• Aucun résultat trouvé

L’interprétation constitutionnelle

Chapitre 3 : Théorie du dialogue

3.1 Présentation de la théorie du dialogue

3.2.2.1 L’interprétation constitutionnelle

L’interprétation constitutionnelle des auteurs de la théorie du dialogue s’effectue d’une part par l’entremise d’analyses concernant le constitutionnalisme libéral et, d’autre part, par l’entremise d’analyses plus spécifiques concernant la Loi constitutionnelle de 1982.

Le constitutionnalisme libéral

Le constitutionnalisme canadien est un amalgame complexe de multiples sources prenant la forme d’un « web » composé de textes, de conventions et de jugements judiciaires (Weinrib, 1990 : 571). Sans aucun doute, nous vivons dans un système de suprématie constitutionnelle et non de suprématie parlementaire (Weinrib, 1990 : 566). Ce faisant, l’ordre constitutionnel canadien n’est ni en danger d’une suprématie judiciaire, donnant cours au « gouvernement des juges », ni en danger de l’avènement d’un gouvernement imposant ses volontés arbitrairement. Pour les auteurs de la théorie du dialogue, il est d’une évidence même que le constitutionnalisme libéral, sous sa forme canadienne, doit être axé sur la promotion et la progression constante d’une maximisation de la protection des droits et libertés de chaque individu, particulièrement pour les plus désavantagés de la société.

Innovation éloquente, le constitutionnalisme libéral canadien se trouve à mi-chemin du modèle de la séparation des pouvoirs qui prévaut en démocratie parlementaire et du modèle de la séparation des pouvoirs qui prévaut en démocratie « madisonnienne » (Chevrier, 2009). Ce juste milieu s’illustre tout particulièrement en ce qu’il permet « strong courts interested in protecting rights to coexist with strong legislatures » (Roach, 2001a: 54). Le Canada, par l’entremise d’un ordre constitutionnel orienté par un dialogue interinstitutionnel, est ancré, dit- on, à la fois dans une tradition politique immémoriale et dans la postmodernité. En effet, Roach avance que le dialogue est « traditional » parce qu’il prend acte de l’irréversible « fallibility of human behaviour and allows legislatures ample room to articulate and preserve a distinct Canadian political identity should they so desire », et, « postmodern », parce que ce dialogue « can go on and on and it does not presuppose final or right answers to the difficult questions that we as a society discuss » (2001b: 490). Selon cette vision, l’ordre constitutionnel canadien est dorénavant un exemple que l’on vise à émuler de par le monde.

Les théoriciens du dialogue – contrairement à ceux de la théorie critique de la Charte – ne voient pas dans le constitutionnalisme libéral des germes malveillants qui seraient issus d’un libéralisme classique. À ce titre, Mohanan explicitait déjà, en 1987, que bien qu’il se soit avéré juste de voir dans l’avènement de la Charte une volonté quelconque cherchant à ce que

davantage d’attention soit portée aux « valeurs individuelles [traduction] » dans l’ordre politique canadien, « to regard the Charter as the straightforward embodiment of liberal individualism would be an error of the highest proportions » (13). Néanmoins, Monahan reconnait que les concepts de droits et de libertés s’entrechoquent « inévitablement » (1987 : 115). Tout particulièrement dans le cas où s’opposent les droits et libertés d’individus versus ceux de groupes (Monahan, 1987 : 115). Paradoxalement, dit-il, les limites constitutionnelles ont comme conséquences « to expand the freedom of some individuals, while simultaneously restricting the freedom of others » (Monahan, 1987: 116). Ainsi, l’auteur reconnait qu’il y a des tensions importantes au sein de la Charte, par contre, il maintient que celle-ci n’est pas conceptuellement en porte à faux avec la régulation de l’État (Monahan, 1987 : 251). Au contraire, la Charte « seeks to give expression to the notion that state intervention can often enhance individual freedom, rather than subvert it » (Monahan, 1987: 251). Preuve à l’appui de ce que Monahan avance, Roach rétorque aux auteurs progressistes de la critique de la Charte que le droit à la propriété ne figure pas dans la Charte (2001a : 58). La raison étant, justement, que les constituants de 1982 voulaient prévenir que ne survient au Canada une révision judiciaire conservatrice ayant comme comportement celui de s’attaquer à la « regulation » de l’économie et à la « distribution » de la richesse (Roach, 2001a : 58). À cet égard, il ne fait aucun doute qu’aux yeux des théoriciens du dialogue, la Charte, ainsi que le constitutionnalisme libéral canadien, ne sont pas une antithèse aux droits collectifs et n’ont pas, originalement, comme valeurs ou intentions sous-jacentes celles de restreindre l’action de l’État dans son rôle de promoteur de justice sociale. Tout au contraire, la Charte fut émise et enchâssée pour protéger l’intégrité des minorités devant l’inévitable empiètement de la majorité canadienne (Roach, 2006a : 629). Au-delà de ces réponses émises aux préoccupations énoncées dans la critique de la Charte, les auteurs du dialogue concentrent leur énergie didactique à illustrer l’existence d’une conversation interinstitutionnelle garante de la démocratie libérale.

