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III Approches du signifié de y à travers son signifiant et sa relation avec la personne

4. POURQUOI Y A-T-IL DISPARU, SELON LES HISTORIENS DE LA LANGUE ?

4.2. Y a été en concurrence avec les déictiques allí et allá

4.2.2. Autres théories

Antonio Mª Badía Margarit a comparé, comme nous l'avons déjà dit dans le chapitre consacré à la position des pronoms atones (page 39), le comportement des dérivés de ĭbī et inde en castillan, aragonais et catalan. De la différence de comportement de ces dérivés, appelés complementos pronominalo-adverbiales, il a déduit un autre facteur, non présenté par Edwin B. Place, qui aurait contribué à la disparition de y, à savoir la poca variedad en los sentidos con que eran usados los complementos408.

Là encore, il nous semble que «la poca variedad en los sentidos» se rapporte en réalité aux sens et aux fonctions syntaxiques de y.

406 Carlos E. Sánchez Lancis, «The Evolutions...», op. cit., p. 116.

407 Carlos E. Sánchez Lancis, «Sobre la pérdida del adverbio medieval...», op. cit., p. 56.

408 Antonio Mª Badía Margarit, op. cit., p. 130.

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Elisabeth Douvier a étudié El Libro de la Montería dont on conserve sept manuscrits qui s'étalent sur une période relativement longue. Elle a examiné, en particulier, l'évolution de y, essentiellement par rapport à la forme impersonnelle hay. Selon cet auteur, la forme y, indépendante, perd de son autonomie en fusionnant avec la forme verbale ha, pour devenir un suffixe verbal en hay.

La disparition de y, selon elle, peut avoir deux causes :

1) l'incompatibilité qui s'établit entre ce signe et la forme verbale HAY. Malheureusement Elisabeth Douvier se limite, pour toute argumentation, à exposer les faits constatés :

Puisque l'expression HAY refuse l'adjonction d'un second Y qui lui, occuperait une fonction de pronom anaphorique, nous disons qu'il y a une incompatibilité entre l'impersonnel HABER et l'anaphorique Y. Et fait remarquable, cette même incompatibilité subsiste lorsque HABER est employé à un autre temps et à un autre mode et provoque l'éviction de Y409

2) sa collision avec la conjonction Y qui cesse d'être tolérée.

De plus, Y occupe dans toutes ces constructions la place du complément circonstanciel qui suit normalement le verbe : se trouvant ainsi à la fin de la phrase, il entre en collision avec la conjonction 'τ' qui introduit la suivante. Dans l'état de langue final, cette rencontre de l'adverbe Y et de la conjonction qui est souvent orthographiée comme lui cesse d'être toléré : Y se voit donc éliminé et remplacé par d'autres formes.

Dieter Wanner, par ailleurs, comme Elisabet Douvier, pense que l'emploi croissant de la conjonction de coordination y a pu a créer des confusions et contribuer à sa disparition.

Il nous est difficile de comprendre pourquoi l'adverbe pronominal locatif y placé derrière le verbe et précédant la conjonction copulative -τ- aurait posé des problèmes d'ordre euphonique comme affirme Elisabeth Douvier. Nous avons, en effet, l'exemple du catalan où la conjonction de coordination i et le pronom hi se cotoient sans aucune difficulté et il n'y a aucun inconvénient à tenir le dialogue suivant, tiré de la vie quotidienne :

- vine al garatge (viens au garage)

- tanco la porta i hi baixo de seguida (je ferme la porte et j'y descends tout de suite).

Par ailleurs, on peut citer Rafael Cano Aguilar qui, dans son Historia de la lengua española, ne fournit aucune explication sur la disparition de y et ende, mais souligne la coïncidence de la disparition du pronom y vers la fin du XVe siècle et le remplacement de ha, expression de l'existence, par hay dont le y final semble représenter l'adverbe pronominal y.

La desaparición de y coincide, sintomáticamente, con la sustitución de ha, como expresión verbal de la existencia, por hay, cuya -y final parece representar el adverbio pronominal.

[...] Ende desaparece de la lengua elaborada en la segunda mitad de la centuria, manteniéndose, sin embargo en el habla popular.410

409 Elisabeth Douvier, op. cit., p. 42.

410 Rafael Cano Aguilar, op. cit., p. 618.

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Enfin, on observe que la disparition de y n'est pas un fait isolé puisque ende, comme on l'a déjà dit, a lui aussi disparu. Chronologiquement, la disparition du premier est antérieure à celle du second. De fait, c'est pour cette raison, selon Joan Corominas, que ende a été employé avec le sens de y, allí.

la desaparición de ende fue algo posterior a la de í: de ahí que ciertos autores y mss. tardíos empleen también ende, como sustituto de i, con el significado de 'allí'.411

Ce même auteur signale que Berceo évite l'emploi de y «a veces suprimiéndolo y otras veces cambiándolo por ende»412.

