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Sudhir Kakar, le deuxième père de la psychanalyse indienne 95 

PARTIE I CONTEXTUALISATION HISTORIQUE : LA PSYCHANALYSE DE

Chapitre 3 – La refondation culturaliste de la psychanalyse indienne 95 

1) Sudhir Kakar, le deuxième père de la psychanalyse indienne 95 

On connaît la vie de Sudhir Kakar par le récit qu’il en a lui-même fait à différentes occasions, et notamment dans le livre autobiographique qu’il a publié en 2011, A book of memory, confessions and reflections. J’ai aussi recueilli des informations lors de l’entretien qu’il m’a accordé en décembre 2016 à Goa. Sudhir Kakar est né le 15 juillet 1938 à Nainital, une petite commune dans l’Himalaya, située dans l’état d’Uttaranchal (qui est devenu l’état d'Uttarakhand en 2000). Il est issu d’une famille hindoue punjabie originaire de Lahore et appartenant à la caste des Khatris. Les Khatris, qui peuvent être hindous ou sikhs, se considèrent comme l’équivalent punjabi des Kshatriya, la caste guerrière, en dépit du fait que la majorité d’entre eux travaillent depuis l’époque moghole dans le secteur marchand. Son père, qui est magistrat, est régulièrement muté et Kakar grandit dans différentes villes comme Sargodha, Rohtak, Shimla et Jaipur. En 1955, après son second cycle, ses parents l’envoient faire des études d’ingénieur à Ahmedabad. Ces études ne l’attirent guère, mais Kakar obéit sans rechigner. L’idée que le choix d’une profession puisse revenir à l’individu plutôt qu’à sa famille ou que la jeune génération puisse se rebeller contre la génération des parents n’existe pas à cette époque en Inde. A Ahmedabad, Kakar vit chez une de ses tantes maternelles, Kamla Chowdhry, une femme qui a été veuve très tôt et qui vit la vie atypique d’une femme seule, évoluant dans les cercles intellectuels de la ville et connue pour être la maîtresse du célèbre physicien Vikram Sarabhai, « père du programme spatial indien » et fondateur de l’Institut indien de management (Indian Institute of Management) d’Ahmedabad. C’est en vivant chez sa tante Kamla que Kakar découvre la philosophie occidentale et la psychologie, disciplines qui le passionnent immédiatement, contrairement à ses études d’ingénieur qui l’ennuient beaucoup. Il lit avidement Schopenhauer, Whitehead, Russel et Freud. Par le biais de la fréquentation de sa

tante Kamla et des amis qui l’entourent, Kakar découvre « la fascination pour le fait d’être un individu, d’être une personne qui n’a pas besoin de penser ou de se comporter uniquement comme un membre de sa famille ou de sa caste » (Kakar 2011a : 107). Dès lors, Kakar se sent très attiré par cet idéal d’indépendance qu’il associe au monde occidental. Son attrait pour la psychologie est indissociable de son désir confus de ne pas suivre le chemin que sa famille a tracé pour lui. Pour de nombreuses années, l’« homme psychologique », cet « individu héroïque, suivant ses désirs et ses inclinations, échappant aux attentes sociales et aux attaches humaines » devient le modèle qui l’attire et le fascine (Kakar 2011a : 107).

A la fin de ses études, Kakar avoue à son père ne pas aimer le métier d’ingénieur et lui demande de le laisser aller faire une licence à l’étranger dans une discipline qui lui plaît, comme la psychologie, l’anthropologie ou la philosophie. Son père refuse de le laisser changer d’orientation professionnelle, mais finit par le laisser aller suivre un master en ingénierie industrielle en Allemagne. En 1959, Kakar va donc vivre à Hambourg, où il fait l’expérience d’une liberté qu’il ne connaissait pas et découvre avec enthousiasme la vie étudiante allemande. Néanmoins, ses études d’ingénieur continuent de lui peser et ses doutes quant à son orientation professionnelle s’intensifient. La distance lui donne le courage de s’opposer franchement à son père et à sa famille. Il demande une fois encore, avec bien plus de force, à recommencer des études dans un domaine qui lui plaît. Son père, qui n’est aucunement prêt à céder à ce qu’il voit comme un caprice de jeunesse, propose toutefois à Kakar un compromis : au lieu de poursuivre ses études en ingénierie industrielle, comme c’était prévu, il peut étudier le management industriel, une discipline qu’il juge à mi-chemin entre l’ingénierie et la philosophie. Sudhir Kakar obtempère et suit donc des études de management industriel et d’économie entre 1959 et 1964.