À cet effet, dans le constitutionnalisme libéral canadien, le dialogue s’exerce principalement entre la législature et le pouvoir judiciaire lorsque celui-ci, « after the exercise of normal interpretation » (Hogg, Bushell et Wright, 2007: 13) enclenché par la révision d’une loi contestée devant les tribunaux, adjuge qu’il y a anticonstitutionnalité. Ce type de décision judiciaire, loin d’être contreproductive, permet au pouvoir législatif de reconsidérer son travail, de réviser ses lois et, d’autant plus important, « to overcome the constitutional infirmity (unless a notwithstanding clause is used), which will entail working within the guidelines established by the judicial decision that struck down the law » (Hogg et al., 2007 : 13). Encore là, les auteurs du dialogue cherchent à étendre cette dynamique à l’ensemble des acteurs partis prenante dans l’ordre constitutionnel. À ce titre, Roach et Choudhry admettent d’emblée que la notion de dialogue renvoie à une « metaphor », plutôt qu’à une conversation à proprement parler

(2003 : 227). Nonobstant cette précision lexicale qui occupe le temps de certains critiques du

dialogue, disent-ils, les échanges interinstitutionnels ont bel et bien lieu et donnent

véritablement cours à un contexte politique favorable à la protection des droits et libertés des Canadiens. De plus, à leurs yeux, le dialogue doit également donné lieu a une dynamique constitutionnelle par laquelle il est possible d’empêcher, c’est-à-dire de restreindre dans le mesure du possible, que soit brimé des droits fondamentaux et ce dès l’élaboration législative d’une loi (Roach et Choudhry, 2003 : 227). Le dialogue, qui s’exprime de prime à bord par l’entremise de la révision judiciaire, peu et doit en définitive s’intégrer systématiquement au travail effectué au sein des législatures canadiennes, pour que les législateurs prennent garde, automatiquement, aux effets inattendus que pourraient avoir certains de leurs projets de loi relativement aux droits énoncés dans la Charte (Roach et Choudhry, 2003 : 227). Dans ce sens, il apparaît qu’aux vues des auteurs du dialogue, ce dernier doit agir à titre de remède – pour remédier à une législation anticonstitutionnelle par exemple –, mais, aussi, il doit agir à titre d’outil préventif, notamment en étant intériorisé dans l’esprit ainsi que dans la pratique politique d’artisan des lois incombant aux législateurs. Par conséquent, le dialogue – lire ici, l’esprit de la

Charte et la poursuite proactive de la protection des droits et liberté des Canadiens –, pour être

pleinement effectif, doit être omniprésent à toutes les étapes de la conceptualisation d’une loi pour pouvoir en imprégner les mœurs politiques et gouvernementales. En effet, « [d]ialogic theories of judicial review depend on a well functioning and vigilant democracy » (Roach, 2001b: 510). Cette vigilance nécessite que l’on s’attarde aux droits fondamentaux des Canadiens à tout moment ; il faut donc que le dialogue, sous sa forme normative, prescriptive ainsi que mécanique (les articles constitutionnels qui permettent son expression), soit permanent. Toutefois, malgré qu’on suggère qu’ait lieu une intériorisation du dialogue chez les acteurs du pouvoir législatif, on prétend que seuls les juges peuvent interpréter la Constitution.

