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4. RECENSION DES ÉCRITS

4.1. La vaccination

4.1.6. Immunisation de l’enfant et promotion de la santé

Les relations entre la vaccination et les nouvelles idées qui ont cours en santé publique n’ont pas toujours été des plus cordiales. Le courant actuel de la santé des populations - qui se présente parfois comme une nouvelle santé publique – s’est fondé sur des préceptes qui ne sont pas particulièrement favorables à certains vaccins. En effet, l’un des arguments de référence de cette approche, parmi d’autres, est le travail réalisé par Thomas McKeown (1979) au sujet de l’évolution de la tuberculose entre 1840 et 1970 en Angleterre et au Pays de Galle. De l’avis de McKeown, la réduction observée dans l’incidence de la tuberculose est davantage liée à l’amélioration des revenus et des

habitudes alimentaires qu’aux interventions directes des systèmes de santé. La découverte et l’introduction de traitements efficaces et de la vaccination contre la tuberculose

pulmonaire ne sont donc pas vus comme des éléments qui ont été déterminants pour la réduction des taux de prévalence de la tuberculose (R. G. Evans & Stoddart, 1990).

Il n’y a pas de raison de mettre en doute les conclusions de McKeown quant à la tuberculose. On peut cependant penser que l’alignement sur cette façon de voir les choses risque de conduire à accorder de moins en moins d’importance aux interventions des services de santé, notamment à la vaccination, dans la lutte contre les maladies. D’autres chercheurs insistent sur le fait que les pays pauvres sont confrontés, du fait de la transition épidémiologique, à une augmentation croissante des maladies cardiovasculaires et que ces pays doivent désormais engager de plus en plus de fonds dans la prise en charge des

nouvelles pathologies, ce qui risque de se faire au détriment de l’immunisation (Ebrahim & Smith, 2001). On peut craindre, estiment ces mêmes auteurs, que les gouvernements ne se montrent bientôt plus préoccupés d’apporter des réponses aux maladies des classes riches et moyennes que de continuer à investir dans la prévention des maladies infectieuses qui continuent à affecter les plus pauvres parmi leurs citoyens.

Sur le plan conceptuel, il est vrai que les pratiques traditionnelles de la santé publique se sont organisées autour des concepts de maladie et de prévention qui ont été au cœur des pratiques mises en place dans les pays où les profils de morbidité étaient dominés par les maladies infectieuses (Czeresnia, 1999). La vaccination en est ainsi venue à se situer au cœur même des éléments mis en jeu dans la première révolution de la santé publique qui s’est centrée sur la lutte contre les maladies transmissibles et sur l’amélioration des

conditions d’hygiène. La vaccination fait partie en général de la prévention primaire qui se réfère, de l’avis de Leavell et Clark (1965) (cités par Lafortune et Kiely, 1989), à la période précédent le processus « pathogénique» proprement dit. Ce rapport à la pathogenèse

contribue hélas à détacher, dans l’esprit de beaucoup d’acteurs, la vaccination des activités de promotion de la santé qui tend plutôt à se préoccuper de la constitution d’un capital santé. La promotion de la santé qui est généralement décrite comme une sorte de 3ème révolution en santé publique reconnaît en effet la santé comme une dimension clé de la qualité de la vie qu’elle se propose de maximiser en tant que ressource pour la vie (Breslow, 1999; Kickbusch, 2003).

Les différentes définitions de la promotion de la santé et l’effort fait pour montrer qu’elle est plus que la simple prévention de la maladie ont fini par conduire à sous-estimer le grand travail réalisé par le biais de nombreuses activités, y compris par la vaccination, pour améliorer le profil de santé des populations selon certains auteurs (Pledger & Watson, 1986). Les travaux de Breslow sur la distinction entre « prévention » et « promotion » montrent clairement que le concept de « potentiel de santé » va nettement au-delà de l’idée d’immunité face aux agents microbiologiques ; de plus, il écrit que l’immunisation contre les maladies des enfants est une pratique moins importante que l’immunisation pour les maladies infectieuses des adultes et que cette immunisation (des adultes) doit être étendue notamment aux voyageurs et aux personnes âgées (Breslow, 1999). Dans la même

