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4. RECENSION DES ÉCRITS

4.2. L’évaluation du processus

4.2.4. Les composantes de l’évaluation du processus

4.2.4.2. La « fidélité » dans la mise en œuvre de l’intervention

L’analyse de la fidélité pourrait constituer, à elle toute seule, un objectif majeur de recherche dans plusieurs types d’évaluation, ce dont témoigne justement Chen (2005). En effet, cet auteur distingue quatre types populaires d’évaluation de la fidélité : (1) la fidélité de l’intervention ; (2) la fidélité des processus de référence ; (3) la fidélité de

l’administration des services ; et (4) la fidélité de la population cible. La mesure de la fidélité telle que proposée par Chen (2005) porte sur trois variables principales, à savoir la

couverture, la force et l’intensité. La fidélité de la mise en œuvre de l’intervention (ce qu’on appelle aussi l’intégrité de la mise en œuvre) se rapporte à la mesure dans laquelle l’intervention est réalisée selon les plans (Linnan & Steckler, 2002; Morrison et al., 2009; Shen, Yang, Cao, & Warfield, 2008; Valente, 2002). Dans la typologie des évaluations de la fidélité proposée par Chen, la fidélité par rapport au plan correspond à l’évaluation de la fidélité de l’intervention (Chen, 2005) : dans cette perspective, la fidélité se rattache au respect des prévisions et des promesses. La fidélité vue dans ce sens semble constituer un élément de la qualité ou de l’évaluation normative qui prend pour référent le programme tel qu’il a été conçu ou proposé par les concepteurs (Linnan & Steckler, 2002). Ce point de vue sur la fidélité comme intégrité fait intervenir, selon Champagne et Denis, la notion de validité de contenu et se réfère à l’intensité, à l’exhaustivité dans la réalisation des activités et à l’adéquation aux normes en vigueur (Champagne & Denis, 1992, p. 153).

Les analyses de la fidélité nous ramènent aussi à l’approche de l’évaluation de l’écart de Provus (1971) qui examine les écarts positifs et les écarts négatifs opérés dans la mise en œuvre de l’intervention. A la différence des cas précédemment évoqués, ce dernier cas évoque un standard qui se doit d’être considéré comme le référent. La validité

apparente (face validity) est utilisée pour juger des simulations avec le référent (Morra, 1978). La référence à un standard, cette fois de valeur, est aussi l’approche par laquelle Conrad et Miller (1987) proposent d’examiner la conformité de l’implantation du

programme. Cette valeur et la théorie du programme forment ce que ces auteurs désignent sous le terme de la philosophie du programme; celle-ci est issue du consensus des

administrateurs centraux, elle définit et guide la structure, la population, le processus et les résultats du programme selon ces auteurs. La philosophie du programme permet de mesurer la mise en ouvre du programme et sa fidélité à son référent (Conrad & Miller, 1987).

La finalité de l’analyse de la fidélité n’est pas de faire un constat relativement à la distance entre ce qui était planifié et ce qui a été mis en place ; l’intérêt porté à l’analyse de la fidélité de la mise en œuvre vient du fait que la fidélité dans la mise en œuvre entretient une relation de modération avec l’effet attendu ou le résultat de l’intervention (Carroll et al., 2007). Le postulat de base est que la fidélité dans la mise en œuvre de l’intervention est le garant du succès de l’intervention (Chen, 2005; Kalafat et al., 2007; Valente, 2002). Au demeurant, une évaluation de l’effet d’une intervention conduirait à une erreur de type III si

les chercheurs ne s’assuraient pas du fait que celle-ci a été bien mise en œuvre : une telle erreur consiste par exemple à conclure sur l’inefficacité d’une intervention quand celle-ci a été mise en œuvre de façon inadéquate ou insuffisante (Tones, 2000).

Le respect des promesses de mise en œuvre est conditionné par les caractéristiques du contexte (Shen et al., 2008). En effet, une intervention ne peut pas toujours être

entièrement mise en œuvre dans les conditions de vie réelle; ce faisant, l’intervention doit être flexible et adaptable (Carroll et al., 2007; Morrison et al., 2009). Comme l’indique Valente (2002), de nombreuses interventions ont réussi parce que leur mise en œuvre a permis de les adapter au contexte local. De leur côté, Audrey et al. (Audrey, Holliday, Parry-Langdon, & Campbell, 2006) ont noté le fait qu’il existe une tension entre les nécessités de la standardisation et celles de flexibilité impliquée par l’adaptation de l’intervention aux caractéristiques du contexte. De même, Morrison et al. (2009) ont aussi révélé une tendance à l’exclusion mutuelle entre fidélité et adaptation dans leur expérience d’intervention en prévention du SIDA : selon eux, la fidélité dans la réplique d’une

intervention permet de juger de la possibilité de la généralisation des effets de

l’intervention. Ils notent cependant qu’un manque d’adaptation à un nouveau contexte tend à réduire l’efficacité de l’intervention, ce qui fait de la réplique un test inapproprié et inadéquat de l’intervention (Morrison et al., 2009). Valente (2002) considère que cette situation est une contradiction inhérente à la fidélité.

Certains auteurs (Audrey et al., 2006; Morrison et al., 2009; Shen et al., 2008) estiment que les démarches de réimplantation des programmes doivent en préserver l’identité première. Cela passe par le maintien des composantes essentielles et la

préservation des mécanismes actifs dans le programme (Bauman, Stein, & Ireys, 1991). Bien que ces propositions existent depuis longtemps, d’autres auteurs estiment que l’approche de la fidélité des interventions par l’identification des composantes centrales reste encore pas mal immature (Elliott & Mihalic, 2004). Chen (2005) tout comme Patton (1997) notent que l’argument des adeptes de la tradition de la diffusion est organisé autour de l’idée suivante : le changement dans l’adoption d’un programme est inévitable et sa réinvention est la condition même de l’efficacité des interventions. Selon Chen (2005), leur position et celle des défenseurs de la fidélité peuvent être réconciliées sous sa perspective de la contingence : l’approche consisterait alors à favoriser la réinvention du programme à

l’étape initiale de l’implantation mais à éviter cela une fois que le programme est à l’étape mature. Les différents types d’évaluation du processus qu’il propose permettent de rendre compte de ces développements.

Dans le but de simplifier l’évaluation de programmes particulièrement complexes, Pawson (2006) propose l’identification préalable des composantes principales qui doivent être examinées. Une telle démarche simplifierait aussi l’analyse de la fidélité des

interventions dans la mesure où elle se rapproche de la proposition des auteurs qui

proposent l’identification des composantes centrales pour la mise en œuvre. Il est important de noter que les différents jugements de fidélité se sont souvent intéressés aux écarts en termes d’insuffisance ; cela est lié au fait que des référents sont identifiés et dans certains cas mesurés, la fidélité se rapportera le plus souvent donc à l’atteinte ou non du niveau du référent. De plus, il arrive que l’évaluation de la fidélité de la mise en œuvre porte sur un élément du référent plutôt que sur l’ensemble de ses composantes. Chez Conrad et Miller (1987), l’approche d’analyse de la qualité de la mise en œuvre est intéressante dans la mesure où elle envisage la qualité en prenant en compte autant les éléments structuraux, processuels, émotionnels que moraux. L’atteinte de l’objectif d’une intervention ne justifie pas que tous les moyens soient mis en œuvre, mais seulement ceux qui respectent la philosophie du programme.