À cet égard, les théoriciens du dialogue demeurent ambivalents envers l’interprétation constitutionnelle. Cela s’explique en partie parce qu’ils cherchent, en reconnaissance des préoccupations émises de toutes parts vis-à-vis la révision judiciaire élargie de 1982, à découvrir le juste milieu au débat sur la judiciarisation du politique ainsi qu’à légitimer le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois (Bernatchez, 2000). Ainsi, d’une part, on prétend que seul le pouvoir judiciaire peut légitimement interpréter la Constitution (Roach, 2001a) alors que, d’autre part, on souscrit à l’idée voulant que les législateurs et le gouvernement ne puissent faire autrement que d’interpréter la Constitution lorsqu’ils s’adonnent à la formulation d’un projet de loi (Hogg et al., 2007: 33). Face à cette réalité, Hogg et al. constatent – permettent – deux exceptions où le pouvoir législatif et le gouvernement peuvent contredire l’interprétation constitutionnelle de la Cour : en premier lieu, lorsqu’une nouvelle situation ou de nouveaux facteurs font en sorte que les limites constitutionnelles visées par le

pouvoir exécutif et législatif sont perçues comme dorénavant proportionnelles aux objectifs poursuivis, alors qu’il ne l’était pas auparavant ; et deuxièmement, dans le cas où on utilise la clause dérogatoire (2007 : 34). Concourant à cette analyse, Roach soutient que les décisions judiciaires ne constituent par en soi le dernier mot dans l’ordre politique canadien, à condition que « the elected government is prepared to take responsibility for limiting or overriding right » (2001 : 67). Hogg et al. soutiennent qu’il ne fait aucun doute que cette approche permettant au pouvoir législatif et au gouvernement de conduire seulement une interprétation délimitée est en harmonie avec « our system of government » (2007 : 36).

La Loi constitutionnelle de 1982

La Charte fait partie des lois constitutionnelles du Canada puisqu’elle est enchâssée dans la Constitution, elle-même suprême. En effet, la Constitution écrite prévoit à l’article 52(1) qu’elle est « the supreme law of Canada » et que toute loi qui rentre en contradiction avec ses dispositions a « no force or effect » (Weinrib, 1990 : 565). C’est ainsi que cet article veut qu’il existe et que s’exerce une suprématie constitutionnelle au Canada (Hogg, 1983 : 69). De plus, il est explicite dans l’article 52(2) que la Constitution inclut « this Act », « which means the Constitution Act, 1982, of which Part I (sections 1-34) is the Charter » (Hogg, 1983: 69). Conclusion : la Charte est suprême. Par sa suprématie dans l’ordre politique canadien, la Charte prévoit notamment des limites constitutionnelles à tous les statuts et lois provenant des deux paliers gouvernementaux de la fédération, c’est-à-dire autant au Parlement qu’aux Assemblées législatives (Hogg, 1983 : 70). L’existence de telles limites constitutionnelles aux pouvoirs législatif et exécutif n’est pas nouvelle (Hogg, 1983 : 70). Non seulement il y avait des limites avant 1982 en ce qui concerne la distribution et la répartition des compétences fédérale- provinciale, mais, de plus, il y avait d’autres limites moins connues et inscrites aux articles 93, 96-98, 99, 121, 125 et 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 (Hogg, 1983 : 70). Néanmoins, Hogg souligne que l’avènement de la Charte, en tant que partie intégrée à la Constitution dorénavant suprême et « by adding a new set of guarantees of civil liberties, will extend the scope of judicial review by adding a further set of grounds upon which a statute could be held to be invalid » (1983 : 70). Ainsi, les Canadiens ont bel et bien adopté et mis en place, constitutionnellement, en 1982, des pouvoirs supplémentaires permettant aux instances judiciaires d’exercer une révision judiciaire des lois élargies, du moins relativement à la pratique antérieure. La suprématie constitutionnelle ne s’impose pas uniquement via l’article 52. En effet, la Loi constitutionnelle de 1982 met en place une suprématie de la Constitution par l’entremise des articles 1, 24 (1) et 32 de la Charte : l’article 1 prévoit « that rights are to be subject only to reasonable limits, demonstrably justifiable in a free and democratic society » (Weinrib, 1990 : 565) ; l’article 24 prévoit « that judicial review of infringement and remedial

relief is available in the courts of law » (Weinrib, 1990 : 565); enfin, l’article 32 prévoit « that the strictures of rights guarantees apply to all government action » (Weinrib, 1990 : 565). Ainsi, pour Weinrib, ce n’est pas la suprématie constitutionnelle au Canada qui est nouvelle, mais bien le fait que dorénavant la suprématie législative est elle-même encadrée par la loi (Weinrib, 1990 : 565) et imputable à celle-ci. C’est-à-dire que les législatures sont certes « supreme » dans leur fonction politique, mais ne jouissent pas d’une « sovereignty » (Weinrib, 1990 : 565-66)95.

