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PARTIE I CONTEXTUALISATION HISTORIQUE : LA PSYCHANALYSE DE

Chapitre 1 – La psychanalyse à l’époque coloniale 38 

2) La théorie psychanalytique de Bose 54 

A – « A New Theory of Mental Life »

Dès sa thèse de doctorat en psychologie, The concept of repression, Bose cherche à se réapproprier activement la théorie freudienne. L’isolement géographique et culturel total dans lequel se trouve le groupe de Calcutta, loin des centres psychanalytiques européens, conduit le fondateur de la psychanalyse indienne à développer une activité théorique singulière, influencée par le contexte intellectuel bengali, et plus globalement indien, des années 1920-1950. Entre 1921, l’année de l’écriture de sa thèse, et 1953, l’année où il meurt, Bose écrit une masse considérable de

textes, en anglais et en bengali, dont il est impossible de rendre compte de façon exhaustive dans ce travail. En outre, ses positions théoriques ont pu varier avec le temps. Comme celui de Freud, son cheminement théorique s’est fait par étapes, au gré des situations cliniques qu’il a rencontrées, matière première de sa réflexion. Aussi, pour exposer le système théorique de Bose, a-t-on pris la décision d’analyser son imposant article intitulé A New Theory of Mental Life, qui en donne le développement le plus achevé. Cet article, qui est publié pour la première fois en 1933 dans l’Indian Journal of Psychology, est divisé en deux grandes parties distinctes : dans la première, Bose reprend et explique, dans un but manifestement pédagogique, les grands concepts freudiens ; dans la seconde partie, il développe sa propre théorie du fonctionnement psychique. Comme nous allons le voir, Bose élabore une théorie de la psychè qui, tout en utilisant le cadre conceptuel et terminologique de la métapsychologie freudienne, s’en écarte à de nombreux égards.

Dans les analyses qu’il a conduites, Bose dit avoir souvent remarqué que les symptômes liés à un désir refoulé ne disparaissent pas avec la prise de conscience du désir refoulé par le patient. D’après lui, une chose curieuse se produit alors. Les symptômes se transforment, et le matériel apporté par le patient (associations libres, fantasmes, rêves) révèlent un nouveau désir inconscient, qui est le contraire du premier désir refoulé, dont le patient a précédemment pris conscience. Le premier désir refoulé est ainsi remplacé par un deuxième désir refoulé qui, dans son contenu, constitue l’opposé du premier désir refoulé. Lorsque le travail avec l’analyste permet au patient de prendre conscience de ce nouveau désir refoulé, le premier désir, qui était depuis un certain temps présent à la conscience du patient, est à nouveau frappé par la censure de la conscience et redevient inconscient. Au fur et à mesure de l’analyse, les deux désirs opposés intervertissent ainsi leur place à plusieurs reprises, passant alternativement de l’inconscient à la conscience. C’est ce que Bose appelle le mécanisme de la balançoire (see-saw mechanism). Ce mécanisme se prolonge pendant un certain temps, avec une fréquence d’oscillation croissante et une intensité au contraire décroissante des deux désirs en question, jusqu’au moment où ces deux désirs opposés parviennent à être conscients en même temps et où le patient peut les reconnaître simultanément. Alors seulement disparaissent les symptômes. Bose donne notamment l’exemple clinique d’un patient chez qui le désir d’être sexuellement actif et le désir d’être sexuellement passif alternent plusieurs fois. Chaque fois, le désir accessible à la conscience du patient provoque chez lui honte et dégoût. La bonne conduite de l’analyse permet finalement au patient de convoquer mentalement, sans déplaisir, à la fois le rôle actif et le rôle passif d’une relation sexuelle. Les paires de désirs opposés peuvent s’organiser autour de différents types d’opposition : actif / passif, comme dans le bref exemple pris ci-dessus, mais aussi féminin / masculin, subjectif / objectif, amour / haine, etc.