Mais Rufino José Cuervo, dans son Diccionario de construcción y régimen de la lengua castellana, donne pour ende, sans restriction d'époque ni d'auteur, les sens de allí, en aquel lugar et de ahí. Gabrielle Le Tallec, enfin, dans «Étude syntactico-sémantique de la particule espagnole ende : diachronie d’une disparition», présente quelques exemples qui prouvent que ende pouvait déjà être exploité de la sorte avant la disparition de y.

Y et ende ont donc un point en commun : la capacité à référer à un lieu précédemment évoqué dans le discours. Ils sont tous les deux anaphoriques. Ce qui les différencie est, selon Gabrielle Le Tallec, que ende «rappelle en même temps le lieu et l’ensemble qui s’y trouve, ce que y est inapte à faire»413, l'ensemble étant considéré comme un tout dont on extrait une partie. D'après Gabrielle Le Tallec, ende a pu avoir cet emploi parce que dende, création nouvelle et donc postérieure, pouvait exprimer la provenance, laissant à ende la capacité de rappeler un lieu fixe.

Elle illustre ses propos avec l'exemple suivant :

93) Fue la batalla e vinieron los de Israel a los de Syria e mataron ent mil omnes e los otros fuyeron a la cibdat, ad Afech, e cayo el muro de la cibdat sobrellos e mato ent mil omnes.

La Fazienda de Ultramar, p.127

Selon cette auteur, on pourrait remplacer ende par y et on obtiendrait cayo el muro de la cibdat e mato y mil omnes. Mais on ne dirait pas les mêmes choses :

En réalité, la différence est très nette entre mato y qui montre l’endroit où furent tués les hommes et mato ende qui, tout en rappelant le lieu du combat, lui associe un ensemble dont sont tirées les mille victimes. Ende, du fait de son aptitude à dire une anaphore diffuse, rappelle en même temps le lieu et l’ensemble qui s’y trouve, ce que y est inapte à faire.414

Suivant l'étymologie latine, à ende provenant de inde correspondait le sens de provenance de allí et à y provenant de ĭbī correspondait allí. Selon cette logique, cette belle équation se met en place, en roman, ende associé à des verbes exprimant le mouvement et y à des verbes exprimant le statisme. Mais on a vu, et ce depuis les origines de la langue, que ende

411 Joan Corominas, José Antonio Pascual, op. cit., s. v. ende.

412 Ibid.

413 Gabrielle Le Tallec, Étude syntactico-sémantique de la particule espagnole ende : Diachronie d'une disparition, thèse, 1999, Paris, p. 92-93.

414 Ibid., p. 92.

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pouvait également être associé à des verbes non dynamiques et y à des verbes de mouvement.

C'est de cette association et du co-texte en général, que ende et y prennent soit un sens de mouvement, de direction ou de provenance, soit un sens statique. Afin d'augmenter les capacités de ende, la langue crée des formes dérivées telles que : desend(e), dend(e) déjà mentionné et sa variante dent, et propose d'autres combinaisons comme por ende, foras end(e).

Comme on l'a vu dans le chapitre II.1.1. «Quatre types de relation locative» (page 60), on observe pour y le même phénomène avec la création de desi, por i (fusionné pori) et la combinaison avec d'autres prépositions.

Nous voyons dans cette tentative d'accroissement des formes la manifestation de la recherche d'une nouvelle façon d'exprimer la représentation spatiale plus en accord avec la manière de concevoir le monde de l'époque.

En effet, parallèlement à ende et y, le locuteur médiéval avait à sa disposition le système des déictiques aquí, acá, allí et allá, aquende, allende et acullá, enrichi à partir du XIIIe siècle de ahí. La différence entre les deux systèmes est que dans le premier les formes ende et y qui le constituent sont anaphoriques et ne font que rappeler un lieu déjà mentionné, ou se contentent de rappeler «du déjà pensé», selon les termes de Garielle Le Tallec. Par conséquent, poursuit cette linguiste :

Hésiter entre poser ende = allí ou ende = de allí n’est pas pertinent, puisque dans les deux cas ende se contente de rappeler du déjà pensé.415

De même, nous verrons dans le chapitre IV. 2.2. «Remplacement de y dans la langue moderne» (page 135) que poser y = ahí ou y = allí n'est pas non plus pertinent, car y signifie l'espace dans son entier, indivis et sans distinction de distance. En revanche le système déictique représente l'espace divisible par rapport au locuteur, point que nous avons développé dans le chapitre III «Approches du signifié de y à travers son signifiant et sa relation avec la personne».

Les deux systèmes s'opposent donc parce que chacun d'eux incorpore une façon différente de concevoir l'espace.