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Chapitre 2 Dispositions de l’apprenant adulte

2.3. Les interactions sociales

2.3.2. Interactions sociales et théories d’apprentissage

2.3.2.3. Le socioconstructivisme de Bruner

Bruner, psychologue américain né en 1915, critique les théories individualistes

et approuve les théories de Vygotski dont il s’inspire. Il s’intéresse aux interactions

sociales, à la culture et leur influence sur le développement cognitif de l’enfant. Deleau

(2011 :12), qui a notamment traduit l’ouvrage de Bruner intitulé Le développement de

l’enfant : Savoir faire et savoir dire (1983), dit à propos de sa théorie que « la

spécificité de l’approche que fait Bruner du développement mental nous paraît résider

dans la liaison étroite entre l’évolution, la culture, l’action effective dans le monde

physique et social d’une part, l’ontogénèse comportementale d’autre part ». Selon

Bruner, le développement mental repose sur des savoir-faire moteurs et des savoir-faire

de communication. Or, pour qu’un enfant acquière les premiers savoir-faire, il faut

qu’ils soient intentionnels :

« Pour que naisse un savoir-faire précoce, il faut qu’il y ait mise en œuvre

initiale d’une intention, définition d’un objectif final et indication minimale des

moyens. » (ibid. : 87)

Bruner (ibid.) poursuit en expliquant l’enjeu majeur que représente l’intention

dans l’acquisition des premiers savoir-faire :

« L’intention mise en œuvre déclenche des actes constitutifs organisés entre eux

de manière rudimentaire en vue d’un état final souhaité avec, souvent

préadaptation de la configuration d’organisation initiale. L’information en retour

réorganise les configurations initiales grossières de sorte qu’il y ait réduction de

la capacité d’attention requise. Ceci permet une analyse plus précise de la tâche

et la construction d’une action dirigée plus élaborée à partir de séquences

préalablement structurées qui s’organisent maintenant en activité de plus haut

rang ».

Bruner (ibid.: 55) définit la compétence comme une large sélection de

savoir-faire et leurs applications. Pour lui, compétence et intelligence sont pratiquement

identiques :

« D’une certaine manière, parler de compétence c’est parler d’intelligence au

sens le plus large, de l’intelligence opérative du savoir comment plutôt que

simplement du savoir que ».

Ainsi la compétence suppose trois aspects en rapport avec le développement de

l’être humain :

1. « que l’on soit capable de sélectionner dans la totalité de

l’environnement les éléments qui apportent l’information nécessaire pour

fixer une ligne d’action ;

2. que, ayant défini une ligne d’action, on puisse mettre en œuvre une

séquence de mouvements, ou d’activités, permettant la réalisation de

l’objectif que l’on s’est fixé et

3. que ce que l’on a appris de ses réussites ou de ses échecs soit pris en

compte dans la définition de nouveaux projets » (ibid.)

un savoir-faire et non une attitude ou une qualité car « elle suppose que l’on ait appris

que l’on peut faire telle chose avec une certaine chance de succès et, aussi, que l’on est

capable de reprendre la démarche en cas d’échec.» (ibid. : 258).

Il divise les compétences acquises dans la première année de l’enfant en cinq

catégories générales selon leur sphère d’application : la nourriture, la perception ou

l’attention, la manipulation de l’environnement, la locomotion et l’interaction avec des

membres de sa propre espèce. Il signale que les savoir-faire d’ordre général, cognitifs

ou affectifs, paraissent dépendre de ce qu’il appelle le « programme tacite »

d’apprentissage au sein de la famille, mais que ce serait une erreur de croire que les

problèmes relatifs à ces savoir-faire puissent être réglés en les traitant uniquement au

sein de la famille.