Bose a ainsi une conception binaire de la vie psychique. La psychè, grande monade, est composée de deux entités distinctes que sont la conscience et l’inconscient. Cette grande monade, qu’il appelle aussi « moi théorique » (theoretical ego), constitue l’entité hypothétique qui maintient la continuité de la vie psychique, à la fois consciente et inconsciente. Bose (1933 : 80) en donne la définition suivante : « C’est le “je” de l’homme ordinaire, qui ressent la continuité de l’expérience et des efforts de la vie. C’est le grand réservoir de tous les désirs, conscients et inconscients. Il englobe le moi freudien, le ça et le surmoi, et finalement toutes les manifestations de la vie psychique. Il abrite des éléments contraires, susceptibles d’entrer en conflit les uns avec les autres, et maintient en même temps – du moins habituellement – l’unité qui constitue la personnalité. » Ce moi théorique contient donc tous les phénomènes psychiques, qui s’y présentent soit sous la forme consciente, soit sous la forme inconsciente. Au centre de la vie psychique se trouvent les désirs, concept central de la théorie du psychanalyste indien, qu’il définit ainsi : « C’est le désir et lui seul qui fournit la force motrice nécessaire à la vie. Un désir peut être conscient ou inconscient. Le désir consiste en une forme d’énergie mentale comparable à la force physique, qui entraîne un changement dans un ensemble existant de perceptions. Toute forme d’actions, depuis le choix délibéré jusqu’au simple réflexe, peut être considérée comme étant d’une façon ou d’une autre le résultat d’un désir. » (Bose 1933 : 81) Le désir semble donc constituer la force vitale première du psychisme, comparable à l’énergie physique pour les phénomènes corporels. Comme le remarque Jean Nimylowycz (2003 : 51), cela rappelle de façon frappante la définition freudienne de la pulsion : « Le concept de “pulsion” nous apparaît comme un concept-limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations » (Freud 1915c : 18). Toutefois, à la différence de la pulsion freudienne, qui est le représentant psychique d’une excitation issue de l’intérieur du corps, le désir de Bose se forme à partir des perceptions, qui se constituent elles- mêmes en réaction aux stimulus provenant de l’extérieur : « D’un point de vue déterministe, le développement de n’importe quel désir résulte des dispositions de l’environnement. L’environnement produit les perceptions, qui constituent elles-mêmes des formes de désirs latents. » (Bose 1933 : 83) En outre, Bose conçoit les désirs de façon fondamentalement duelle et conflictuelle. Il n’existe pas de désir isolé, les désirs se présentent toujours par paires, chaque désir étant nécessairement accompagné d’un désir contraire. Les deux désirs symétriquement opposés possèdent chacun une activité dynamique propre : ils peuvent être tous les deux dans l’inconscient, s’inhibant l’un l’autre ; l’un peut être dans l’inconscient et l’autre dans le conscient, ce qui a pour conséquence de lancer le mécanisme de la balançoire ; ils peuvent être tous les deux dans le conscient, à un degré atténué qui leur permet de coexister et de se voir satisfaits simultanément.

Cette caractéristique duelle et contradictoire des désirs a pour conséquence de rendre plus poreuses les frontières ontologiques et de favoriser les phénomènes d’identification et d’introjection. En effet, chaque fois qu’un individu réalise un désir, son moi se divise en deux. Une partie de lui-même se réjouit d’avoir réalisé son premier désir (a), tandis que l’autre s’identifie à l’objet de ce premier désir, si bien que son deuxième désir (-a) est satisfait à son tour. Penons un exemple. Amal a le couple de désirs opposés suivant : opprimer Sujit et être opprimé par lui. S’il en vient à frapper Sujit, il réalise son désir actif. Mais parce qu’Amal a aussi le désir d’être opprimé, une partie de lui s’identifie à Amit et éprouve de l’empathie pour lui, de sorte que son désir passif est aussi satisfait10. La théorie des désirs opposés permet ainsi de rendre raison des relations entre sujet et objet. C’est parce que l’individu a des désirs opposés qu’il n’est pas enfermé en lui-même et qu’il peut s’identifier à autrui. Le fait que les désirs aillent toujours par paires opposées conduit au caractère assez perméable des frontières entre le moi et non-moi. Tout se passe comme si le clivage entre sujet et objet (mais aussi entre masculin et féminin ou entre actif et passif) était dépassable, et ce précisément parce que l’individu a des désirs opposés et qu’il est toujours déjà dans les deux positions à la fois : sujet et objet, masculin et féminin, actif et passif. L’une de ces positions peut prendre le dessus sur l’autre, l’intériorité psychique n’en demeure pas moins profondément marquée par une ambivalence structurelle. La résolution du conflit intrapsychique, c’est-à-dire l’apaisement de la tension née de la confrontation des deux désirs opposés, semble d’ailleurs liée à la capacité de s’identifier à l’autre (humain ou même objet), c’est-à-dire en définitive à reconnaître en l’autre l’une de ses positions subjectives possibles. C’est en ce sens que Bose (1933 : 67) dit : « Le mécanisme de la balançoire semble être le préliminaire nécessaire à une parfaite identification, qui seule peut résoudre le conflit. » Il faut en passer par cette alternance de désirs opposés pour reconnaître en soi la totalité qui sommeille et acquérir ainsi la capacité à s’identifier au monde extérieur, c’est-à-dire à étendre les frontières de son moi pour se reconnaître dans l’autre.

