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Théories constitutionnelles de la judiciarisation du politique au Canada

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Academic year: 2021

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Théories constitutionnelles de la judiciarisation

du politique au Canada

Mémoire

Alupa Clarke

Maîtrise en science politique

Maître ès arts (M.A.)

QUÉBEC, CANADA

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Résumé

Le 17 avril 1982, le système politique canadien, qui prenait racine dans les doctrines du parlementarisme classique anglais, s’est vu bouleversé par des changements constitutionnels d’envergure. En effet, la constitutionnalisation du droit effectuée en 1982 – par l’entremise de l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés – a eu pour effet d’octroyer au pouvoir judiciaire un accroissement de sa prérogative constitutionnelle de révision judiciaire des lois donnant cours, selon certains, à la judiciarisation du politique au Canada.

Cette problématique a fait l’objet de nombreuses recherches menées par des juristes et des politologues, tout particulièrement. Ce faisant, ces auteurs ont élaboré des théories constitutionnelles variées qui ont toutes comme objectif singulier de rendre compte de cette judiciarisation du politique. À ce titre, les théories émanant du corpus documentaire étudié sont celles : (1) de la critique de la Charte, (2) du dialogue, (3) de l’interprétation constitutionnelle

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Problématique, cadre méthodologique et présentation de l’objet de recherche ... 5

1.1 Problématique ... 5

1.1.1 Le système politique canadien avant et après 1982 ... 6

1.1.2 La littérature issue du débat, ses auteurs et ses balises conceptuelles ... 9

1.1.2.1 Les théoriciens du débat ... 9

1.1.2.2 Balises conceptuelles et délimitations heuristiques du débat ... 11

1.2 Méthodologie ... 18

1.2.1 Influences académiques ... 18

1.2.2 Cadre méthodologique ... 19

1.2.3 Typologie ... 21

1.2.4 Accès aux sources documentaires ... 23

1.3 Théorisation de la judiciarisation du politique au Canada ... 24

1.3.1 Ordre de présentation des théories ... 24

1.3.2 Première tentative de catégorisation des théories ... 24

1.3.3 Le corpus documentaire théorique et son état scientifique actuel ... 25

1.3.3.1 Références francophones ... 25

1.3.3.2 Lacune dans la communauté scientifique ... 26

Chapitre 2 : Théorie de la critique de la charte ... 27

2.1 Présentation de la théorie critique de la Charte ... 28

2.1.1 Influences intellectuelles des deux courants interprétatifs ... 29

2.1.1.1 Les auteurs progressistes et les Critical Legal Studies ... 30

2.1.1.2 Les auteurs conservateurs, le torysme et la démocratie représentative ... 31

2.2 Prémisses conceptuelles et analytiques de la théorie ... 32

2.2.1 La compréhension des rapports interinstitutionnels entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ... 32

2.2.2 L’interprétation constitutionnelle et jurisprudentielle ... 37

2.2.2.1 L’interprétation constitutionnelle des auteurs progressistes ... 37

Le constitutionnalisme libéral ... 37

La Loi constitutionnelle de 1982 ... 39

2.2.2.2 L’interprétation jurisprudentielle des auteurs progressistes ... 41

Les juges, la révision judiciaire et l’activisme judiciaire ... 41

Les jugements ... 45

2.2.2.3 L’interprétation constitutionnelle des auteurs conservateurs ... 48

Le constitutionnalisme libéral ... 48

La Loi constitutionnelle de 1982 ... 50

2.2.2.4 L’interprétation jurisprudentielle des auteurs conservateurs ... 54

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Les jugements ... 55

Chapitre 3 : Théorie du dialogue ... 61

3.1 Présentation de la théorie du dialogue ... 62

3.2 Prémisses conceptuelles et analytiques de la théorie ... 68

3.2.1 La compréhension des rapports interinstitutionnels entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ... 69

3.2.1.1 Les pouvoirs législatif et judiciaire ... 69

3.2.1.2 Le pouvoir exécutif ... 73

3.2.2 L’interprétation constitutionnelle et jurisprudentielle ... 75

3.2.2.1 L’interprétation constitutionnelle ... 76

Le constitutionnalisme libéral ... 76

La Loi constitutionnelle de 1982 ... 79

3.2.2.2 L’interprétation jurisprudentielle ... 85

Les juges, la révision judiciaire et l’activisme judiciaire ... 85

Les jugements ... 91

3.3 Critiques adressées à la théorie ... 96

Chapitre 4 : Théorie de l’interprétation constitutionnelle coordonnée ... 101

4.1 Présentation de la théorie de l’interprétation constitutionnelle coordonnée ... 102

4.2 Prémisses conceptuelles et analytiques de la théorie ... 109

4.2.1.1 La séparation des pouvoirs en démocratie parlementaire ... 109

4.2.1.2 Le Parlement, la bureaucratie gouvernementale et le pouvoir judiciaire ... 113

4.2.2 L’interprétation constitutionnelle et jurisprudentielle ... 119

Le constitutionnalisme libéral ... 119

La Loi constitutionnelle de 1982 ... 122

4.2.2.2 L’interprétation jurisprudentielle ... 128

Les juges, la révision judiciaire et l’activisme judiciaire ... 129

Les jugements ... 133

4.3 Critiques adressées à la théorie ... 139

Chapitre 5 : Théorie du comportement stratégique du pouvoir judiciaire ... 141

5.1 Présentation de la théorie ... 142

5.1.1 Qu’est-ce que le modèle stratégique ? ... 144

5.1.2 Approche analytique institutionnelle ... 147

5.2 Prémisses conceptuelles et analytiques de la théorie ... 151

5.2.1 La compréhension des rapports interinstitutionnels entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ... 151

5.2.2 L’interprétation constitutionnelle et jurisprudentielle ... 156

5.2.2.1 L’interprétation constitutionnelle ... 156

Le constitutionnalisme libéral ... 156

La Loi constitutionnelle de 1982 ... 160

5.2.2.2 L’interprétation jurisprudentielle ... 165

Les juges, la révision judiciaire et l’activisme judiciaire ... 166

Les jugements ... 173

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Remerciements

Je tiens à dédier mes remerciements à nos aieux, lesquels ont bâti un pays où les principes de la primauté du droit et de la liberté politique prévalent. De ce fait, je révère la providence, puisque je suis né en sol canadien.

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Introduction

Le phénomène qui intéresse ce mémoire est le « débat animant la réflexion sur la légitimité du contrôle judiciaire de la constitutionnalité » des lois (Bernatchez, 2000 : 89). Ce débat, qui porte, plus précisément, sur la question de la judiciarisation du politique au Canada, est à l’origine d’un vaste corpus documentaire que nous avons examiné. Suite à cet examen, nous proposons d’élaborer une typologie à partir des études universitaires qui font partie de ce corpus. Pour ce faire, nous procédons à une analyse approfondie et « systématique des approches théoriques [traduction] » qui ont été élaborées au sujet du débat (Özkirimli, 2010 : 5). Cette théorisation que l’on retrouve sous forme d’articles, d’essais et d’ouvrages scientifiques, constitue notre objet de recherche. Pour en rendre compte judicieusement, et de la façon visée ci-haut, nous adoptons dans ce mémoire une démarche scientifique qualitative, descriptive et cartographique.

