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Des attentes de rôle au travail réel des enseignants

3.1 Rôle, niveaux de rôle et métier de la relation

3.1.1 Théorie des rôles

En sociologie classique, le statut correspond à la position d’un individu dans la vie sociale, duquel peuvent découler divers rôles qui répondent à des normes, des droits et des devoirs, sous-tendus par les valeurs de la société ou des groupes d’appartenance (Chappuis & Thomas, 1995). Le statut est en somme défini par l’ensemble des comportements auxquels l’individu peut s’attendre de la part des autres, tandis que le rôle correspondrait aux conduites socialement attendues des autres de sa part (Stoetzel, 1978), identifiées dans ses actions et ses pratiques (Beauregard, 2006). Dans la sociologie des organisations, c’est autant par leurs rôles que par leurs statuts que les différents acteurs sont caractérisés (Marc & Picard, 1989).

La notion de rôle est toutefois polysémique et a régulièrement été redéfinie par les auteurs en fonction de leur cadre de référence (Rocheblave, 1969) : anthropologie, ethnologie,

sociologie, psychologie, psychosociologe, etc. Pour Coenen-Huther (2005), il existe deux orientations théoriques distinctes : « une orientation structurelle issue des travaux anthropologiques (…) qui fait du rôle l’aspect dynamique du statut ; une orientation interactionniste (…) pour laquelle le rôle est l’élément-clé de la dialectique entre le Soi et son environnement social. » (p. 66)

Pour l’approche structurelle (Linton, 1936), l’individu exerce son rôle quand il applique les droits et devoirs qui constituent le statut. Le statut et le rôle sont assignés aux individus par le groupe social dont ils font partie et en fonction de leur position à l’intérieur de ce groupe.

Alors que pour l’orientation interactionniste, le rôle émerge principalement des interactions entre les individus, soit entre un – ou plusieurs – émetteur(s) et un – ou plusieurs – récepteur(s) (Marc & Picard, 1989 ; Rocheblave-Spenlé, 1969). « L’attitude qu’adopte un individu est à la fois une réponse à l’attitude des autres et un stimulus pour influencer autrui. » (Lautier, 2001, p. 11) Ainsi, comme l’explique Le Breton (2012, p. 35) :

D’un épisode à l’autre de la vie quotidienne l’individu endosse des rôles successifs pour croiser des partenaires différents. Le soi se décline en termes de relation, il cristallise une virtualité d’attitudes nouées par l’histoire personnelle et des circonstances toujours précises. Une multitude de soi est susceptible de s’actualiser selon les moments. Chacun des soi effeuillés au fil des interactions mobilise des rôles, des attitudes spécifiques. L’autrui généralisé n’est pas le même pour l’individu dans sa famille, sur les gradins d’un stade avec les autres supporters, ou dans la salle de classe devant ses élèves ou dans les vestiaires après une activité sportive. La communauté d’appartenance décline ainsi les personnalités appropriées capables d’endosser les rôles requis par la vie sociale.

Pour Goffman (1959), ces diverses interactions tiennent plus de la représentation théâtrale, car l’individu joue des rôles différents, en fonction des situations rencontrées, à la manière d’un acteur en fonction des pièces dans lesquels il joue. S’il peut être amené à incarner différents rôles, ils ne sont pas censés interférer les uns avec les autres mais dépendent du contexte particulier dans lequel évolue l’acteur. Par conséquent, les rôles sont multiples, mais, puisqu’il s’agit de personnages incarnés, ils pourraient être joués par d’autres, sauf dans les situations où le personnage se confond avec l’acteur (Bouton, 2012).

Dans une approche plus anthropologique, Merton (1968) reprend l’idée que chaque individu possède plusieurs statuts et que de chaque statut découlent de multiples rôles possibles. Mais à l’inverse de Goffman, il préconise que cette pluralité de rôles peut conduire à des tensions, des contradictions, des conflits. Chappuis & Thomas (1995) corroborent également cette proposition : à chaque statut correspondent des rôles qui répondent à leur tour à des normes

lesquelles sont sous-tendues par des valeurs. L’articulation des différents rôles se fera en fonction de l’intériorisation par l’individu, non seulement des valeurs transmises par la société dans laquelle il vit, mais également par les différents groupes auxquels il appartient (professionnel, culturel, religieux, etc.). Ainsi, chaque personne se situe dans plusieurs statuts et possède tout un répertoire de rôles : c’est la situation qui déterminera quel statut et quel(s) rôle(s) seront activés (Rocheblave-Spenlé, 1969). De plus, le rôle instaure une relation dynamique entre « attente » et « réponse » (Maisonneuve, 1973) puisque

