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III Approches du signifié de y à travers son signifiant et sa relation avec la personne

3. L'ADVERBE DE LIEU DÉICTIQUE ET LE SYSTEME DE LA PERSONNE

3.3. Dans les travaux linguistiques

3.3.3. Carlos E. Sánchez Lancis

Carlos E. Sánchez Lancis signale, dans un premier temps, un système déictique adverbial binaire propre aux XIIe et XIIIe siècles puis, dans un deuxième temps, avec la création romane de ahí, il indique que ce sytème devient ternaire :

During the 12th and 13th centuries, the space locative pronominal adverbs contrasted in only one feature, which distinguished "place near the speaker" (Aquí, acá) from "place distant from the speaker" (allí, ý, ende, allá). [...] Firstly, the opposition among the different space locative pronominal adverbs stopped being a two-member relation (proximity / distance) and turned into a three-member relation (proximity to speaker / proximity to listener / non proximity to speaker and listener or distance.379

Quelques années auparavant, dans «Conexiones entre el sistema deíctico espacial y el sistema deíctico temporal en español medieval», Carlos E. Sánchez Lancis avait déjà associé les adverbes pronominaux locatifs aux autres systèmes déictiques (de la personne et temporel) car : «[Estos adverbios pronominales] reciben el nombre de indiciales de campo, ya que expresan el lugar en relación con los tres campos de referencia en el discurso»380.

Nous ne pensons pas que le pronom adverbial y puisse être considéré comme désignant l'éloignement par rapport au locuteur, pour la simple raison que ce pronom n'exprime pas de distance : ni proximité ni éloignement. À cet égard il est pertinent de rappeler les propos d'Antonio Mª Badía Margarit : «Los dos adverbios mencionados [hic et ibi] pasaron desde el latín vulgar a indicar una referencia locativa sin precisar concretamente proximidad o lejanía»381.

378 Pedro Carbonero Cano, op. cit., p. 41, § 2.1.3.2.

379 Carlos E. Sánchez Lancis, «The Evolutions...», op. cit., p. 103-104.

380 Carlos E. Sánchez Lancis, «Conexiones...», op. cit., p. 385.

381 Antonio Mª Badía Margarit, «Sobre "ibi" et "inde"...», op. cit., p. 63. À noter que cette citation apparaît déjà dans le chapitre I, 2.1.4. Antonio Mª Badía Margarit et Daniel Gazdaru, p. 17.

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Quant au lien entre le système spatial et le système temporel, Carlos E. Sánchez Lancis s'appuie sur la notion du présent spatial, développée par Maurice Molho et Pedro Carbonero Cano quelques années auparavant : «Por una parte, aquí, debido a su proximidad al hablante, al yo, pasa a designar el momento presente, con el sentido de 'ahora', 'en este momento'»382.

Par opposition : «allí en contraposición con aquí, y debido a su no relación con los interlocutores del discurso, ya que indica el campo referencial no próximo al hablante ni al oyente, pasa a significar lo inactual, 'entonces' (opuesto a lo actual, 'ahora')»383.

3.3.4. Maurice Molho

En ce qui concerne le lien entre le système déictique adverbial et le système de la personne, Maurice Molho met en garde contre la tentation, induite par des emplois discursifs hâtivement interprétés, de mettre en rapport le système des déictiques adverbiaux avec celui des démonstratifs et avec celui de la personne. En effet, «le système [déictique adverbial] n'est en rapport avec celui de la personne qu'en vertu du seul contraste moi / non-moi»384. C'est, en effet, ce que la lecture du signifiant nous montre. Aquí et allí sont les formes marquées qui représentent le MOI et le non-MOI respectivement, mais ahí est dépourvue d'une quelconque marque. C'est pourquoi l'égalité ahí = ese = tú n'est pas pertinente385. D'ailleurs nous avons constaté déjà à plusieurs reprises que ahí peut représenter l'espace occupé par l'allocutaire aussi bien qu'un lieu, dans un espace indéterminé et général.