Le débat alimenté par les contributions universitaires composant le corpus documentaire porte sur quatre éléments concomitants. Premièrement, ce débat cherche à élucider les conséquences institutionnelles et sociopolitiques issues de l’enchâssement de la Charte

canadienne des droits et libertés1 dans la Loi constitutionnelle de 1982, dans ce cas-ci, la

juridicisation ainsi que la judiciarisation du politique au Canada. Deuxièmement, ce débat s’exprime par l’entremise d’un continuum argumentatif où on retrouve à l’une des extrémités des auteurs selon lesquels cette judiciarisation du politique est redevable à un activisme judiciaire illégitime et poursuivi consciemment par des juges de surcroit ; alors qu’à l’autre extrémité de ce même continuum argumentatif, on retrouve des auteurs selon lesquels cet activisme judiciaire est au contraire légitime non seulement puisqu’il est prévu par les constituants de 1982, mais, aussi, parce qu’il est balisé par l’entremise de contraintes diverses qui s’expriment sous la forme de mécanismes constitutionnels. Troisièmement, il y a débat d’une part concernant l’interprétation constitutionnelle des juges et, d’autre part, concernant l’interprétation jurisprudentielle des universitaires composant le débat. Finalement, il y a débat autour du législateur canadien, à savoir s’il est légitime que celui-ci soit un participant à part entière dans l’activité interprétative des textes et conventions constitutionnels du pays. Pour mettre en lumière ce débat et afin de faire la démonstration qu’il donne bel et bien cours à différentes approches théoriques de la judiciarisation du politique au Canada, ce mémoire est divisé en cinq chapitres.

1 Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de

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Le premier chapitre est divisé en trois parties. Dans un premier temps, nous énonçons la problématique de recherche. L’élément déclencheur de celle-ci est la réforme constitutionnelle réalisée en 1982 qui a induit des changements politiques importants dans l’ordre constitutionnel au Canada, notamment pour ce qui a trait au pouvoir judiciaire et à sa relation vis-à-vis le pouvoir législatif, et vice versa. Depuis, les rôles constitutionnels de ces deux branches du pouvoir font l’objet d’études et de recherches scientifiques provenant de la plume de juristes et de politologues, surtout, dont les travaux proposent différentes lectures analytiques et théoriques. Conséquemment, nous avons décidé d’élaborer une catégorisation dans laquelle s’insère l’ensemble des approches analytiques et théoriques proposées par les auteurs afin de rendre compte du phénomène de la judiciarisation du politique au Canada, qu’il s’avère vrai ou faux. Le débat, tel qu’il s’exprime selon nous dans le corpus documentaire, se décline en quatre théories générales. En effet, nous avons identifié quatre lignes directrices à partir desquelles les auteurs débattent entre eux. À cet effet, dans les différents écrits que l’on retrouve dans l’ensemble documentaire les auteurs y présentent des thèses distinctes qui forment le cœur des quatre théories opposées, bien que concomitantes puisque formant un tout. L’objectif des chercheurs dans cette interlocution scientifique est de faire prévaloir leur entendement du phénomène en faisant la démonstration du rôle constitutionnel exercé par le pouvoir judiciaire canadien depuis 1982. Dans un deuxième temps, nous présentons le cadre méthodologique qui a été utilisé afin d’analyser ces différentes théories et d’en rendre compte de manière typologique. Ce cadre est constitué de deux approches : l’analyse de textes et l’étude descriptive et qualitative du corpus documentaire. Dans un troisième temps, nous justifions l’ordre de présentation des théories tout en présentant l’état scientifique du débat. Ces théories, selon les appellations les plus courantes qui en sont faites dans la littérature, se nomment comme suit : les théories (1) de la critique de la Charte, (2) du dialogue, (3) de l’interprétation constitutionnelle

coordonnée et, enfin, (4) du comportement stratégique du pouvoir judiciaire.

Le deuxième chapitre concerne la théorie critique de la Charte. Ce rameau de la théorisation de la judiciarisation du politique au Canada est traversé par deux axes. Dans les deux cas, les auteurs critiquent l’avènement de la Charte et en font son procès, soit en ce qui a trait à son contenu et aux valeurs politiques qui y sont véhiculées, soit en ce qui a trait à l’utilisation qu’en font les juges lorsqu’ils rendent des jugements. De plus, dans un cas on estime que les juges font acte de conservatisme en faisant la promotion à travers leurs jugements de valeurs politiques issues du libéralisme classique, alors que dans l’autre cas, on estime que les juges font acte de progressisme en rendant des jugements qui ont pour objectifs d’imposer des réformes de types sociales au corps législatif et, par ricochet, à la société canadienne en son entier. Enfin, les deux axes de cette théorie critique de la Charte considèrent que les juges exercent un rôle illégitime, antimajoritaire, et donc non démocratique, notamment parce qu’ils

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sont des acteurs politiques non élus qui se complaisent dans l’exercice de fonctions institutionnelles traditionnellement législatives. Enfin, selon les théoriciens de la critique de la

Charte, la suprématie constitutionnelle s’est mutée depuis 1982 en une suprématie judiciaire. La

cause serait à la fois l’activisme judiciaire et l’indulgence des politiciens canadiens face à son avènement.

Le troisième chapitre s’intéresse à la théorie du dialogue. Celle-ci a comme objectif premier de proposer une interprétation constitutionnelle ayant pour but de légitimer la révision judiciaire des lois, puisque donnant cours, dit-on, à un échange interinstitutionnel sain et constructif entre les législateurs et les magistrats. En effet, suite à deux décennies d’attaques verbales provenant des auteurs de la théorie critique de la Charte – ayant pour cible le contrôle judiciaire de constitutionnalité des lois sous l’égide de la Charte (Bernatchez, 2000) –, les auteurs de la théorie du dialogue ont voulu présenter une défense démocratique (théorique) de cette révision judiciaire élargie depuis 1982. L’élaboration de cette théorie repose essentiellement sur deux dispositions de la Constitution canadienne, soit les articles 1 et 33. Enfin, selon les théoriciens du dialogue, la suprématie judiciaire n’est pas un fait avéré. Tout au contraire, disent-ils, les acteurs politiques de 1982, en enchâssant la Charte dans la Constitution, n’ont fait que confirmer la tradition parlementaire britannique de la protection des minorités et des droits fondamentaux.

Le quatrième chapitre présente la théorie de l’interprétation constitutionnelle

coordonnée. Cette théorie revêt trois approches interreliées. Premièrement, les théoriciens qui

en font partie estiment que les auteurs des deux autres théories présentées ci-haut n’ont pas adéquatement analysé les engrenages constitutionnels qui se profilent sous leurs yeux. En effet, disent-ils, ni le pouvoir législatif ni le pouvoir judiciaire ne sont les réels héritiers en matière de pouvoir effectif des réformes constitutionnelles de 1982. En réalité, le pouvoir exécutif – c’est-à-dire le premier ministre, son bureau et le Cabinet – est le réel gagnant de la nouvelle dynamique constitutionnelle. Deuxièmement, certains des auteurs soulèvent que le pouvoir législatif est le seul réel perdant dans l’ordre constitutionnel actuel. Ainsi, il est proposé qu’on ajuste le tir en renforçant le pouvoir du Parlement par l’entremise des procédures et processus institutionnels officiels et systématiques – au premier chef les comités parlementaires –, afin non seulement que les législateurs puissent s’adonner de manière collégiale à une révision législative préalable des projets de loi, mais, aussi, afin que le pouvoir législatif retrouve son droit légitime d’interprète de la Constitution, tel que prévu par la tradition constitutionnelle dans le parlementarisme britannique. Troisièmement, d’autres auteurs surmontent les aprioris politiques et constitutionnels immédiats pour faire prendre conscience aux universitaires prenant part au débat que le législateur canadien – de par la nature de son exercice législatif – ne peut

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faire autrement que d’interpréter la Constitution. Finalement, les auteurs tentent de sortir du débat stérile qui oppose les deux premières théories depuis déjà plusieurs années.