Au printemps 1964, à vingt-cinq ans, il retourne en Inde après cinq ans passés en Allemagne. Ses parents pensent qu’ils vont enfin pouvoir lui faire obtenir un bon poste et le marier, mais Kakar se sent plus perdu que jamais. Engagé en tant que chargé de recherche au sein du département pour le management du développement agricole et rural de l’Institut indien de management, à Ahmedabad, il se voit confier la mission de recueillir des données sur les formes de leadership présentes dans les institutions rurales et voyage beaucoup dans les campagnes du Nord de l’Inde. Ses longs voyages lui laissent du temps pour essayer d’y voir plus clair en lui-même. Doit-il se ranger à l’avis de sa famille et trouver un bon poste d’ingénieur ou de professeur de management ? Ou lui faut-il prêter l’oreille à ses désirs un peu fous de devenir écrivain ou réalisateur ? Doit-il épouser l’une des jeunes filles sélectionnées par ses parents ? Ou doit-il partir à

la recherche du grand amour, comme dans la littérature romantique dont il raffole ? Kakar est dans une grande confusion, dont il ne sait comment s’extraire. L’incompréhension de sa famille, peu disposée à tolérer ses hésitations plus longtemps, rend cette période encore plus douloureuse (Kakar 2011a : 152).

C’est la rencontre du psychanalyste Erik Erikson qui va permettre au jeune Kakar de sortir de ce trouble intérieur. Erikson, qui est alors professeur de développement humain à l’université d’Harvard, passe quelques mois en 1964 à Ahmedabad pour travailler sur son livre consacré à Gandhi, publié en 1969 sous le titre La vérité de Gandhi : les origines de la non violence. Il vit chez Kamla Chowdhry, la tante de Kakar, qui est alors directrice des recherches de l’Institut indien de management. Kakar, qui vit aussi chez sa tante, lui parle de ses interrogations quant à son avenir professionnel, et plus généralement quant au genre de vie qu’il veut avoir. Il se met à lire les livres du psychanalyste américain et découvre ses théories sur les différents stades du développement psychosocial et son concept de « crise d’identité », qui semble tout d’un coup donner du sens au trouble intérieur qui l’habite :

Mes « problèmes d’identité », bien que de durée peut-être excessive, faisaient partie d’une crise normative de l’adolescence et du jeune âge adulte, où mes talents personnels recherchaient, sans succès pour le moment, un milieu professionnel qui leur convienne. En outre, ma confusion identitaire n’était pas simplement personnelle mais s’inscrivait aussi dans la culture de ma communauté – au sens où cela reflétait la crise contemporaine dans le développement historique de la classe moyenne indienne, déchirée entre l’Orient et l’Occident, divisée entre des conceptions du monde européenne et indienne (Kakar 2011a : 159).

Considérant qu’Erikson est « le guru que [son] identité indienne recherchait » (Kakar 2011a : 60), Kakar décide qu’il veut devenir, comme lui, un psychanalyste et un écrivain. Bien qu’il n’ait aucun diplôme de psychologie, Erikson se montre encourageant, et lui assure que s’il parvient à avoir un doctorat dans les trois prochaines années, il fera de son mieux pour le prendre à Harvard comme assistant.