Rajoutant à cette interprétation constitutionnelle Hogg et Bushell (1997) disent que quatre composantes de la Charte soutiennent l’existence d’un dialogue interinstitutionnel. En ordre d’importance, nous avons : (1) la clause dérogatoire (article 33), qui permet aux législatures d’ignorer un jugement ou de s’en protéger au préalable ; (2) la clause de délimitation (article 1), qui permet au pouvoir législatif de restreindre certains droits fondamentaux suivant des conditions particulières ; (3) les « qualified rigths » (article 7, 8, 9 et 12), « which allow for action that satisfies standards of fairness and reasonableness » (Hogg et Bushell, 1997 : 83) ; enfin, (4) les «equality rights » (article 15(1)), « which can be satisfied through a variety of remedial measures (Hogg et Bushell, 1997 : 83) de la part du pouvoir législatif, entre autres.

La clause dérogatoire (article 33) est sans aucun doute le nœud gordien de la théorie du

dialogue. L’existence de cette clause justifie en bonne partie l’entreprise de légitimation de la

révision judiciaire élargie qui est celle des présents auteurs. Tel que mentionné plus haut, ceux- ci voient dans l’article 33 une façon captivante de pallier aux déficits politiques et démocratiques qui trouvent logis dans les modèles constitutionnels de la suprématie parlementaire et/ou de la suprématie judiciaire. Également, ces auteurs considèrent que l’existence de la clause dérogatoire reflète la confiance qu’ont les Canadiens envers le processus politique comme garant des droits fondamentaux (Monahan, 1987 : 119). À cet égard, Roach note que l’idée d’inclure une telle clause dans la Constitution fut soulevée au départ par le professeur Paul Weiler – celui-ci se disant à l’époque mal à l’aise avec une Charte enchâssée, étant donné le passé jurisprudentiel de la Cour suprême – lors des débats politiques de 1979 concernant le rapatriement (Roach 2001a : 57). Cette crainte d’un pouvoir judiciaire omnipotent, ainsi que la lucidité des constituants de 1982 que la Charte pourrait effectivement faire l’objet d’une interprétation judiciaire « original » et inattendu, explique, selon Monahan, l’intégration d’une telle clause qui permet au pouvoir législatif d’ériger un garde-fou, lorsque nécessaire, au pouvoir de la Cour (1987 : 81). Ainsi, l’article 33 est perçu ici comme étant à la

95 On peut observer ici que les théoriciens du dialogue rejettent, sans ambiguité, les doctrines du parlementarisme

classique. En effet, celles-ci stipulent qu’aucune institution, constitution ou personne, à part le monarque, ne peut se revendiquer d’une souveraineté supérieure au Parlement. Fait intéressant, les auteurs du dialogue revendiquent une continuité historique en ce qui a trait à la révision judiciaire, toutefois ils acceptent que les fondements historiques de la suprématie parlementaire au Canada soient atténués. Continuité pour l’un, rupture pour l’autre.

fois porteur d’une forme de préservation du pouvoir politique canadien, dans ce cas-ci du parlementarisme, et catalyseur d’un dialogue constitutionnel inusité.

Rappelons que la dynamique constitutionnelle du dialogue s’exerce principalement à partir des articles 1 et 3396. Ceux-ci sont des composantes caractéristiques de la Charte, qui

permettent au gouvernement de limiter et de déroger à certains droits, ce qui « would be unthinkable to most Americans, who believe that rights are absolute and that courts should have the last say on rights » (Roach, 2001 : 59); opinion partagée par ailleurs par de plus en plus de Canadiens (Howe et Fletcher, 2002). Pourtant, l’importance du dialogue dans l’ordre constitutionnel canadien, affirme Roach, est qu’il permet qu’ait lieu une « conversation » civilisée et « constructive » entre les pouvoirs composant l’État canadien (2001a: 13). Cette « conversation », prenant la forme d’un échange interinstitutionnelle, s’exerce d’abord par le truchement de l’article 1 qui enjoint le législatif à préciser et à parlementer sur les limites qu’il envisage appliquer à certains droits constitutionnels (Roach, 2001a: 59). C’est-à-dire que, d’une part, cette clause invite la Cour à se prononcer et à mettre en évidence, publiquement, ses préoccupations concernant le « respect » de certains droits tout en en faisant part au gouvernement (Roach, 2001a: 13). D’autre part, cette clause permet au gouvernement « to explain to the courts and the people their regulatory ambitions, the alternatives considered, and the tradeoffs made » (Roach, 2001a: 13). Dans le cas où cette « conversation » ne permet pas au gouvernement d’avoir gain de cause, celui-ci peut alors s’en remettre à la l’article 33, qui l’oblige du même fait à expliciter son intention de poursuivre avec une dite loi, malgré l’opinion émise par la Cour (Roach, 2001a: 59). Ainsi, en faisant appel à la clause dérogatoire pour poursuivre ses objectifs législatifs et politiques, le gouvernement par l'entremise du Parlement enclenche de ce fait un débat d’un degré supérieur au premier et concernant, toujours, les droits qu’il s’apprête à restreindre pour une raison donnée. « It is this possibility of rich democratic debate that gives legitimacy to s. 33 despite the fact that by its exercise particular rights are removed from the legal realm of constitutional protection and left to the give and take of the political forum » (Weinrib, 1990 : 549). Face à ce déroulement d’une relation interinstitutionnelle étapiste, les auteurs concluent que les articles 1 et 33 entretiennent une