En dernière analyse, le cinquième chapitre se penche sur la théorie du comportement

stratégique du pouvoir judiciaire. Les auteurs de cette théorie considèrent généralement, bien

qu’ils se situent à des degrés divers quant à l’analyse qu’ils font du comportement judiciaire, que les juges ont adhéré de plein fouet à leur nouveau rôle politique de législateur-judiciaire. À cet égard, les auteurs expliquent que les juges de la Cour suprême injectent à la fois dans les processus internes et externes de leur fonction de magistrat – c’est-à-dire tout ce qui se profile avant l’atteinte d’un jugement et dans la décision rendue en tant que telle – une approche stratégique pour assurer que leur préférence idéologique et politique ainsi que la légitimité institutionnelle du pouvoir judiciaire soient assurées dans le temps et même renforcées. Lentement mais sûrement, cette stratégie consiste à asseoir une jurisprudence constitutionnelle cohérente et ayant comme objectif unidimensionnel d’établir une suprématie judiciaire, ni plus ni moins. Ce faisant, le pouvoir judiciaire, particulièrement la Cour suprême du Canada, entretient de nombreux « groupes litigants » soigneusement sélectionnés et considérés comme étant historiquement désavantagés. Cette relation organique permet au pouvoir judiciaire de contrecarrer toutes les critiques ayant comme cible son activisme. Enfin, pour faire la démonstration du comportement stratégique du pouvoir judiciaire, les auteurs élaborent différents modèles qui démontrent comment les consensus entre les neuf juges de la Cour suprême sont établis et comment leurs jugements sont construits en appréhension des réponses possibles que le pouvoir législatif peut émettre.

Finalement, en conclusion, nous résumerons les grandes lignes de cet exercice académique consistant à rendre compte de façon typologique d’un corpus documentaire particulier, issu d’universitaires, qui se penchent sur une question spécifique. Également, nous expliquerons ce qui selon nous émane de ce mémoire en ce qui a trait à cette question de la judiciarisation du politique au Canada.

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Chapitre 1 : Problématique, cadre méthodologique et

présentation de l’objet de recherche

Ce premier chapitre du mémoire a pour objectifs d’une part d’exposer et d’expliquer l’objet de recherche et, d’autre part, d’illustrer comment nous comptons en rendre compte scientifiquement. Pour y arriver, nous procédons de manière tripartite. D’abord, il sera question de présenter la problématique qui est à l’origine de cet objet de recherche. C’est pourquoi nous identifierons les repères de base à cette problématique, tout en illustrant les raisons principales qui expliquent son avènement à proprement parler. Ce faisant, nous serons en mesure d’identifier les conséquences à la fois politiques et scientifiques qui émanent de cet objet, ainsi que des raisons qui nous poussent à entreprendre une recherche sur ce dernier. Par après, nous présenterons le cadre méthodologique qui nous sert de guide et de boite à outils scientifiques pour arriver à nos fins, c’est-à-dire d’élaborer une typologie qui sache rendre compte judicieusement de la théorisation de la judiciarisation du politique au Canada. Enfin, nous terminerons ce premier chapitre en discutant quatre points : l’ordre de présentation des théories que couvriront les chapitres II, III, IV et V ; la façon dont les théories sont présentées ; la première tentative de catégorisation théorique du débat et l’état actuel de la littérature dont ces théories sont tributaires ; finalement, les tenants et aboutissants didactiques de ces quatre théories originales.

1.1 Problématique

La problématique du mémoire s’exprime en deux temps : dans un premier temps, il y a les réformes constitutionnelles effectuées en 1982, celles qui ont mené à une redéfinition – certains diront plutôt un élargissement – du pouvoir judiciaire canadien, notamment en ce qui a trait à son rôle et déploiement au sein du système politique canadien (La Forest, 1983 : 24 ; Russell, 1994 : 171-172 ; Kelly et Manfredi, 2010 : 46-50). Dans un deuxième temps, il y a les recherches scientifiques qui analysent les raisons d’être, les retombées et conséquences sociopolitiques ainsi qu’institutionnelles de ces réformes. Ces analyses se traduisent sous forme d’études, d’essais, d’articles scientifiques, d’ouvrages et de commentaires divers ayant tous pour but de rendre compte des changements appliqués – sous un regard critique – à l’ordre constitutionnel canadien. Depuis, les critiques se multiplient, mais elles demeurent éparses, car non catégorisées. C’est-à-dire, qu’aucun travail systématique de délimitation théorique des recherches existantes n’a été parachevé à ce jour. Ces changements constitutionnels créent l’engouement scientifique où un débat intellectuel prend forme depuis 33 ans, donnant, aujourd’hui, une riche littérature qui n’attend que d’être répertoriée. Dans cette littérature, où on retrouve une multitude de commentaires qui font état de la judiciarisation du politique au

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Canada, il est possible d’observer la manière dont les différents auteurs qui y participent – ceux qui sont partie prenante au corpus documentaire – comprennent et interprètent les rapports entre d’une part les pouvoirs politique et judiciaire et, d’autre part, la légitimité du juge dans son rôle augmenté au sujet de la révision judiciaire des lois. En fait, les auteurs discutent et se positionnent à savoir si le juge, dans ce rôle nouvellement défini, fait-il/doit-il faire acte d’activisme judiciaire ou bien de retenue. Pour rendre compte de ces diverses compréhensions et interprétations théoriques, les deux questions principales de notre recherche se lisent comme suit : quelles sont les théories constitutionnelles de la judiciarisation du politique au Canada ? Quel est l’état scientifique de la théorisation de la judiciarisation du politique au Canada?

Cette première partie du chapitre I est divisée en deux sections distinctes: premièrement, nous présentons et expliquons sommairement l’évolution constitutionnelle canadienne de 1867 jusqu’en 1982 et ce, afin d’être à même de définir le système politique de notre pays tel qu’il était antérieurement aux réformes politiques introduites il y a maintenant 33 ans. Puis, toujours dans cette première section, nous procédons à l’analyse qualitative de ces réformes constitutionnelles effectuées en 1982, afin de nous permettre d’identifier et d’illustrer les changements significatifs apportés au système politique canadien en cette année charnière dans l’histoire du pays. Deuxièmement, nous discutons de la formation du débat universitaire qui prend source dans la problématique initiale – celle issue des réformes constitutionnelles de 1982 –, en deux temps : en présentant la littérature issue du débat théorique et en définissant les balises conceptuelles qui composent et délimitent ce débat.

1.1.1 Le système politique canadien avant et après 1982

Dès sa création en 1867, le Canada fut doté, en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique (AANB)2, d’un système politique propre à la démocratie parlementaire suivant le

modèle de Westminster (Strayer, 1989 : 1017 ; Atkinson, 1994 : 727 ; Russell, 2010 : 21-22 ). De plus, le constitutionnalisme britannique – d’origine conventionnelle et donc non écrite –, dans lequel les principes de la primauté du droit et de la souveraineté législative prévalent (Pelletier, [2005] 2007 : 40 ; Woehrling, 2005 : 85), a permis l’essor au Canada d’une démocratie libérale tout en assurant une suprématie parlementaire (Strayer, 1989 : 1017 ; Chevrier, 2009 : 9-10 et 16). En effet, mises à part les contraintes constitutionnelles relatives à la séparation des pouvoirs juridictionnels entre les gouvernements fédéral et provincial (Woehrling, 2005 : 85 et 92 ; Mandel, 1996 : 21-23), les élus canadiens se sont vus accorder, en 1867, une marge de manœuvre politique quasi illimitée dans l’exercice de leur pouvoir législatif3.

