent trois dangers : (1) on érode les prémisses de la démocratie représentative ; (2) on fait la promotion d’une politique autoritaire ; et, corrolairement, (3) on promeut la fin des débats – la délibération – dans les institutions politiques représentatives,