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Naissance et développement de la psychanalyse indienne 38 

PARTIE I CONTEXTUALISATION HISTORIQUE : LA PSYCHANALYSE DE

Chapitre 1 – La psychanalyse à l’époque coloniale 38 

1) Naissance et développement de la psychanalyse indienne 38 

La psychanalyse est arrivée en Inde très tôt, dès les années 1910-1920. L’histoire de la psychanalyse à l’époque coloniale a fait l’objet d’un certain nombre de travaux dans les deux dernières décennies. L’historienne Christiane Hartnack (2001) a écrit l’ouvrage de référence sur la question, qui établit avec rigueur les faits. Ashis Nandy (1995) a rédigé une biographique psychologique de Girindrasekhar Bose, le père de la psychanalyse indienne. Les écrits théoriques de ce père fondateur, bien que tombés dans l’oubli depuis fort longtemps dans le monde psychanalytique indien, ont récemment fait l’objet de quelques études, notamment celles du psychiatre Amitranjan Basu (1999) ou des psychanalystes Anup Dhar (2017) et Jean Nimylowycz (2003). Les enjeux coloniaux de la pratique psychanalytique au début du vingtième siècle ont aussi été analysés par Ashis Nandy (1995), Shruti Kapila (2007) ou encore Bhargavi V. Davar (1999). Ce premier chapitre s’appuie sur ces travaux pour expliquer le contexte d’arrivée de la psychanalyse en Inde, présenter les innovations théoriques et cliniques entreprises par les psychanalystes indiens et décrire les enjeux de la pratique psychanalytique pendant cette période coloniale. Si la psychanalyse de cette époque est, directement ou indirectement, marquée par le contexte social particulier de la colonisation et de la lutte nationaliste, cette période fondatrice laisse aussi apparaître un certain nombre de traits qui se révèleront, dans le temps long, être caractéristiques de la psychanalyse indienne. L’enjeu de ce chapitre est de poser les jalons qui nous permettront ensuite de mesurer les continuités et les ruptures qui existent entre les débuts de la psychanalyse indienne et la pratique psychanalytique telle qu’elle se déploie aujourd’hui à Delhi.

1) Naissance et développement de la psychanalyse indienne

A – L’arrivée de la psychologie en Inde

L’introduction d’une éducation occidentale destinée aux couches supérieures de la population indienne dans la première moitié du 19ème siècle a permis l’émergence d’une élite éduquée et anglicisée, les Bhadralok, ces « gens respectables » qui servent de relais au pouvoir colonial britannique. C’est à Calcutta, capitale des Indes britanniques de 1773 à 1911, date à laquelle le Raj déplace sa capitale à Delhi, que s’opère la rencontre la plus féconde entre les savoirs européens et les savoirs indiens. Au cours du 19ème siècle, les orientalistes britanniques qui

s’enthousiasment pour l’étude des langues, des textes et des savoirs indiens sont peu à peu rejoints par des membres de l’élite indienne anglicisée, qui remettent en cause l’orthodoxie religieuse concernant le statut social des femmes, la place des castes ou les croyances superstitieuses, créent des mouvements religieux profondément réformateurs, développent l’esprit critique et la pratique des sciences, donnent ses lettres de noblesse à la littérature bengalie et élaborent une idéologie nationaliste permettant de contester le Raj. Cette période de grande effervescence intellectuelle, communément appelée Renaissance bengalie, s’étend des années 1810, où sont publiés les premiers textes du célèbre réformateur religieux Raja Ram Mohan Roy, jusqu’aux années 1940, décennie où meurt Rabindranath Tagore, le plus grand écrivain de la Renaissance bengalie, et où l’Inde accède à l’indépendance.