2 Aujourd’hui nommé la Loi constitutionnelle de 1867 (Pelletier, [2005] 2007 : 39).

3 À ce titre, le Comité judiciaire du conseil privé (1867 à 1949) et la Cour suprême du Canada (1949 à 1982) ont

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Par conséquent, tout au long de son parcours politique initial, le Canada a préservé un système politique où la suprématie parlementaire prime, malgré des amendements constitutionnels importants effectués périodiquement4. Le 17 avril 1982, le système politique

canadien s’est vu bouleversé par des changements constitutionnels d’envergure. En effet, la constitutionnalisation du droit canadien5 effectuée en 1982 – par l’entremise de l’enchâssement6

de la Charte (Dickson, 1992 : 199 ; Kelly, 2005 : 10 ; Chevrier, 2009 : 3 ; Kelly et Manfredi, 2010 : 50) – a eu pour effet d’octroyer au pouvoir judiciaire un accroissement de sa prérogative constitutionnelle de révision judiciaire des lois. En effet, la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que la révision judiciaire peut s’exercer sur l’ensemble des lois émanant des corps législatifs fédéral et provincial et non plus uniquement sur les lois relatives au partage des compétences constitutionnelles entre ces derniers. Ce nouveau contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois (Bernatchez, 2000) permet aux juges d’exercer le rôle de gardien suprême de la Constitution (Kelly, 2005). Quand un juge en vient à la conclusion qu’une disposition particulière incluse dans une loi quelconque – ou bien la loi en tant que telle – porte atteinte aux valeurs politiques et aux droits énoncés dans la Charte, cette même loi peut être déclarée anticonstitutionnelle et ainsi être invalidée. Enfin, la Cour suprême est elle-même « garantie par la Constitution du Canada » (Tremblay, [2005] 2007 : 417), c’est-à-dire enchâssée dans celle-ci, puisqu’elle est assujettie à la formule d’amendement prévue par l’article 38(1) de la Constitution (Smith, 1983 : 134).

Ce faisant, le rapatriement de la Constitution a été le fruit d’un plus grand dessein, celui d’un réagencement des modalités de fonctionnement institutionnel de notre système politique, entre autres (Russell, 2010 : 28-32). La constitutionnalisation du droit qui s’ensuivit, conçue et perçue comme une doctrine « inséparable de la démocratie libérale » (Woehrling, 2005 : 84-85), cristallise un environnement politique fort différent dans le contexte canadien. Effectivement, elle octroie au pouvoir judiciaire un rôle prépondérant dans l’équilibre politique prévalant entre les pouvoirs législatif et judiciaire, érodant ainsi les prémisses historiques de la suprématie parlementaire canadienne. Ce nouveau rôle – prévu par les articles 24 (1), 32 et 52 (1) de la Loi

fédéral et les provinces constituait la seule base à partir de laquelle les tribunaux pouvaient invalider des lois. La jurisprudence à cet égard n’en a pas moins été considérable » (Tremblay, [2005], 2007 : 429).

4 Trente en tout, dont les plus significatifs sont le Statut de Westminster en 1931, l’assurance chômage en 1940,

l’avènement de la Cour Suprême du Canada comme dernière instance judiciaire en 1949 et la pension de vieillesse en 1951 (Russell, 2010 : 23).

5 Ce concept revêt différentes significations dépendamment de la discipline académique dans lequel il est employé.

Dans son acception tel que présenté dans le débat qui intéresse ce mémoire il renvoit à une hiérarchie de normes. À juste titre, les règles de droit enchâssées dans la Loi constitutionnel de 1982 ont prépondérance sur les lois ordinaires votées par les différentes législatures de la fédération canadienne. Ainsi, la « constitutionnalisation du droit » au Canada, en ce qui a trait à l’ordre politique, signifie que toute règle de droit peut être soumise, ultérieurement à son adoption – c’est-à-dire lorsque contestée devant les tribunaux –, aux normes légales supérieures que l’on retrouve dans la Charte et, par le fait même, dans la Constitution du Canada.

6 L’« enchâssement » se définit par une pratique politique et légale qui consiste « à jumeler l’affirmation de la

primauté [d’une loi] avec une exigence de modification [de celle-ci] par majorité renforcée ou par une procédure spéciale » (Woehrling, 2005 : 95).

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constitutionnelle de 19827 – s’exerce par l’entremise de mécanismes politiques qui permettent à

la Charte de s’imposer dans l’ordre constitutionnel (La Forest, 1983 : 28). Ce nouvel état de fait permet aux juges de la Cour suprême d’avoir le dernier mot8 en ce qui concerne le bien-fondé

d’une législation, lorsque celle-ci fait l’objet d’une contestation devant les tribunaux en vertu des articles mentionnés ci-haut. Dans ce nouvel ordre politique, les parlementaires doivent souscrire aux limites constitutionnelles issues de l’interprétation que font les juges des règles de droit inscrites dans la Constitution. Ce contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois (Bernatchez, 2000) est contesté par certains et louangé par d’autres.

Toutefois, il est à noter que tout ordre politique, qu’il soit nouveau ou non, est d’abord le sous-produit de la culture politique dominante propre à chaque pays. C’est cette culture politique qui conditionne, entre autres, la propension des juges à vouloir intervenir tel que prévu par la constitution ou non ; en effet, une constitution ne constitue après tout qu’un bout de papier. Les valeurs politiques et les droits y étant énoncés ne peuvent avoir force de loi dans un pays donné que dans un contexte social où les normes qu’elles projettent sont, d’abord, culturellement intériorisées par les citoyens y vivant et, ensuite, supportées et imposées par un système judiciaire fonctionnel et non corrompu. Ainsi, étudier la culture politique d’un pays et la pratique sur le terrain est essentiel afin d’examiner convenablement la force de sa constitution. Par exemple, antérieurement à 1982, au Canada, le pouvoir judiciaire s’est montré plutôt timide dans ses jugements constitutionnels à caractère public – c’est-à-dire des causes mettant en face à face un particulier et l’État –, outre ceux qui ont trait au partage des compétences entre les provinces et le fédéral. Pourtant, les droits fondamentaux étaient déjà reconnus depuis l’Acte de Québec en 1774 (Russell, 1983 : 33-34 et 44)9 et, de plus, le pouvoir

judiciaire d’invalidation des lois existait officiellement avant 1982, puisqu’il était prévu par la Déclaration canadienne des droits de 196010. Malgré l’existence de ces lois, les juges de la Cour

7 L’article 24 (1) soutient que « [t]oute personne, victime de violation ou de négation des droits et libertés qui lui sont

garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances ». L’article 52 (1) stipule que « [l]a Constitution du Canada est la loi suprême du Canada ; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit » et, enfin, l’article 32 spécifie ce à quoi s’applique la Charte : « a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, y compris ceux qui concernent le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest ; b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature » (Loi constitutionnelle de 1982).

8 Toutefois, notez qu’il existe deux dispositions constitutionnelles permettant aux législateurs canadiens d’avoir le

dernier mot dans certains cas. Il s’agit des articles de limitation (a. 1) et de dérogation (a. 33) des droits de la Charte. En effet, l’article 1 prévoit que la Charte « garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». L’article 33 prévoit que « [l]e Parlement ou la législature d’une province peut adopter une loi où il est expressément déclaré que celle-ci ou une de ses dispositions a effet indépendamment d’une disposition donnée de l’article 2 ou des articles 7 à 15 de la présente charte », et ce, pour une période de cinq ans renouvelable.

9 Sur cette question, Morton et Knopff soutiennent que les « core values guaranteed by the Charter were already

legally established in common law and statutory form well before its entrenchment in 1982 » (2000: 23; 26).