d’un côté, le rôle d’un acteur est fait de l’ensemble des attitudes et comportements attendus par ses partenaires dans une situation donnée ; de l’autre, il apparaît comme une réponse à ces attentes. (...) Les attentes de rôles proviennent donc à la fois de l’acteur lui-même (selon la façon dont il le conçoit) de ses partenaires (…) et des contraintes de l’organisation qui définit le rôle dans la logique des fonctions qu’il remplit à l’intérieur du système institutionnel. (Marc & Picard, 1989, p. 108).

Ceci implique qu’un acteur endosse rarement un rôle unidimensionnel, mais plutôt que chaque rôle a diverses facettes ou des sous-rôles fondés sur des normes différentes (Marc &

Picard, 1989). Chappuis et Thomas (1995), à l’instar d’autres auteurs (Beauregard, 2006 ; Katz & Kahn, 1966 ; Marc & Picard, 1989 ; Perrot, 2005; Maisonneuve, 1973 ; Royal, 2007) se sont penchés sur les niveaux de rôle qu’un individu – pour nous l’enseignant – peut ou croit endosser, en fonction des situations vécues :

• Le rôle prescrit ou attendu : l’ensemble des comportements et des pratiques attendus de l’enseignant selon son statut. Il correspond à la fois aux prescriptions formelles (écrites ou véhiculées) par la hiérarchie ou le service employeur, et à l’idée que se fait le professionnel de ce qu’il pense devoir faire (rôle perçu).

• Le rôle subjectif ou souhaité : les pratiques que l’enseignant voudrait avoir, soit une conception qu’il formule à propos de son rôle ;

• Le rôle réel ou joué : les pratiques manifestes de l’enseignant quand il est en interaction avec d’autres acteurs ; ce qu’il peut faire et fait effectivement.

Toutefois, les inter-relations entre les attentes de rôles, le rôle transmis, le rôle perçu et le rôle joué peuvent également amener à ce que Katz & Kahn (1966) nomme des ambiguïtés de rôle ou des conflits de rôle : par exemple, quand les prescriptions ne sont pas explicites, quand les attentes ne sont pas précisées ou quand elles ne sont pas en adéquation avec les valeurs de

l’acteur. L’ambiguïté de rôle se caractériseraient principalement par l’impossibilité, pour l’enseignant, d’assumer sa tâche dû au fait de l’absence de ressources (sentiment d’incompétence, informations lacunaires, manque de moyens, etc.). Autrement dit, il s’agit d’un écart entre les attentes de rôle (de la part de la hiérarchie ou de prescriptions en vigueur par exemple) et les besoins perçus par l’enseignant pour pouvoir réellement exercer le rôle qu’on attend de lui. Selon Rizzo, House & Lirtzman (1970, p. 151), l’ambiguité de rôle peut amener le travailleur à se sentir insatisfait, à éprouver plus d’anxiété, à déformer la réalité et par conséquent à être moins efficace. Le conflit de rôles, quant à lui, pourrait se définir par la présence simultanée de deux ou plusieurs attentes, contradictoires ou incompatibles, de telle sorte que répondre à l’une d’elle rend plus difficile, voire impossible, pour le professionnel de répondre à l’autre ou aux autres (Katz & Kahn, 1966, p. 184). Ces attentes pourraient provenir d’un seul et même émetteur ou alors d’émetteurs différents : les prescriptions, la hiérarchie (direction, département, etc.), les parents, les collègues, la société, etc. Comme l’ambiguïté, ce type de conflit de rôles peut engendrer du stress et de l’insatisfaction au travail (Rizzo, House, & Lirtzman, 1970). Toutefois, le conflit de rôles peut aussi surgir quand les attentes de l’émetteur sont en dissonance avec les valeurs personnelles de l’acteur. Ou si les attentes ne sont pas conciliables entre les différents rôles que peut jouer l’enseignant : par exemple, lors du décès d’un élève, si l’enseignant occupe un poste dans la cellule de crise de l’établissement, mais qu’en même temps il est l’enseignant principal de l’élève décédé ou qu’il est ami avec la famille du défunt, etc. Selon Rocheblave-Spenlé (1969, p. 334), « même si la situation est centrée sur une interaction entre deux rôles déterminés, chacun des partenaires amène avec lui une multitude d’autres rôles qui, même latents à un moment donné, forment le fond sur lequel se détache le rôle actuellement joué. »

À partir des travaux de Katz et Kahn (1966), mais également ceux de Perrot (2005) qui propose une approche plus multi-dimensionnelle, Royal (2007), dans sa thèse de doctorat, a tenté d’affiner et de modéliser ce qu’elle appelle les diverses tensions de rôle qu’une personne peut percevoir en fonction de la situation rencontrée. Voici la typologie issue de ses travaux (Royal, 2007, p. 44) :

• Un nombre de rôles à exercer exigeant trop de temps : surcharge de rôle.

