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5. CADRE CONCEPTUEL ET THÉORIQUE DE LA RECHERCHE

5.2. Le référent théorique de la recherche

5.2.1. Théorie du programme, théorie d’implantation, théorie du changement

Comme l’indique Jourdan et Berger, il n’y a pas de fait brut car tout fait s’insère dans un réseau de représentations mentales qui sont souvent implicites (Jourdan & Berger, 2005, p. 1) En effet, tout programme connote une conception de structure, de fonctions, de procédures appropriées (Rossi et al., 2004) et d’aménagement d’input (Weiss, 1998a) nécessaires à l’atteinte de ses buts. Il s’agit d’une ou d’un ensemble de suppositions causales qui sous-tendent la démarche d’intervention (Scheirer, 1987). Cette conception constitue la théorie du programme.

Reprenant une idée de Weiss, des auteurs comme Rossi, Freeman et Lipsey (1999) notent que deux types de théorie du programme peuvent être mis à jour: la théorie implicite du programme et la théorie articulée qui est explicite dans la conception et la planification de certaines interventions. Cependant, qu’elle soit implicite ou explicite, la théorie du programme doit être construite de préférence, comme nous l’avons noté plus haut, à partir

des données de recherche et des expériences de pratique sur le sujet (Chen & Rossi, 1992; Scheirer, 1987). La référence au critère de consistance et de connaissances éprouvées, perceptible dans les idées de ces auteurs, est centrale à la notion de théorie. Nous pouvons d’ailleurs aussi le noter avec Bickman qui définissait la théorie du programme comme étant la construction d’un modèle plausible et sensible qui indique comment un programme est supposé fonctionner (Bickman, 1987).

Les définitions de la théorie du programme ont révélé des structurations bidimensionnelles révélatrices d’un désir d’exhaustivité de conceptualisation chez les auteurs. Une première conception bidimensionnelle est celle qui nous est donnée par Shadish (1987) qui divise la théorie du programme en une micro théorie et en une macro théorie. La micro théorie se rapporte aux caractéristiques structurelles et opérationnelles de ce qui est en cours d’évaluation, y compris son fonctionnement et ses aspects manipulables. La macro théorie du programme concerne les éléments sociaux, psychologiques, politiques, organisationnels et économiques qui conditionnent le changement à l’intérieur et à

l’extérieur du programme (William R. Shadish, 1987, p. 93).

Une deuxième conception bidimensionnelle de la théorie du programme est celle de Chen (1989). Selon cet auteur, la théorie du programme inclut deux sous–théories, à savoir la théorie normative et la théorie causale du programme (Chen, 1989). La théorie normative cible les éléments de l’élaboration et de la mise en œuvre du programme. Elle clarifie les buts, le traitement et les procédures et processus d’implantation du programme. Cette composante de la théorie du programme qui en est sa composante prescriptive (Chen, 1989) est souvent négligée, selon l’auteur. La théorie causale du programme précise le mécanisme causal du programme y compris le rôle du contexte et des facteurs médians dans l’atteinte des résultats; la théorie causale est aussi appelée théorie descriptive du programme. Une autre conception bidimensionnelle nous est fournie par Rossi, Freeman et Lipsey (1999). Pour ces auteurs, la théorie complète du programme comporte la théorie d’impact du programme qui inclut des hypothèses d’action et des hypothèses conceptuelles. Il y a ensuite la théorie du processus du programme qui inclut le plan d’utilisation des services et le plan organisationnel.

Le dévoilement de la théorie révèle donc non seulement la mise en œuvre du programme mais aussi le mécanisme par lequel les ressources et les pratiques sont organisées dans le contexte pour produire l’effet. Ce faisant, une prise en compte des différentes conceptions de la théorie est nécessaire dans les limites de la conceptualisation des auteurs des programmes. La théorie du programme est parfois vague et son élaboration inconsciemment ou sciemment rendue floue du fait de l’opportunisme politique, pour pouvoir bénéficier, selon Bickman (1987), de soutien de plusieurs sources à la fois. Il revient donc au chercheur d’élaborer le réseau causal fonctionnel de l’intervention, de faire passer la théorie de l’implicite à l’explicite, au lieu de se référer à des suppositions

intuitives.

Une autre théorie qui intervient dans l’évaluation notamment en rapport à l’étape de la mise en œuvre du programme est la théorie de l’implantation du programme. La question de la théorie de l’implantation est abordée par Scheirer (1987) en termes de théorie du processus d’implantation. Selon l’auteur, la théorie du processus d’implantation discute des variables qui régissent le mécanisme d’administration du programme. La théorie du

processus d’implantation, aide à clarifier, sous la forme d’une relation de cause -à- effet, pourquoi un programme peut être ou ne pas être délivré correctement; elle examine aussi les solutions potentielles pour accroître le degré de mise en œuvre (Scheirer, 1987, p. 60). Selon l’auteur toujours, il est important de maintenir une distinction analytique entre contenu du programme et processus d’implantation si on veut pouvoir mesurer quelle proportion ou quel volume du programme ont été mis en œuvre.