Bruner (ibid.: 176) considère le développement du langage comme un

savoir-faire, il doit de ce fait être intentionnel. Dans cette perspective, il affirme que « […] tout

cadre théorique de la compréhension du développement du langage doit impérativement

tenir compte de la pragmatique et qu’une théorie de la pragmatique doit trouver le

moyen de prendre en compte l’intention communicative des locuteurs ». Il faut

encourager l’enfant à prendre des initiatives et empêcher toute interférence qui peut le

distraire dans l’accomplissement de ses actes. Selon Bruner, l’acquisition du langage

par le très jeune enfant est réalisé dans une interaction dyadique (dialogue-action) entre

la mère et l’enfant. Les échanges habituels entre la mère et l’enfant « servent également

à socialiser et organiser les intentions communicatives de l’enfant tout en fournissant à

l’adulte un cadre d’interprétation » (ibid.:172).

D’après les expériences qu’il a effectuées, Bruner retient deux observations sur

l’apprentissage du langage :

a) l'apprentissage du langage se fait dans des situations signifiantes, c'est-à-dire

dans des situations où l'enfant a l'intention d'arriver à un but donné ;

b) l'apprentissage du langage se fait grâce à l'interaction avec l'adulte qui

provoque non seulement l'objectivation de l'action mais aussi l'appropriation du

langage.

Quand l'enfant commence à parler, le feed-back interprétatif de l'adulte porte

non seulement sur l'action mais aussi sur le langage utilisé par l'enfant. Cela provoque

une accélération du développement des habiletés langagières qui suscite l’étonnement

de Bruner, tel que le montre la suite de sa réflexion sur l'acquisition du langage :

« En situant ainsi les priorités, nous pourrons sans doute comprendre mieux, et

par une voie moins mystérieuse, comment les jeunes de notre espèce en arrivent,

en un laps de temps d'une saisissante brièveté, à maîtriser une langue d'une

complexité structurale telle qu'elle continue à défier dans une large mesure

l'analyse formelle totale. »

Ce jeu d'interaction entre la mère et l'enfant a servi de modèle pour Bruner afin

d’élaborer sa théorie sur l’interaction de tutelle et l’étayage. Il considère que

l’apprentissage d’une langue est effectué dans une interaction de tutelle qui s'exerce sur

un mode communicationnel et comporte un processus d’étayage qui consiste à

« prendre en main ceux des éléments de la tâche qui excèdent initialement les capacités

du débutant, lui permettant ainsi de concentrer ses efforts sur les seuls éléments qui

demeurent dans son domaine de compétence et de les mener à terme » (ibid. : 263).

Les fonctions que Bruner (ibid. : 277-279) accorde au tuteur selon ses

expériences sont les suivantes :

« 1. Enrôlement : la première tâche évidente du tuteur est d'engager l'intérêt et

l'adhésion du ‘chercheur’ envers les exigences de la tâche.

2. Réduction des degrés de liberté : cela implique une simplification de la tâche

par réduction du nombre des actes constitutifs requis pour atteindre la solution

[…] En réalité, le tuteur qui ‘soutient’ comble les lacunes et laisse le débutant

mettre au point les subroutines constitutives auxquelles il peut parvenir.

3. Maintien de l'orientation : les débutants s’attardent et rétrogradent vers

d’autres buts, étant donné les limites de leurs intérêts et de leurs capacités. Le

tuteur a pour charge de les maintenir à la poursuite d’un objectif défini.

4. Signalisation des caractéristiques déterminantes : un tuteur signale ou

souligne par de multiples moyens les caractéristiques de la tâche qui sont

sur l'écart entre ce que l'enfant produit et ce que lui-même aurait considéré

comme une production correcte.

5. Contrôle de la frustration : il devrait y avoir une maxime du genre ‘La

résolution de problèmes devrait être moins périlleuse ou éprouvante avec un

tuteur que sans lui’; que cela soit obtenu en ‘sauvant la face’ pour les erreurs

commises ou en exploitant le ‘souhait de faire plaisir’ de celui qui apprend.

6. La démonstration : ou ‘présentation de modèles’ de solutions pour une tâche,

si on observe attentivement, exige considérablement plus que la simple

exécution en présence de l’élève. Elle comporte souvent une ‘stylisation’ de

l’action qui doit être exécutée et peut comprendre l’achèvement ou même la

justification d’une solution déjà partiellement exécutée par l’élève lui-même. »

D’après ses expériences, Bruner remarque que les cas d’imitation observés

supposent que les enfants imitent les actions qu’ils sont capables de faire parfaitement.