orientation que les idées de Breslow, le développement du « modèle salutogénique » mis de l’avant par Antonosky l’avait conduit à considérer l’immunisation dans l’esprit même et selon la démarche de John Snow face au cholera : la théorie de la promotion de la santé d’Antonosky tend à critiquer les programmes de vaccination dans la mesure où ils

prolongent une approche exclusivement centrée sur des maladies spécifiques. Pour lui, la vaccination appartient à l’ensemble des démarches qui sont nées de la « culture

pathogénique » de la médecine occidentale et reste encore liée à un schéma soin-prévention (Antonosky, 1996).

On peut aisément comprendre les éléments argumentaires mis de l’avant par Breslow et Antonovsky qui veulent voir apparaître une nouvelle santé publique construite sur le versant santé plutôt que sur celui de la pathologie. La vaccination a contribué effectivement à résorber les grandes épidémies qui sont apparues dans le contexte des différentes ruptures pathocéniques qu’a connues l’humanité (Bibeau, Sanou & De Plaen, 2009) renforceant d’avantage sont lien avec le pathologique. La question se pose cependant de savoir pourquoi la vaccination, notamment celle qui s’intéresse aux maladies de la petite enfance, ne peut pas être considérée comme un « facteur salutogénique » (le « salutary factor » d’Antonosky) et en d’autres mots comme un facteur de promotion de la santé. L’analyse proposée par Macdonald et Bunton (2002) montre que la conceptualisation de la promotion de la santé gagne peu à présenter les positions d’une manière aussi tranchée. En divisant les approches de la promotion de la santé entre des aspects individuels (le style de vie) et des aspects structurels de nature collective (politiques et action publiques), ces auteurs signalent avec justesse que des éléments centraux de la protection de la santé, notamment le dépistage et l’immunisation, se retrouvent dans l’une et l’autre des deux approches.

Il est vrai que les activités de vaccination prennent comme cibles des maladies spécifiques ; toutefois, les activités vaccinales contribuent aussi à promouvoir l’immunité collective à travers les bénéfices que dégage la frange vaccinée au profit de l’ensemble de la population. Les externalités positives bénéfiques de la vaccination des enfants ne

profitent pas seulement qu’aux autres enfants ; en effet la vaccination des enfants peut aussi être profitable à l’ensemble des classes d’âge dans une population, comme le notent

Ghendon, Kaira et Elshina (2006). Ces auteurs signalent, par exemple, que la vaccination de masse d’enfants en milieu institutionnel apporte une protection accrue contre l’influenza tant au niveau des enfants qu’à celui des personnes âgées non protégées. La vaccination des enfants agit aussi de manière protective auprès des mères dans la mesure où un enfant vacciné tombe moins malade : par exemple, la persistance du virus de la varicelle dans le corps de l’enfant peut provoquer, à long terme, le zona chez les adultes(Commission

Fédéral de la Vaccination, 2005). Cette maladie apparaît surtout chez les personnes âgées ou ceux dont le système immunitaire est affaibli, par exemple chez les mères séropositives.

Les bonnes conditions de nutrition et l’immunité acquise au cours de la petite enfance ont des répercussions sur les capacités des personnes à faire face aux problèmes de santé à l’âge adulte (Barker, Winter, Osmond, Margetts, & Simmonds, 1989; Birch, 1972; R. G. Evans & Stoddart, 1990; Wilkinson & Marmot, 2004). De même la prévention des maladies liées aux virus de l’hépatite B et du papillome humain par la vaccination des enfants permet de protéger les individus à l’âge adulte face à certains problèmes de santé chroniques, notamment le cancer du foie et le cancer du col de l’utérus (CDC, 2010). Les bienfaits de la vaccination de l’enfant pourraient même s’étendre à bien d’autres

pathologies comme les maladies cardiaques, l’asthme etc.

