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Remplacement de y dans la langue moderne

III Approches du signifié de y à travers son signifiant et sa relation avec la personne

IV. Hypothèses de travail

1. LE SYSTÈME DES DÉICTIQUES ADVERBIAUX PAR RAPPORT À Y

2.2. Remplacement de y dans la langue moderne

2.2.1. Y est remplacé par aquí

Voici quelques exemples de la langue ancienne dans une transcription desquels, en espagnol moderne, y serait remplacé par aquí. Certes, de tels exemples ne sont pas nombreux étant donné les conditions de dialogue requises, peu fréquentes dans des ouvrages de narration historique, chroniques ou poèmes :

98) E tannio sobre mi boca e dixom : "He tannio sobre tuyos labros e redro to delecto e to peccado fue mondo". E oy voz del Sennor dizient : "A quien trametré o quien nos yra?" E diz : "Hem y e trametme, Sennor".

La Fazienda de Ultramar, p.162, 23

Dans cet exemple, le locuteur se présente devant Dieu et lui dit «Hem y» ce qui en espagnol moderne donnerait «Heme aquí». Y n'est autre qu'une déclaration de l'espace général : je suis quelque part, je suis là d'où je te parle. C'est le co-texte qui nous fait identifier y à l'espace du locuteur.

99) Quando el alcalde cuydó quel dava los quinientos maravedís, dixo a las gentes que ý estavan : -Amigos, ¡quién vio nunca que menguasse soga para enforcar omne! Çiertamente este omne non es culpado, et Dios non quiere que muera et por esso nos mengua la soga.;

136 mas tengámoslo fasta cras, et veremos más en este fecho, ca si culpado es, ý se finca para complir cras la iusticia.

El conde Lucanor, p. 237

Ici, nous sommes en présence de deux formes y. Le contexte va nous indiquer à quelle position spatiale y pourrait être associé. En ce qui concerne la première, y fait référence à un espace qui pourrait être identifié comme le lieu de la scène, loin du narrateur qui, dans ce texte, reste extérieur aux événements narrés. La seconde, en revanche, fait référence à l'espace où le locuteur qui est «l'alcalde» se trouve au moment de la prise de parole et y, dans ce cas, pourrait être remplacé par aquí. C'est donc bien le référent qui indique la distance par rapport au narrateur et au locuteur, pas y. Y ne fait que relier le verbe avec le référent, sans autre indication. C'est le référent qui représente le monde réel, pas y.

100) A don Tello plogo mucho de aquesto que Diego Perez Machuca dixo, et dixol don Tello : "Diego Perez Machuca, uos fablaste a mi voluntad et dixiestes commo buen cauallero, et gradescouos mucho quanto y dixiestes. Et los que lo assi quisieren fazer commo uos dixiestes, faran su derecho et lo que deuen asy commo buenos caualleros fijos dalgo ;

Primera crónica general, p. 738, 40

Dans ce dernier exemple, enfin, y pourrait être remplacé par aquí ou ahora ou bien ne pas être remplacé. Comme dans les exemples précédents, c'est le co-texte qui apporte les éléments manquants à une compréhension affinée de l'énoncé. Dans le cas présent, y peut être interprété comme faisant référence à une notion temporelle : ahora, en este momento ou lo que acabas de decir (y, dans ce cas, ferait référence à la notion temporelle contenue dans la forme verbale 'acabas de decir') ou à une notion spatiale aquí, 'là où nous sommes'.

2.2.2. Y est remplacé par ahí

Pour illustrer le remplacement de y par ahí, nous avons choisi deux exemples dans le libro de Calila e Digna en comparant les passages homologues des manuscrits A (du XIVe siècle) et B (du XVe siècle)423 :

101) -Dizen que un leon estava en un valle çerca del camino, e avia tres vasallos, el lobo, e el abnue, e el cuervo. E pasaron por y unos mercadores, e dexaron y un camello, e el camello entro al valle fasta que llego al leon. Dixo el leon : "¿Quien te metio aqui?" Dixo el camello su fazienda.