Pour avoir un doctorat le plus rapidement possible, Kakar décide de poursuivre en économie, la discipline dans laquelle il a réalisé son master. En 1964, il part pour Vienne, où il fait une thèse sur le leadership dans les entreprises indiennes, utilisant pour cela les données qu’il a

recueillies dans les campagnes du nord de l’Inde lors de l’enquête qu’il a réalisée pour l’Institut indien de management. Dans cette thèse, qui cherche à comprendre la façon dont les traits spécifiques de la culture indienne façonnent des formes particulières de leadership, il s’intéresse pour la première fois à la dimension culturelle des phénomènes sociaux. En 1966, Kakar, qui a rempli toutes les obligations de son doctorat et rendu sa thèse, devient l’un des six assistants d’Erikson à Harvard – avec, entre autres, le futur sociologue Richard Sennett. C’est à cette époque que Kakar, qui doit encadrer des étudiants de psychologie sans avoir jamais lui-même étudié cette discipline, se met à lire abondamment de la psychologie et de la psychanalyse. Cela fait deux ans qu’il a acquis le désir de devenir psychanalyste, mais ce désir n’est pas ancré dans une connaissance de la théorie analytique ou dans une expérience clinique personnelle. Ce qui motive avant tout son attirance pour la psychanalyse, c’est la personnalité d’Erikson, qui jouit sur le campus d’Harvard d’une très grande notoriété et que Kakar admire beaucoup depuis leur rencontre à Ahmedabad. En outre, les productions théoriques d’Erikson le séduisent spontanément, en ce qu’elles accordent une place importante à la question de l’identité et de la culture. Selon Erikson, les processus intrapsychiques ne suffisent pas à rendre compte du développement dans toute sa complexité, et il faut compléter la théorie du développement psychosexuel de Freud par une théorie du développement psychosocial. Influencée par l’école culturaliste américaine, qui s’attache à relier les caractéristiques psychologiques des individus aux expressions particulières des cultures dans lesquelles ils évoluent, son approche est portée par le souci d’intégrer l’environnement social, à la fois restreint (le réseau des relations interpersonnelles) et étendu (la société et la culture). En cela, il prend une certaine distance avec la théorie freudienne, réticente à accorder une fonction inductive à l’environnement. Cette volonté de donner une dimension sociale, culturelle et historique à la psychanalyse résonne de façon particulièrement juste aux oreilles de Kakar. Ses séjours en Europe et aux Etats-Unis ont mis en branle chez lui de profonds questionnements sur sa propre identité, et sur la place qu’y prend son ancrage dans la culture indienne. La théorie d’Erikson lui fournit un outillage conceptuel pour se confronter à ces questions et ébaucher ce qui va constituer le projet intellectuel de toute sa vie, « la formulation d’une psychologie culturelle indienne, ou plus précisément, la compréhension de la psychè et de la société en Inde au prisme de la pensée psychanalytique » (Kakar 2011a : 175).

Kakar rentre en 1968 à Ahmedabad, où il enseigne à l’Institut indien de management. Il se marie la même année avec une jeune fille issue d’une grande famille commerçante de Bombay, après avoir longtemps lutté contre l’opposition de leurs familles respectives face à l’union d’une Bania gujaratie et d’un Khatri punjabi. Il garde le désir de devenir psychanalyste, sans savoir

