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Chapitre 2 Dispositions de l’apprenant adulte

2.1. La motivation

La motivation constitue l’ensemble des raisons qui pousse une personne à

s’engager dans une formation, à exprimer un désir de savoir. Ce désir de savoir est

lui-même « un processus multiforme, biologique, psychique, culturel : il conduit

l’apprenant à donner du sens à ce qu’il apprend, ce qui augmente en retour sa

motivation » (Cuq, 2003 : 171). La motivation comporte des éléments cognitifs et

affectifs qui varient selon les individus et déterminent leur comportement notamment en

termes de persévérance, d’assiduité et d’enthousiasme durant leur apprentissage. Elle

influence leurs actions en vue d’atteindre un but précis et constitue ainsi une source

d’autorégulation de l’apprenant face à son environnement et aux différentes situations

qu’il rencontre.

Selon la définition de Vallerand et Thill (1993 : 18), « le concept de motivation

est un construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes

produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement

». S’appuyant sur les travaux de ces deux auteurs, Carré (2005 : 129) synthétise ces

quatre aspects de la façon suivante :

« - le déclenchement indique le passage de l’absence d’activité à l’exécution

d’un comportement ;

- la direction traduit l’orientation ou la canalisation de l’énergie vers le but

approprié ;

- l’intensité est la manifestation observable de la motivation sur le

comportement ;

- la persistance est l’indice motivationnel qui caractérise la poursuite de

l’engagement dans l’action au cours du temps. »

La motivation est donc un concept dynamique dont Deci et Ryan (2004 : 16) se

proposent de faire la typologie selon un continuum qui va de l’absence de motivation à

la motivation intrinsèque en passant par la motivation extrinsèque en fonction du degré

d’autonomie de l’apprenant, que sa motivation soit autodéterminée ou non, comme

l’illustre le schéma suivant :

Figure 4 : The Self-Determination Continuum, with Types of Motivation and Types of Regulation (Deci and Ryan, 2004 : 16)

La partie gauche du schéma nous renvoie à la notion d’amotivation que Deci et

Ryan définissent comme l’absence de motivation ou d’intention d’agir. Elle se traduit

par de l’inaction, de la passivité et découle du sentiment de ne pas pouvoir gérer,

contrôler ou prévoir les conséquences de ses actes :

« At the left end is amotivation, the state of lacking the intention to act. When

people are amotivated, either they do not act at all or they act passively -- that is,

they go through the motions with no sense of intending to do what they are

doing. Amotivation results from feeling either that they are unable to achieve

desired outcomes because of a lack of contingency, or a lack of perceived

competence or that they do not value the activities or the outcomes it would

yield.» (Deci et Ryan, 2004 : 17).

Deci et Ryan consacrent la deuxième partie du schéma à la motivation

extrinsèque qu’ils répartissent en quatre degrés de régulation. Le premier degré,

« External Regulation », représente la forme de motivation la moins autonome.

L’apprenant est purement motivé par des éléments externes, sources d’une quelconque

gratification ou d’une éventuelle sanction :

« External regulation […] includes the classic instance of being motivated to

obtain rewards or avoid punishments. More generally, external regulation is in

evidence when one’s reason for doing is to satisfy an external demand or a

socially constructed contingency. » (ibid.)

Le second degré de la motivation extrinsèque, « Introjected Regulation », se

réfère au comportement d’un individu qui agit sous l’influence de contingences externes

(familiales, sociales ou professionnelles) susceptibles de remettre en question l’image

de soi:

« Introjected regulation involves an external regulation having been internalized

but not, in much deeper sense, truly accepted as one’s own [….]

Introjected-based behaviors are performed to avoid guilt and shame or to attain ego

enhancements and feeling of worth. In other words, this type of regulation is

Le troisième degré, « Regulation through identification », recouvre une forme de

motivation sensiblement plus autodéterminée que les deux précédentes. L’engagement

est ici dicté par des raisons externes que l’apprenant accepte volontiers et identifie

également comme personnellement valorisantes :

« […] it involves a conscious valuing of a behavioral goal or regulation, an

acceptance of the behavior as personally important. Identification represents an

important aspect of the process of transforming external regulation into true

self-regulation. » (ibid.)