El Libro de Calila e Digna, manuscrit A, p. 96, 1447 102) -Dizen que un leon estava en un valle, e avia tres vasallos, un lobo, e un cuervo e un lobo çerval. E pasaron por ay unos mercaderos, e dexaron un camello cansado, e el camello

423 Étant donné que le choix d'une forme plutôt qu'une autre est le fait du locuteur, nous présentons des exemples où pour le même fragment, le locuteur du XVe siècle se démarque de celui du XIVe siècle. Les formes retenues ont été pour le manuscrit A, le plus ancien, y, et pour le manuscrit B, ahí.

137 entro en el valle fasta que llego adonde estava el leon. E dixo el leon : "¿Quien te metyo aqui?" E dixo el camello su fazienda.

El Libro de Calila e Digna, manuscrit B, p. 96, 1713

Ici, les deux formes y font référence à un valle çerca del camino, c'est-à-dire que y met en relation pasaron et un valle çerca del camino. Il est à noter que la seconde forme y n'a pas été remplacée, mais le co-texte nous indique que les marchands laissent le chameau en el valle par où ils sont passés. Le choix de ahí indique qu'il s'agit d'un lieu que le locuteur, en l'occurrence le narrateur, ne détermine pas comme faisant partie de sa sphère et, en dehors de sa sphère, un lieu indéterminé, quelque part en el valle.

Dans l'exemple suivant, un religieux achète pour deux maravedis, les seuls qui lui restaient, un couple de pigeons, en triste état, avec l'intention de les libérer. Comme il n'a pas d'argent, il se demande comment il va pouvoir nourrir ces deux oiseaux en attendant qu'ils se fortifient. Mais les pigeons le conduisent hors de la ville vers un arbre dont ils commencent à picoter les racines.

103) e cave con una vara en aquel lugar do ellas picavan, e falle y una jarra llena de maravedis ; e descobrila e vy lo que y avia, e entendy que non lo avian (fecho) synon por me gualardonar lo que les fiziera.

El Libro de Calila e Digna, manuscrit A, p. 345, 5781 104) E yo començe a cavar en aquel lugar do ellas pycavan, e falle ay una jarra llena de marevedys ; e quando la ove descubierta e ove fallado lo que en ella yazia, entendy que lo non fezieran synon por me galardonar lo que les yo fiziera.

El Libro de Calila e Digna, manuscrit B, p. 345, 5784

Ici, les deux occurrences de y figurant dans le manuscrit A ont été remplacées dans le manuscrit B, la première par ay et la seconde par en ella. La première forme y met en relation falle avec en aquel lugar do ellas picavan, la seconde forme relie avia avec una jarra.

Dans ces exemples, y, comme il a été dit à de nombreuses reprises, ne désigne aucun lieu concret, ce sont les mentions en aquel lugar do ellas picavan et una jarra qui nous précisent les lieux dans lequels l'opération verbale prend effet. Le même mécanisme peut être constaté dans l'exemple précédent où y met en relation pasaron avec un valle çerca del camino.

On peut appliquer le même raisonnement, à savoir que le locuteur, en décrivant la scène, le fait par rapport à lui au moment de l'énonciation. L'emploi du passé et de aquel indiquent que les faits sont antérieurs au moment de la prise de parole et que le locuteur ne se trouve plus sur le lieu de la scène. Du coup, aquí est exclu. Entre ahí et allí, le locuteur a choisi de dire ahí, lieu non déterminé, quelque part où les pigeons picoraient, d'où aquí et allí sont exlus.

2.2.3. Y est remplacé par allí

Pour illustrer le remplacement de y par allí, nous avons choisi également deux exemples dans El Libro de Calila e Digna en comparant les passages homologues des

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manuscrits A et B424. Le premier exemple, ci-dessous, présente deux occurrences dont les référents contextuels sont respectivement : un lugar de caça et un arbol grande.

105) Dizen que en tierra de Duzat, çerca de una çibdat que dezian Muzne, avia un lugar de caça, do caçavan los paxareros ; e avia y un arbol grande, de muchas rramas e muy espesas, e avia y un nido de un cuervo que dezian Geba.