3.3.5. Jack Schmidely

Pour Jack Schmidely, l'espace est divisé en deux zones par le locuteur. D'une part, la zone où celui-ci se trouve (quelles que soient son extension et sa précision) et dont il est le point de repère et, d'autre part, par opposition, le reste de l'espace. Cette conception binaire de l'espace est représentée par deux sous-systèmes : acá ~ allá et aquende ~ allende. À cette binarité vient s'ajouter une division ternaire révélée par aquí, ahí, allí. Aquí, de même racine que acá, désigne la zone du locuteur, allí, de même racine que allá, la zone du non-MOI. La difficulté, on le voit bien, est alors de dire ce que déclare ahí. Jack Schmidely, reprenant à son compte la thèse de Patrick Charaudeau, qui «rattache directement [...] le système des démonstratifs en espagnol aux conditions de la communication où sont impliqués un locuteur et un auditeur»386, postule que le locuteur et l'allocutaire partagent un même espace lors de l'acte de communication. La conception de l'espace reste inchangée puisqu'en fait la zone du

MOI englobe celle de l'allocutaire, sauf lorsque le locuteur tient expressément à discriminer la zone de l'allocutaire, et qu'à ce moment là, il la signifie par ahí. Autrement dit, ahí sert à la localisation de l'allocutaire par rapport au locuteur, à l'intérieur de la zone du MOI en quelque sorte. Mis à part le fait que nous ne partageons pas cette thèse pour les raisons que nous avons déjà indiquées plus haut, Jack Schmidely lui-même se contredit, car en soulignant «le caractère éminemment ambigu de la zone declarée par ahí, tantôt prise sur la zone de aquí, tantôt

382 Carlos E. Sánchez Lancis, op. cit., p. 387.

383 Ibid., p. 388.

384 Maurice Molho, op. cit., p. 113.

385 Ibid.

386 Jack Schmidely, op. cit., p. 239.

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empiétant sur celle de allí»387, il finit par rejoindre l'hypothèse de Maurice Molho de 1969 selon laquelle ahí appartient à l'une et l'autre zones.

3.3.6. Antonio Mª Badía Margarit

Antonio Mª Badía Margarit, enfin, constate que chacune des langues romanes a conçu différemment le système des adverbes spatiaux à partir de l'héritage latin commun. Ainsi la plupart des langues romanes ont réduit le système initial latin qui était composé de trois termes hīc, iste et ille à un sytème à deux termes : l'un de proximité (hīc et iste) et l'autre d'éloignement (ille). C'est le cas de toutes les langues romanes à l'exception des langues de la péninsule Ibérique, de la Sicile et du Sud de l'Italie. Le système des démonstratifs ainsi que celui des adverbes déictiques locatifs est en étroite relation avec le système de la personne, d'autant plus étroite en ce qui concerne le castillan, langue qui nous occupe ici, que ce dernier a maintenu les trois termes de la démonstration. Le catalan, dans un premier temps, a conservé les trois termes : aquest, aqueix, aquell pour les démonstratifs et aci, aqui, et allá ou allí pour les déictiques adverbiaux. Le catalan moderne, en revanche, n'a plus que aquest et aquell dans le système des démonstratifs et aqui et allá ou allí dans le systèmes des deictiques adverbiaux.

Les premières formes de chaque série, aquest et aquí, y expriment la proximité et les autres formes, aquell, allá ou allí expriment l'éloignement. Selon Antonio Mª Badía Margarit, le choix entre des représentations spatiales à deux ou à trois termes entraînerait des conséquences dans la façon de résoudre plusieurs constructions grammaticales, et conditionnerait, en particulier, l'emploi des verbes ir et venir en castillan et anar et venir en catalan. Ir et anar expriment le "mouvement" de préférence avec un sens d'éloignement par rapport au locuteur et le verbe venir castillan et catalan indique fondamentalement un "mouvement" vers le locuteur.

Mais lorsque le terme du mouvement est l'allocutaire, le choix des verbes diffère d'une langue à l'autre. Le castillan a imposé le verbe ir pour exprimer le mouvement directionnel vers l'allocutaire et le verbe venir pour exprimer le mouvement directionnel vers le locuteur.

3.4. Synthèse

Ce chapitre montre l'évolution des grammaires par rapport à l'adverbe, en particulier à l'adverbe de lieu et subséquemment le rapport au système de la personne. Depuis Antonio de Nebrija en 1492 jusqu'à Vicente Salvá en 1831 et Andrés Bello en 1847, toutes les grammaires sont conçues comme une série de règles pour bien parler la langue. En ce qui concerne l'adverbe de lieu, ces grammaires se contentent de proposer une liste. Lorsqu'elles sont écrites par un auteur étranger, en général il s'agit d'ouvrages destinés à l'apprentissage de l'espagnol par des étrangers et les auteurs présentent la liste des adverbes avec la traduction dans leurs langues respectives.