• Des attentes incompatibles émises par un même émetteur : conflit intra émetteur.

• Des attentes issues d’émetteurs différents et qui sont incompatibles les unes avec les autres : conflit inter émetteur.

• Un écart entre le rôle attendu et le rôle tel que le conçoit la personne focale en fonction de ses valeurs, intérêts, objectifs : conflit inter système.

• Une incapacité due à une absence de ressources personnelles, d’information, de moyen technique, d’autorité : incapacité de rôle.

• une ambiguïté au regard de la performance, des procédures ou de la planification : ambiguité de rôle.

Ces tensions de rôle ont ensuité été précisées et classées dans quatre grandes catégories, par Royal et Brassard (2010), comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous :

Figure n°5 : Description des quatre types de tension de rôles (Royal & Brassard, 2010, p. 28).

Selon Royal (2007), les conséquences des tensions de rôle ne sont pas négligeables, car elle peuvent se révéler nombreuses et affecter autant les individus (insatisfaction, réactions de stress sur les plans physiologique, psychologique ou comportemental) que les organisations (baisse des performances, de la qualité du travail, de l’implication organisationnelle, etc.).

Face à ces possibles tensions et aux conséquences négatives qui en découlent, le professionnel, en fonction des circonstances, peut mettre en place un certain nombre de stratégies pour y faire face (Royal, 2007, p. 76) :

• répondre à l’attente qu’il considère comme la plus importante en fonction de l’émetteur et de la légitimité ;

• négocier et chercher un compromis parmi les différentes attentes ;

• ajuster son comportement afin de satisfaire les attentes des émetteurs ;

• revoir son évaluation de la situation ;

• se retirer de la situation ou tenter de gérer l’émotion liée au stress.

Si les conflits de rôle sont souvent envisagés au niveau interpersonnel, ils peuvent également se manifester au niveau intrapersonnel, quand la personne se trouve prise entre des exigences incompatibles entre deux ou plusieurs de ses rôles. Lautier (2001, p. 184), qui s’est particulièrement intéressée aux rôles des enseignants, a typologisé, en se basant sur les travaux de Maisonneuve (1973), un certain nombre de conduites possibles qui rejoignent partiellement celles de Royal (2007) :

L’option : afin d’échapper au conflit, le sujet ne choisit qu’un seul des rôles parmi ceux qu’ils jugent irréconciliables, même si cette décision peut se révéler intenable à la longue.

L’innovation : pour concilier des attentes jugées contraires, l’enseignant peut rechercher et adopter un nouveau style de rôle.

Le compromis : les rôles peuvent être hiérarchisés ou alternés en fonction des situations.

La rationalisation : l’enseignant s’accommode des contradictions en rationnalisant.

La fuite, l’occultation : l’enseignant tente de nier les contradictions ou cherche à reculer l’échéance de leur résolution.

3.1.2 Rôles de l’enseignant : entre représentations et identité personnelle et professionnelle Différents auteurs s’accordent à dire que le rôle de l’enseignant est multidimensionnel (Altet,

1994 ; Tardif & Lessard, 1999 ; Paquay et alii, 1996 ; Gohier, 2006 ; Lautier 2001) : instructeur, éducateur, évaluateur, technicien, chercheur, personne-ressource, passeur culturel, manager, etc., le praticien assume divers rôles, certains inéluctables, parfois fragilisés par les nombreuses attentes et des pressions contradictoires, d’autres plus ou moins choisis mais qui témoignent en principe d’une certaine congruence (Chappuis & Thomas, 1995 ; Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau, & Chevrier, 2001). De plus, ces rôles, parfois marqués par des tensions, s’actualisent et se transforment au gré de l’action quotidienne dans les classes (Lautier, 2001). On est donc éloigné de la perspective d’un professionnel qui exerce son métier selon un rôle prescrit lié à la définition de son statut, les rôles prescrits s’étant par ailleurs passablement multipliés et fortement complexifiés (Lautier, 2001). L’enseignant percevrait plutôt son rôle et ses sous-rôles en fonction de sa grille de lecture personnelle, élaborée en fonction de ses représentations (Lautier, 2001) et de son identité (Gohier, 2007).

