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Rôle de l’enseignant dans l’accompagnement d’un élève endeuillé

Quand la mort entre à l’école, quels rôles pour les professionnels de l’enseignement ?

2.2 Accompagner des élèves endeuillés dans la classe

2.2.4 Rôle de l’enseignant dans l’accompagnement d’un élève endeuillé

Dans la perspective d’une école inclusive (Doudin, 2011), l’élève endeuillé, momentanément en difficulté (Perrenoud, 2012), semble faire partie des élèves à besoins éducatifs particuliers (Ebersold & Detraux, 2013). Comme l’une des compétences du référentiel en vigueur à la Haute École Pédagogique vaudoise le stipule, il est essentiel pour le professionnel d’ « adapter ses interventions aux besoins et aux caractéristiques des élèves présentant des difficultés d’apprentissages, d’adaptation ou un handicap 17». Une des caractéristiques du travail enseignant consiste à interagir avec des collectifs tout en tenant compte de chaque individu, de ses compétences mais aussi de ses difficultés, afin de l’aider à progresser et se développer au mieux globalement (Tardif & Lessard, 2006). Le praticien doit donc s’accommoder des différentes situations et des problèmes socio-affectifs ou cognitifs de ses élèves (Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau & Chevrier, 2001). Ce qui n’est pas toujours chose aisée, même si le choix de ce métier résulte souvent du désir d’aider les enfants. À ce souci éthique s’ajoute l’importance de privilégier la relation avec la famille du jeune endeuillé, car son implication dans le cheminement scolaire est une condition essentielle à une intégration scolaire réussie (Beauregard, 2006). Ces éléments posés, quel peut alors être le rôle des enseignants auprès d’élèves endeuillés ?

À la fin du siècle dernier, les recherches qui se sont intéressées à la manière dont les enseignants percevaient leur rôle face aux élèves endeuillés n’ont pas été très nombreuses (Atkinson, 1980 ; Cullinan, 1990 ; Eiser, Havermans, Rolph & Rolph, 1995 ; Mahon, Goldberg & Washington 1999 ; Mcgovern & Barry, 2000 ; Reid & Dixon, 1999, 2001). En substance, ces différentes recherches ont mis en évidence que le soutien des élèves endeuillés dépendaient principalement de la conception que les enseignants avaient de leur rôle dans la relation d’aide et de leur perception des questions liées à la mort, le sujet en lui-même                                                                                                                

17 Pour plus d’informations, voir : http://www.hepl.ch/cms/accueil/formation/referentiel-de-competences.html

pouvant être fort anxiogène. En effet, les enseignants qui ressentaient le plus d’anxiété envers la mort étaient également ceux qui trouvaient le plus de stratégies d’évitement pour en parler en classe ou avec leurs élèves endeuillés (Atkinson, 1980). Si beaucoup d’enseignants ont avalisé que les enfants ayant vécu une perte importante méritaient de recevoir de l’aide (Cullinan, 1990 ; McGovern & Barry, 2000), pour autant, ils se sentaient très démunis et incompétents pour le faire et préféraient, si possible, les envoyer vers un conseiller formé à ce type de soutien (Mahon, Goldberg & Washington, 1999 ; Reid & Dixon, 1999). Les enseignants se décrivant comme ayant une grande empathie étaient également ceux qui se sentaient les plus compétents et ceux qui considéraient qu’aider ces élèves faisait partie de leur rôle. À l’inverse, ceux qui pensaient ne pas pouvoir aider ces élèves arguaient que ce soutien ne faisait pas partie de leur rôle mais de celui des psychologues. Les expériences personnelles liées au deuil pouvaient également influencer les enseignants dans leur comportement ou leurs décisions (McGovern & Barry, 2000). De plus, les enseignants qui vivaient eux-mêmes un deuil ou n’avaient pas encore terminé leur travail de deuil face à une perte personnelle (deuil compliqué ou deuil inhibé) n’étaient pas en mesure de soutenir des élèves endeuillés (Cullinan, 1990). Le manque de formation adéquate est pointé dans toutes les études.

Ces vingt dernières années, d’autres recherches sont venues combler ce manque de littérature, même si un certain nombre de constats rejoignent les études précédentes. Si la majorité des enseignants reconnaissent que leur rôle est important pour soutenir les élèves en deuil et faciliter leur adaptation à la perte, beaucoup se sentent toujours mal préparés à le faire, principalement par manque de connaissances adéquates et de formations spécifiques (Kahn, 2013 ; Holland, 2008 ; Papadatou, Metallinou, Hatzichristou & Pavlidi, 2002 ; Potts, 2013 ; Talwar, 2011 ; Tracey & Holland, 2008), ou parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec le sujet de la mort (Lowton & Higginson, 2003) que ce soit pour des raisons personnelles, religieuses ou culturelles (Kahn, 2013). Certains ont même peur de nuire davantage à l’élève s’ils apportent une réponse non appropriée. D’autres pensent que l’enfant est capable de surmonter son deuil par lui-même (Talwar, 2011). Beaucoup se demandent où se termine leur rôle d’enseignant et où commence celui du psychologue ou de tout autre conseiller formé à la relation d’aide (Alisic, 2011). Parfois, les enseignants se montrent méfiants et ont peur que les élèves endeuillés ne profitent de leur situation pour en tirer des avantages (Dyregrov, 2009b).