La vaccination des enfants ne doit donc pas être considérée comme une simple action de prévention des maladies de la petite enfance : les antigènes administrés

contribuent en effet à renforcer le capital santé avec des dividendes et ristournes engrangées à court terme par la protection des enfants contre les maladies cibles de la vaccination mais aussi à long terme par l’émancipation physique, psychique et intellectuelle qui est au fondement de la capacité à prendre en main, à l’âge adulte, le contrôle sur son état de santé. La vaccination forme en quelque sorte le fondement primaire et primordial d’une

promotion de la santé conçue comme ouvrant sur l’ensemble du cycle de vie (life course approach) des personnes (Lu & Halfon, 2003). Dans cette perspective, bénéficier des vaccins durant l’enfance entre dans les éléments qui construisent le cours de la vie. Une relation peut être établie entre l’immunisation et les thèmes privilégiés de promotion de la santé à savoir les maladies cardiovasculaires lorsque les analyses par « l’approche parcours de vie » sont utilisées. Sans doute que toutes les évidences de l’existence de liens entre les vaccins et les « maladies non-communicables» restent encore à être démontrées mais il n’en reste pas moins certain que les maladies infectieuses de la petite enfance semblent contribuer à l’émergence, entre autres, de maladies cardiovasculaires à l’âge adulte selon certains auteurs (Braveman & Barclay, 2009; World Health Organization. Dept. of Noncommunicable Disease Prevention and Health Promotion., 2001). Ces liens comptent parmi les facteurs qui expliquent l’intérêt de l’« approche parcours de la vie » pour le Healthy People 2020 aux États-Unis (U S Department of Health and Human Services).

Les activités de soin comme celles qui consistent à amener un enfant à une

consultation médicale ou au service de vaccination reposent, de manière prioritaire, sur les mères (Cayemittes, Florence, Barrère, Mariko, & Sévère, 2000; Sauerborn & Nougtara, 1993), entraînant pour celles-ci de nombreuses conséquences qui ne sont pas toujours positives. C’est en considération de ce genre de responsabilités que certains courants radicaux du féminisme en sont venus à demander la « mort de la famille » en tant qu’institution centrée sur la maternité et imposant d’énormes charges aux femmes (Dandurand, 1994). La vaccination contribue, sans aucun doute, à rendre ce poids plus supportable pour les mères.

Les séances de vaccination des enfants se présentent généralement comme de bonnes occasions pour mener des activités de promotion de la santé auprès des parents, notamment des mères à qui on apprend à améliorer la santé de leur enfant en même temps que celle de toute la famille (Impicciatore, Bosetti, Schiavio, Pandolfini, & Bonati, 2000). Dans l’approche centrée sur la « Prise en Charge Intégrée de la Mère et de l’Enfant » (PCIME), on a cherché à concilier les intérêts de l’enfant, de la mère et des parents en général en transformant les rencontres de vaccination en de véritables structures de promotion de la santé. Même si l’approche PCIME semble laisser la place à des concepts nouveaux, on peut soutenir, en toute légitimité, que l’apport pédagogique des séances vaccinales reste toujours d’actualité.

La vaccination appartient, il est vrai, à la prévention primaire dans la mesure où elle implique les mesures prodiguées à un individu en vue d’éviter l’apparition d’une maladie précise (Gorin, 2006, p. 26). Cependant, comme le note Gorin, la prévention que représente l’immunisation doit être considérée comme faisant partie des activités qu’une véritable promotion de la santé se doit d’intégrer. L’immunisation fait en effet partie des services qui sont de nos jours acceptés et recommandés en tant que services de promotion de la santé (Ornstein et al., 1989). L’Association Canadienne de Santé Publique recommande d’ailleurs que « l’immunisation soit considérée comme la pierre angulaire des activités vouées à la réduction des maladies et à la promotion de la santé pour tous les Canadiens et les Canadiennes» (Association Canadienne de Santé Publique, 2001, p. 22). De nombreuses activités d’immunisation sont explicitement intégrées à des programmes de promotion de la santé, notamment la vaccination des aînés contre l’influenza qui est une maladie

potentiellement grave pour les personnes souffrant d’affections chroniques de type

cardiaque ou respiratoire (Pearson & Thompson, 1994). Les chercheurs tendent de plus en plus à classer leurs travaux portant sur la vaccination dans le registre des recherches en promotion de la santé (Oldenburg, Sallis, Ffrench, & Owen, 1999).