toutefois comment s’y prendre. Il aimerait intégrer une école de psychanalyse américaine mais n’est pas médecin, condition nécessaire aux Etats-Unis pour entreprendre la formation d’analyste. C’est une fois encore Erikson qui lui vient en aide. A sa demande en effet, le psychanalyste allemand Alexander Mitscherlich, alors directeur du Sigmund Freud Institute de Francfort, propose à Kakar de le prendre en formation. De 1971 à 1975, Kakar se forme au métier d’analyste à Francfort, en conduisant son analyse personnelle, en fréquentant assidûment le Sigmund Freud Institute et en participant de façon plus large à la vie intellectuelle de Francfort, où psychanalystes et spécialistes des sciences sociales travaillent en étroite collaboration. Depuis sa fondation en 1923, l’Institut de recherche sociale de Francfort est caractérisé par sa volonté d’articuler marxisme et psychanalyse dans l’élaboration d’une théorie critique. Pour les grands penseurs de cette tradition comme le philosophe et sociologue Max Horkheimer et le psychanalyste Erich Fromm, la psychanalyse est avant tout une science complémentaire, qui prolonge la critique marxiste de l’économie politique par une analyse de l’économie psychique. La psychanalyse fournit au marxisme une théorie de la subjectivité qui lui fait défaut. Chez un autre penseur de l’Ecole de Francfort, Théodor Adorno, la psychanalyse permet davantage d’éclairer l’irrationalité sociale, la négativité ou la déraison dans l’histoire, et s’avère ainsi un outil indispensable dans l’analyse de la personnalité autoritaire, du fascisme, du nationalisme ou du racisme. L’usage des concepts psychanalytiques pour un diagnostic critique de la société s’accompagne d’une critique de l’anhistoricité de la théorie psychanalytique. Les penseurs de l’Ecole de Francfort soutiennent que l’organisation psychique doit toujours être resituée socialement et historiquement. Ils sociologisent la psychanalyse, refusent le noyau biologique de la découverte freudienne et insistent sur l’importance de la culture26. C’est dans ce contexte intellectuel que Kakar effectue sa formation de psychanalyste. La fréquentation d’Erikson, qui fait de l’identité une construction psychosociale, l’a déjà amené à réfléchir à la place de l’environnement socio-culturel dans la psychè humaine. La fréquentation de la tradition francfortoise le conduit à poursuivre cette réflexion. Il commence dès lors à regarder d’un œil critique les traditions psychanalytiques – en particulier l’ego-psychology américaine – qui s’adossent à une conception très individualiste de l’homme et jugent que l’environnement socio- culturel n’a qu’une influence secondaire et superficielle sur la vie psychique des individus. Le projet intellectuel qui l’occupera toute sa vie peut être décrit comme une réfutation des thèses de cette psychanalyse individualiste, à partir d’une exploration de la psychè indienne et du rôle de la société dans l’élaboration de cette psychè.

26 Les façons précises d’articuler théorie freudienne et théorie de la société ont pu grandement varier et ont fait l’objet

de vifs débats au sein des penseurs proches de l’Institut de recherche sociale de Francfort. Pour une analyse détaillée de ces débats, on peut se reporter à Genel 2016.

Au-delà de ce contexte intellectuel, c’est l’analyse personnelle de Kakar qui le pousse à réfléchir sur le rôle de la culture dans la formation de la personnalité. Dès le début de son analyse avec Clemens de Boor, un psychanalyste spécialiste de la médecine psychosomatique, Kakar sent confusément qu’en bien des domaines, de Boor et lui-même ont du mal à se comprendre. Prenons les deux exemples sur lesquels il insiste dans son autobiographie. Tout d’abord, il se sent mal à l’aise devant l’attitude distante, voire froide, de Clemens de Boor. A ses yeux, la figure du psychanalyste incarne « la personnification du vieux sage guidant avec bienveillance un disciple sincère et travailleur qui [a] abdiqué, au profit de son guru, toute responsabilité dans son propre bien-être » (Kakar 2011a : 200). Alors qu’à la même époque, c’est le potentiel subversif de la psychanalyse qui fait son attrait auprès de la jeunesse européenne et américaine, l’attirance de Kakar pour la psychanalyse tient beaucoup aux vertus de sagesse et de discernement qu’il associe avec la mise à jour des contenus inconscients. Ainsi Kakar conçoit spontanément sa relation avec son psychanalyste en la calquant sur le modèle relationnel maître / disciple. Kakar attend de son psychanalyste que, comme tout bon guru indien – et comme s’est en outre comporté Erikson avec lui –, il montre bienveillance, sollicitude et compassion, de façon bien plus manifeste que ne le font habituellement les psychanalystes européens. Il y a là un premier décalage culturel avec son psychanalyste. L’autre exemple sur lequel insiste Kakar pour illustrer les incompréhensions entre son psychanalyste et lui-même, c’est les relations intrafamiliales et la place accordée aux membres de sa famille élargie. Kakar remarque que de Boor a tendance à considérer les oncles, les tantes et les cousins qui ont eu une grande importance dans son enfance et dans sa vie comme des figures de second plan. Il a le sentiment d’avoir du mal à faire comprendre l’importance et la spécificité de chacune de ces relations. Le système de parenté qui prévaut en Inde du Nord, et dans la famille punjabie de Kakar, distingue nettement des relations qui sont confondues dans le système de parenté qui prévaut en Allemagne, et plus généralement en Europe. Tout d’abord, les relations matrilatérales et les relations patrilatérales sont clairement différenciées, à la fois dans la terminologie utilisée, dans les devoirs et les obligations qui accompagnent ces différentes relations, et plus généralement dans les représentations collectives qui les entourent. Ensuite, au sein du même côté de la famille (celui du père ou celui de la mère), un même type formel de relation (par exemple, neveu / oncle paternel) se voit souvent redoubler d’un deuxième critère de distinction, l’âge et le rang dans la famille, critère qui à son tour entraîne une terminologie spécifique ainsi que des devoirs et des obligations différents. Ainsi, pour en rester au même exemple, les oncles paternels sont clairement distincts des oncles maternels. Au sein des oncles paternels, les oncles plus âgés que le père sont différenciés des oncles qui sont plus jeunes que lui. Les oncles maternels sont au contraire désignés par le même terme. Ainsi, là où l’on parle d’ « oncle » en français – ou d’« Onkel » en allemand – le punjabi distingue : le taya (le frère aîné du père), le chacha (le frère