D’autres déplorent le fait que les informations ne sont pas toujours transmises et qu’ils ne peuvent pas aider efficacement des élèves endeuillés si l’école n’a pas été informée du

changement de situation ou si le décès n’a pas été communiqué (Tracey & Holland, 2008).

Les femmes semblent être plus enclines à soutenir les enfants endeuillés, principalement celles qui passent beaucoup d’heures auprès de leurs élèves (enseignantes des degrés primaires) ; ce qui, selon Papadatou et al. (2002), semble être une manière inconsciente d’assumer un rôle maternel dans leur soutien. Les relations de l’équipe éducative avec le reste de la famille sont également prépondérantes pour un suivi efficace du deuil, mais cet aspect semble être difficile dans la pratique en fonction des écoles et des situations, principalement avec les familles divorcées ou monoparentales avant le décès (Lowton & Higginson, 2003).

Enfin, beaucoup d’enseignants, principalement ceux du niveau secondaire, estiment que les contraintes de temps et les programmes d’études chargés entraînent inévitablement une

« sous-priorisation du deuil » en classe (Holland, 2008). Faudrait-il alors proposer des dispositifs spéciaux pour aider les enseignants dans cette tâche, comme pour les situations de crise vues plus haut ? Ce fut le cas au Danemark, où l’Etat a instauré « des plans d’interventions en cas de deuil » dans 96% des classes (Lytje, 2013). Dans une étude réalisée auprès de 967 enseignants (Lytje, 2017), les résultats ont montré que les équipes éducatives interrogées ont dit apprécier pouvoir s’appuyer sur ces plans d’interventions. Les enseignants se sentaient plus confiants lorsqu’ils étaient confrontés à une perte. Pourtant s’ils jugent ces plans efficaces pour un soutien initial aux enfants endeuillés, ils les trouvent inadaptés sur le long terme et pensent que ces plans doivent évoluer.

Dans une recherche récente (2013) Dyregrov, Dyregrov & Idsoe ont souhaité connaître les perceptions que les enseignants avaient de leur rôle face à des élèves en deuil et ont interrogé 138 professionnels, provenant de six écoles norvégiennes, dont une petite majorité de femmes (54,3%). La plupart des enseignants (79%) avaient plus de dix ans d’expérience dans le métier. Pour ce faire, ils ont utilisé une méthode mixte (questionnaires et entretiens). Voici leurs principaux résultats :

• Les enseignants ont contextualisé leur engagement pour les enfants en deuil en soulignant le développement d’un nouveau discours dans la société. Pour eux, ce nouveau discours a entraîné un changement progressif vers une plus grande implication de l’école dans les questions psychosociales. De même, les attentes vis-à-vis de l’école et des enseignants semblent avoir changé. Ainsi, les parents communiquent plus souvent avec l’école pour l’informer d’un décès dans la famille.

Mais les enseignants ont aussi l’impression qu’on attend beaucoup de l’institution

scolaire et estiment devoir fixer des limites quand ils pensent que ce qu’on leur demande ne relève pas de leurs compétences.

• Même si une grande partie d’entre eux (70%) pense que l’école joue un rôle essentiel auprès des jeunes endeuillés en leur offrant un autre contexte, éloigné des préoccupations et de la tristesse qui règnent à la maison, ils estiment pourtant que les élèves en deuil sont fréquemment négligés à l’école.

• La majorité d’entre eux (90 %) déclare que la perte d’un être cher ou significatif impacte les individus bien plus qu’on ne le pense. De même, une majorité considère que les élèves endeuillés ne peuvent pas réussir à l’école sans l’aide de leurs enseignants et que ces derniers doivent faire preuve de souplesse en ce qui concerne la fréquentation scolaire suite au décès d’une personne proche. Toutefois, les enseignants de sexe masculin ont majoritairement déclaré (57,5%) que les élèves réussissaient mieux sans l’aide des enseignants et qu’on ne devait pas leur prêter trop d’attention.