Vicente Salvá et Andrés Bello marquent une rupture par rapport à la ligne traditionnelle, en ce sens que leurs grammaires sont inspirées par la façon dont les locuteurs parlent vraiment et non pas par la façon dont ils devraient parler. Elles sont basées sur l'usage, et non sur la norme. Néanmoins, en ce qui concerne l'adverbe de lieu, la plupart des

387 Jack Schmidely, op. cit., p. 243.

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grammaires de cette époque qui va du XIXe siècle jusqu'au dernier quart du XXe siècle, se limitent à donner une liste.

Les grammaires récentes, au contraire des précédentes, apportent une réflexion de plus en plus pénétrante sur l'adverbe de lieu. Ainsi, mis à part celle d'Emilio Alarcos, qui analyse l'adverbe de lieu d'un point de vue strictement syntaxique, les autres grammaires que nous avons présentées ici associent le système déictique indéclinable soit au système des déclinables soit au système de la personne, soit encore aux deux systèmes. Luis Eguren reconnaît un net parallélisme entre les trois systèmes déictiques, mais fait remarquer néanmoins que ahí ne peut être associé à la personne 2 que dans des situations particulières. Manuel Alvar et Bernard Pottier ou Federico Hanssen, en revanche, ne soulignent que la relation des déictiques indéclinables avec le système de la personne. Quant à José Mª Miguel García, il distingue deux zones spatiales par rapport au locuteur, indiquant respectivement proximité ou éloignement, et par ailleurs il constate une nette corrélation avec le système des déictiques déclinables.

Quant aux auteurs des ouvrages monographiques, ils associent le système déictique indéclinable au système des déclinables et au système de la personne. C'est ce que font par exemple Mª Ángeles Alvárez ou Antonio Meilán, lequel se contredit néanmoins en remarquant que ahí et ese ne peuvent pas être liés exclusivement à la personne 2. C'est ce que fait aussi Pedro Carbonero Cano qui, partant de la description d'un espace divisé en deux zones, celle du

MOI, espace du locuteur, et celle du non-MOI, espace dont le locuteur est exclu, obtient, par une seconde partition de la zone du non-MOI, un espace tripartite où il loge les personnes grammaticales. C'est ce que fait encore Carlos E. Sánchez Lancis pour qui, au XIIe et XIIIe siècles, l'espace est divisé en deux zones, désignant la proximité et l'éloignement par rapport au locuteur, avant de devenir tripartite avec la création romane de ahí : une zone proche du locuteur, une deuxième zone proche de l'allocutaire et une autre enfin, loin du locuteur et de l'allocutaire.

Maurice Molho, en 1969, élabore une théorie selon laquelle l'espace se divise en deux zones : la zone du MOI, représentée par aquí, et la zone du non-MOI, représentée par allí, la limite séparatrice constituant un seuil transitionnel, une sorte de zone intermédiaire où Maurice Molho loge ahí. Puis, en 1992, il corrige cette représentation qui avait été vivement critiquée, en particulier à propos de la zone intermédiaire, en décrétant que ahí ne désigne plus aucune zone particulière, intermédiaire ou non. Il postule alors la représentation d'un espace indéterminé désigné par ahí, dans lequel, d'une part, aquí opère une détermination déclarant la zone du MOI, et d'autre part allí opère une autre détermination déclarant la zone du non-MOI. Nous souscrivons pleinement à cette description qui, par ailleurs, est corroborée par la lecture des signifiants. En effet, ahí est un morphème sans marque, aquí et allí, en revanche, sont des morphèmes marqués, allí par –λ– qui est le signifiant de la personne troisième et, s'opposant à allí, aquí est marqué par aq-, marque et signifiant de la personne première. D'où il s'ensuit que ahí, forme dépourvue de marque, ne peut en aucun cas signifier la personne deuxième, contrairement à aquí et à allí qui, comme Maurice Molho l'a démontré, représentent respectivement l'espace du locuteur, donc de la personne première et celui de la personne troisième.