C’est dans ce contexte que la psychologie arrive à Calcutta, à la fin du 19ème siècle, quelques années après que Wilhelm Wundt a fondé le premier laboratoire de psychologie expérimentale à Leipzig en 18795. L’université de Calcutta créé un département de psychologie en 1905, sous l’impulsion de son vice-président Sir Asutosh Mukherjee, qui a alors l’ambition de transformer cette université en pôle scientifique compétitif au niveau international, dans les domaines les plus modernes comme dans les sciences les plus profondément enracinées dans la culture indienne. L’université de Calcutta, avec environ 27 000 étudiants, est alors la plus grande université au monde en terme de nombre d’étudiants. A la demande de Sir Asutosh Mukherjee, Brojendranath Seal, professeur de philosophie morale, établit une maquette pour le département de psychologie après avoir étudié les programmes de plusieurs universités européennes et américaines. Il faudra toutefois attendre 1915 pour que le département se dote d’un laboratoire de psychologie expérimentale et puisse répondre aux exigences fixées dans les universités occidentales. D’autres universités, comme celles de Dacca, de Mysore, de Lucknow, de Madras, de Patna ou de Lahore, suivent l’exemple de Calcutta et ouvrent petit à petit des départements de psychologie et des laboratoires expérimentaux. L’Association indienne de psychologie (Indian Psychological Association) est créée en 1925, présidée par le Docteur Narendrenath Sengupta, diplômé à Harvard et souvent présenté comme le père de la psychologie expérimentale indienne. L’année suivante, l’Indian Journal of Psychology publie son premier numéro. A partir de la fin des années 1920, des psychologues font aussi leur entrée dans des cliniques à Calcutta et à Delhi, participent à des Congrès internationaux et sont employés par le gouvernement indien pour conduire des études sur l’industrie, l’éducation ou l’armée. Dans le climat de bouillonnement nationaliste qui est alors celui de l’Inde, les psychologues ont le désir de mettre leurs compétences au service de leur pays. Ainsi,

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en plusieurs décennies, la psychologie parvient à se frayer un chemin, quelque ténu qu’il soit, dans les mondes universitaire et hospitalier, à se constituer comme entité professionnelle dotée de ses propres outils de communication et de légitimation et à faire accepter ses compétences par certaines institutions internationales comme par les puissances publiques indiennes.

C’est cette implantation institutionnelle de la psychologie qui a initialement permis à la psychanalyse de se faire connaître à Calcutta. L’histoire de la psychanalyse en Inde a ceci de particulier qu’elle est absolument indissociable de l’histoire de la psychologie, plus encore que de l’histoire de la psychiatrie. Girindrasekhar Bose, le premier psychanalyste indien, étudie la psychologie à l’université de Calcutta à partir de 1915. Plus généralement, le degré d’implication des professeurs et des étudiants du département de psychologie de l’université de Calcutta dans le mouvement psychanalytique indien est tout à fait significatif : dès les premières années d’existence de la Société psychanalytique indienne (Indian Psychoanalytical Society), à partir de 1922, et le phénomène ne fait que s’amplifier par la suite, presque tous les candidats sont issus du deuxième cycle de psychologie expérimentale de l’université (Nimylowycz 2003 : 33).

Lors de la création du département de psychologie à l’université de Calcutta, en 1915, à quel point les idées psychanalytiques sont-elles connues dans le petit milieu des Bhadralok ? Les sources divergent pour établir la liste des textes de Freud disponibles à Calcutta dans les années 1910. D’après Tarun Chandra Sinha, second président de la Société psychanalytique indienne et premier psychanalyste à tenter de reconstituer l’histoire du mouvement psychanalytique indien, aucun ouvrage psychanalytique n’est alors disponible à Calcutta (Sinha 1953 : 64). D’après Ashis Nandy (1995 : 93) au contraire, une sélection d’article de Freud traduits en anglais par Brill est disponible à Calcutta dès 1909. En 1910 sont publiées en Angleterre The Three Lectures on Sexuality et les lectures que Freud donna à la Clark University aux Etats-Unis, sous le titre Five Lectures on Psychoanalysis. En 1913 paraît Interpretation of Dreams. Ces ouvrages ont pu arriver en Inde dans les années qui suivent (Nimylowycz 2003 : 17). Quoi qu’il en soit, les élites indiennes sont informées relativement tôt de la naissance de la psychanalyse. Dès 1906, des revues comme The Psychological Bulletin ou The journal of Abnormal Psychology publient des articles exposant les premières découvertes freudiennes. La presse indienne anglophone et des émissions de radio destinées aux Bhadralok s’en font l’écho à Calcutta, qui est alors le centre d’une vie intellectuelle très dense.