Le quatrième degré, « Integrated Regulation », désigne la motivation la plus

autonome des motivations extrinsèques. Elle est considérée comme intégrée lorsque

l’apprenant a le sentiment que la formation correspond à ses besoins, ses valeurs et ses

buts :

« It results when identification have been evaluated and brought into congruence

with the personally endorsed values, goals, and needs that are already part of the

self. » (ibid. : 18)

La dernière partie du schéma est consacrée à la motivation intrinsèque. Elle

représente l’autodétermination par excellence dans la mesure où l’individu agit

librement, uniquement motivé par l’intérêt et le plaisir trouvés dans l’acte lui-même, en

dehors de toute contrainte, influence ou gratification externe :

« Intrinsically motivated behaviors are those whose motivation is based in the

inherent satisfactions of the behaviors per se, rather than in contingencies or

reinforcements that are operationally separable from those activities.» (ibid. :

10).

Selon la théorie de Deci et Ryan, nous pouvons donc considérer que plus la

motivation est autodéterminée, plus elle suppose une implication, une assiduité de

l’apprenant qui à son tour favorise un apprentissage efficace, répondant à des besoins

intrinsèques de compétence et d’autonomie.

Afin de donner une vision d’ensemble des motifs les plus courants et inhérents à

la motivation intrinsèque et extrinsèque, Carré s’appuie sur les travaux de Deci et Ryan

ainsi que sur les résultats de ses enquêtes menées en 1990 et 2001 dans le champ de la

formation. Ses recherches ont abouti au schéma suivant :

Figure 5 : Motifs d’engagement en formation (Carré, 2005 : 132)

Le schéma décrit les motifs qui poussent les individus à s’inscrire en formation

selon « l’objet-but de l’action » (ibid. : 131). Il est composé de deux axes

perpendiculaires. Sur l’axe horizontal, sont représentées à gauche les motivations

extrinsèques et à droite les motivations intrinsèques. L’axe vertical désigne

respectivement de bas en haut la participation et l’apprentissage. Plus le motif de

l’apprenant s’éloigne de l’intérêt porté au contenu de la formation, plus il se situe dans

la partie inférieure de l’axe. A contrario, plus l’apprenant est motivé par le contenu de la

formation et le plaisir d’apprendre, plus il est concerné par la partie supérieure de l’axe.

Les deux axes se croisent et forment quatre cadrans numérotés de un à quatre dans le

sens des aiguilles d’une montre. Carré aboutit ainsi à la répartition suivante : trois

Le premier cadran concerne le premier motif intrinsèque appelé « motif

épistémique ». Il s’agit d’un motif dont le taux d’engagement est le plus fort. Il

représente le désir d’accroître ses connaissances et d’acquérir des savoirs. L’apprenant

porte un intérêt particulier à l’acte lui-même, poussé par la curiosité qui devient le

facteur déterminant de la motivation.

Dans le deuxième cadran, figurent deux autres motifs intrinsèques, plutôt

orientés vers la participation :

- le motif socio-affectif : « il s’agit ici de participer à une formation pour

bénéficier de contacts sociaux » (ibid. : 132). En d’autres termes, la formation

doit offrir l’opportunité à l’apprenant de « s’intégrer à des groupes, de

communiquer, d’établir des liens sociaux ou de les renforcer » (ibid. : 133) ;

- le motif hédonique : dans ce cas précis, l’apprenant porte plus d’intérêt au

contexte qu’au contenu de l’apprentissage. Selon Carré (ibid.), « l’ambiance et le

confort des lieux de formation, le goût pour les outils, matériaux ou documents

[…] sont à la base de ce motif. ».

Le troisième cadran inclut quatre motifs majoritairement extrinsèques et plus ou

moins orientés vers la participation :

- le motif économique : il consiste à s’engager dans une formation pour obtenir

des avantages financiers (par exemple augmenter ses revenus) ou professionnels

(avoir une promotion) ;

- le motif prescrit : la formation est imposée à l’apprenant sous la pression d’une

personne influente dans son entourage personnel ou professionnel ;

- le motif dérivatif : dans ce cas de figure, l’apprenant s’engage en formation pour

fuir « une mauvaise ambiance de travail, des tâches routinières, le manque

d’intérêt professionnel, ou, sur un autre registre, une vie affective ou sociale

pauvre, des conflits familiaux, etc. » (ibid. : 134) ;

- le motif identitaire : « il s’agit d’acquérir les compétences et/ou la

reconnaissance symbolique nécessaires à une transformation (ou une

préservation) de ses caractéristiques identitaires (professionnelles, culturelles,

sociales ou familiales) » (ibid. : 135) ; ce motif repose sur « la reconnaissance

de l’environnement et l’image sociale de soi, en dehors (ou à côté) de tout motif

économique » (ibid.).

