• Aucun résultat trouvé

La mort et le deuil chez les enfants et les adultes

1.3 Le deuil chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte

1.3.3 Le deuil : un processus universel ?

Le deuil est-il universel et est-il perçu de la même manière dans toutes les cultures ? À cette question, on trouve deux types de réponses provenant de deux courants différents. Le premier correspond à une approche socio-constructiviste du deuil et stipule que le deuil n’est pas universel et qu’il existe d’importantes différences culturelles. Certains auteurs comme Averill (1979, 1983) ou Hochschild (1979)

considèrent que l’expérience de deuil est socialement déterminée et construite. Cette perspective postule que les normes et règles sociales dictent l’ensemble des réactions qu’une personne doit avoir (ou aura) dans une certaine situation. Le deuil est donc conçu comme une émotion socialement apprise et correspondant à un rôle social. Les émotions sont des constructions sociales reposant sur un système culturel de croyances et de valeurs, leur expression étant socialement déterminée. (…) Les processus de deuil varient [donc] de manière très significative en fonction des endroits, des temps, des groupes étudiés, en fonction de comment, quand et même dans quelle mesure les émotions reflétant le deuil sont exprimées, dans quelle mesure les personnes semblent être préoccupées par la mort (…). (Zech, 2006, p. 17)

À l’inverse, la deuxième position postule que le deuil et les réactions qui en découlent sont universels. En effet,

bien que les rites ou coutumes, les symptômes, la durée, les phases, la signification de la perte, les moyens mis en œuvre par les sociétés pour diminuer l’impact de la perte soient extrêmement divers d’une culture à une autre, la réaction émotionnelle (grief) telle que définie par le monde occidental est vécue par l’ensemble des peuples de la Terre et serait donc universelle. (Zech, 2006, p. 19)

Ce deuxième courant, porté par d’autres chercheurs (Bowlby, 1980 ; Stroebe & Stroebe, 1987), se rattache à la théorie proprioperceptive qui stipule que les réactions émotionnelles du deuil ne sont pas influencées par les normes sociales mais déterminées par des processus essentiellement biologiques. L’affliction, propre au deuil, seraint ainsi semblable chez tous les

humains, même s’il existe une immense gamme de nuances en fonction des cultures, familles et individus (Zech, 2006).

À partir de l’article de Lindemann – qui fut le premier auteur à avoir décrit, en 1944, le processus de deuil comme un ensemble de réactions psychologiques et somatiques –, de la revue de littérature effectuée par Stroebe (1993), ainsi que divers ouvrages d’auteurs faisant référence dans le domaine (Bacqué, 1992 ; Bacqué & Hanus, 2000 ; Bourgeois & Ivernois, 2016 ; de Broca, 2010 ; Hanus, 1994, 1998 ; Zech, 2006), nous allons maintenant synthétiser les diverses réactions possibles et visibles durant un deuil. La symptomatologie décrite ne se veut ni exhaustive, ni prescriptive, car la manière dont un deuil est vécu est propre à chaque individu. C’est plutôt une somme de symptômes régulièrement observés dans les études cliniques. Zech (2006, p. 56) les catégorise en quatre types de réponses : les réactions affectives, les manifestations comportementales, les indicateurs cognitifs et les changements physiologiques ou plaintes somatiques. De nombreux auteurs préfèrent les catégoriser en étapes. Mais il ne semble pas y avoir consensus sur le nombre d’étapes, car en fonction des recherches, le nombre va de deux (Moos & Tsu, 1977) à dix étapes (Flatt, 1987), les constats dépendant surtout des méthodologies utilisées. Il semble toutefois que 4 grandes phases émergent :

• À l’annonce de la nouvelle du décès, particulièrement s’il était inattendu ou tragique, la personne peut ressentir un choc ou de la sidération qui accompagne l’arrêt des fonctions psychiques : cet état peut entraîner une forme d’hébétude, de déni, d’engourdissement, de dissociation et d’irréalité qui peut durer de quelques minutes à plusieurs jours, voire semaines, pendant lesquels les affects sont comme anesthésiés.

Ce mécanisme semble être un processus de protection qui permet d’assimiler graduellement l’information.

• Une fois le choc absorbé, un deuxième stade apparaît, souvent appelé comportement de recherche. Durant cette phase, même si la personne endeuillée a compris intellectuellement la perte de l’être aimé, elle ne l’a pas encore intégrée au niveau de ses comportements et recherche encore inconsciemment la personne défunte. Diverses émotions fortes peuvent aussi progressivement émerger au fur et à mesure de la prise de conscience de la perte : colère ou agressivité, avec parfois le besoin de trouver un responsable au décès ; anxiété, voire peur, car le monde connu vient de s’effondrer et

qu’il va falloir l’affronter sans la personne défunte ; culpabilité ou regrets envers le mort ; sentiment profond de solitude ; soulagement, parfois, surtout en cas de grave maladie ; etc. La longueur et l’intensité de cette phase va dépendre de la nature de la perte : souvent limitées lors de la perte de personnes âgées, ces émotions peuvent être plus virulentes lors du décès de personnes jeunes (enfants, adolescents, jeunes adultes).

• Progressivement la personne endeuillée va comprendre que la perte est définitive et irréversible, et elle arrêtera de chercher le défunt. Il s’ensuit alors une phase de dépression caractérisée par une réaction émotionnelle intense et profonde de tristesse, de chagrin, de désolation et d’impuissance, avec l’impression que le deuil ne finira jamais. C’est une étape centrale du deuil, présente chez tous les auteurs mentionnés.

« La souffrance dépressive du deuil est l’expression et la conséquence du travail de désinvestissement qui s’opère nécessairement après la perte d’un être aimé. C’est l’essence même du travail de deuil » (Hanus, 1994, p. 111). C’est le travail de détachement, entraînant une période de désorganisation, et cette phase peut être relativement longue. Diverses difficultés peuvent apparaître : perte de concentration même sur des tâches habituelles, impact sur la santé, divers troubles (perte d’appétit, insomnie, etc.).

• La dernière étape du deuil, appelée réorganisation, réinsertion, terminaison, rétablissement ou acceptation selon les auteurs, est une phase de résolution ou de récupération. C’est le moment où le sujet endeuillé peut se tourner vers l’avenir, s’intéresse à de nouveaux objets, de nouveaux attachements, peut ressentir à nouveau des émotions positives et les exprimer. C’est la personne et non plus l’objet de son deuil qui prime. « L’acceptation n’est pas une démission, mais une progression, le franchissement d’un seuil nouveau et totalement inconnu » (Schützenberger &

Jeufroy, 2008, p. 103).

La figure, ci-dessous, synthétise les différentes étapes possibles.

Figure 2 : La ligne du temps du deuil (Genoud, 2016, p. 58)