Chapitre 2 Dispositions de l’apprenant adulte
2.3. Les interactions sociales
2.3.2. Interactions sociales et théories d’apprentissage
2.3.2.4. Psychologie sociale de l’intelligence
Doise et Mugny (1981 : 19) clôturent le débat entre l’inné et l’acquis dans le
développement cognitif de l’apprenant et affirment que tous les deux sont
indispensables. Ils s’inspirent autant des travaux de Vygotski que des travaux de Piaget
pour fonder une théorie en psychologie sociale. Leur but est de proposer une théorie qui
intègre la conception piagétienne de l’intelligence mais en tenant compte de la
composante sociale de Vygotski. (Doise et Mugny, 1981 : 36) précisent que « le
développement cognitif ne résulte pas d’une simple interaction de l’individu avec son
environnement physique, mais que celle-ci est bien médiatisée par des interactions
sociales avec un ou plusieurs autres individus »
Doise et Mugny présentent leur théorie du « conflit sociocognitif ». Il s’agit de
mettre en évidence l’impact des interactions sociales entre pairs sur le développement
cognitif de chaque individu. Leur thèse est basée sur la coordination d’actions et de
pensée interindividuelles qui jouent un rôle causal sur le développement cognitif de
l’apprenant. Ils expliquent comment fonctionne cette causalité dans la citation suivante :
« La causalité que nous attribuons à l’interaction sociale n’est pas
unidirectionnelle ; elle est circulaire et progresse en spirale : par l’interaction,
l’individu maîtrise certaines coordinations lui permettant alors de participer à
des interactions sociales plus élaborées qui, à leur tour deviennent source de
développement cognitif » (ibid. :35).
Ainsi dans un groupe d’apprenants, une confrontation entre leur point de vue
provoque la décentration de l’apprenant qui le pousse à reconsidérer son point de vue et
l’aide à reconstruire de nouvelles connaissances grâce aux échanges et aux négociations
qu’il a avec ses pairs. Tous les apprenants collaborent ensemble pour résoudre les
problèmes qu’un apprenant tout seul n’aurait pas résolus. Selon Doise et Mugny (1981 :
32), c’est un « processus interpersonnel qui se transforme en un processus
intra-personnel». Pour favoriser le fonctionnement du conflit sociocognitif et la construction
de nouvelles connaissances, Doise et Mugny (ibid. : 38) expliquent que les partenaires
doivent avoir un minimum de compétences nécessaires qu’ils appellent des pré-requis :
« La participation à certaines interactions sociales nécessite des compétences initiales
pour qu’elle puisse être source de progrès individuel ». Ainsi, ils intègrent la théorie de
Piaget qui précise que la construction de nouvelles connaissances s’équilibre sur des
connaissances antérieures. « Pour qu’une nouvelle régulation coordonne les régulations
précédentes, il faut bien qu’elles existent. » (ibid.). Doise et Mugny (ibid. : 42)
proposent la notion de marquage social. Il y a marquage social quand :
« Il y a homologie entre, d’une part, les relations sociales caractérisant
l’interaction des protagonistes d’une situation spécifique et, d’autre part, les
relations cognitives portant sur certaines propriétés des objets qui médiatisent les
relations sociales […] Le marquage social induit dans certains cas la solution de
conflits sociocognitifs ; de nouvelles régulations cognitives se réalisent dans la
mesure où elles servent à établir ou à maintenir une régulation sociale ».
Ainsi, l’intelligence est due à l’activité de l’individu mais elle est aussi une
caractéristique sociale institutionnalisée.
« Notre interprétation des résultats est que les interactions qui obligent le sujet à
coordonner ses actions avec celles d’autrui, l’entraînent ainsi dans un processus
de décentration qui l’engage dans un conflit entre son point de vue et celui de
ses partenaires. Ce conflit l’incite, à partir des coordinations réalisées
collectivement à une restructuration cognitive. ».
Ces différences de points de vue ne doivent être ni trop importantes ni trop
faibles sinon les apprenants ne profitent pas des bienfaits du conflit :
« Le déséquilibre cognitif créé chez le sujet n’est pas dû au fait qu’il tendrait à
imiter son partenaire mais au conflit qui surgit entre leurs points de vue
différents. Si l’écart entre les niveaux des partenaires est trop grand le sujet
risque de ne pas ressentir le conflit ou de ne pas comprendre où il se situe. Si les
niveaux sont semblables ou si le partenaire est ‘inférieur’ le sujet ne pourra
bénéficier de l’interaction que si elle conflictuelle.» (ibid. : 200).
Selon Perret-Clermont (ibid. : 206), le conflit sociocognitif n’est pas le seul
élément dans le développement de l’individu mais il peut le susciter :
« Certes, le conflit sociocognitif n’est pas en lui-même créateur de formes mais
il déclenche les déséquilibres qui rendent nécessaire cette élaboration et, par
là-même, le conflit sociocognitif confère au facteur social, aux côtés des autres
facteurs explicatifs du développement, un rôle spécifique dans la dynamique de
la croissance mentale. »
Doise et Mugny (1981 : 172-174) tirent plusieurs conclusions de leurs
expériences, nous citons les plus importantes qui concernent notre domaine :
1) « Le constructivisme social : le développement cognitif se fonde sur une
interaction avec autrui ». Ainsi, un sujet n’est pas seulement en interaction avec
un objet mais « la relation à l’objet ne peut être que médiatisée par la relation du
sujet à d’autres individus ».
2) Un individu, enfant ou adulte passe de « l’interdépendance à l’autonomie » en
trois phases pour acquérir une notion :
a) une phase d’élaboration des prérequis, c’est un travail individuel qui ne
profite pas aux progrès cognitifs de l’apprenant car c’est un travail isolé de sa
signification sociale.
b) une phase d’interdépendance : dépendance des interactions sociales
auxquelles l’enfant ou l’adulte a l’occasion de participer sous une forme de
co-élaboration cognitive qui aboutit à des compétences cognitives qui
permettent à l’apprenant de s’autonomiser ultérieurement.
c) la phase d’autonomie : l’enfant maîtrise suffisamment la notion pour
effectuer un travail individuel ou collectif.
3) Les rencontres interindividuelles conduisent au progrès cognitif dans la mesure
où un conflit sociocognitif a eu lieu durant l’interaction et que les performances
collectives sont supérieures aux performances individuelles dans les
transformations d’une tâche.
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Mise en oeuvre d'un dispositif de formation ouverte en langue étrangère : autonomisation et évaluation
(Page 88-91)