96 Hogg explique que l’article 33 permet au pouvoir législatif et au gouvernement de contrer une invalidation de la

Cour en termes de « degree » et non en terme définitif. En fait, la clause 33 comprend elle-même des limites importantes. Comme premier « degree », notons que la clause 33 ne peut s’appliquer qu’aux articles 2 et 7 à 15 de la Charte (Hogg, 1983 : 70-71). Comme deuxième « degree », notons que la clause 33, lorsqu’elle est appliquée à une loi quelconque, n’a effet que cinq ans (Hogg, 1983 : 70-71). Ce dernier « degree » nécessite que le gouvernement qui a recours à cette clause, pour protéger une loi de la révision judiciaire ou pour ignorer un jugement, doit la renouveller à tous les cinq ans ce qui « obviously attract public attention and arouse political opposition » (Hogg, 1983 : 70-71). D’ailleurs, cela explique peut-être pourquoi aucune législature au Canada n’a, à ce jour, reconduit une loi sous le couvert de la clause 33 pour une deuxième fois consécutive. Ainsi, Hogg porte un regard juste lorsqu’il explique que cette clause ne donne pas un pouvoir supplémentaire ou définitif au Parlement. Pour cette raison, les auteurs de la théorie critique de la Charte se demandent si la clause dérogatoire maintien réellement la suprématie parlementaire. Comment peut-on conjuguer « suprématie » et « limite » ?

« reciprocity » (Weinrib, 1990: 568), puisqu’ils permettent conjointement qu’ait lieu un dialogue (Roach, 2001a: 13).

Par ailleurs, Roach ne concède pas la mort de l’article 33, comme on le présume souvent; tout au contraire, dit-il, son utilisation n’a pas empêché aux gouvernements qui en ont fait usage d’être réélus (2001a : 7)97. Nombreux sont les universitaires et les groupes de pression

qui clament que la clause dérogatoire ne doit pas être utilisée, car elle est illégitime dans ses origines et en porte à faux de surcroît avec l’objectif principal de la Charte : protéger les droits fondamentaux des Canadiens. Pourtant, Roach atteste que la clause dérogatoire est mal interprétée par les politiciens et le public (2001a : 193), ce qui complique l’expression globale du dialogue. Roach soutient qu’une interprétation juste de l’article 33 permettrait aux acteurs politiques et autres d’en prendre réelle mesure. À titre d’exemple, si la Cour considère, à la lumière des arguments avancés par le pouvoir législatif ou exécutif et suivant l’application du test Oakes, que ceux-ci sont non-recevables, alors la clause 33 doit être utilisée (Roach, 2006a : 639). Toutefois, aujourd’hui, par crainte d’une désapprobation du public, le Parlement canadien et les assemblées législatives provinciales refusent d’utiliser la clause dérogatoire « even when they reject court decisions under the Charter » (Roach, 2006a : 639). Cette attitude, qui s’explique en partie par la fausse interprétation mentionnée ci-haut – celle des groupes de pression, des citoyens et des politiciens qui voient d’un mauvais œil l’article 33 – empêche qu’on discerne en quoi l’utilisation de cette clause est louable et importante. En effet, sa fonction principale est celle de placer le Parlement et les citoyens en mode « alert » (Roach, 2006a : 640). C’est pourquoi Roach soutient que la clause dérogatoire « can result in legislative tyranny, but it is a tyranny that is explicit for all the world to see and that must be revisited when the override expires » (2001a: 265). Ainsi, la clause dérogatoire, parce qu’elle a une durée limitée de cinq ans, « invites further deliberation and sober second thoughts », alors qu’une