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Approche analytique institutionnelle

Chapitre 5 : Théorie du comportement stratégique du pouvoir judiciaire

5.1 Présentation de la théorie

5.1.2 Approche analytique institutionnelle

Brodie (2001, 2002), Flemming (2004) et Macfarlane (2010, 2013) nous proposent d’examiner le comportement stratégique des juges à l’aide d’un cadre d’analyse davantage exhaustif que celui proposer par le modèle stratégique. Ce cadre qu’ils exposent tient compte de l’évolution institutionnelle qu’a connue la Cour suprême au fil des ans. Cette évolution – lire transformation – institutionnelle est conditionnée, disent-ils, par un changement de vocation de la cour d’abord initié par le premier ministre Trudeau père et ensuite, poursuivie par les juges de la cour elle-même. Principalement, ce virement de vocation résulte de changements effectués en ce qui concerne : les procédures de justiciabilités, les règles encadrant le type d’intervenants extérieurs pouvant participer aux procès et, enfin, les types de données – preuves – utilisées par les juges pour rendre un jugement (Macfarlane, 2013 : 43). Ces théoriciens notent que les juges ne travaillent plus de la même façon, leurs habitudes de travail ne sont plus les mêmes.

Pour rendre compte de cette mutation institutionnelle, les auteurs adoptent une analyse qui s’inscrit dans ce que Macfarlane137 nomme une « historical institutional analysis ». Ce type

d’analyse « can capture much more of the actual force at play in judicial decision making because the approach explicitly seeks to accommodate as full a picture as realistically possible of the context, both in terms of the institution’s internal environment and its external political

137 Macfarlane est un politologue. Il entend combler une lacune logeant au sein du débat qui intéresse ce mémoire : la

connaissance des auteurs « of how the Supreme Court of Canada actually operates » (2013: 188). Par conséquent, l’objectif fixé est de décrire les mécanismes internes de la Cour suprême, d’expliquer comment ils fonctionnent (Macfalane, 2013 : 1) et d’illustrer en quoi ils conditionnent et modulent le comportement des juges. L’auteur soutient que le modèle stratégique est composé d’explications incomplètes en ce qui concerne les choix qu’exercent les juges lors de procès (Macfalane, 2013 : 6). Ainsi, dit-il «[t]hrough a focus on how the Supreme Court of Canada’s justices conceive of their role, this study explores the institution’s internal environment, the different stages of its decision-making process, and the rules, conventions, and norms that shape and constrain the justices’ behaviour » (2013 : 1). Toutefois, Macfarlane précise qu’il ne cherche à contredire ni le modèle stratégique, ni les différentes théories de la judiciarisation du politique au Canada (2013 : 2-3). Plutôt, il veut les perfectionner (Macfarlane, 2013: 17). Encore, en fin d’ouvrage, il réitère que « nothing in this book denies that the justices’ backgrounds, personal values, and ideological predilections play a significant part in decision making » (2013: 183). Seulement, pense-t-il, il est important d’inclure l’ensemble des facteurs institutionnels qui sont en jeu pour la simple raison que les « processes, norms, and conventions that govern the various stages of decision making at the Court help shape and constrain ideological or strategic behaviour on the part of the justices » (Macfarlane, 2013: 183).

setting » (Macfarlane, 2013: 33). En effet cette méthode « account not only for how formal structures and rules affect individual justices but also how informal norms influence, constrain, and shape their decision making as well as the very motivations for those decisions » (Macfarlane, 2013: 33). L’analyse s’effectue en deux temps.

Dans un premier temps, les auteurs soutiennent que Trudeau père, dès 1968, entreprit de réaliser deux visées réformatrices particulières quant au rôle de la cour de dernière instance pour l’ordre politique canadien : il souhaitait d’abord qu’elle puisse pratiquer « liberal law reform » et ensuite qu’elle pût contribuer à la « national unity » (Brodie, 2002 : 24). Pour consolider ces deux objectifs, Trudeau – d’abord en tant que ministre de la Justice et, ensuite, en tant que premier ministre (Macfarlane, 2013 : 42) –, « intended to give the Canadian courts […] a bigger role as a policy makers » (Brodie, 2002 : 24). Ainsi, Trudeau père entreprit au préalable une réforme de la Cour suprême en deux temps. Premièrement, en nommant des juges ayant un curriculum non pas seulement légal, mais aussi académique (Macfarlane, 2013 : 42 ; Brodie, 2002 : 25) – ces derniers étant plus enclins, pensait-il, judicieusement, à ce que la cour entreprenne « an active role in making policy » (Brodie, 2002: 25) –, et, aussi, en nommant des « reform-minded justices who were more amenable to exercising stronger powers of judicial review », dont Bora Laskin au premier chef (Macfarlane, 2013 : 42). Aux yeux de Brodie138 ces

