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Chapitre 2 Dispositions de l’apprenant adulte

2.3. Les interactions sociales

2.3.2. Interactions sociales et théories d’apprentissage

2.3.2.5. La théorie sociocognitive de Bandura

Les recherches menées par Bandura sur l’apprentissage l’ont amené à prendre

ses distances avec le béhaviorisme et avec la théorie comportementaliste de

l’apprentissage par essais et erreurs. Bandura trouve l’idée d’un apprentissage par essais

et erreurs réductrice et dangereuse en donnant l’exemple du pilotage d’un avion.

Bandura s’intéresse à d’autres concepts tels qu’attitudes, attentes et croyances, et

souligne l’influence des facteurs sociaux et culturels sur l’apprentissage. En 1977, il

qualifie sa position de cognitivisme social et publie un livre (Social Learning Theory)

où il développe une théorie sur l’apprentissage social. Cette théorie décrit l’habileté de

l’être humain à acquérir des compétences et des connaissances par observation active

qui diffère du mimétisme et qui court-circuite l’apprentissage par essais et erreurs :

« The capacity to learn by observation enables people to acquire rules for

generating and regulating behavioral patterns without having to form them

gradually by tedious trial and error. The abbreviation of the acquisition process

through observational learning is vital for both development and survival ».

(Bandura, 1986 : 19).

La théorie de l’apprentissage social s’appuie sur trois piliers : un processus

vicariant, un processus symbolique et un processus autorégulateur. Le « processus

vicariant » est un apprentissage par « modelage » c’est-à-dire l’individu apprend de

l’observation des actions des autres qu’il prend comme modèle dans le but de le

reproduire et même de le dépasser. Selon Carré (2004 : 17-18) :

« Il montre qu’en plus de permettre l’acquisition d’une nouvelle compétence, le

modelage influence la motivation en instillant des attentes de résultat nouvelles

et généralement supérieures. Ce processus peut encore entraîner des choix

émotionnels ou des modifications de systèmes de valeurs à travers l’observation

des expressions affectives des autres. Il note également que même la créativité

comprend une bonne dose de modelage : l’innovation passe par la synthèse de

découvertes préexistantes ou l’addition de nouveaux éléments à une réalité

antérieure ».

Le processus de modelage comporte quatre éléments indispensables cité par

Carré (ibid. : 26) :

- « L’attention » : elle dépend des capacités perceptives de l’observateur,

de ses attentes de ses motivations, de sa qualité visuelle, son attractivité,

son originalité, sa valeur affective, fonctionnelle ou sociale et sa

proximité.

- « La mémorisation » : organisation cognitive et capacité à stocker les

informations.

- « La reproduction » : dépend de la capacité de la personne à reproduire

avec précision ce qu’elle a vu.

- « La motivation sous forme de renforcement direct ou vicariant,

d’attentes de résultats ou de processus d’auto motivation ».

Le deuxième pilier de la théorie est le processus symbolique : c’est la capacité de

l’être humain à utiliser des symboles pour se représenter le monde qui l’entoure pour

s’adapter à son environnement, d’analyser ses propres expériences pour lui servir de

guide pour prévoir l’avenir :

« The remarkable capacity to use symbols which touches virtually every aspect

of people’s live provides them with a powerful means of altering and adapting to

their environment. Through symbols people process and transform transient

experiences into internal models that serve as guides for future action. Through

symbols they similarly give meaning, form and continuance to the experiences

they have lived through. » (Bandura, 1986 : 18).

Le troisième pilier c’est un processus autorégulateur que Bandura décrit de la

manière suivante :

« Another distinctive feature of social cognitive theory is the central role it

assigns to self-regulatory functions. People do not behave just to suit the

preferences of others. Much of their behavior is motivated and regulated by

internal standards and self-evaluative reactions to their own actions […] An act,

therefore, includes among its determinants self- produced influences » (ibid. :

20).

Ainsi par ce processus autorégulateur les individus ne se contentent pas

seulement d’observer les autres mais ils peuvent réguler leur motivation et leurs actions

en regard de leurs standards de réussite. Par l’auto-évaluation ils anticipent les

conséquences de leurs actions. L’autorégulation permet à l’apprenant de

s’autodiriger et d’influencer son environnement, ce sont les sujets qui contribuent à leur

propre motivation et à guider leurs propres actions selon Bandura :

« Self-directedness is exercised by wielding influence over the external

environment as well as enlisting self-regulatory functions. Thus by arranging

facilitative environmental conditions, recruiting cognitive guides and creating

incentives for their own efforts, people make causal contribution to their own

motivation and action ». (ibid.).

Ainsi la centralité des phénomènes cognitifs, vicariants, autorégulateurs et

autoréflexifs constitue le fondement de la théorie sociocognitive (TSC) que Bandura a

développée dans son livre « social foundations of thought and action » en 1986, et qui

deux entre le comportement de l’homme (C), sa personnalité (P) et l’environnement

(E). Bandura présente ces interactions sur le schéma ci-dessous :

Figure 6 : La réciprocité causale triadique (Bandura, [1999] Carré 2005 :116)

Carré (2004 : 32) détaille les trois lettres du modèle triadique selon Bandura

comme suit :

- P = « Les facteurs internes à la personne concernent les évènements

vécus aux plans cognitif, affectif, biologique et leurs perceptions

personnelles d’efficacité (ou de compétence), les buts cognitifs, le type

d’analyse et les réactions affectives vis-à-vis de soi-même. »

- C = « Les déterminants du comportement décrivent les patterns d’actions

effectivement réalisées et les schémas comportementaux. »

- E = « Les propriétés de l’environnement social et organisationnel, les

contraintes qu’il impose, les stimulations qu’il offre et les réactions qu’il

entraîne aux comportements représentent le déterminant

environnemental. »

Dans sa théorie sociocognitive, Bandura accorde une grande importance à

l’analyse du comportement humain en situation d’apprentissage et aux éléments

cognitifs et affectifs de la motivation. La théorie est définie par Bandura lui-même de la

manière suivante :

« Dans la théorie sociocognitive, l’agentivité humaine opère au sein d’une

structure causale interdépendante impliquant une causalité triadique réciproque.