La relation prévention/promotion apparaît être suffisamment forte pour que l’on considère de plus en plus souvent l’immunisation comme une stratégie d’accompagnement de la promotion de la santé. En Angleterre, le nouveau contrat des médecins généralistes introduit dans le but de valoriser la promotion de la santé et la couverture sanitaire des plus vulnérables inclut l’immunisation dans ses points d’évaluation. Une évaluation de ce mode de contrat a fait ressortir que les paiements faits aux professionnels pour leurs actions de promotion de la santé étaient positivement corrélés aux paiements pour les activités d’immunisation (Gillam, 1992). Aussi, Gosselain, Laperche et Prevost diront que la

prévention médicale qui prend en compte la vaccination des enfants est une dimension de la promotion de la santé familière aux généralistes (Gosselain, Laperche, & Prevost, 1999, p. 42).

L’immunisation se présente aussi comme une porte d’entrée par laquelle

l’infirmière accède à la santé globale de l’enfant et de la famille en leur adressant, dans ce contexte, divers messages de promotion de santé (Richard, Fortin, & Bérubé, 2004). L’immunisation en est venue à prendre une telle importance dans la promotion de la santé que de nombreuses voix se sont élevées pour demander que l’on intègre des activités de promotion de la santé de l’enfant dans les séances de vaccination et qu’on les combine avec d’autres activités de prévention visant notamment l’amélioration de l’environnement de vie et le milieu social de l’enfant (Ehiri & Prowse, 1999). Il est important de noter que la vaccination de l’enfant contre certaines maladies , notamment la poliomyélite contribue peu à la réduction globale du poids de la mortalité (Claeson & Waldman, 2000) ; ces activités pour lesquelles d’énormes efforts sont consentis contribuent plus à la promotion du bien- être d’une façon générale.

En termes de démarche, les interventions d’amélioration de la couverture vaccinale adoptent globalement les mêmes approches que celles utilisées en éducation pour la santé et en promotion de la santé : ainsi, par exemple, les stratégies d’amélioration de l’offre en

matière de vaccination mettent l’accent sur l’approche milieu en faisant des milieux de la pratique des cadres de promotion de la vaccination (Boom et al., 2010; Gillam, 1992; Gosselain et al., 1999). Dans ce sens, certaines interventions tentent de mettre en pratique les recommandations de la Déclaration de Budapest relatives aux hôpitaux promoteurs de santé dans lesquelles il est suggéré de faire en sorte que des hôpitaux soient des

organisations saines pour les patients, pour les travailleurs et pour la communauté. Combinant l’approche milieu à celle des politiques publiques, la promotion de la vaccination fait appel de nos jours à une utilisation croissante de l’école non seulement comme milieu d’information mais également comme espace de soutien à la vaccination et lieu de pratique de celle-ci (Stewart, 2008).

Les stratégies d’amélioration de la couverture vaccinale passent aussi par le renforcement de la participation communautaire qui est l’un des cinq domaines d’action stratégiques proposés par la charte d’Ottawa ("The Ottawa Charter for Health Promotion (Reprinted)," 1994). Dans le cas des enfants à vacciner, on fait de plus en plus référence à la « littératie de santé » des parents même si cela ne correspond souvent qu’au niveau initial de la littératie, à savoir la « littératie de santé fonctionnelle » (Nutbeam, 2000). De plus, les interventions d’amélioration de la couverture vaccinale visent à promouvoir des valeurs centrales à la promotion de la santé, à savoir l’empowerment des individus et des

communautés, de même que la réduction des inégalités de santé (S. Findley et al., 2004). Il faut cependant reconnaître que cet objectif de réduction des écarts d’inégalité sociale a été difficile à atteindre dans de nombreux cas (McDivitt et al., 1997; Reading, Colver,

Openshaw, & Jarvis, 1994).