visées de Trudeau père expliquent pourquoi « [b]y the mid-1980s, the Court was dominated by reform-minded judges eagers to get involved in complex policy issue » (Brodie, 2002: 25). Deuxièmement, « through a series of amendments to the Supreme Court Act, which were finalized in 1975 » (Macfarlane, 2013: 42), afin de mousser sont agenda constitutionnel, Trudeau père alloua aux juges de plus amples pouvoirs. Selon les auteurs, ces réformes furent

138 Brodie est un politologue. Il souligne que sa recherche est un supplément à celles qui furent conduites par Morton

et Knopff (1992 et 2000) (2002 : xvii). Cet auteur veut démontrer que la Cour suprême vise, depuis 1982, à augmenter son pouvoir politique et qu’elle instrumentalise les « groupes litigants » à cette fin stratégique (Brodie, 2002). Également, l’auteur explique que le gouvernement de Trudeau père – et ceux qui suivirent – sont responsables, au premier chef, de l’« expansion » de la révision judiciaire et de l’avènement d’une judiciarisation du politique au Canada (Brodie, 2001 : 358). Sa thèse s’élabore en trois temps. D’abord, le gouvernement libéral créa en 1977 le « Court Challenge Program » (CCP), dont le mandat officiel était d’allouer du financement à des particuliers qui dans une situation de vulnérabilité se voyaient lésés et donc leur permettre d’avoir recours au système judiciaire. Ensuite, les gouvernements canadiens, en augmentant le budget du CCP de manière continue entre 1977 et 1992 (Brodie, 2001 : 374), ont contribué à l’avènement d’un nouveau type de groupes d’intérêts, les « groupes litigants » répétitifs. Enfin, la Cour suprême a vu dans l’avènement de ces « groupes litigants » une fenêtre d’opportunité pour imposer sa suprématie sur l’ordre constitutionnel canadien. À cet égard, Brodie explique que ces groupes poursuivent des stratégies judiciaires structurées et étapistes, différentes de celles pratiquées par les groupes d’intérêts traditionnels. Le changement observé quant à l’impact de ces « groupes litigants » loge dans le fait que l’on parle dorénavant de « systematic appellate litigation by groups organized to wage long-term battles, rather than sporadic efforts by loosely organized communities or coalitions » (Brodie, 2001 : 358). Ainsi, les « groupes litigants » initient et/ou sélectionnent des causes judiciaires supportées par des particuliers et qui portent fruit jurisprudentiellement. En effet, l’objectif des « groupes litigants » du « Court Party » est d’influencer le pouvoir judiciaire pour qu’en retour celui-ci émette des jugements favorables à leurs causes (Morton et Knopff, 2000). Enfin, ces « groupes litigants » font valoir leurs revendications politiques en s’autoreprésentant comme des « disavantaged groups » (Brodie, 2002). Ainsi, l’activisme judiciaire de la Cour suprême et la montée en puissance des « groupes litigants » est organiquement interreliées. En effet, « [t]he Court’s willingness to accept interest groups in its work has legitimized the Court’s activism and, in turn, the Court’s activism has legitimized its willingness to accept interest groups in its work. What makes this marriage of interests possible is the concept of the ‘disavantaged group’ » (Brodie, 2002: xiv).

rendues possibles parce que les nouveaux juges « readily accepted the challenge of their new role […] by changing the Supreme Court’s pattern of work » (Brodie, 2002: 25). En effet, Macfarlane souligne que « [d]espite the fact that the Court’s new mandate was to a large extent imposed on it by external political actors and new constitutional duties, the depth, style, and intensity with which the Court proceeded into this new era were very much dependent on choices made by the justices » (2013: 43).