10 Cette Déclaration ne s’appliquait qu’au gouvernement fédéral et au Parlement et son pouvoir d’imposition était

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suprême ont exercé antérieurement à 1982 une retenue judiciaire. Cela s’explique par le fait que les juges entretenaient une déférence à la fois envers le pouvoir législatif et les conventions constitutionnelles parlementaires11 lesquelles, jusqu’en 1982, plaçait la protection des minorités

et des droits fondamentaux des Canadiens entre les mains du Parlement12; d’où justement la

suprématie parlementaire. À contrario, dès 1982, le pouvoir judiciaire s’est montré enthousiaste, puisqu’actif dans son « rôle politique » (Tremblay, [2005] 2007 : 413) du contrôle judiciaire des lois13. Ainsi, certains auteurs font la remarque que le pouvoir judiciaire bénéficie non seulement

d’un élargissement de son pouvoir constitutionnel de révision judiciaire depuis 1982, mais, aussi, que sa culture institutionnelle a été la proie de profonds changements lors des dernières décennies. C’est dans ce contexte qu’émerge le concept d’activisme judiciaire. Pour l’instant, notez que ce concept définit un comportement présumé des juges, départageant d’un côté et de l’autre les théoriciens qui font l’objet de ce mémoire.

1.1.2 La littérature issue du débat, ses auteurs et ses balises conceptuelles

Étant l’objet des sciences sociales, les questions d’ordre politique se manifestent souvent – dans les travaux – de manière dichotomique, notamment en raison des positions normatives issues des biais idéologiques qui sont partie prenante à tout individu qui s’attarde à ce type de question. En effet, bien qu’il soit possible de faire preuve de « neutralité axiologique », il n’en reste pas moins que le chercheur demeure prisonnier « de prénotions culturelles ou autres » (Dépelteau, 2000 : 86). Ces caractéristiques participent à l’existence de notre objet de recherche, puisque celui-ci est composé d’une littérature riche faisant état d’une multitude de perspectives et de commentaires sur la judiciarisation du politique au Canada.

1.1.2.1 Les théoriciens du débat

Le juriste Morissette identifie les universitaires qui s’intéressent au phénomène du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois (Bernatchez, 2000) comme étant des « théoriciens du droit ». Ces derniers, dit-il, sont à l’origine d’« une réalité [qui] s’impose tout de suite à l’esprit » lorsque l’on s’attarde quelque peu au corpus documentaire dont ils sont garants : l’immensité des publications (Morissette, 2000 : 39). De plus, Morissette ne manque

11 Notons que les juges entretenaient la doctrine des « questions politiques » : toutes les causes jugées comme étant de

nature politique étaient d’emblées rejetées puisque considérées comme non-justiciable et, donc, ne relevant pas des compétences du pouvoir judiciaire. À ce sujet, voir Sossin ([1999] 2012 : 161 ; 185-97).

12 Cette déférence s’illustre par le fait qu’entre 1867 et 1982 seulement quelques causes judiciaires, n’ayant aucun

rapport avec le partage de compétences juridictionnelles fédéral-provincial, ont induit une invalidation dû à leur nature anticonstitutionnelle, et, qui opposait un particulier versus l’État. Par exemple, dans Saumur c. Ville de

Québec, une loi municipale de la ville de Québec interdisait aux Témoins de Jéhovah de distribuer des dépliants

faisant la promotion de leur croyance sans l’accord explicite du Chef de police de la ville. Cette loi municipale fût déclarée anticonstitutionnelle par la Cour suprême du Canada, parce que portant atteinte à la Liberté de religion prévue par l’article 92 de l’AANB, 1867. Cet exemple démontre qu’il est vrai de dire que les droits fondamentaux des canadiens étaient déjà protégés avant l’avènement de la Charte.

13 À cet effet, Hirschl expose cette réalité par l’entremise de chiffres évocateurs: de 1982 à 2004 (année de

publication de sa recherche) des 440 jugements afférant à la Charte 71 ont fait l’objet d’une invalidation. À l’opposé, de 1960 à 1982, sous la Déclaration canadienne des droits, seulement un jugement a fait l’objet d’inconstitutionnalité, celui de R. c. Drybones [1970] (2004 : 20).

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pas de citer Richard Devlin qui « qualifie lui-même ce corpus de almost unmanageable, presque démesuré » (2000 : 39). Cela était vrai en l’an 2000, cela l’est d’autant plus en 2016. Il advient donc essentiel de catégoriser ce corpus documentaire pour être à même de délimiter son étendue intellectuelle14. Poursuivant, Morissette précise qu’« il existe maintenant en droit canadien un

important contentieux technique autour de la légitimité du juge constitutionnel » (2000 : 60). Au cœur de ce contentieux universitaire loge la question qui cherche à savoir s’il est légitime pour des acteurs non élus, c’est-à-dire des juges, de trancher des questions de politiques publiques parfois très complexes et ce, lorsqu’il y a un litige en regard ce celles-ci.

La dialectique face à ce questionnement est celle qui a cours entre, d’une part, ceux qui croient qu’une intervention judiciaire accrue est de mise, car bénéfique et, après tout, parce qu’elle est constitutionnellement prévue. D’autre part, ceux qui croient que, tout au contraire, les juges devraient faire preuve de retenue judiciaire, puisqu’ils n’ont pas la légitimité représentative. « Il aura fallu attendre la constitutionnalisation des droits et libertés pour que s’amorce au Canada le débat sur la légitimité, qui fut mené tout autant dans la perspective politologique que juridique » (Bernatchez, 2000 : 90). À cet effet, « l’alignement dans le débat se fait entre ceux qui jugent la Charte (les ‘Charter sceptics’) et ceux qui en font l’apologie (les ‘Charter romantics’) » (Morissette, 2000 : 41). Également, notons que les quatre théories proposées dans ce mémoire s’insèrent dans deux classifications plus globales et encadrant les thèses et recherches qui s’insèrent dans le « débat doctrinal relatif à la légitimité de la justice constitutionnelle » (Bernatchez, 2000 : 91).

Dans la première classification, qui interprète les « critiques de la légitimité du contrôle judiciaire de constitutionnalité » (Bernatchez, 2000 : 91), on retrouve les théories de la critique

de la Charte ainsi que celle du comportement stratégique du pouvoir judiciaire. Dans la

deuxième classification, qui interprète « the freedom of elected actors to disagree with and even overcome the decisions of appointed judges » (Baker, 2010: 3), on retrouve d’un côté la théorie du dialogue qui propose « une justification du contrôle judiciaire de constitutionnalité » (Bernatchez et Russell, 2008 : 1), avec pour objectif « de légitimer le juge constitutionnel » (Bernatchez, 2000 : 1) et, de l’autre, on retrouve la théorie de l’interprétation constitutionnelle

coordonnée qui, elle, propose une remise en valeur du législateur dans son rôle interprétatif de

la Constitution. Dans ce sens, ces deux dernières théories ont un objectif commun, celui de répondre à la « counter-majoritarian difficulty » tributaire de l’exercice d’une révision judiciaire des lois, tel qu’observé par Alexander Bickel (Baker, 2010 : 3). C’est bien cette difficulté qui alimente, après tout, la critique formulée par les auteurs engagés dans la première classification.

14 De toute évidence le corpus examiné dans ce mémoire n’est pas exhaustif, cependant nous estimons qu’il est

suffisamment représentatif de l’ensemble littéraire produit à ce jour au sujet de la judiciarisation du politique au Canada.

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En conséquence, pour les auteurs de la théorie critique de la Charte, il ne fait aucun doute que les juges abusent de leurs pouvoirs de contrainte législative et qu’ils font donc preuve d’un activisme judiciaire illégitime. Pour les auteurs de la théorie du dialogue, l’activisme judiciaire est légitime et nécessaire à la santé démocratique des institutions politiques du pays, premièrement parce que cette action est prévue par la Constitution et deuxièmement, parce que ce comportement s’inscrit dans un dialogue interinstitutionnel entre les trois branches du pouvoir au pays, duquel émergent des lois justes et équitables pour tous. Pour les auteurs de l’interprétation constitutionnelle coordonnée, l’activisme judiciaire n’est pas si patent. Enfin, aux yeux des théoriciens du comportement stratégique du pouvoir judiciaire, cet activisme judiciaire est ni plus ni moins qu’une conduite orchestrée par les juges pour que le pouvoir judiciaire demeure une institution légitime exerçant sa suprématie dans l’ordre constitutionnel.