Le quatrième cadran comporte trois motifs extrinsèques, orientés vers

l’apprentissage à des degrés différents :

- le motif vocationnel : sa particularité réside dans le fait d’ « acquérir les

compétences et/ou la reconnaissance symbolique nécessaires à l’obtention d’un

emploi, à sa préservation, son évolution ou sa transformation. » (ibid.) ; il se

distingue des motifs identitaire et économique par une projection uniquement

professionnelle des effets de la formation à plus long terme ;

- le motif opératoire professionnel : il illustre la volonté « d’anticiper ou de

s’adapter à des changements techniques, de découvrir ou de perfectionner des

pratiques, toujours avec un objectif de performance précis » (ibid.) ; le choix de

la formation est ici motivé par l’acquisition de compétences destinées à répondre

à des attentes ou des besoins professionnels immédiats ;

- le motif opératoire personnel : l’apprenant s’inscrit dans une formation en vue

d’« acquérir les compétences perçues comme nécessaires à la réalisation

d’activités spécifiques en dehors du champ de travail (loisirs, vie familiale,

responsabilités associatives, etc. » (ibid. : 134).

Pour résumer, la motivation est un processus non figé et multidimensionnel où

subsistent des zones de contacts possibles, comme le montre le schéma de Carré. Dans

le domaine de l’apprentissage des langues étrangères, la majorité des apprenants adultes

s’engagent dans une formation pour des motifs extrinsèques : obtenir un diplôme,

trouver un emploi ou tout simplement apprendre la langue d’un pays pour y vivre ou y

faire du tourisme. Ces motifs peuvent évoluer en cours de formation et s’orienter vers

une motivation intrinsèque sous l’influence d’un environnement formatif, qui plus est,

rationalisé autour du concept d’autonomie. La motivation est un processus cognitif

fondé sur la faculté de l’apprenant à se projeter dans l’avenir, à s’auto-réguler et à

anticiper les résultats, dont Bandura (2007 : 188) explique le mécanisme ci-dessous :

l’action présentes. Le futur projeté peut cependant être impliqué dans le présent

par l’intermédiaire de la prévision. En étant représentés cognitivement dans le

présent, les états futurs imaginés sont transformés en motivateurs et régulateurs

actuels du comportement.»

Ce processus motivationnel s’appuie sur les représentations de l’apprenant. Il

s’agit de représentations liées à l’image de soi, ses compétences et son aptitude à

contrôler son apprentissage, que Bandura (ibid. : 12) nomme « le sentiment d’efficacité

personnelle ». Il le définit comme « la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser

et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités » (ibid.).

Un apprenant adulte qui croit en ses compétences et s’engage efficacement dans son

apprentissage a plus de chance de le réussir et de surmonter les difficultés qu’il peut

rencontrer dans sa formation. A contrario, comme l’explique Bandura (ibid. : 197), « les

gens qui doutent de leurs aptitudes relâchent leurs efforts ou interrompent

prématurément leurs tentatives en se contentant de résultats médiocres ».

D’autres représentations interviennent dans le choix de l’apprenant, elles sont

relatives à l’objet de la formation, sa valeur et l’intérêt que lui procurera son

apprentissage dans le futur, comme le souligne Barbot (2001 : 47) : « L’apprenant doit

ainsi percevoir l’utilité de l’activité qu’il entreprend à long terme, l’espérance pratique

d’utiliser une langue étrangère, et à court terme à quoi sert une activité ». Dans le

domaine de la formation pour adultes, « l’importance des buts, les croyances

d’auto-efficacité et le sentiment d’autodétermination sont trois motivateurs d’autant plus

puissants qu’ils s’appliquent, à la fois à la finalité et aux moyens » (Carré, 2005 : 144).

En résumé, nous noterons que la motivation est essentiellement élaborée sur un

plan cognitif dans la mesure où elle réside dans les représentations et les anticipations

de l’apprenant liées à son avenir. Ces dernières agissent sur son désir de développer ses

savoirs, de vouloir s’engager dans une formation et de persévérer ou non devant les

difficultés. Elles peuvent faciliter son apprentissage ou au contraire l’entraver. Dans

cette perspective, l’étude des représentations constitue également un enjeu majeur au

sein d’un dispositif de formation. Eu égard à leur influence sur l’acte d’apprendre, il

importe donc de les identifier, de comprendre leur fonctionnement pour les analyser en

vue d’effectuer d’éventuels réajustements didactiques et pédagogiques appropriés.