Dans un deuxième temps, les auteurs illustrent en détail les changements qui ont eu cours en ce qui a trait aux procédures et règles encadrant le travail des juges de la Cour suprême. Ces changements, outre les objectifs personnels et politiques de Trudeau père, aident à comprendre comment la Cour suprême a accédé, petit à petit, au son statut d’acteur de premier plan en ce qui concerne les causes constitutionnelles. Tout comme Macfarlane, Flemming explique que si comportements stratégiques il y a chez les juges cela « emerges from the institutions and procedures used by the Canadian Supreme Court to process its case » (2004: 96). À cet égard, plusieurs amendements ont été apportés au fonctionnement de la cour, ce qui a eu comme conséquence d’enclencher une panoplie de réformes internes en ce qui concerne les règles d’« appeal to court », de « standing » et, également, de justiciabilité.

Premièrement, en 1974, le Parlement « agreed to abolish the right of appeal in cases involving more than $10,000 » et, ainsi, la cour, « [f]reed from hearing commercial cases […] could devote its time to cases with broader policy implications » (Brodie, 2002 : 25). De plus, en 1975, le Parlement « amended the Supreme Court Act to limit the right to appeal in civil cases and, with a couple of exceptions, in criminal cases as well » (Flemming, 2004: 5). Ces deux modifications procédurales pour les causes entendues eurent pour conséquences d’une part de libérer une partie substantielle du « court docket », c’est-à-dire le registre de la cour – qui contient la liste des causes que la Cour doit et/ou décide d’entendre –, et, d’autre part, de permettre aux juges de bénéficier d’une plus grande discrétion dans la sélection des causes qu’ils entendent (Flemming, 2004 : 5) ; ce qui, notons-le, permet aux juges de jouirent d’une marge de manœuvre considérable en ce qui concerne l’élaboration de l’agenda de la cour139. À

ce titre, Flemming soutient que les « courts of final appeal set their agendas when they have the

139 Flemming expique qu’il y a trois « pathways to the agenda of the Supreme Court » (2004: 7): (1) « Applications

for leave of appeal », le processus consistant à présenter une requête judiciaire pour qu’une cause soit acceptée sur le registre de la cour et donc entendue ; (2) « Appeals as of rights in criminal cases » ; et, (3) les Renvois (Flemming, 2004 : 7). À l’égard de la première façon d’accéder à la cour, l’auteur soutient que c’est là que s’effectue depuis 1975 – suite aux amendements du Parlement – un activisme des juges en ce qui concerne la révision judiciaire. À justre titre, puisque « during the term prior to 1975, cases granted leave to appeal accounted for 29 percent of the Court’s docketed caseload. One year later, the proportion rose to 60 percent, and by 1980-81 the proportion was 74 percent […] During the 1990s, applications for leave to appeal ranged from a low of 445 in 1991 to a high of 637 in 1997; the annual volume averaged 526 applications per year (Supreme Court of Canada 2001) » (2004: 7-8). Ainsi, alors qu’avant 1975 les juges passaient la majorité de leur temps à régler des litiges civils entres particuliers ou de nature criminel ou encore entre un individu et l’État, aujourd’hui, la majorité de leur temps est dirigé vers des causes constitutionnelles de nature politique.

authority to pick and choose appeals of lower court decisions and place them on their dockets for judicial review » (2004: xi). Brodie soutient que suivant ces modifications les juges « began by quickly transforming the Court’s docket […] to focus on higher-profile public law issues of national significance » (2002: 25). Pour cause, puisque « [f]or the first time […] Canada’s Supreme Court held substantial control in its hands over the kinds of cases it wished to hear. The 1975 reform gave Canada’s Supreme Court wide latitude, declaring that the decision to grant leave to appeal rested on the Court’s determination of the ‘public importance’ of issues raised by an application » (Flemming, 2004: 5). Toutefois, précise Flemming, l’article 40(1) de la Loi sur la Cour suprême ne précise pas ce qu’est une question politique de « public importance », ce qui donne encore plus de pouvoir aux juges dans leur décision de permettre au public de participer à l’audition d’un jugement ou non (2004 : 5).