• Près de 70 % des personnes interrogées se sont accordées pour dire qu’il est important de faire preuve d’empathie envers les élèves. Cependant, un peu plus de la moitié des enseignants pense que ce n’est pas à eux de s’occuper des enfants en deuil et que c’est un travail de professionnels, car ils estiment ne pas être suffisamment qualifiés pour intervenir dans des situations psychosociales complexes, comme accompagner un enfant qui a subi un deuil sévère. Il est, selon eux, nécessaire de limiter leur rôle d’enseignant aux tâches pédagogiques qu’ils remplissent durant leur journée scolaire et qui sont leurs principales prérogatives. Ils ont insisté sur l’importance de distinguer plus clairement les rôles des acteurs intervenants à l’école et surtout entre enseignants et soignants (infirmières ou médecins scolaires, psychologues, etc.). Les limites de chaque rôle devraient aussi être communiquées aux parents. Selon les auteurs de la recherche (Dyregrov, Dyregrov & Idsoe, 2013), cette répartition imprécise des rôles peut accroître leur manque de confiance en leurs propres capacités.

• Une interaction efficace avec d’autres acteurs plus qualifiés en matière de deuil devrait permettre aux enseignants de conserver principalement leur rôle de pédagogue, même

si ces derniers sont conscients qu’ils doivent se montrer plus flexibles dans leurs attentes envers un élève ayant vécu une perte.

Ces résultats mettent en exergue le souci des équipes éducatives de trouver un équilibre entre le rôle de l’enseignant et celui du soignant ou du thérapeute. Mais aussi de clarifier les rôles des différents intervenants dans les situations de deuil afin d’en connaître les limites et d’identifier, dans l’établissement, les professionnels qui ont les ressources et la légitimité pour intervenir et soutenir (Doudin & Curchod-Ruedi, 2015)

Les différents constats résumés dans cette partie sont corroborés par les résultats constatés dans l’enquête menée par la fondation OCIRP (2017, voir plus haut) sur le statut des orphelins en France, auprès d’un large échantillon de professionnels. Pour mieux cerner les difficultés que le personnel éducatif pouvait rencontrer dans les situations de deuil, 940 professionnels de l’éducation, dont 802 enseignants des premiers et seconds degrés, ont été interrogés.

Quelques résultats méritent d’être mis en évidence car ils illustrent les difficultés toujours inhérentes à ce type d’accompagnement et de suivi :

• 72% des enseignants ont déjà eu dans leur classe un ou plusieurs enfants orphelins et 64% d’entre eux ont vécu, dans l’année écoulée, le décès d’un (ou deux) parent(s) d’un élève de la classe.

• Moins de 56% des enseignants savent avant la rentrée s’il y aura des enfants orphelins dans la classe pour l’année à venir.

• Si 79 % des enseignants considèrent que la prise en compte de la situation des élèves orphelins fait partie intégrante de leurs fonctions et de leur rôle, 54% redoutent ou appréhendent d’avoir à affronter une situation d’orphelinage. Seuls 6% d’entre eux déclarent avoir été sensibilisés à ce sujet lors de leur formation initiale et 4% ont suivi une formation spécifique. Or, ils sont 85% à considérer que ce sujet devrait être abordé en formation initiale et 80% lors de formations ponctuelles.

• 75% des enseignants ont constaté des changements de comportement chez l’élève orphelin suite au décès de son parent. 80% d’entre eux portent une attention plus grande aux orphelins, 39% sont plus cléments quant à leur attitude en classe et 14%

sont moins exigeants concernant les apprentissages et les résultats de ces élèves.

• Enfin, 86% des enseignants se déclarent intéressés par un guide des « bonnes pratiques ». Au niveau de mesures spécifiques, 53% d’entre eux jugent prioritaire la création d’espaces de parole et d’écoute ouvert aux enfants vulnérables dans les établissements et 40% soulignent l’importance d’instaurer des procédures pour mieux accompagner l’enfant endeuillé.

Si le manque d’informations et de formations spécifiques est régulièrement avancé par les enseignants pour justifier leur manque d’aisance sur ce sujet, les études menées montrent plutôt une certaine contradiction avec ce constat. Il semblerait qu’il y a souvent un écart entre ce que les enseignants peuvent faire et ce qu’ils croient être capables de faire (Kahn, 2013), ce que Bandura (1983) nomme le sentiment d’auto-efficacité. Dans sa recherche, Atkinson (1980) a pointé des différences significatives entre ce que les sujets pensaient connaître des actions à mener en cas de deuil et les actions réellement menées. De même, Hare et Cunningham (cités par Kahn, 2013, p. 16) rapportent qu’une formation donnée à des enseignants du préscolaire et du primaire, ciblée sur les besoins spécifiques des enfants en deuil, n’a pas pour autant donné lieu à une augmentation significative du degré de « confort » des enseignants pour parler de la mort avec les enfants.