La théorie des désirs opposés conduit aussi Bose à élaborer sa propre technique thérapeutique dès les années 1920. Le patient est en position semi-allongée sur une chaise longue, les yeux fermés. L’analyste se trouve légèrement en retrait du patient, assis derrière un bureau (image 1). Le thérapeute note rigoureusement le contenu des associations du patient au cours de la séance, en veillant à reproduire la structure grammaticale exacte du discours. Bose adopte une méthode très directive, relativement proche de la méthode active utilisée par Sándor Ferenczi. Il demande volontiers au patient d’associer sur une de ses associations précédentes, qu’il lui relit dans sa forme d’origine. Il force ainsi la production et la formulation de ses fantasmes. Il ne s’interdit pas

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non plus de lui demander de se projeter dans certains fantasmes, dans lesquels il serait tantôt sujet de l’action, tantôt objet, tantôt actif, tantôt passif, etc. Il lui arrive d’inviter ses patients à réitérer chez eux ces constructions fantasmatiques, à prendre des notes à leur sujet et à venir aux séances avec ces notes.

En faisant tout cela, il induit lui-même le mécanisme de la balançoire entre le matériel conscient et le matériel inconscient, et procède de la sorte jusqu’à ce que le patient ait reconnu l’ensemble des contenus refoulés et que le symptôme disparaisse. Bose intervient ainsi activement pour forcer le patient à vaincre ses résistances. Comme le souligne Sudhir Kakar (1989a : 501) – le deuxième père de la psychanalyse indienne, celui qui relancera la psychanalyse dans les années 1980 après son long déclin –, lorsqu’il demande au patient de faire prendre telle ou telle tournure à son fantasme, Bose n’est pas très éloigné de certaines méthodes méditatives utilisées dans les écoles philosophiques et spirituelles hindoues. Il cite en particulier la visualisation tantrique, conceptualisée dans certaines traditions yogiques bien connues de Bose : le guru demande d’abord à son disciple de visualiser une image divine avec l’ensemble de ses attributs ; puis il lui demande de s’identifier avec la divinité pour « réveiller le divin » en lui11. Ces deux étapes semblent présentes, quoique de façon déformée, dans la méthode thérapeutique imaginée par Bose, qui demande parfois à ses patients d’imaginer certains fantasmes et qui accorde une place centrale aux processus psychologiques d’identification. Bose semble donc concevoir le rôle de l’analyste d’une façon qui le rapproche du guru de certaines traditions yogiques, en lui accordant un rôle bien plus directif. Et s’il n’ignore nullement les débats européens et américains autour de la question de la suggestion de l’analyste dans la cure, Bose semble n’en avoir pas vraiment tenu compte dans sa propre pratique (Bose 1933 : 41-45)12. En définitive, Bose est resté fidèle à sa propre méthode thérapeutique, dont la logique est étroitement articulée à sa théorie des désirs opposés.

