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Vers une « théorie ancrée » à la rencontre d’un projet

CHAPITRE 2 : Un parcours vers la recherche

3.1. Vers une « théorie ancrée » à la rencontre d’un projet

Nous avons choisi d’appréhender cette recherche dans une théorie qu’on appellera « ancrée » (PAILLE, 1994) – elle-même issue de la « grounded theory » (GLASER, STRAUSS, 1967) – où, si l’on se réfère à la base à nos propres réflexions (inter)disciplinaires, le terrain est lui aussi moteur de cette théorisation, dans un aller-retour constant que représente une démarche itérative. Cette sociolinguistique urbaine tend ainsi tant à construire des outils réflexifs pour la recherche et le militantisme scientifique qu’elle défend, qu’à diffuser, médiatiser ses travaux et ses outils dans un objectif de transférabilité (multidirectionnelle) et de partage des connaissances entre tous les acteurs impliqués dans un projet (comme celui que nous présentons ici), mais également vers le plus grand nombre. Cette thèse tente, à son niveau, de reprendre les objectifs d’une sociolinguistique urbaine engagée sur les enjeux inhérents à son « terrain » ou plutôt sur ses terrains, car son objectif final n’est pas de produire uniquement un objet scientifique fini (une « thèse » de doctorat), mais de participer aux discussions et de proposer des choses avec les acteurs concernés.

Illustration 1: Identité visuelle de L'Encyclopédie des migrants (© L’âge de la tortue)

Cette recherche s’est donc développée au parallèle d’un projet intitulé L’Encyclopédie

des migrants mis en place par l’association L’âge de la tortue située à Rennes, « projet d’expérimentation artistique à l’initiative de l’artiste Paloma Fernández Sobrino, qui vise à réunir dans une encyclopédie 400 témoignages d’histoires de vie de personnes migrantes. Il s’agit d’un travail contributif qui part du quartier du Blosne6 à Rennes et qui rassemble un réseau de 8 villes de la façade atlantique de l’Europe, entre le Finistère breton et Gibraltar »7. Concrètement, cette encyclopédie regroupe 400 lettres (« lettres intimes » envoyées symboliquement à un proche n’ayant pas fait ce parcours de migration) issues de huit villes en Europe accompagnées de traductions dans les quatre langues du projet (anglais, espagnol, français, portugais) et de portraits photographiques. Si thèse et projet ne sont pas contractuellement liés, la collaboration commencée dès 2014 a permis de découvrir des intérêts convergents dans les perspectives de nos travaux respectifs.

Illustration 2: Marathon de lecture des 400 lettres de L'Encyclopédie des migrants du 4 au 5 mars 2017 (© L’âge de la tortue)

En effet, amené à la fois d’un point de vue personnel et d’un point de vue scientifique – le laboratoire PREFICS étant à la direction scientifique France et internationale du projet – à participer aux premières discussions liées à la création du projet, nous avons été rapidement 6 Quartier typifié, dans les discours dominants, comme « populaire » ou « sensible ».

7 Source, site de l'association: [http://agedelatortue.org/?page_id=2613], dernière date de consultation le 24/01/2018.

convaincus des possibilités offertes par cette collaboration : pour le projet, il était possible d’obtenir des rapports scientifiques in situ, de fournir des pistes de réflexion autrement que dans des temporalités de recherche classiques, d’apporter nos pratiques dans la « collecte » de témoignages, etc. ; pour nous, ce projet était un véhicule de pratiques de langues et de pratiques de discours sur ces langues et leurs locuteurs dans le cadre de l’ouverture à discussion du projet à de nombreux acteurs8. D’une façon plus générale, ce type de collaboration amène à repenser ses propres modalités de recherche et de partage des connaissances dans les perspectives éthiques que se donne la sociolinguistique urbaine. Dans la pratique, ce travail est une réelle expérience de décentration, où la mise en commun des expériences fait bouger les lignes et apporte de nouvelles sources d’inspiration, non sans perturbations9.