Toutefois, malgré ces divergences principales que nous avons repérées, trois rapprochements sont possibles dans cette multiplicité d’études formant le débat : premièrement, les auteurs sont soit des politologues, soit des juristes. Deuxièmement, ils sont tous en porte-à-faux avec la suprématie judiciaire qui pour certains d’entre eux existe, mais pour d’autres non. Troisièmement, les auteurs ont tous en commun de vouloir défendre une certaine vision collective du « vivre-ensemble » dans une société qui repose sur le constitutionnalisme libéral. À cet égard, selon les vues de certains d’entre eux, la judiciarisation du politique créé nécessairement des anomalies dans ce type de constitutionnalisme. Pour d’autres, l’intervention judiciaire dans l’ordre politique est synonyme d’une démocratie saine et émancipée. Enfin, pour quelques-uns, la judiciarisation du politique est à la fois louable et déplorable. Une chose est certaine, les auteurs qui font l’objet de notre typologie ont tous à cœur des idéaux démocratiques, dans lesquels de toute évidence le pouvoir judiciaire a un rôle à jouer. Ainsi, les auteurs cherchent tout bonnement à expliquer les changements qui ont eu cours depuis 1982 et qui octroient des prérogatives constitutionnelles élargies au pouvoir judiciaire.

Enfin, précisons que les théoriciens inclus dans ce mémoire sont à la fois observateurs et acteurs. À cet égard, les travaux de ceux-ci ont même influencé les acteurs principaux du pouvoir judiciaire, c’est-à-dire les juges15. Ainsi, nous sommes devant un domaine d’études qui

non seulement ne cesse de grandir, mais qui de plus, influence en temps réel le phénomène de la judiciarisation du politique au Canada.

1.1.2.2 Balises conceptuelles et délimitations heuristiques du débat

Pour clarifier la problématique à l’origine de l’objet de recherche, il est important que nous en établissions les balises conceptuelles principales en procurant des définitions de base de ces concepts principaux. Des définitions de base puisque ces concepts, à nos yeux, revêtent des

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acceptions qui font généralement consensus dans la discipline de la science politique. Toutefois, il est à noter que nous entendons élaborer une typologie dans laquelle nous aurons justement à confronter des définitions différentes issues de mêmes concepts. Ces dissimilitudes définitionnelles proviennent de l’entendement dissemblable des théoriciens vis-à-vis les concepts clés qui délimitent leurs débats. À ce titre, « [s]ocial scientist work much of the time with concepts, which are more or less abstract representations of the social world they are studying » (Della Porta et Keating, 2008: 2). Ce faisant, les concepts revêtent ici et là des définitions différentes – souvent dichotomiques – et ce, dépendamment de la personne qui en fait usage pour délimiter un objet de recherche. Notons que cette réalité est souvent à l’origine de mésententes entre universitaires. Cela est d’autant plus vrai « when there is no possibility of common meaning because they are based on different epistemological premises or underpin radically different world-views » (Della Porta et Keating, 2008: 4); cette dernière réalité est perceptible dans le corpus documentaire examiné. C’est pourquoi l’exercice conduit dans ce mémoire consiste à faire discuter les auteurs entres eux, à confronter leurs argumentations d’une part et d’autre, ainsi qu’à dévoiler leur compréhension souvent divergente des différentes conséquences et/ou points d’origines d’un même phénomène. Attardons-nous dès maintenant aux définitions de base des concepts principaux de la recherche.

D’emblée, notons que nous avons déjà clarifié plus haut les notions d’« enchâssement » de la Charte et de « constitutionnalisation du droit » canadien16. Cette précision étant faite, nous

jugeons primordial de commencer la délimitation conceptuelle de notre objet de recherche – le débat – en précisant d’abord ce qu’est la « séparation des pouvoirs » dans un régime démocratique17. Celle-ci, prenant racine dans la pensée originale de Montesquieu, propose que

le pouvoir politique soit divisé en trois branches institutionnelles distinctes s’opposant les unes aux autres. Cette opposition, plus connue sous son appellation américaine des checks and balances (poids et contrepoids) a pour objectif de permettre une compétition institutionnelle entre les différentes branches du pouvoir politique, afin qu’aucune d’entre-elles ne détiennent les reines de ce pouvoir politique de façon absolue et/ou permanente. Depuis son avènement, la « séparation des pouvoirs » s’exprime par l’entremise de deux modèles d’application distincte : celui qui prévaut dans la « démocratie parlementaire » – issu de la tradition politique britannique – et celui qui prévaut dans la « démocratie madisonnienne »18, issu de la tradition

politique américaine. Toutefois, avant de différencier ces deux modèles politiques à proprement

16 Pour un rappel de ces concepts, voir les notes 5 et 6 à la page 7.

17 Bernatchez souligne que le débat qui nous intéresse est mené sur la question classique de la séparation des

pouvoirs : à savoir qui détient telle ou telle compétence entre les pouvoirs exécutif, législatif, et judiciaire (2000 : 90).

18 Cette appellation du type de régime démocratique initié aux États-Unis est apte à débat. Nous avons choisi cette

appellation à partir d’un texte de Chevrier (2009). L’auteur y identifie « la théorie ‘madisonnienne’ de la démocratie » (2009 : 6) en faisant référence au régime républicain sous sa forme moderne, aux États-Unis, c’est-à-dire ayant un ordre politique basé sur la constitutionnalisation du droit.

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parler, il est primordial de comprendre ce que sont les trois institutions politiques qui composent cette « séparation des pouvoirs ».

Premièrement, il y a le « pouvoir exécutif » qui est exercé par le détenteur de la souveraineté, c’est-à-dire le chef d’État qui est soit un monarque, soit un président. Celui qui détient ce pouvoir, que ce soit en collégialité ou non, détermine la direction que prend le pays au jour le jour. Au Canada, par l’entremise de l’évolution constitutionnelle de notre système politique, c’est dorénavant le premier ministre de la Fédération qui exerce ce pouvoir au nom du monarque britannique, et ce, suivant l’assentiment explicite du représentant de ce dernier en sol canadien, le Gouverneur général. Ensuite, il y a le « pouvoir législatif », qui est exercé par des élus du peuple et/ou des non élues19. Ceux qui détiennent ce pouvoir ont la responsabilité d’une

part de légiférer, c’est-à-dire d’élaborer des lois et, d’autre part, de représenter à la fois ceux qui les ont élus ou nommés, ainsi que le parti politique auquel ils sont affiliés. Finalement, il y a le « pouvoir judiciaire » qui, tout comme le « pouvoir législatif », peut être exercé par des membres élus ou non élus20. Ceux qui détiennent ce pouvoir au Canada ont pour tâches

principales de régler des litiges légaux soit entre des partis privés, soit entre des particuliers et l’État ou, encore, entre deux paliers gouvernementaux. Enfin, ce pouvoir est composé de différentes instances judiciaires détenant un regard de révision l’une sur l’autre dépendamment de leur position dans le système hiérarchique et pyramidal de cette branche du pouvoir. À ce titre, depuis 1949, la Cour Suprême du Canada constitue la cour de dernière instance au pays, où une ultime révision du processus judiciaire peut s’exercer et s’imposer à l’ensemble des paliers pyramidaux inférieurs. Pour terminer, notons que chacun des trois pouvoirs vus ci-haut détient à la fois des prérogatives constitutionnelles spécifiques21 et une responsabilité commune

d’imputabilité qu’ils exercent l’un vis-à-vis l’autre.