Deuxièmement, parallèlement aux changements initiaux réalisés par le Parlement, la Cour suprême à modifié, durant la même période, ses règles concernant le « standing » qui prévoient « who is entitled to bring proceedings forward » (Macfarlane, 2013: 43). En effet, avant les années 1970 la cour permettait seulement aux parties directement impliquées par une cause d’être entendues lors d’un procès. Pourtant, suite à trois causes distinctes (1975, 1976 et 1981), que les auteurs identifient sous les termes du « standing trilogy » (Brodie, 2002: 28; Macfarlane, 2013: 44), « the Court mandated that to gain standing ‘a person need only to show that he is affected by [the legislation] directly or that he has a genuine interest as a citizen in the validity of the legislation and that there is no other reasonable and effective manner in which the issue may be brought before the Court’ » (Macfarlane, 2013: 44). Les causes du « standing trilogy », dit Macfarlane, en citant Brodie « gave Canada one of the common law world’s most lax laws of standing » (2013: 44).

Troisièmement, il y a eu trois changements en ce qui a trait à la justiciabilité de la Cour suprême qui ont eu pour effet d’accroître le « policy-making power » des juges composant cette dernière (Macfarlane, 2013 : 43)140. De un, la règle du « ripeness », qui prévoit « that courts will

adjudicate a matter only when there is a live controversy », n’est plus appliquée puisqu’aujourd’hui, sous la Charte, les juges « address speculative issues » (Macfarlane, 2013 : 43 ; 45). De deux, la règle du « mootness » qui prévoit qu’une cause devient caduque lorsqu’une « dispute no longer has a concrete effect on parties bringing a case before a court » semble être appliquée dorénavant suivant des critères arbitraires (Macfarlane, 2013 : 43 ; 45). Enfin, « [t]he ‘political question’ doctrine » qui prévoit « that there are issues that are ‘purely’ political that should be resolved through a political process and are therefore non-justiciable » a été rejeté du

140 Macfarlane, citant Sossin, définit la justiciabilité « as the ‘set of judge-made rules, norms and principles

revers de la main par les juges en 1985 (Macfarlane, 2013: 43 ; 46). En dernière analyse, les auteurs notent que la Cour suprême « has also liberalized its acceptance of third party interveners during the Charter era » (Macfarlane, 2013: 49), permettant l’accès aux procès de nature constitutionnnelle à « almost all would-be interveners since 1987 » (Brodie, 2002: 47). La majorité de ces intervenants sont des groupes litigants répétitifs dans lesquels « the Supreme Court found […] useful allies in legitimating its extraordinary activism » (Brodie, 2002 : 48). Sur ce point, Macfarlane rajoute que les juges « who favoured granting leave to more interveners felt that the potential benefits outweighed the risks of politicization » (2013: 50)

Suivant la logique des auteurs du comportement stratégique du pouvoir judiciaire, la Cour suprême est une institution politique stratégique dont les acteurs principaux – les juges – désirent préserver et consolider les fondements de leur hégémonie constitutionnelle nouvellement acquise en 1982. Pour y arriver, les juges ont profité de la fenêtre d’opportunité qui s’est étalée de 1970 à 1987, période où les changements de procédures et de règles, ainsi que l’enchâssement de la Charte ont permis des modifications importantes des règles et des moeurs internes de la cour. Depuis, les juges marquent avec finesse – de jugement en jugement – le parcours menant à l’hégémonie constitutionnelle recherchée ; et pour cause, car tel que vu dans les trois chapitres précédents la révision judiciaire élargie depuis 1982 demeure délicate, puisqu’elle est à la fois contestée et questionnée de toutes parts.

5.2 Prémisses conceptuelles et analytiques de la théorie

Pour rendre compte des prémisses conceptuelles et analytiques de la théorie du

comportement stratégique du pouvoir judiciaire, nous ferons un examen minutieux des

commentaires tenus par ces auteurs, ainsi que des positions et des recherches qu’ils ont menées. Cet examen est effectué sur la base de deux indicateurs principaux : (1) la compréhension des rapports interinstitutionnels entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire; et (2) l’interprétation constitutionnelle et jurisprudentielle.