El Libro de Calila e Digna, manuscrit A, p. 166, 2489 106) Dizen que avia en una tierra çerca de una çibdat un lugar de caçar donde se caçavan los paxaros e las aves ; e avia ally un arvol muy grande e espeso con muchos rramos en lo qual un cuervo que dezian Geba tenia su nido.

El Libro de Calila e Digna, manuscrit B, p. 166, 2772

La première occurrence a été remplacée par ally et la seconde par en lo qual. Le premier y met en relation un lugar de caça avec avia et le second un arbol grande avec la seconde forme verbale avia. Le co-texte nous indique que ce lieu de chasse se trouve loin du narrateur-locuteur. Dans les deux cas y relie une mention qui désigne un lieu concret et singulier, un lugar de caça et un arbol grande avec le verbe. Comme dans les autres exemples, y ne désigne pas directement un lieu. Y ne dit rien par rapport au locuteur. En revanche ally déclare par lui-même un espace dissocié du locuteur.

Un roi récupère le royaume qu'il avait perdu et d'où son frère jaloux et ambitieux l'avait chassé. Une fois remonté sur le trône, il fait venir tous les hommes importants de la ville et leur fait un discours.

107) E levantose un omne bueno rreligioso de los que el rrey mandara y venir, e dixole : El Libro de Calila e Digna, manuscrit A, p. 343, 5741

108) E entonçe levantose un rrico ome que fazie vida de rreligioso de aquellos que el rey mandara ally venir e dixo :

El Libro de Calila e Digna, manuscrit B, p 343, 5743

Ici l'espace concret auquel y fait référence n'est pas mentionné mais le co-texte nous fait comprendre que c'est le lieu où ils sont réunis : celui dans lequel se déroule la scène.

Ainsi donc y diffère du système déictique parce que ce dernier traduit une représentation de l'espace qui comporte deux notions : l'espace est divisible et il l'est par rapport au locuteur, alors que y traduit une représentation de l'espace indivis et partant sans référence égocentrique. La façon de référer est par conséquent différente. L'axe de référence dans le premier cas est le locuteur, alors que dans le second cas il n'y a pas de repère. D'où, le fait, comme le dit Gabrielle Le Tallec, que «les déictiques offrent un repérage immédiat, direct, c’est-à-dire directement lié à la figure du locuteur. Y propose un autre type de repérage pour l’expression d’un espace singulier : un repérage d’énoncé, donc indirect, médiat.[...] Le

424 Nous faisons la même réflexion que pour le choix de y / ahí, sauf que dans les exemples présentés, les formes choisies par le locuteur sont y pour le manuscrit ancien et ally pour le manuscrit du XVe siècle.

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repérage qui s’ensuit n’est donc pas de nature déictique mais syntaxique, interne à l’énoncé»425.

Entre ces deux systèmes de conception de l'espace la langue a fait un choix et à la fin du Moyen Âge le second s'est imposé, obligeant le premier à disparaître. C'est ce qui se produit à la fin du XVe siècle, et plus aucun verbe n'apparaît associé à y. Les possibilités d'expression à la place de y sont diverses et font appel, d'une part, au système des déictiques de lieu, mais aussi à des syntagmes avec une préposition, ou encore l'absence de mention locative comme dans les exemples 98 à 108, présentés précédemment.

Dans un autre ordre d'idées, et pour en finir avec la question du remplacement, il nous paraît important de préciser tout d'abord que ledit remplacement intervient après une longue période d'alternance où les formes aquí, ahí et allí, ainsi que acá et allá, sont en compétition avec y, parfois dans les mêmes co-textes, mais que le fait d'être en compétition ne signifie en aucune façon qu'elles soient équivalentes. C'est ce que dit Marie-France Delport dans Deux verbes espagnols : Haber et tener, étude lexico-syntaxique. Perspective historique et comparative :

On résumera en disant qu'on n'attendra jamais ici de la commutation d'autres renseignements que ceux qui permettent de dessiner la singularité de l'élément linguistique considéré. Ce qu'en revanche on juge illégitime d'en inférer, c'est une quelconque équivalence, totale ou partielle, entre des élémemts susceptibles de commuter entre eux.426