B – Girindrasekhar Bose et la Société psychanalytique indienne

Girindrasekhar Bose serait né le 30 janvier 1887 (Hartnack 2001 : 94)6. Il est le dernier fils d’une fratrie de cinq filles et quatre garçons. La famille Bose appartient à la caste des Kayastha, une caste traditionnellement composée de scribes et généralement considérée comme Brahman, qui a occupé des postes prestigieux dans les administrations moghole puis britannique. Les Bose viennent du district Nadia au sein de l’état du West Bengal, près de la frontière indienne actuelle avec le Bangladesh. Le père de Girindrasekhar, Chandrasekhar Bose, a travaillé pour un propriétaire terrien anglais plus tôt dans sa vie, et est le diwan du Maharaja Lakkhiswar Singh à Darbhanga, dans l’état du Bihar, au moment de la naissance de Girindrasekhar. Celui-ci passe ainsi une partie de son enfance au Bihar, avant que son père ne prenne sa retraite et que sa famille ne déménage à Calcutta, en 1892. Chandrasekhar Bose, le père, correspond à l’idéal du gentleman partagé par l’élite urbaine bengalie : il est connu pour son sens avisé des affaires, son honnêteté, son érudition et sa piété. Sa mère, Lakshmimani, est la troisième épouse de son père, dont les deux premières femmes sont mortes sans lui laisser d’enfants, et est connue pour sa grande dévotion, ses talents poétiques, et sa fine connaissance des textes sacrés hindous. Girindrasekhar Bose reçoit ainsi l’éducation des élites de l’époque, faite à la fois des savoirs philosophiques et religieux indiens, transmis par son milieu familial, et des sciences modernes occidentales, apprises dans les établissements prestigieux qu’il a fréquentés à Calcutta. L’intérêt que son père porte aux sciences modernes suscite d’ailleurs la critique des milieux brahmanes orthodoxes. C’est ce qui explique sans doute que beaucoup aient cru à tort que les Bose appartenaient au mouvement religieux fondé par Raja Ram Mohan Roy en 1828, le Brahmo Samaj. Ce mouvement réformateur, influencé par le christianisme et plus précisément par l’unitarisme, promeut une foi hindoue monothéiste et dénonce l’idolâtrie, le polythéisme, le système des castes et certaines pratiques sociales comme le mariage des petites filles ou la sati (sacrifice des veuves qui se jettent dans le bûcher crématoire de leur époux). Ce mouvement a une influence capitale sur l’élite bengalie à partir de la deuxième moitié du 19ème siècle et rencontre les foudres des milieux brahmaniques orthodoxes. Toutefois, s’il est vrai que les Bose vivaient à Calcutta dans un milieu social très influencé par le Brahmo Samaj, il semble qu’ils soient toujours restés orthodoxes et aient même pour cela essuyé les moqueries des Brahmos, prompts à ridiculiser

6 Hartnack s’appuie sur des indications bibliographiques tirées d’articles écrits par des contemporains de Bose. D’autres

estimations existent. D’après Ashis Nandy (Nandy 1998b : 88), Bose serait né le 30 janvier 1886, Sudhir Kakar propose simplement l’année 1886 dans l’article qu’il consacre à Bose dans le Dictionnaire international de la Psychanalyse écrit sous la direction d’Alain de Mijolla, et Elisabeth Roudinesco propose quant à elle l’année 1883 dans l’article qu’elle consacre au psychanalyste indien dans le Dictionnaire de la psychanalyse qu’elle publie avec Michel Plon. L’essentiel des informations sur la vie de Bose et sur la naissance de la psychanalyse indienne vient du livre de Christiane Hartnack (2001), de l’essai d’Ashis Nandy sur Bose (1995b) et du mémoire de maitrise de psychologie clinique de Jean Nimylowycz (2003).

leur foi dans les gurus, les divinités (familiales (kuladevata), villageoises (ishtadevis), etc.) et les astrologues.