Jack Schmidely, conçoit l'espace divisé en deux zones, l'une occupée par le locuteur, l'autre par tout le reste. Cela convient tout à fait en ce qui concerne les sous-systèmes acá / allá et aquende / allende. En revanche, la description du sous-système ternaire aquí, ahí, allí reste

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un peu confuse. En effet, cet auteur affirme que le locuteur et l'allocutaire partagent un même espace lors d'un acte de communication, celui du locuteur, donc du MOI. Toutefois, ajoute-t-il, lorsque le locuteur veut discriminer l'espace de l'allocutaire, il emploiera ahí, et donc l'allocutaire tantôt se trouvera dans la zone du MOI, tantôt dans la zone du non-MOI. De ce fait ahí qui, selon Jack Schmidely sert à la localisation de l'allocutaire, désigne un espace tantôt dans la zone du MOI, tantôt dans la zone du non-MOI.

Antonio Mª Badía Margarit enfin, établit une relation d'égalité entre les systèmes déictiques (déclinables et indéclinables) et le système de la personne (évidence qui s'inscrit dans l'héritage latin). Pour cet auteur, cette relation d'égalité est un postulat sur lequel il s'appuie pour dire que le fait qu'une langue ait conçu un système déictique spatial à deux termes, comme le catalan, à la différence du castillan dont le système déictique spatial est ternaire, entraîne des conséquences dans les emplois des verbes de mouvement ir et venir castillans et anar et venir catalans. Le système castillan à trois termes aquí, ahí, allí, clairement lié à celui de la personne aquí = yo, ahí = tú, allí = él, a circonscrit l'emploi du verbe ir pour exprimer un mouvement d'éloignement par rapport au locuteur et du verbe venir pour exprimer un mouvement vers le locuteur. Le système catalan, en revanche, comprend seulement deux termes désignant l'un la proximité, aquest ou ací (aquí en catalan moderne), l'autre l'éloignement, aquell ou alla / alli, par rapport au locuteur. De ce fait, ce système ne dispose pas d'une position équivalente à ahí liée à la personne deuxième, d'où il résulte que le locuteur et l'allocutaire partagent un même espace lors de l'acte d'interlocution, l'espace de la proximité, c'est-à-dire du MOI. Subséquemment, le catalan emploie le verbe venir pour exprimer un mouvement vers le locuteur (comme le castillan), mais également pour exprimer un mouvement vers l'allocutaire – puisque l'allocutaire partage l'espace du locuteur.

Bien que cette théorie s'éloigne du sujet de notre recherche, nous considérons qu'elle mérite une mention pour le rapport qui, selon Antonio Mª Badía Margarit, s'établit entre le sytème de la personne et le système déictique adverbial..

Des différentes théories exposées ci-dessus, nous constatons que toutes, à l'exception de celle de Maurice Molho (celle de 1992), et de la Real Academia Española (2009) prônent l'équivalence entre le système des déictiques déclinables, celui des indéclinables et celui de la personne :

yo = aquí = este tú = ahí = ese él, = allí = aquel

Nous constatons également que toutes, à l'exception de celle de Maurice Molho, ont des difficultés à rendre compte de tous les emplois discursifs de ahí. Car, nous l'avons vu, c'est ahí qui soulève des difficultés. Ahí et ese. Amélie Piel, dans la thèse que nous avons déjà mentionnée, arrive à la même conclusion en ce qui concerne ese : «ese, contrairement à ce qui est affirmé, ne sert pas exclusivement à référer à la personne de l’allocutaire ou à ce qui lui appartient»388. Justino Gracia Barrón et Amélie Piel dans leur article «Sémiologie de l'existant : est-, es-, aquel-» réitèrent cette position : «Il se pourrait que la distribution sur la base de la personne de rang 1, 2, ou 3, à laquelle nos formes sont censées se livrer, ne soit, au bout du

388 Amélie Piel, op. cit., p. 52.

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compte, qu'un effet de sens, fréquent certes, mais non systémique»389. Rappelons ici, que Maurice Molho avait dénoncé le caractère superficiel et trompeur de cette relation : «le système [déictique adverbial] n'est en rapport avec celui de la personne qu'en vertu du seul contraste moi/non-moi»390. Autrement dit, ce n'est pas parce que aquí est associé à la zone du

MOI, c'est-à-dire au locuteur ou la personne de rang 1 et allí à la zone du non-MOI, c'est-à-dire à la personne de rang 3, que cela autorise l'équivalence tú = ahí, bien qu'effectivement ahí puisse référer à l'espace de l'allocutaire ou personne de rang 2.

Il nous paraît donc difficile d'accepter la mise en relation exclusive entre ces différents systèmes déictiques, aussi séduisante soit-elle, que les grammairiens et linguistes ont proposé ou continuent de proposer pour la plupart.