Dans le cas du modèle de la « démocratie madisonnienne » (Chevrier, 2009), notons au préalable que les droits fondamentaux y sont constitutionnellement enchâssés et jouissent d’un statut suprême. La « séparation des pouvoirs » qui s’y déploie est stricte et étanche. C’est-à-dire qu’aucun des trois pouvoirs ne partage d’affiliations institutionnelles. En d’autres mots, aucun individu ne peut détenir des rôles à la fois dans l’une et l’autre des branches du pouvoir. Ainsi, aux États-Unis, l’Exécutif, composé du président et des secrétaires qui forment son administration, ne sont pas responsables devant le corps législatif, puisqu’ils ne siègent pas en

19 À cet égard, dépendamment des système politiques auxquels on s’attarde le pouvoir législatif peut-être composé

uniquement de membres élus (c’est le cas aux États-Unis où les membres des Chambres basse et haute du Congrès sont élus) ou composé de membre à la fois élus et non élus, tel que c’est le cas au Canada où les membres de la Chambre basse sont élus et où les membres de la Chambre haute sont nommés. À partir de ces différences, il existe de nombreux autres modèles. Pour approfondir voir notamment Gosselin et Filion ([2007] 2009).

20 Dans plusieurs États américains les juges de certaines instances judiciaires sont élues.

21 Pour connaitre plus en profondeur les prérogatives constitutionnelles des trois branches du pouvoir politique au

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son sein. À l’opposé, dans le modèle de la « démocratie parlementaire », les droits fondamentaux n’y sont pas constitutionnellement enchâssés et ne jouissent pas d’un statut suprême, mais, plutôt, sont à pied d’égalité avec les lois ordinaires. La « séparation des pouvoirs » qui s’y déploie est molle et non étanche. C’est-à-dire que le « pouvoir législatif » et le « pouvoir exécutif » partagent des affiliations institutionnelles. En d’autres mots, un individu peut détenir à la fois des rôles dans l’une et l’autre des branches du pouvoir. En effet, l’Éxécutif, composé du premier ministre et des ministres qui forment le Cabinet, est responsable devant le corps législatif, puisqu’il siège en son sein. C’est pourquoi en « démocratie parlementaire » on parle d’un gouvernement responsable22, puisqu’il est élu. Aux États-Unis, mis à part le

président, le gouvernement n’est pas élu et donc non responsable devant le « pouvoir législatif ». C’est en comprenant ce que signifie le concept de la « séparation des pouvoirs » et des institutions qui le composent, que l’on peut appréhender convenablement les concepts de « suprématie constitutionnelle », de « suprématie législative » et de « suprématie judiciaire ».

La « suprématie constitutionnelle » réfère à un État de droit démocratique où s’exerce le « constitutionnalisme libéral ». Ce dernier est un état de fait où aucun des trois pouvoirs que nous avons définis ci-haut n’est omnipotent, et où les droits des minorités – l’individu en premier chef – sont protégés. En effet, l’objectif étant que non seulement il y ait compétition entre les trois pouvoirs, mais, aussi, que chacun d’entre eux doivent se rapporter d’abord et avant tout à la constitution du pays pour déterminer les règles de conduite contextuelles respectives qui les régissent. Toutefois en « démocratie parlementaire », la tradition politique veut qu’il y ait « suprématie législative », car le Parlement ne peut s’exclure lui-même de ses propres pouvoirs (Webber, 2002 : 71)23. En effet, tel que soulevé par Dicey et tel que rapporté

par Bayefsky, la souveraineté parlementaire en tant que doctrine comprend deux composantes: « ‘Parliament…has, under the English constitution, the right to make or unmake any law whatever; and…no person or body is recognized by the law of England as having a right to override or set aside the legislation of Parliament’» (Bayefsky, 1986: 819). Cette doctrine du parlementarisme signifie que le pouvoir institutionnel de légiférer ne peut être limité. Pour Dicey, le Parlement a toujours le dernier mot eu égard à l’ensemble des aspects politiques de la vie collective, tout particulièrement en ce qui concerne les droits. Dans cette conception historique, théorique et pratique du parlementarisme, rien ne peut être extérieur ou prépondérant au Parlement – pas plus une constitution qu’un pouvoir judiciaire ou qu’un souverain par exemple – puisque ce corps politique constitue l’ultime forum public de

22 La notion de gouvernement responsable loge au cœur du parlementarisme suivant le modèle de Westminster. Dans

ce système politique, qui prévaut au Canada, le gouvernement est élu et doit siéger au Parlement afin de répondre aux questions provenant de l’opposition. Ce faisant, il doit rendre des comptes à ce dernier et, en définitive, aux citoyens sur une base hebdomadaire où, à l’extrême, dans au moins une législature par année (Loi constitutionnelle de 1867).

23 « The doctrine of parliamentary sovereignty requires that at any point, the legislature can change its mind, passing

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discussions et d’atteintes de compromis politiques. En d’autres mots, le Parlement c’est le peuple réuni dans un corps politique pour décider du sort du pays. C’est pourquoi en « démocratie parlementaire » les droits – quels qu’ils soient – ne sont pas enchâssés dans une constitution, car cela les rend prépondérants, supérieurs et donc hors d’atteinte pour les parlementaires qui représentent le peuple24. Néamoins, Ajzenstat précise que Dicey

reconnaissait d’emblée le bien-fondé d’avoir des droits enchâssés dans une constitution, mais que cela n’était pas suffisant pour protéger ces mêmes droits. En effet, les droits « in the British form of government are secure only where parliament’s legislative powers are unlimited » (Ajzenstat, 1997: 646).

Conséquemment, l’existence d’une « suprématie législative » n’empêche pas que s’exerce en Angleterre une « suprématie constitutionnelle ». En effet, et c’est ici parfois qu’il peut y avoir confusion didactique, car la constitution est tout de même prépondérante en Angleterre dans le sens où elle fixe l’étendue politique des pouvoirs du Parlement jusqu’à ce dernier décide de revoir les dispositions constitutionnelles qui déterminent cette étendue politique, et ce, par l’entremise du processus d’amendements codifier dans la constitution. En d’autres mots, il y a « suprématie législative » tant et aussi longtemps que ce sont les parlementaires qui déterminent comment la constitution détermine en retour les règles du jeu politique s’exerçant sur eux-mêmes. Par contre, lorsque le Parlement doit procéder au processus d’amendements constitutionnels afin de changer des dispositions outre les règles du jeu politique, comme lorsqu’il doit y avoir recours pour changer des règles de droit – par exemple des droits fondamentaux – c’est à ce moment qu’on peut parler de « suprématie judiciaire ». À vrai dire, la ligne de séparation entre « suprématie législative » et « suprématie judiciaire » peut être très mince, étant donné qu’elle se détermine en bonne partie sur la base des questions relatives au processus d’amendement constitutionnel. Ainsi, parfois, la « suprématie constitutionnelle » reposant en définitive sur la « suprématie législative » peut se transformer en « suprématie judiciaire ».

La « suprématie judiciaire » peut advenir dans une « suprématie constitutionnelle », et ce, par l’entremise du « paradoxe du constitutionnalisme libéral [traduction] » (Manfredi, [1993] 2001). Ce dernier se définit comme suit: « if judicial review evolves so that political power in its judicial guise is limited only by a constitution whose meaning the courts alone define, then the judicial power, which had previously acted as a restraint, is no longer constrained by constitional limits » (Manfredi, [1993] 2001: 22 ; Hirschl, 2000: 421). Ce faisant, Manfredi souligne « that judicial supremacy can easily overtake constitutional

24 Pour les théoriciens du parlementarisme classique, la démocratie ne peut s’exprimer pleinement si le pouvoir de

légiférer est limité. L’enchâssement de droits fondamentaux dans une constitution a justement comme conséquence de soustraire certains enjeux sociaux de l’arène politique, devenant ainsi hors d’atteinte du peuple lui-même.