A la fin de l’adolescence, Girindrasekhar Bose entreprend des études de chimie et de science au prestigieux Presidency College de Calcutta, dont il sort licencié en 1905. C’est aussi à cette époque qu’il se marie, à l’âge de dix-sept ans, avec une jeune fille de 10 ans, Indumati, dont il aura deux filles. Il poursuit ensuite ses études au Medical College de l’université de Calcutta, dont il obtient un Master de médecine en 1910, et commence alors à exercer comme médecin généraliste dans un cabinet privé. Il s’attache rapidement une large clientèle et devient peu à peu l’un des médecins les plus réputés de la ville. En outre, depuis l’adolescence, Bose nourrit un intérêt prononcé pour tout ce qui concerne l’esprit. Il s’intéresse au yoga et lit avec enthousiasme le Yogasûtra (traité sur le yoga) de Patanjali, dont il proposera une longue interprétation bien des années plus tard. Il se passionne aussi pour l’hypnose, le mesmérisme et la magie. Il donne même des représentations publiques en tant que magicien amateur, au cours desquelles il se fait appeler « Yogi Girindrasekhar », et expérimente, pendant ses études de médecines, l’hypnose comme moyen thérapeutique pour des cas d’insomnie, de nausée liée à l’état de grossesse, et de pseudo- asthme cardiaque, avec plus ou moins de succès. C’est apparemment à la même période, dans les années 1905-1906, qu’il entend pour la première fois parler des idées freudiennes dans des articles de The Psychological Bulletin et de The journal of Abnormal Psychology. A partir de 1909, il se passionne pour cette nouvelle science et lit tout ce qu’il peut trouver à son sujet. D’après Ashis Nandy (1995 : 94), plus que l’approche rigoureuse et systématique des concepts psychanalytiques, qui ne semble pas avoir été possible avant 1918, c’est quelque chose de la structure même de la psychanalyse, de son langage et de ses préoccupations, qui attire Bose. Ces idées nouvelles, quelque peu étranges, ont quelque chose à dire du monde dans lequel il vit. Il se met à vouer une profonde admiration à Freud, s’intéresse de près à la maladie mentale et décide de soigner des malades psychiatriques dans son cabinet de généraliste. Il met en place un dispositif de cure qui s’appuie sur la méthode de la libre association mais qui s’autorise aussi le recours occasionnel à l’hypnose.

C’est dans un tel contexte que Bose rejoint le département de psychologie de l’université de Calcutta dès l’année de la création d’un cursus de deuxième cycle, en 1915. Il a commencé à pratiquer avec des malades psychiatriques mais n’a pas reçu de formation universitaire en psychiatrie pendant son cursus de médecine. Il ressent donc le besoin d’acquérir un savoir nosographique et psychopathologique. L’enseignement d’une psychologie expérimentale fondée, entre autres, sur les théories de Wundt, est alors ce qui s’en approche le plus. Deux ans plus tard, en

1917, il obtient un Master en psychologie et devient lecteur dans cette discipline à l’université. Il impose immédiatement des cours de psychanalyse à tous les étudiants du département de psychologie, faisant ainsi de l’Université de Calcutta l’une des premières universités au monde à avoir enseigné la psychanalyse. En 1921, il obtient le premier doctorat de psychologie délivré par l’université de Calcutta pour sa thèse intitulée The concept of repression. Encouragé par la réception très positive des professeurs de son université, il envoie sa thèse à Freud, accompagnée d’une courte lettre dans laquelle il lui fait part de son admiration. Il l’envoie également à Ernest Jones et à William A. White. Freud répond en mai 1921, surpris que ses idées aient voyagé aussi loin. Il salue la justesse des vues proposées par Bose, probablement plus dans un souci de politesse que de sincère reconnaissance pour son travail de théorisation. Cette réponse de Freud est intégralement citée dans la presse de Calcutta. Jones, quant à lui, publie une critique élogieuse du livre de Bose dans l’International Journal of Psycho-Analysis. Encouragés par ces retours positifs, Bose décide de créer la Société psychanalytique indienne. Il en informe Freud dans une lettre quelques mois plus tard, sans lui en demander l’autorisation. Il est déjà en contact avec Owen Berkeley-Hill, un psychiatre anglais du Service médical indien (Indian Medical Service), qui a été analysé par Ernest Jones en Angleterre et qui est lui aussi désireux d’installer la psychanalyse à Calcutta. Berkeley-Hill sert ainsi d’intermédiaire entre Londres et Calcutta, ce qui permet de hâter les événements. Quelques mois plus tard, le 22 janvier 1922, la Société psychanalytique indienne est créée dans la maison de famille de Bose, au 14 Parsibagan Lane, adresse désormais célèbre dans le monde psychanalytique indien, où se tient encore le siège de la Société. Il s’agit de la première Société psychanalytique créée dans le monde non occidental. Les membres fondateurs sont au nombre de quinze, treize Indiens (neuf professeurs de philosophie ou de psychologie à l’université, trois médecins, le dernier étant enregistré, de façon assez surprenante, en tant que « secrétaire de l’Association des fabricants de balles de jute ») et deux Britanniques, dont Berkeley-Hill (Kakar 1989a : 499-500). La Société psychanalytique indienne se conçoit alors comme l’homologue indien de la Société psychanalytique londonienne (London Psycho-Analytic Society), devenue la Société psychanalytique britannique (British Psychoanalytical Society). Elle reprend à l’identique ses statuts, ses objectifs et ses règles de fonctionnement. Ni la question d’une identité spécifique de cette société ni la question coloniale ne sont évoquées d’une quelconque façon. Bien au contraire, l’objectif immédiat du groupe de Calcutta est de se voir affilié à l’Association psychanalytique internationale, gage de légitimité, malgré son isolement géographique. Au mois de septembre 1922, à Berlin, lors du septième congrès international de psychanalyse, Jones prononce officiellement l’affiliation de la Société psychanalytique indienne à l’Association psychanalytique internationale, et Bose est même nommé coéditeur de l’International Journal of Psycho-Analysis et de l’Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse. La promptitude avec laquelle Freud et Jones