Illustration 3: Le Groupe de réflexion en plein séance de travail (© Bertrand Cousseau – BC Photographie)

La première étape importante de ce travail collaboratif a été notre présence à de nombreuses reprises aux Groupes de réflexion du projet de L’Encyclopédie des migrants. Il s’agit ici d’un groupe de personnes bénévoles se regroupant régulièrement afin de discuter des « balises » du projet, notamment avant la phase fondamentale de collecte des 400 témoignages dans les 4 pays du projet. L’association L’âge de la tortue a mis en place cet espace de discussion tout au long du projet de L’Encyclopédie des migrants et l’a défini ainsi :

8 Voir notamment les discussions animées lors des « Groupes de réflexion » du projet (Cf. Chapitre 13 : « Observations participantes des Groupes de réflexion de L’Encyclopédie des migrants »).

9 Voir ici le blog de Pascal Nicolas-Le Strat traitant du « commun » : [http://blog.le-commun.fr/?p=873], dernière date de consultation le 24/01/2018.

Le Groupe de réflexion est composé de citoyens migrants ou non, d’acteurs locaux, de photographes, de chercheurs en sciences sociales et de l’équipe de coordination transnationale. Il se réunit tous les 2 mois à Rennes dans le quartier du Blosne. Le Groupe de réflexion a pour mission d’émettre des réflexions et des propositions sur les grands axes du projet, d’élaborer des méthodologies de collecte de témoignages de migrants, de participer au séminaire de transmission de ces méthodologies aux équipes locales, de participer aux restitutions et aux actions de diffusion locales, de participer au séminaire d’évaluation du projet10.

Nous avons pu suivre et participer activement à ces Groupes de réflexion avec comme rôle spécifique, dans le cadre d’une recherche « de terrain », de produire les synthèses critiques des discussions11. Cette première étape a permis à la fois de participer aux débats émanant d’un tel projet, de rencontrer un ensemble d’acteurs locaux qui ont pu participer par la suite aux entretiens de cette recherche et de redéfinir des questionnements de recherche (notamment autour de l’intime). Cette expérience et l’étape de recherche liée ont fait l’objet d’un article (VETIER, 2017).

La seconde phase importante a été la participation en tant que « personne contact » à la phase de collecte des témoignages à Rennes. La « personne contact » a été définie par le projet comme la personne chargée d’établir « le lien » avec les futur·e·s auteur·e·s de lettres et de « collecte[r] leurs témoignages »12. Cette partie importante du projet13 a eu des répercussions importantes en termes d’investissement dans celui-ci et de rencontres. En effet, pour arriver à nos fins, de nombreuses rencontres avec une pluralité d’acteurs de terrain ont été nécessaires pour remplir cette mission. Les auteur·e·s de lettres finalement rencontré·e·s ont également participé, pour une partie, aux entretiens de cette recherche (Cf. Chapitre 9 : « Analyser les discours dans une ‘‘organisation collective’’ »).

10 Source « Le dossier du projet »: [ http://www.encyclopedie-des-migrants.eu/wp-content/uploads/FR_Encyclope%CC%81die_des_migrants_final.pdf], dernière date de consultation le 03/03/2018.

11 Celles-ci sont disponibles sur le site internet du projet dans les « Ressources pédagogiques » à l’adresse suivante : [http://www.encyclopedie-des-migrants.eu/projet/pedagogie/], dernière date de consultation le 24/01/2018.

12 Source « Le dossier du projet »: [ http://www.encyclopedie-des-migrants.eu/wp-content/uploads/FR_Encyclope%CC%81die_des_migrants_final.pdf], dernière date de consultation le 03/03/2018.

13 Il est possible de retrouver le rétro-planning des étapes de travail avec le projet et des étapes de recherche au Chapitre 7 : « Une méthodologie d’enquête »).

Illustration 4: Séance photo d'une auteure de lettre sur la Place de la Mairie à Rennes

3.2. Penser L’Encyclopédie des migrants comme une « nouvelle forme