La théorie des désirs opposés constitue ainsi le socle conceptuel à la fois de la métapsychologie de Bose et de sa technique thérapeutique. Le psychanalyste indien semble avoir voulu élaborer un système théorique et clinique aussi simple que possible, que certains jugent même simpliste, tant il peut sembler schématique13. Il est vrai que, si l’idée que la tension intrapsychique résulte de la conjonction de deux désirs opposés est cohérente et semble pouvoir être défendue, Bose ne donne aucune analyse différentielle de la constitution des névroses, comme le remarque

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Généralement, le guru choisit des images excessivement crues, comme par exemple celle de la déesse Durga, terrifiante, la bouche ensanglantée, les cheveux défaits, le sourire aux lèvres, une guirlande de crânes autour du cou, des cadavres d’enfants en guise de boucle d’oreilles, etc. L’image devient ainsi un support projectif des pulsions sexuelles refoulées du yogin, qui troublent sa concentration. En pratiquant cet exercice sur des images variées, le yogin apprendrait à maîtriser ses mouvements projectifs inconscients et à désolidariser les affects des représentations auxquelles ceux-ci étaient associés dans l’inconscient (cf. Nimylowycz 2003, p. 57-58).

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Sans doute jugeait-il ces débats peu pertinents dans le contexte indien : les thérapies suggestives représentent en effet l’immense majorité – si ce n’est la totalité – des thérapies de l’esprit et semblent s’adosser à certains idéaux sociaux de la société indienne, où « l’idéal d’apprentissage et de transformation personnelle se fonde sur l’identification au modèle » (cf. Kakar 1982 : 333-334). La question de la suggestion a, dans les décennies qui suivent l’indépendance, occupé une grande place dans les débats qui ont entouré la psychanalyse, comme nous aurons l’occasion de le voir.

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Ashis Nandy (1995 : 120) juge par exemple qu’aucun psychologue de son époque (les années 1990), si bienveillant soit-il, ne pourrait être impressionné par cette théorie.

Jean Nimylowycz (2003 : 61). Il explique que la tension est à l’origine de la formation des symptômes, mais n’explique pas pourquoi la même tension peut entraîner, chez deux individus différents, la formation de deux symptômes différents. Pour résoudre ce problème, Bose (1933 : 86) a recours au facteur héréditaire, auquel il donne une place déterminante dans la formation des symptômes : « Comment se peut-il encore que, dans des conditions environnementales identiques, une personne développe une psychose tandis qu’une autre reste normale ? Cela ne peut s’expliquer qu’en faisant l’hypothèse d’une différence de constitution héréditaire. Si l’on considère l’hérédité comme les conditions environnementales passées, il ne saurait y avoir de difficulté à expliquer de tels phénomènes en se fondant sur la théorie des désirs opposés. » On se souvient en effet que le désir bosien, à la différence de la pulsion freudienne, n’est pas issu de l’intérieur du corps et se forme en interaction avec le contexte extérieur. C’est là une véritable différence avec la plupart des traditions de psychanalyse occidentales, qui ont toujours refusé de céder le terrain de la maladie mentale aux neurologues et aux généticiens qui affirment avoir découvert des facteurs organiques et biologiques dans la formation des troubles psychiques. En dehors de son recours aux prédispositions héréditaires, Bose ne prend pas vraiment la peine d’expliquer les facteurs qui déterminent l’apparition d’une psychopathologie, et le développement de telle psychopathologie plutôt que telle autre. Il n’explique pas non plus d’où vient le caractère fondamentalement ambivalent de la vie psychique. Pourquoi la psychè abrite-t-elle nécessairement deux désirs opposés en même temps ? Il semble qu’on doive accepter cette juxtaposition structurelle sur la seule foi de ses observations cliniques.