Pour Lautier (2001), les représentations que les acteurs se font de leurs différents rôles sont principalement tiraillées entre le pôle de la fonction éducative et le pôle du savoir, avec un accent qui se déplacerait du premier au second pôle entre le primaire et le secondaire, mais aussi en fonction des débats dans la société sur les missions de l’école. À ce titre, et toujours selon Lautier, c’est le premier pôle qui subirait le plus de tensions, car un certain nombre de choix éducatifs sont décidés en fonction de finalités citoyennes : soit construire l’homme idéal de demain (p. 180). Ces débats sociétaux se retrouveraient dans chaque individu, portés par une pensée sociale dans laquelle s’ancrent les représentations personnelles. L’enseignant, en tant qu’individu et pour donner du sens à ces actions, construirait donc sa représentation de ses rôles en fonction de cette pensée sociale. La représentation, ici, peut être comprise dans le sens que lui donne Jodelet (2003), c’est-à-dire à la fois comme produit et comme processus d’une élaboration psychologique et sociale du réel, condensant un ensemble de significations et de références permettant à l’individu d’interpréter le monde. « C’est une ensemble organisé d’opinions, de pratiques, de croyances et d’informations se référant à un objet ou une situation. [La représentation] est déterminée à la fois par le sujet lui-même (son histoire, son vécu), par le système social et idéologique dans lequel il est inséré, et par la nature des liens que le sujet entretient avec le système social » (Abric, 1994, p. 188). Pour Lautier (2001, p. 171), « les représentations interviennent en amont comme guide de l’action, mais elles interviennent également en aval pour expliquer et justifier les conduites adoptées ». Elle postule que les représentations jouent un rôle important principalement dans la part d’autonomie que l’acteur dispose dans la situation, d’autant plus si celle-ci comporte des

éléments à forte implication (affectivité, mémoire collective). En résumé, on peut dire que

« les représentations sont (…) le siège des intentions, des raisons d’agir et des critères d’orientation de l’action » (Maulini, Progin, Jan, & Tchouala, 2017, p. 112).

Comme nous l’avons vu plus haut, l’enseignant construit ses rôles en fonction de ses représentations mais aussi de son identité. Pour les sociologues interactionnistes, l’identité se construit au fur à mesure des interactions sociales et se transforme tout au long de la vie en fonction des contextes et des ressources mobilisées par l’individu. Blin (1997, p. 178) considère l’identité comme une notion complexe qui se construit sur deux pôles principaux : le pôle individuel, traduit par le concept de Soi (caractéristiques individuelles que s’attribue quelqu’un pour dire qui il est) et le pôle social défini par le système de normes (s’exprime à travers les rôles auxquels un individu se conforme pour répondre aux attentes des autres, d’un groupe, d’une situation donnée). Il s’agit donc d’un double processus, la construction d’une

« identité pour soi » qui renvoie à l’image que l’on se fait (ou que l’on aimerait se faire) de soi-même et d’une « identité pour autrui » qui s’apparente plus à l’image qu’on souhaite donner aux autres, en relation et en interaction avec les divers groupes sociaux d’appartenance (Dubar, 2000). Elle s’incarne dans les actes verbaux et non verbaux, mais elle ne s’y réduit pas non plus, car nombre d’autres facettes peuvent être invisibles pour les autres et même opaques pour l’individu lui-même (Beckers, 2007).

L’identité professionnelle, quant à elle, est un concept dont la définition dépend principalement du champ disciplinaire auquel l’auteur se réfère. Pour Sainsaulieu (1988, p. 9) c’est « la façon dont les différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes, l’identité au travail est fondée sur des représentations collectives distinctes ».