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supremacy », puisque « judicial enforcement of rights in the name of liberal constitutionalism may destroy the most important right that citizens in liberal democracies possess, i.e., the right of self-government » ([1993] 2001: 22). Cette question du droit de « self-government » est corolaire à la préoccupation énoncée par Dicey, qui craignait alors que le « pouvoir législatif » soit limité dans son exercice démocratique qui est de légiférer et, par ricochet, que le peuple soit limité dans son expression politique et démocratique. Ici, au Canada, « l’instauration du régime de suprématie des droits en vertu de la Charte, même s’il tente de préserver en partie la souveraineté du Parlement, a néanmoins eu des conséquences importantes en terme d'activisme judiciaire » (Bernatchez et Russell, 2008 : 12). Cependant, cet activisme, pouvant donner cours à une « suprématie judiciaire » sur l’ordre politique, ne peut advenir sans une « politisation du pouvoir judiciaire » s’exerçant au préalable.

À ce titre, la « politisation du pouvoir judiciaire » peut s’exprimer à travers un « activisme judiciaire », qui lui-même peut donner cours à la « juridicisation » et à la « judiciarisation du politique ». Ces derniers, en retour, peuvent avoir comme conséquences l’avènement d’une sphère politique où les enjeux sociétaires s’expriment dans un « langage des droits » induisant d’un même fait une « culture politique des droits » rendant par extension les débats politiques démocratiques stériles. Lorsque le « pouvoir judiciaire » se politise, cela signifie que les juges exercent des fonctions législatives, comme celle de forcer le « pouvoir législatif » à apporter des rajouts textuels à l’intérieur d’une loi, ce qui au bout du compte peut avoir comme effet immédiat de changer la politique publique prévue par les représentants du peuple, et ce, antérieurement à la révision judiciaire. Cette pratique, surtout lorsqu’elle est monnaie courante, est comprise et perçue comme étant une forme d’« activisme judiciaire ». Ce dernier suppose une « reformulation des débats politiques dans le langage du droit et leur transfert de l’arène politique vers l’arène judiciaire » (Woehrling, 2005 : 83). En termes pratiques, ce concept réfère à un ensemble de comportements que les juges auraient adoptés depuis 1982 et qui auraient comme conséquences – et/ou comme objectif – d’imposer une vision idéologique particulière au développement politique – et historique – de l’État canadien et de la culture politique de ses citoyens. Les moyens pour y arriver serait par exemple : (1) en sélectionnant judicieusement les causes qui font l’objet d’une contestation devant le tribunal supérieur du Canada – pratique allouée à la Cour Suprême depuis 1975 –, et, choisir judicieusement les intervenants (individus ou groupes) qui sont partie prenante à un procès, et ce par l’entremise de la libéralisation du locus standi effectuée par étape entre 1975 et 1987 (Brodie, 2002 : 19 et 24-25 ; Hirschl 2004 : 19 ; Kelly et Manfredi, 2010 : 49 ; Mandel 1996 : 47 ; Manfredi [1993] 2001a : 21 ; Macfarlane, 2013 : 42-44 ; Monahan, 2001 : 378 ; Morton et Knopff, 2000 : 43) ; (2) en imposant au sein d’une loi contestée des remèdes judiciaires

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intrusifs, ceux du « reading in » et du « reading down »25 ; (3) en invalidant une loi dument

adoptée par l’ensemble des élus, tout parti politique confondu. Enfin, l’« activisme judiciaire » peut induire une juridicisation du politique qui

se caractérise par la traduction des questions politiques, sociales et économiques dans le langage juridique et, a fortiori, dans le discours des droits et libertés. Ainsi, le droit accaparerait des questions qui, jadis, relevaient de la sphère politique. Cette colonisation du politique par le droit s’accompagne d’une intervention croissante du juge dans certains domaines, tels la famille et l’éducation scolaire (Bernatchez, 2000 : 92).

Ce phénomène, où des citoyens, des personnes morales, des organismes non gouvernementaux, des gouvernements ou des « groupes litigants » ont recours au pouvoir judiciaire pour faire avancer des revendications de nature politique, conduit à une judiciarisation puisque

ce recours aux tribunaux pour le règlement des différends soustrait au pouvoir législatif des questions pour les confier à une décision judiciaire à la lumière de la constitution. Ainsi, sous l’effet de la Charte canadienne des droits et libertés, cette judiciarisation équivaut à une constitutionnalisation du système politique : une fois traduites dans le langage des droits et érigées au statut de droits inaliénables, les revendications ne sont plus négociables, ce qui abolit toute possibilité de compromis au niveau des institutions politiques traditionnelles (Bernatchez, 2000 : 93).

Par conséquent, ce « langage des droits » qui favorise une « culture des droits » rend les compromis politiques plus difficiles et induit une cristallisation des débats dans un « caractère absolu et non débattable » (Bernatchez, 2000 : 92). De plus, la pratique d’invalidation des lois du juge constitutionnel induit la question de la « counter-majoritarian difficulty », c’est-à-dire « the awkward fact that judicial power involves unelected judges overturning the decisions of elected officials » (Baker, 2010: 3). Enfin, la révision judiciaire est objet de débats acérés dépendamment qu’il est exercé par le biais d’une examination légale « substantielle » ou « procédurale ». La « révision judiciaire substantielle » signifie que les juges évaluent une loi contestée en vertu de ses mérites et de ses effets sociaux potentiels (Manfredi, 1989). La « révision judiciaire procédurale » signifie que les juges évaluent une loi contestée en vertu des procédures prévues par le code contesté, à savoir si ses procédures sont adéquatement appliquées ou si elles portent préjudice à ce que prévoit la Charte (Manfredi, 1989). Dans le

25 Le pouvoir judiciaire a la possibilité, tel que prévue par l’article 24 de la Loi constitutionnelle de 1982, d’allouer un

ou des remèdes à un individu ou à une personne morale se considérant lésée par une loi ou l’une de ses dispositions. Dans la pratique, ces remèdes s’exercent par l’entremise de quatre types d’actions que la Cour peut appliquer lorsqu’elle s’adonne à la révision judiciaire d’une loi: (1) l’« invalidation », (2) la « suspension de déclaration d’invalidité » – que nous verrons plus loin –, (3) le « reading in » et (4) le « reading down » (Kelly, 2005 : 190). Ces deux derniers sont considérés comme étant très intrusifs car au lieu de permettre au pouvoir législatif de revoir, de maintenir, de reformuler ou d’annuler une loi, ils lui indiquent quoi faire ou ne pas faire (Roach et Choudhry, 2003 : 231 ; Baker, 2010 : 128). En effet, le « reading in » signifie que le pouvoir judiciaire li des dispositions au sein de la loi contestée qui n’y sont pourtant pas inscrites, forçant ainsi les législateurs à entreprendre, dans certains cas, des actions positives sous forme de dépenses budgétaires non prévues. Ainsi, « in contrast to judicial nullification, where a court simply declares a statute unconstitutional and renders it ‘of no force or effect’, ‘reading in’ […] imposes specific policy choices on legislatures » (Manfredi, [1993] 2001a: 2). Dans les propres mots de l’ancien Juge en Chef de la Cour Suprême, tel qu’énoncé dans le jugement de Schahter c. Canada (1992), il est spécifié que « ‘[i]n the case of reading in, the inconsistency is defined as what the statute wrongly excludes rather than what it wrongly includes » (Hennigar, 2004: 6). Le « reading down », quant à lui, « entails nullifying only part of the law in question—for example, a given phrase, but not an entire subsection – which may nevertheless profoundly alter the meaning and scope of the legislation » (Hennigar, 2004: 6).

Références

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