B – Une psychanalyse non-individualiste

Bose semble repenser les rapports entre psychisme et réalité. Comme nous l’avons vu, le désir bosien remplace la pulsion freudienne comme force vitale première du psychisme. Or, le psychanalyste indien prend soin de préciser que le désir ne se forme pas de façon endogène mais dans une interaction permanente avec l’environnement extérieur, la perception étant ce qui permet de faire la jonction entre l’individu et le monde. Pour Freud au contraire, la pulsion est issue de l’intérieur du corps et n’est nullement déterminée par l’environnement extérieur. Ainsi chez Bose, l’individu est bien moins clos sur lui-même que chez Freud. Cela a des conséquences dans l’étiologie des troubles psychiques. Les dérangements de l’esprit ont-ils une cause endogène ou exogène ? Comme le remarque Jean Nimylowycz (2003 : 49), il semble bien que Bose accorde à l’environnement une fonction inductive dans la formation des troubles de l’individu. Freud au contraire renonce dès 1897 à sa théorie de la séduction (au sens d’abus), autrement appelée sa

« neurotica », c’est-à-dire à l’idée qu’un traumatisme réel, vécu dans l’enfance et refoulé par le sujet, serait nécessairement à l’origine des troubles psychiques. Freud (1950a : 191) en arrive au contraire à la conclusion qu’ « il n’existe dans l’inconscient aucun “indice de réalité”, de telle sorte qu’il est impossible de distinguer l’une de l’autre la vérité et la fiction investie d’affect ». Les psychanalystes ont l’habitude de considérer ce remaniement théorique comme l’un des moments fondateurs de la psychanalyse, parce que l’abandon de la théorie de la séduction signifie aussi l’abandon du modèle neurologique et ouvre la voie à la théorie freudienne du fantasme et, à sa suite, à celle de la sexualité infantile et du complexe d’Œdipe. Ce n’est donc pas un hasard si Bose, qui n’a jamais renoncé à l’idée que les désirs présents dans l’inconscient ont, d’une façon ou d’une autre, leur fondement dans la réalité, accorde quant à lui aux facteurs héréditaires une réelle importance dans l’étiologie des troubles de l’esprit.

En accordant ainsi une fonction inductive à l’environnement, Bose reprend à son compte une croyance communément partagée dans le monde indien : les troubles psychiques ont des causes exogènes, qui peuvent renvoyer à une extériorité spatiale (l’environnement, des divinités, des fantômes) ou temporelle (les vies antérieures, les ancêtres, l’hérédité), comme le montre Brigitte Sébastia (2009). Plus précisément, on sait qu’à l’époque de Bose, le discours médical bengali superpose partiellement l’idée de transmission horizontale (la contagion) et l’idée de transmission verticale (l’hérédité), et que le mot sankraman, qui signifie contagion, est aussi utilisé pour parler de l’hérédité dans les cas de folie (Mukharji 2012 : 113). De la même façon, chez Bose, la maladie mentale est déterminée par deux types de causes extérieures, les causes horizontales (les dispositions de l’environnement) et les causes verticales (les prédispositions de l’individu), ces deux types de causes n’étant pas toujours clairement distingués. Bose (1933 : 86) définit en effet l’hérédité comme « l’environnement passé » et reprend implicitement à son compte une conviction partagée par les différentes traditions médicales présentes au Bengale à son époque (médecine allopathique, homéopathie, unani, ayurveda) : le régime alimentaire et le mode de vie, quand ils sont adoptés sur plusieurs générations, peuvent conduire à de subtiles changements anatomiques ou physiologiques qui peuvent en retour affecter la prédisposition héréditaire d’un individu aux maladies physiques et mentales. Pour comprendre les troubles psychiques d’un individu, il faut donc resituer celui-ci dans une continuité horizontale avec son environnement et verticale avec ses ancêtres. De tels troubles ne sauraient s’expliquer par des causes uniquement intérieures.

On peut aussi faire l’hypothèse qu’il y ait une dimension discrètement politique dans la volonté d’accorder une causalité extérieure aux troubles psychiques : être à même de rendre compte

des conséquences pathologiques que la violence des rapports coloniaux pouvait avoir sur la santé mentale des individus. La majorité des patients de Bose est issue de l’élite éduquée bengalie, qui se situe socialement dans une position intermédiaire entre les colonisateurs britanniques et les indigènes étrangers au monde colonial. Cette position intermédiaire est assurément une position