Selon les recherches de Gohier (1999, 2001, 2004, 2006, 2007), l’identité professionnelle serait intégrée à l’identité globale, et se construirait entre la représentation que l’enseignant a de lui-même comme professionnel, mais aussi comme personne et comme acteur social, et celle qu’il a des autres membres de sa profession. Composite et subjective, l’identité professionnelle est d’abord définie par le rôle, mais également par les différents intérêts et contraintes qui pèsent sur la personne, ainsi que par les relations qu’elle entretient avec les élèves et les autres acteurs éducatifs. Selon Gohier et alii (2001), elle se construit et se transforme au gré de crises, de déséquilibres et de remises en question – générés, par exemple, par des événements éprouvants ou des élèves rencontrant des troubles du comportement ou de l’apprentissage – qui auront des incidences sur les pratiques, les représentations, les attitudes

et les valeurs du praticien. L’identité professionnelle n’est donc pas une donnée stable, mais mouvante, et sans cesse renégociée à partir de situations concrètes, d’expériences du sujet et d’interactions produites dans le contexte de travail (Martineau, Portelance & Presseau, 2010), mais également dans sa vie privée, car « chaque expérience est potentiellement source d’évolution des composantes identitaires » (Beckers, 2007, p. 143). Elle est par conséquent en constante évolution, sous l’impulsion même du professionnel qui est l’acteur central de cette transformation. Elle résulterait d’un cheminement personnel et expérientiel, susceptible de se modifier lors d’expériences vécues, particulièrement marquantes, et qui laisseraient des traces (Beckers, 2004), comme on peut supposer que c’est le cas quand un enseignant perd un de ses élèves de manière tragique ou accompagne un jeune affecté par la perte d’un proche.

Avant d’être un professionnel, l’enseignant est donc une personne, un sujet singulier et unique (Charlot, 1997), avec ses diverses compétences et connaissances. Il interprète le monde et ce qui lui arrive à partir de son histoire subjective, de ses représentations personnelles (Jodelet, 1984), ainsi que des règles sociales qu’il a apprises et intériorisées (Dubet, 1994). C’est un être humain, composé d’expériences hétérogènes (Lahire, 1998a), qui s’investit dans son travail et dont l’activité va entrer en résonnance avec ses propres affects, ses valeurs, sa

« carte du monde » (André, 2013). L’enseignement fait partie des métiers de la relation, où la dimension intersubjective est tout aussi importante que le pôle objectivant du savoir (Cifali, 1996). De nombreux enseignants indiquent avoir choisi ce métier, car ils entretiennent un rapport affectif avec les élèves, qu’ils aiment aider les autres et qu’ils ont envie de faire évoluer ceux qui deviendront les citoyens de demain (Tardif & Lessard, 1999). Ce sont des

« être-en-relation », car pour instituer une relation pédagogique, intellectuelle et affective, ils doivent être capables d’établir une relation avec leurs élèves en manifestant des qualités d’empathie et d’écoute (Gohier et alii, 2001 ; Anadon, Bouchard, Gohier, & Chevrier, 2001).

Et dans ce genre de relation, toujours singulière, on ne peut rester « extérieur », on y entre avec son histoire, ses affects, son authenticité (Cifali, 2012), ce qui peut parfois se révéler déstabilisant en fonctions des situations et oblige à trouver la bonne distance :

Les personnes avec lesquelles nous travaillons nous renvoient immanquablement à l’essentiel de nos vies d’hommes et de femmes : à l’impuissance, à l’ignorance, à la sexualité et à la mort, à la dépendance… On oscille alors entre deux positions : celle d’une grande proximité, une participation et confusion avec l’autre et celle d’un grand éloignement qui se traduit par de l’indifférence. On oscille de l’une à l’autre, lorsqu’on n’a pas les outils pour se repérer. Nous acceptons d’abord d’être touchés et comme cela devient dangereux pour notre propre vie psychique, nous mettons en place des mécanismes

de défense. (Cifali, 2012, p. 148)

Divers travaux récents en psychologie de l’éducation se sont intéressés aux relations maître-élève en mettant un accent particulier sur la dimension affective qui peut se tisser entre eux et sur les bienfaits qu’elle peut apporter au sein d’une classe (Virat, 2014). Cette question n’est pas nouvelle, puisqu’il y a toujours eu des pédagogues qui soulignaient l’importance d’instruire les élèves mais également de soigner la relation éducative (Houssaye, 1996). Cette

Divers travaux récents en psychologie de l’éducation se sont intéressés aux relations maître-élève en mettant un accent particulier sur la dimension affective qui peut se tisser entre eux et sur les bienfaits qu’elle peut apporter au sein d’une classe (Virat, 2014). Cette question n’est pas nouvelle, puisqu’il y a toujours eu des pédagogues qui soulignaient l’importance d’instruire les élèves mais également de soigner la relation éducative (Houssaye, 1996). Cette