5.2.1 La compréhension des rapports interinstitutionnels entre les pouvoirs exécutif,

législatif et judiciaire

En ce qui concerne la compréhension et l’interprétation de la doctrine de la séparation des pouvoirs au Canada, l’ensemble des théories qui ont été vues dans ce mémoire se distingue de manière originale. Dans ce cas-ci, les auteurs ne cherchent pas à interpréter la séparation des pouvoirs de manière à favoriser leur thèse. Plutôt, ils en discutent de manière sporadique en vertu de ce que prévoit la Loi constitutionnelle de 1867, en vertu de ce que prévoit le constitutionnalisme libéral généralement et, d’autant plus, en vertu de ce que génère la poursuite

d’objectifs stratégiques, de la part des trois pouvoirs, concernant la relation constitutionnelle qui prévaut dans l’ordre politique interinstitutionnel.

Pour débuter, notons les propos d’Hennigar, qui souligne que dans les pays ayant une constitution dans laquelle une charte des droits est enchâssée, prévoyant que s’exerce en bonne et due forme une révision judiciaire des lois, les politologues et juristes qui y vivent « have long been concerned with the inter-institutional dynamics between courts and the legislative and executive branches » (2004 : 3)141. Concernant cette préoccupation, que nous espérons avoir

illustrée tout au long de ce mémoire, Manfredi suggère que les auteurs du dialogue adoptent une approche analytique erronée. En effet, dit-il, « the relationship between the Court and other branches of government should be characterized, not so much as a dialogue, but as a strategic interaction between different political actors who compete to establish rules that will structure outcomes in a manner favourable to them » (2002: 166). Parallèlement à cette argumentation, Hennigar souligne que le dialogue interinstitutionnel proposé par les auteurs de cette théorie donne une image incomplète de la réalité (2004 : 5). Ces auteurs du dialogue conçoivent la relation entre le judiciaire et le législatif seulement « in discrete inter-institutional terms, with the judiciary ‘speaking’ through rulings, and government through legislation » (Hennigar, 2004 : 5). Malencontreusement « [t]his overlooks the important, ongoing dialogue that occurs through government litigation, which brings the two institutional actors together within the court setting, with government lawyers arguing legal interpretation before judges » (Hennigar, 2004: 5). À cet égard, Hennigar suggère que le comportement stratégique de la Cour suprême est à certains égards le sous-produit d’une stratégie politique poursuivie par les avocats du Gouvernement canadien (2007). En effet, cet auteur souligne, de façon perspicace, que le gouvernement canadien est ni plus ni moins que la plus grande firme d’avocat au pays (Hennigar, 2007 : 228). C’est pouquoi il est important d’analyser et de comprendre « the […] link between government lawyers and the political executive in Canada », lequel lien est automatique étant donné que les avocats du gouvernement « report directly to the Attorney General […] who is a full member of the Cabinet executive as well as an elected member of the legislature » (Hennigar, 2007 : 227). Bien qu’il soit possible d’observer dans la théorie du

dialogue des propos faisant allusion à une compétition interinstitutionnelle, les auteurs de cette

théorie croient que celle-ci est illégitime, puisqu’elle vise à mettre en doute les prérogatives constitutionnelles du pouvoir judiciaire qui lui furent consacrées en 1982. À contrario, ici, non seulement on reconnaît que compétition interinstitutionnelle il y a, mais aussi que celle-ci est à

141 Fait intéressant, Hennigar – en parlant du comportement stratégique du Procureur général canadien, l’objet de l’un

des ses articles – affirme que le concept « strategic » relève du fait q’une institution soit « constrained » (2007 : 234). Au Canada, la Constitution prévoit que les trois pouvoirs sont institutionnellement encadrés, balisés et donc contraints. Ainsi, suivant cette logique, il est juste de prétendre, ne serait-ce que théoriquement, que la Cour suprême est institutionnellement stratégique.

la fois inévitable, en harmonie avec le constitutionnalisme libéral canado-britannique et plus complexe et multidimensionnelle que ce que prétendent les auteurs du dialogue. De la sorte, la théorie du comportement stratégique du pouvoir judiciaire, bien qu’elle vise à analyser tout particulièrement le comportement des juges de la Cour suprême, propose d’analyser de manière plus globale les interactions institutionnelles stratégiques qu’on retrouve dans la séparation des pouvoirs molle et non étanche et qui émanent de toutes parts.

À ce sujet, les propos de Flanagan sont tout particulièrement instructifs. Au même titre que Manfredi et Hennigar, l’auteur suggère que « [b]eyond the dialogue debate, which involves a large component of value judgment about judicial activism, lies the empirical task of