Weiss fait aussi une distinction entre la théorie du programme et la théorie de

l’implantation. Selon Weiss (1998b), l’implantation incorpore implicitement une théorie sur ce qui est requis pour traduire les objectifs en services et en opérations du programme; cette théorie est la théorie de l’implantation. La théorie de l’implantation désigne l’ensemble des mécanismes qui expliquent pourquoi un programme sera mal ou bien implanté. La théorie de l’implantation ne s’intéresse pas, selon l’auteur, au processus médian reliant les services et l’atteinte des résultats mais cible plutôt la délivrance ou la mise en œuvre des services. Les travaux sur la théorie poussent en général à examiner ce qui marche; cependant, il est important d’étudier aussi ce qui ne fonctionne pas. Pour ce faire, il est prudent, selon Weiss (1998b), d’élaborer une théorie des résultats inattendus ou non désirés. Il est aussi possible

de l’avis de l’auteur, d’élaborer des théories pour les sous-groupes d’acteurs ou de participants. La combinaison de la théorie du programme de Weiss et de la théorie de l’implantation donne la théorie du changement du programme (Blamey & Mackenzie, 2007). La théorie du changement est vue comme une variante qui part de l’idée qu’une activité orientée vers un but implique une théorie de l’action pour l’atteinte d’un résultat dans un contexte donné et sur sa mise en œuvre (Dyson & Todd, 2010). Très souvent les différents termes sont utilisés soit avec des sens différents par les auteurs soit encore de façon interchangeable.

Une approche par laquelle le programme est décrit et présenté est le modèle logique. Le programme peut être vu comme une hypothèse et la modélisation logique est l’outil qui permet d’ouvrir le paquet de l’hypothèse, selon McLaughlin et Jordan (2004). Le modèle logique est donc une représentation structurelle, présentée sous forme schématique ou en tableau qui donne un aperçu organique et processuel du programme de ses composantes, hypothèses et objectifs. Tout comme la théorie du programme, le modèle logique est le plus souvent obtenu après une consultation des documents du programme ou un entretien avec les différents acteurs ou parties-prenantes du programme. Le modèle logique de

l’intervention a souvent été présenté comme étant la théorie, comme on peut le voir chez certains chercheurs (Green & McAllister, 1998).

De même, McLaughlin et Jordan définissent le modèle logique comme un modèle plausible et sensible du fonctionnement du programme sous certaines conditions

environnementales pour résoudre un problème. Pour ces auteurs, le modèle logique est un outil utile pour la description de la théorie du programme dans le cadre des évaluations basées sur la théorie; le modèle logique est donc pour eux une autre appellation de la théorie du programme (McLaughlin & Jordan, 2004). Cependant Chen (2005) note que la théorie se distingue du modèle logique qui est plus tourné vers l’identification ou la quantification des composantes et activités que vers les mécanismes (Chen, 2005).

Cependant l’exhibition du processus d’atteinte des résultats à travers l’élaboration d’un modèle logique demeure une approche utile à la compréhension de la démarche du chercheur. Une étude exploratoire incluant l’élaboration d’un modèle logique est à notre sens une étape nécessaire à la réalisation d’une bonne évaluation basée sur la théorie du

programme. La mise en relation du modèle logique et de la théorie du programme nécessite de considérer les mécanismes causaux sous-jacents. Cette démarche est plus évidente à travers les propositions de Weiss (1998a) pour qui la théorie du programme comprend (a) les inputs, (b) les activités (c) les résultats intérimaires et (d) la fin désirée. Comme nous pouvons le constater, ces composantes sont aussi dans le modèle logique du programme. Pour mettre en évidence les théories du programme, Weiss passe par le schéma du programme et du résultat désiré, et remplit les espaces entre les étapes allant de (a) à (d) que comporte la théorie du programme. Cette démarche explicite la relation étroite qui peut être établie entre le modèle logique et la théorie ou les théories du programme.

Se référant aux propos de Patton, des auteurs comme Taut et ses collaborateurs diront que ce qui transforme le modèle logique en théorie est l’ajout de détails sur le mécanisme du changement qui explique comment le résultat désiré est atteint (Taut, Santelices, Araya, & Manzi, 2010). Pour Contandriopoulos, Champagne, Denis et

Avargues (2000), le modèle logique issu de la théorie du programme comprend deux sous- modèles; ils identifient d’abord le modèle théorique qui dépeint les liens causaux de la chaîne objectifs de production, objectifs d’intervention et objectifs ultimes. Cette chaîne met en évidence l’hypothèse d’intervention et l’hypothèse causale. Il y a ensuite le modèle opérationnel qui illustre les relations entre les ressources et les activités de même que les interactions entre les acteurs pour l’atteinte des objectifs de production (Contandriopoulos et al., 2000).

Cependant, il est important de noter que les programmes comportent bien plus que des théories. A côté des suppositions théoriques des acteurs et des représentations du modèle logique, plusieurs auteurs notent l’existence de valeurs auxquelles les concepteurs et les acteurs sont attachés (Chen & Rossi, 1992; Conrad & Miller, 1987; Mark et al., 1999). Les résultats d’une évaluation qui ne tiendrait pas compte des valeurs et points de vue des parties-prenantes seront certainement contestés et peu susceptibles d’être mis en œuvre, car un succès selon une philosophie ou une valeur peut être perçu comme un échec pour une autre perspective (Chen & Rossi, 1992). La notion de valeur fait intervenir un autre concept, celui de la philosophie du programme, car la combinaison de la théorie et des valeurs donne la philosophie du programme (Conrad & Miller, 1987). L’approche réaliste de Mark et al. (1999) accorde un intérêt particulier aux questions de valeur. Une mise en

évidence de ces aspects du programme permet d’aller vers la réalité du programme en prospectant au-delà de l’empirique.