cadet du père), le phupher (le mari de la sœur du père), le mama (le frère de la mère) et le masar (le mari de la sœur de la mère). Chacun de ces termes indique une relation de parenté spécifique et convoque un imaginaire bien particulier. Par exemple, le taya est une personne que l’on respecte et que l’on craint quand on entretient une relation de camaraderie et de taquinerie avec son chacha et qu’on est gâté et choyé par son mama. Dans son analyse personnelle, Kakar convoque spontanément tout l’éventail de ces relations. Mais il s’aperçoit que Clemens de Boor, qui est peu au fait des spécificités du système de parenté qui prévaut en Inde du Nord, a tendance à ne voir dans ses différents oncles et ses différentes tantes que de simples figures parentales, lissant ainsi totalement les spécificités de chacune de ses relations. Kakar a le sentiment d’« un sérieux appauvrissement de [s]on monde intérieur » (Kakar 2011a : 200). Tout cela amène peu à peu Kakar à réfléchir à ce qui, dans son identité, est déterminé par son appartenance à la culture indienne. Il est intéressant de noter que les deux domaines qui mettent en branle ces réflexions, la relation thérapeutique et les relations familiales, sont aussi au cœur des critiques formulées par les partisans d’une indianisation de la psychothérapie occidentale. On aura l’occasion de voir combien, aujourd’hui encore à Delhi, la relation thérapeutique est susceptible d’être modelée par les spécificités de la configuration familiale indienne.

En 1975, Kakar rentre avec sa famille à Delhi – son fils Rahul est né en 1973, sa fille Shveta en 1975. Il n’a pas totalement terminé sa formation de psychanalyste mais sa situation financière ne lui permet pas de rester plus longtemps à Francfort. A Delhi, la psychanalyse est alors presque inexistante. D’après ses dires, il y aurait deux psychanalystes dans la capitale indienne, dont l’un ne pratique pas. Shib Mitra, celui qui est en exercice, devient son analyste contrôleur pour les deux cas cliniques qu’il doit fournir à la Société psychanalytique indienne afin d’en devenir pleinement membre. Kakar ouvre un cabinet dans le centre de Delhi, près de Connaught Place. La majorité des patients qui viennent le consulter sont amenés par leur famille et ont déjà, sans succès, fait le tour d’autres thérapeutes, guérisseurs religieux, médecins ayurvédiques, psychiatres. Leurs proches sont le plus souvent convaincus qu’ils sont possédés par un esprit maléfique particulièrement retors, dont aucun thérapeute n’a pu venir à bout. Ils voient Kakar comme un nouveau « médecin du cerveau », auréolé du prestige de la science occidentale et qui constitue parfois leur dernier espoir. Kakar est totalement désarmé par cette patientèle. Il évalue lui-même son taux d’échec à 90 % (Kakar 2011a : 213). Non pas qu’il ne puisse comprendre, au moins partiellement, les cas de possession à l’aide de l’outillage conceptuel freudien. Il interprète la possession comme un symptôme révélant la tentative de désirs inconscients et inacceptables pour se frayer un chemin