Selon cette conception transactionnelle du soi et de la société, les facteurs

personnels internes sous formes d’évènements cognitifs, émotionnels et

biologiques, les comportements et l’environnement opèrent tous comme des

facteurs en interaction qui s’influencent réciproquement » (Bandura, 2007 :

16-17).

Ce que Bandura désigne par agentivité (agency), c’est « la capacité d’un acteur

intentionnel de sélectionner, d’élaborer et de réguler sa propre activité pour atteindre

certains résultats ». (Carré, 2005 : 116).

Bandura précise par ailleurs que « le terme causalité est utilisé ici pour souligner

la dépendance fonctionnelle entre les évènements » (Bandura, 2007:16), et que le mot

réciprocité n’indique pas que les trois groupes de facteurs ont la même influence au

même moment. « Leur influence relative peut varier selon les activités et les

circonstances » (ibid. :17). Ainsi les individus peuvent agir sur ce qu’ils font mais ils

ne sont pas les seuls instigateurs du fait que le comportement humain lui-même est

déterminé par de nombreux facteurs en interaction. Pour Bandura (cité par Carré, 2004 :

36), « ce sont les cognitions (représentations, pensées, prise de conscience, motivation)

qui jouent le rôle de médiateur entre l’environnement et le comportement de la

personne. ».

Une notion centrale dans la théorie sociocognitive de Bandura, c’est le sentiment

d’efficacité personnelle (SEP). Pour Bandura (2007 : 62) « les croyances d’efficacité ne

concernent pas seulement le contrôle sur l’action mais également l’autorégulation des

processus cognitifs, de la motivation et des états émotionnels et physiologiques. ». Ces

croyances d’efficacité forment le fondement de l’agentivité humaine. C’est un

mécanisme régulateur de la gestion de soi en termes de choix d’activités, de formation

de buts, de processus motivationnels et de persévérance face aux obstacles. Ainsi les

individus ne sont plus entièrement à la merci de leur environnement, les individus et

leur environnement sont des déterminants l’un par rapport à l’autre.

Selon Bandura (2007 : 124), les principales sources de croyances d’efficacité

personnelle sont les suivantes :

1) L’expérience active de maîtrise : les expériences vécues sont considérées par

Bandura comme la meilleure source d’information sur l’efficacité. « Les succès

construisent une solide croyance d’efficacité personnelle ; les échecs la minent,

surtout s’ils surviennent avant qu’un sentiment d’efficacité n’ait été fermement

établi. » (ibid. : 125).

2) L’expérience vicariante : est une source indirecte du SEP « Les personnes ne se

basent pas seulement sur leur expérience pour obtenir des informations sur leurs

capacités. Les évaluations d’efficacité sont partiellement influencées par des

expériences vicariantes médiatisées par des réalisations modelées par autrui. »

(ibid. : 135)

3) La persuasion verbale : la croyance est perçue par une autre personne, mais son

pouvoir n’est pas durable. « Il est plus facile à quelqu’un de maintenir un

sentiment d’efficacité, particulièrement quand il est confronté à des difficultés,

si d’autres individus significatifs lui expriment leur confiance dans ses capacités

que s’ils manifestent des doutes. » (ibid. : 156)

4) Les états physiologiques et émotionnels : une forme d’émotion peut induire des

perceptions d’auto-efficacité favorables ou défavorables selon la nature de

l’émotion ressentie. Le stress et l’anxiété ainsi que des réactions physiologiques

comme des mains moites ou une gorge sèche le jour d’un examen peuvent

conduire à un échec et à un sentiment défavorable en ses capacités.

5) L’intégration de l’information relative à l’efficacité : l’intégration de

l’information relative à l’efficacité repose sur deux éléments :

- premièrement tous les facteurs n’ont pas la même valeur dans leur degré

d’information et d’interaction. Certains représentent des indicateurs très

fiables et d’autres le sont beaucoup moins.

- deuxièmement les individus n’utilisent pas les mêmes règles pour former

un jugement sur leur efficacité personnelle. Certains additionnent

plusieurs facteurs pertinents, plus il y a d’indicateurs, plus la croyance en

leur capacité personnelle est forte. D’autres utilisent une règle de

pondération relative dans laquelle certains facteurs sont pesés plus

lourdement que d’autres.

Les effets d’un sentiment d’efficacité élevé interviennent quotidiennement dans

la vie d’un individu, dans les choix de ses actions, de sa carrière et des tâches qu’il

désire accomplir. Dans le domaine de l’apprentissage, il influence le processus

motivationnel et l’image de soi, c’est un facteur de performance et de persévérance qui

interagit avec l’ensemble des dimensions cognitives et affectives.