acceptent les requêtes de Bose et vont jusqu’à solliciter ce dernier pour que son nom figure sur la page de couverture de l’organe officiel de l’Association psychanalytique internationale révèlent assez clairement les motivations qui sont les leurs : ajouter l’Inde aux tableaux de chasse de leurs conquêtes.

La création de la Société psychanalytique indienne s’est donc faite très rapidement : quelques mois séparent les premiers échanges épistolaires entre Freud et Bose et l’affiliation de la société indienne à l’Association psychanalytique internationale. Cependant, le groupe de Calcutta ne possède pas réellement les moyens de faire exister cliniquement la psychanalyse, de former ses futurs psychanalystes et d’offrir ses services à une patientèle. En 1922, les concepts freudiens se sont fait une place au sein de l’élite indienne éduquée et à l’université de Calcutta, mais parmi l’ensemble des membres fondateurs de la société indienne, un seul est psychanalyste selon les termes d’une authentique analyse didactique, Owen Berkeley-Hill. Depuis plusieurs années, Bose et ses amis forment un cercle intellectuel informel, un adda, pratique sociale centrale de la vie bengalie, qui se réunit régulièrement chez Bose pour discuter et débattre. C’est dans cet adda, qu’ils appellent « Utkendra Samiti » ou Club Excentrique, que ces jeunes intellectuels découvrent ensemble les idées freudiennes, dont ils discutent passionnément, et que Bose s’essaie à analyser ses amis, des années avant la création de la Société psychanalytique indienne (Sinha 1966 : 72). Une fois établi le groupe de Calcutta, Bose prend officiellement en cure et en formation la plupart des membres et associés désireux d’entamer une analyse et de se former à la pratique clinique, avec le concours de Berkeley-Hill. Mais de son côté, Bose n’a jamais été analysé. Il devient donc, comme le fait remarquer Ashis Nandy (1998b : 103), le troisième et dernier psychanalyste de l’histoire de la psychanalyse, après Freud et August Aichhorn, à être reconnu comme tel sur le fondement d’une simple auto-analyse. Les membres de la société indienne se rendent toutefois compte qu’ils ont besoin de formaliser la pratique analytique, le parcours de formation et les critères de recrutement. Ils discutent longuement du protocole de formation, débattent de la question de l’analyse profane et de la spécificité de leur profession. Finalement, ils optent pour la non- médicalisation de la psychanalyse, fidèles en cela à la conception que Bose se fait de la psychanalyse, qu’il place bien plus du côté de la philosophie que des sciences dures. Pour la formation des membres, le protocole établi est le suivant : chaque analysant doit avoir effectué un minimum de cinq cents séances avant de prendre lui-même en cure ses deux premiers patients, et il doit en référer à son psychanalyste contrôleur au cours de mille séances au moins. Le rythme